La lettre juridique n°813 du 20 février 2020 : Fiscalité des entreprises

[Brèves] Le Conseil d’Etat se prononce de nouveau sur la notion d’« abus de droit »

Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 12 février 2020, n° 421444, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A34993EC)

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par Marie-Claire Sgarra

le 19 Février 2020

Lorsque l'administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération qui s'est traduite par un sursis d'imposition au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales. En effet, une telle opération, dont l'intérêt fiscal est de différer l'imposition, entre dans le champ d'application de cet article dès lors qu'elle a nécessairement pour effet de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 12 février 2020 (CE 10° et 9° ch.-r., 12 février 2020, n° 421444, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A34993EC).

En l’espèce, les requérants ont créé une société civile qui a pour objet la constitution et la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières et qui a opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés. En 2007, l’époux a fait apport de titres d’une société A. à la société civile. La plus-value réalisée a été placée automatiquement sous le régime de sursis d’imposition. Par suite, la société A. a procédé au rachat de ses propres titres pour un prix identique à leur valeur d’apport.

A l’issue d’un contrôle, l’administration fiscale a considéré que l’apport des titres de la société A. à la société civile, préalablement au rachat de ses propres titres par la société, avait eu pour seul objet d’éviter l’imposition immédiate que l’époux aurait du supporter si, à défaut d’interposition de la société civile, la société A. lui avait directement racheté ses titres. L’administration fiscale a pour ce motif remis en cause le bénéfice du sursis d’imposition en mettant en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9266LNI) et a par ailleurs estimé que le gain correspondant au montant de la plus-value d’apport devait être taxé à concurrence de 65 % de son montant total dans la catégorie des traitements et salaires.

Le tribunal de Paris, après avoir estimé que la fraction de la plus-value imposée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers devait être taxée selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières a prononcé la décharge partielle des impositions mises à la charge des requérants (TA de Paris, 4 février 2016, n° 1400260 N° Lexbase : A0036R8T). La cour administrative d’appel de Paris a rejeté la demande de décharge complémentaire de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu (CAA de Paris, 12 avril 2018, n° 16PA01157 N° Lexbase : A6600XLZ).

Dans cette affaire le Comité de l’abus de droit fiscal avait considéré que le montage en cause devait s’analyser en un abus de droit.

Pour rappel, il résulte des dispositions de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales, citées au point 2 ci-dessus, que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

La cour administrative d’appel, en retenant qu’un contribuable, en organisant un montage lui ayant permis d'entrer artificiellement dans les prévisions de la loi fiscale pour éviter l'imposition à laquelle il aurait été soumis à défaut, doit être regardé comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal nécessairement contraire à l'objectif poursuivi par le législateur, ne qualifie pas inexactement les faits qui lui étaient soumis et qui lui ont permis de conclure à l'existence d'un abus de droit.

= = > Les opérations présentant un caractère artificiel constituent un contentieux important. Pour exemple, le Conseil d'Etat confirme que le fait pour une société française de détenir une participation dans une holding de droit luxembourgeois lui permettant d'échapper à l'imposition prévue à l'article 209 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L9776I3H) tout en se prévalant du régime des sociétés mères constitue un abus de droit lorsque l'acquisition de cette participation ne présente aucun intérêt autre que l'avantage fiscal retiré (CE 8° et 3° ssr., 18 mai 2005, n° 267087, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3517DI4).

= = > De même, il résulte des stipulations de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 qu'un résident du Royaume-Uni auquel une société française a distribué des dividendes ne peut se prévaloir des avantages prévus que s'il est le bénéficiaire effectif de ces dividendes au sens du paragraphe 9 du même article. Ne peut être regardée comme le bénéficiaire effectif des dividendes une banque britannique cessionnaire temporaire de l'usufruit d'actions à dividende prioritaire sans droit de vote spécialement émises par une société française au profit de sa société-mère américaine dans le cadre d'un montage, qui s'analyse en réalité comme un emprunt contracté par la société américaine auprès de la banque britannique, dont l'unique but est d'obtenir le remboursement, de l'avoir fiscal attaché aux distributions de la société française (CE 3° et 8° ssr., 29 décembre 2006, n° 283314, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3666DTX).

= = > Dans une autre affaire, le Conseil d’Etat a confirmé que l’interposition d’une société étrangère luxembourgeoise dans le cadre d’un montage immobilier était artificiel dans la mesure où elle n’avait d’autre but que de faire bénéficier les contribuables des avantages d’une convention fiscale (CE Plénière, 25 octobre 2017, n° 396954, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4471WXU).

= = > En ce qui concerne les management package, le Conseil d’Etat a requalifié en salaires les gains issus de l’exercice d’options d’achat d’action à un prix déterminé (CE 3° et 8° ssr., 26 septembre 2014, n° 365573, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2956MXR).

= = > Le Conseil d’Etat a complété cette jurisprudence en matière de management package en jugeant que lorsque les sommes en cause trouvent essentiellement leur source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, elles constituent un avantage en argent imposable dans la catégorie des traitements et salaires. Les juges relèvent en outre que la circonstance que le dirigeant ait par ailleurs supporté un risque significatif en sa qualité d’actionnaire n’est pas de nature à remettre en cause cette requalification (CE 3° et 8° ch.-r., 15 février 2019, n° 408867, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3479YX7).

 

 

Pour aller plus loin :

 

Michel Turon, L’abus de mesures « anti-abus » des conventions fiscales, Lexbase Fiscal, n° 685 (N° Lexbase : N6394BWQ)

Franck Laffaille, De l'interposition artificielle, de l'abus de convention fiscale internationale, de l'abus de droit, Lexbase Fiscal, n° 722 (N° Lexbase : N1608BXT)

Marie-Gabrielle Merloz, Nouvelle confirmation du Conseil d’Etat de l’articulation entre abus de droit et montage artificiel, Lexbase Fiscal, n° 773 (N° Lexbase : N7715BXZ)

Anne Iljic, Clarification du régime de gains issus de management packages, Lexbase Fiscal, n° 791 (N° Lexbase : N9915BXI).

 

 

 

 

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