La lettre juridique n°813 du 20 février 2020 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Réaffirmation de l’autonomie de la résiliation de plein droit du bail commercial pour défaut de paiement de créances postérieures au jugement d’ouverture

Réf. : Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127, F-D (N° Lexbase : A91813BN)

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[Jurisprudence] Réaffirmation de l’autonomie de la résiliation de plein droit du bail commercial pour défaut de paiement de créances postérieures au jugement d’ouverture. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/56744572-jurisprudencereaffirmationdelautonomiedelaresiliationdepleindroitdubailcommercialpourd
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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université Côte d'Azur, Directrice du Master 2 droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice, Directrice adjointe du master ALED, Membre du CERDP

le 19 Février 2020

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de porter un nouveau coup dur à la pérennité du bail des locaux affectés à l’activité de l’entreprise et, partant à la pérennité de l’entreprise locataire.

Il y a quelques mois, par arrêt du 9 octobre 2019 [1], la Chambre commerciale avait posé, dans le cadre de la liquidation judiciaire, la solution selon laquelle «lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement [de l’article L. 641-12, 3° du Code de commerce N° Lexbase : L8859ING], d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L1063KZE) [2], à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail», de sorte que «le bailleur, qui agissait devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce».

Cette solution, qui a pu surprendre tant elle prête le flanc à la critique, a, de façon encore plus surprenante, été étendue aux procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, par un arrêt du 15 janvier 2020 qui, sur moyen relevé d’office, énonce, au visa de l’article L. 622-14, 2° (N° Lexbase : L8845INW) que «lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement de ce texte, d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de redressement judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail » de sorte que le bailleur, «qui demandait la constatation de la résiliation de plein droit du bail sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce ».

La Chambre commerciale considère donc que la résiliation visée aux articles L. 622-14, 2° (en sauvegarde et en redressement judiciaire) et L. 641-12, 3° (en liquidation judiciaire), dont le bailleur peut demander le constat au juge, constitue un cas de résiliation légale, spécifique et autonome, du bail survenant par le seul effet d’un défaut de paiement de loyers et charges postérieurs à l’ouverture de la procédure, le bailleur pouvant agir en constat au terme d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture dès lors que le paiement des sommes dues n’intervient pas avant l’expiration de ce délai, auquel cas il n’y a pas lieu à résiliation [3]. Il en découle que la résiliation intervient sans nécessité pour le bailleur de délivrer au préalable le commandement de payer visé à l’article L. 145-41 du Code de commerce [4].

Nous avons déjà, dans ces colonnes [5], indiqué que la solution apparaissait critiquable au regard de la lettre de l’article L. 641-12, 3° -et de celle l’article L. 622-14, 2° en sauvegarde ou en redressement judiciaire- qui énonce que le bailleur peut demander la résiliation ou faire constater la résiliation du bail pour défaut de paiement d’une créance postérieure. Le soin que prend le législateur à distinguer ces deux hypothèses (demande de résiliation pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs / demande de constat de la résiliation pour défaut de paiement de loyers et charges postérieurs) ne peut se justifier que parce que la résiliation n’intervient de plein droit que par le jeu d’une clause résolutoire et non par la seule volonté du législateur. En effet, force est de constater que si cette résiliation intervenait de plein droit par la volonté du législateur du seul fait d’un défaut de paiement de créances postérieures, il ne serait pas nécessaire que le texte prévoie que le bailleur peut demander la résiliation judiciaire. Il lui suffirait de ne faire état que du seul constat de la résiliation intervenue. Par conséquent, le constat de la résiliation par le juge-commissaire nous semblait [6], comme à d’autres auteurs [7], nécessairement intervenir à la suite du jeu d’une clause résolutoire, lequel suppose la délivrance préalable d’un commandement de payer en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce.

En outre, on observera que le terme de «résiliation de plein droit du bail» employé au 3° de l’article L. 641-12, a nécessairement le même sens que celui employé au 2° du même article, lequel désigne ici de façon certaine une résiliation de plein droit contractuelle puisque fondée sur des causes antérieures à la procédure collective. En employant le terme de «résiliation de plein droit» au 2° et au 3° de l’article L. 641-12 du Code de commerce, le législateur n’a pas pu souhaiter désigner une réalité juridique différente, c’est-à-dire une résiliation conventionnelle dans un cas, une résiliation légale dans un autre. Ainsi, la «résiliation de plein droit» visée à l’article L. 641-12 nous semble-t-elle être la «résiliation de plein droit» visée à l’article L. 145-41 du Code de commerce -disposition relative à la résiliation du bail commercial-, c’est-à-dire une résiliation de plein droit conventionnelle du bail commercial, laquelle suppose la délivrance préalable d’un commandement de payer.

Une fois rappelés quelques-uns des reproches qu’appelle l’arrêt du 9 octobre 2019, on constate que l’arrêt du 15 janvier 2020 est encore plus critiquable car il ajoute au texte de l’article L. 622-14, 2° en faisant état d’une «résiliation de plein droit», alors pourtant que l’article L. 622-14, 2° emploie le terme de résiliation sans mentionner «de plein droit». La Cour de cassation se base donc sur un texte qui évoque simplement la possibilité de demander la résiliation ou faire constater la résiliation pour estimer que le défaut de paiement de loyers postérieurs entraîne la résiliation «de plein droit» du contrat. Il nous apparait pourtant avec évidence que l’article L. 622-14, 2°, puisqu’il évoque la possibilité pour le bailleur de demander la résiliation ou faire «constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture», ne peut viser, dans cette seconde hypothèse, que le constat de la résiliation résultant du jeu d’une clause résolutoire.

Si la position adoptée par la Chambre commerciale n’est pas conforme à la lettre du texte, elle est encore moins en adéquation avec l’esprit de la législation du bail commercial qui tend à protéger ce contrat particulièrement précieux [8].

Il convient de rappeler que l’article L. 145-41 du Code de commerce est protecteur du bail commercial en ce qu’il énonce que la résiliation «de plein droit», conventionnelle, du bail commercial ne peut survenir qu’un mois après qu’a été délivré un commandement de payer resté infructueux (al. 1er) et que le juge saisi de la demande de constat de la résiliation peut suspendre les effets de la clause résolutoire en accordant des délais (al. 2).

Un auteur [9], suivi en cela par des juridictions du fond [10], avait considéré que le juge-commissaire saisi en application de l’article R. 622-13, alinéa 2 (N° Lexbase : L9319IC7 texte de la sauvegarde, applicable par renvoi en redressement judiciaire) ou R. 641-21 (N° Lexbase : L9312ICU en liquidation), aux fins de constat de la résiliation de plein droit du bail statuait comme le ferait le juge du bail commercial et qu’en conséquence, rien ne lui interdisait d’accorder des délais de grâce pour suspendre les effets de la clause résolutoire, comme le ferait le juge du bail commercial -alors même qu’en droit commun des procédures collectives, il n’est pas dans l’office du juge-commissaire d’accorder des délais de grâce [11]-. Cette position avait le mérite d’assurer au preneur sous procédure collective une protection au moins aussi importante que celle dont il bénéficie lorsqu’il est in bonis, ce qui apparaît être la moindre des choses…

En considérant que les articles L. 622-14, 2° et L. 641-12, 3° du Code de commerce posent un cas de résiliation légale, spécifique et autonome, du bail par l’effet d’un défaut de paiement de loyers postérieurs, la Cour de cassation place le bail commercial dans une situation de précarité qui est néfaste tant pour le sauvetage de l’entreprise que pour le désintéressement de ses créanciers. En effet, puisque cette résiliation -«spécifique», légale- ne serait pas régie par l’article L. 145-41 du Code de commerce -lequel ne concerne que la résiliation conventionnelle-, le juge-commissaire saisi d’une demande de constat de la résiliation de plein droit fondée sur les articles L. 622-14, 2° et L. 641-12, 3° ne statuerait donc pas comme le ferait le juge du bail commercial. Par conséquent, il ne pourrait pas accorder de délais de grâce aux fins de suspendre l’acquisition d’une clause résolutoire… sur laquelle la résiliation n’est pas fondée.

La position prise par la Chambre commerciale, qui ne s’imposait pourtant pas à la lecture des articles L. 622-14, 2° et L. 641-12, 3°, conduit à fragiliser le bail commercial et à traiter plus sévèrement le preneur sous procédure collective que le preneur in bonis. On conçoit mal que tel ait pu être le souhait du législateur…

 

[1] Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17.563, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6604ZQN), Lexbase, éd. Affaires, 2019, n° 611, nos obs. (N° Lexbase : N0922BYS) ; Gaz. Pal. éd. spéc. Droit des entreprises en difficulté, 14 janvier 2020, n° 2, p. 56, note F. Kendérian.

[2] C. com., art. L. 145-41 (N° Lexbase : L1063KZE) : «Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai». 

[3] Cf. C. com., art. L. 622-14, al. 4.

[4] Dans le même sens, CA Aix-en-Provence, 21 février 2013, n° 12/07700 (N° Lexbase : A5723I8H), D., 2013, p. 1800, obs. approb. M.-P. Dumont-Lefrand ; JCP éd. E, 2013, 1549, note crit. F. Kendérian  ; CA Bordeaux, 29 juin 2015, n° 14/07310 (N° Lexbase : A0290NMP), Rev. proc. coll., janvier-février 2017, chron. 1, p. 27, spéc. p. 33, n° 15, obs. crit. F. Kendérian ; CA Orléans, 15 novembre 2018, n° 18/00810 (N° Lexbase : A3274YLT) et CA Orléans, 24 janvier 2019, n° 18/00873 (N° Lexbase : A0717YU4), Gaz. Pal., 16 avril 2019, note crit. F. Kendérian. Contra : CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 4 avril 2018, n° 17/19289 (N° Lexbase : A0170XKI), Lexbase, éd. Affaires, 2018, n° 552, nos obs. ; Loyers et copr., 2018, comm. 151, note Ph.-H. Brault ; Gaz. Pal., 10 juillet 2018, p. 47, note F. Kendérian. Adde, CA Paris, Pôle 5, 8ème ch. , 5 juin 2018, n° 17/12668 (N° Lexbase : A2754XQ3), AJDI, 2018, p. 713 ; CA Paris, Pôle 5, 9ème ch. 9, 4 avril 2019, n° 17/18322 (N° Lexbase : A4908Y8B), Loyers et copr., 2019, comm. 101, note Ph.-H. Brault ; CA Lyon, 14 juin 2018, n° 17/07301 (N° Lexbase : A1209XR9), AJDI, 2018, p. 713 ; JCP éd. E, 2019, 1200 note F. Kendérian.

[5] Nos obs. Lexbase, éd. Affaire, 2019, n° 611, préc...

[6] Nos obs., Lexbase, éd. Affaires, 2018, n° 552, préc..

[7] J. Vallansan, J Cl. commercial, Fasc. 2336 : sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires – Continuation des contrats en cours – Bail d'exploitation, n° 37 ; F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, 5ème éd., 2019, Lexis Nexis, n° 102 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2019/2020, 10ème éd., n° 433.255, et Questions-réponses sur la résiliation du bail commercial après l’ouverture d’une procédure collective, Gaz. Pal., éd. spéc. Droit des entreprises en difficulté, 18-19 janvier 2013, technique p. 39, spéc. question n° 4 ; Fl. Reille, Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz Action 2018-2019, 5ème éd., n° 823.63.

[8] V égal. En ce sens : F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, préc., n° 102, p. 113 : «Cette analyse [selon laquelle le constat de la résiliation du bail par le juge-commissaire visé aux article L. 622-14 2° et L. 641-12 3° n’est que le constat de l’acquisition de la clause résolutoire après observation de la procédure de l’article L. 145-41] respecte l’esprit de la législation des procédures collectives, qui est de protéger le preneur en difficulté, ou tout au moins son entreprise, contre les initiatives du bailleur tendant à la résiliation du contrat. En effet, le preneur ne doit pas être privé du régime protecteur de l’article L. 145-41 du Code de commerce au moment où il peut être le plus utile au sauvetage de l’entreprise ou, le cas échéant, au bon déroulement des opérations de liquidation. Ne pas appliquer ce régime lorsque le bailleur a fait le choix procédural de saisir le juge-commissaire aboutirait à ce que le preneur en difficulté soit moins bien protégé que le preneur in bonis, ce qui serait paradoxal».

[9] P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2019/2020, 10ème éd., n° 433.256.

[10] CA Toulouse, 28 décembre 2016, n° 16/02777 (N° Lexbase : A9104SXH), Loyers et copr., 2017, comm. 138, note Ph.-H. Brault : «Le texte de l’article L. 622-14 du Code de commerce n’interdit pas au juge-commissaire et, partant, à la cour d’appel statuant sur le recours formé contre le jugement ayant confirmé l’ordonnance du juge-commissaire, d’accorder au locataire des délais de grâce pour suspendre les effets de la clause résolutoire […]». CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 4 avril 2019, n° 17/18322, préc.  ; Loyers et copr., 2019, comm. 101, note Ph.-H. Brault : «Le juge-commissaire a le pouvoir, comme le juge des référés, d’accorder des délais de paiement qui ont pour effet de suspendre l’application de la clause résolutoire […]».

[11] CA Paris, 14ème ch., sect. A, 27 mai 1998, Act. proc. coll., 1998/8, n° 105  ; CA Rennes,  4 octobre 2016,  n° 14/08577 (N° Lexbase : A8711NWK), Revue proc. coll., novembre 2016, comm. 210, note Ch. Lebel. Adde, J. Vallansan, J.-Cl. com., fasc. 2335, [Continuation des contrats en cours], à jour au 30 avril 2019, n° 82.

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