Réf. : Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-19.775, F-D (N° Lexbase : A9581HX7)
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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes
le 03 Novembre 2011
I - Les dispositions de l'article 885 N du CGI sont totalement distinctes de celles des articles 885 O bis et 885 O quater : elles ne permettent pas d'exonérer le contribuable des parts et actions détenues par lui dans deux sociétés qui exploitaient directement et indirectement ses droits d'auteur
Les dispositions des articles 885 O bis et 885 O quater s'appliquent aux participations détenues par le redevable dans les personnes morales, alors que l'article 885 N s'applique aux activités exercées à titre individuel.
A - Le champ d'application des dispositions des articles 885 O bis, 885 O quater, d'une part, et de l'article 885 N, d'autre part, sont nettement distincts
Rappelons que les biens professionnels sont exonérés d'ISF et n'entrent donc pas dans l'assiette imposable de l'impôt (CGI, art. 885 A N° Lexbase : L1191IET). Sont considérés comme des biens professionnels exonérés : les biens nécessaires à l'exercice à titre principal, par leur propriétaire, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale soit dans le cadre d'une entreprise individuelle, soit au sein d'une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu ; sont exclues les activités civiles, à savoir les activités patrimoniales et celles de location d'immeubles nus ou de fonds de commerce ; les biens qui sont affectés au patrimoine d'une société soumis à l'impôt sur les sociétés dans laquelle le redevable exerce une fonction de direction et détient un minimum de participation.
La réalité de la situation du contribuable était complexe et pouvait laisser penser que les parts et actions qu'il détenait dans les deux sociétés auxquelles il avait cédé ses droits d'auteur étaient nécessaires à son activité libérale d'auteur. Ainsi, pour les années en litige, il détenait 92,42 % de la société A et 0,1 % de la société B. Cette dernière société, créée en 1962, avait elle-même pour objet la conception, la production et la réalisation de films d'animation à vocation ludique et éducative. Par ailleurs, la société A détenait 66,33 % de la société B, la société A étant une holding financière qui se bornait à gérer sa participation dans la société B. En 1992, le contribuable avait rétrocédé à la société B les droits d'exploitation de ses oeuvres et percevait en rémunération des sommes forfaitaires.
Le contribuable était titulaire de droits d'auteurs, son oeuvre était enregistrée à la société des auteurs et compositeurs dramatiques ainsi qu'à la Sacem et il était assujetti aux cotisations sociales de l'association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs. Cependant, les revenus professionnels du redevable provenaient d'une activité d'auteur qu'il n'exploitait pas directement mais à travers la société B, à qui il en avait cédé l'exploitation. Les revenus professionnels du contribuable rémunéraient donc une activité libérale d'auteur, concepteur de scénarios sous forme de redevances sur cession de droits d'auteurs. Les revenus du redevable nés de la détention de parts et d'actions dans une société de production représentaient la part prépondérante de ses revenus professionnels. Toutefois, le champ d'application de l'article 885 N n'inclut pas les parts et actions de sociétés.
B - Le redevable exerçait à titre individuel une activité d'auteur mais n'exploitait pas directement ses droits d'auteurs dans une société de production
L'article 885 A du CGI, qui définit le champ d'application de l'ISF, prévoit expressément que "les biens professionnels définis aux articles 885 N à 885 R (N° Lexbase : L8844HL7) ne sont pas pris en compte pour l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune". Les dispositions de l'article 885 N s'appliquent aux activités exercées à titre individuel.
En application de ces dernières dispositions, les titres détenus directement ou indirectement par le contribuable dans les sociétés A et B ne constituent pas des biens nécessaires à l'activité d'auteur du redevable. Pourtant, en contrepartie de la concession du droit d'exploiter son oeuvre consentie à la société B, il perçoit une rémunération définie en pourcentage des recettes encaissées par elle. Cependant, la Cour de cassation juge que le contribuable pouvait écrire des émissions et séries télévisées sans détenir des actions ou parts dans les sociétés. Il n'était, en effet, pas contesté qu'il exerçait personnellement une activité d'auteur, de concepteur de scénarios, de dialoguiste et de réalisateur d'une oeuvre composée de films d'animation. Les parts et actions ne pouvaient donc être qualifiées de biens nécessaires à l'exercice de son activité d'auteur au travers de la société B, alors même que son activité s'inscrivait directement dans le cadre de son activité de création et que les revenus de son activité d'auteur était prépondérants par rapport à ses autres sources de revenus.
Par ailleurs, le redevable de l'ISF, qui a cédé ses droits, ne peut prétendre à l'exonération des parts et actions détenues en application de l'article 885 I du CGI (N° Lexbase : L8802HLL) ; il aurait, dans tous les cas, été nécessaire que les sommes versées en raison de la détention des titres représentent la valeur de capitalisation des droits d'auteur, et non des créances relatives aux produits des droits d'auteur, pour bénéficier d'une exonération. En effet, la créance de revenus devant être versés à un auteur par son éditeur n'entre pas dans l'assiette de ISF (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-18.756, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9533DLN).
II - L'exonération des parts et actions détenues dans les sociétés A et B par le redevable de l'ISF ne pouvait pas non plus se faire sur le fondement des dispositions des articles 885 O bis et 885 O quater du CGI
Le régime d'exonération des biens professionnels n'est applicable aux titres de société qu'à la condition que leur propriétaire remplisse personnellement les fonctions prévues par l'article 885 O bis du CGI.
A - Les dispositions de l'article 885 O bis et 885 O quater s'appliquent, sous conditions, aux participations détenues par le redevable dans des sociétés
Le requérant s'était prévalu de l'exonération des parts d'actions et d'obligations qu'il détenait dans les sociétés A et B sur le fondement des articles 885 O bis et O quater du CGI. Les parts ou actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option, sont considérées comme des biens professionnels, sous conditions (Rep. Godfrain, JOAN 5 septembre 1983, n° 23297 ; D. adm. 7S 3432 n° 4, 1er octobre 1999). D'une part, leur propriétaire doit exercer l'une des fonctions limitativement énumérées au 1° de l'article 885 O bis du CGI, d'autre part, cette fonction doit procurer au détenteur des parts ou actions plus de la moitié de ses revenus professionnels, et il doit détenir au moins 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis en représentation du capital de la société. Le propriétaire des parts et actions doit donc remplir les conditions posées par les dispositions du 885 O bis du CGI (Cass. com., 11 octobre 2005, n° 04-13.063, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8383DKP).
En l'espèce, les actions et parts d'une société soumise à l'IS détenues par le contribuable ne pouvaient être considérées comme des biens professionnels nécessaires à l'activité libérale d'auteur du contribuable. Toutefois, ce même caractère de biens professionnels aurait pu être retenu si les conditions posées par les dispositions de l'article 885 O bis du CGI avaient été satisfaites, dès lors que le contribuable détenait des parts de la société A, holding de la société B, et des actions de la société B. En effet, le caractère de bien professionnel est reconnu lorsque le bien, nécessaire à l'activité professionnelle d'une société, est loué à celle-ci par le redevable ou par une société dans laquelle il détient des droits sociaux et qui a le caractère de bien professionnel. Cependant, l'exonération des biens du contribuable au titre de la détention de parts sociales et d'actions n'était pas possible en l'espèce. Le contribuable ne pouvait se prévaloir d'une exonération de ces parts et actions, dès lors que la société A n'était pas une holding animatrice et que, d'autre part, le contribuable n'était pas rémunéré pour ses fonctions de PDG par la société B, les royalties qu'il percevait n'étant pas la rémunération de sa fonction de dirigeant mais une redevance sur cession de droits d'auteur.
La jurisprudence a hésité sur le point de savoir si l'appréciation de la notion d'animation du groupe devait s'effectuer au niveau de la société ou au niveau du dirigeant. Il semble aujourd'hui que se soit en premier lieu le rôle du dirigeant qui doit être pris en compte. Ainsi, une société holding est considérée comme animatrice effective de son groupe si, bien qu'elle ne dispose pas de structures importantes pour réaliser son activité d'animation, son président-directeur général joue un rôle essentiel auprès des filiales des groupes, démontré par les comptes rendus des conseils d'administration et rapports des commissaires aux comptes et constatés par les prestations de services rendus par la holding aux filiales (Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-20.665, FS-P+B N° Lexbase : A5807DKB ; ou encore, CA Paris, 1ère, B, 3 février 2006, n° 04/09962 N° Lexbase : A0963DNY). Le rôle du dirigeant est, en effet, essentiel dans l'animation des filiales.
B - L'activité d'auteur, exercée à titre individuel par le redevable de l'ISF, n'était pas complémentaire de la détention des parts et actions d'une société de production
Dans cette affaire, la solution retenue par la Cour de cassation peut paraître sévère dès lors que l'activité de la société B dépendait de l'activité d'auteur exercée par le contribuable. La Cour de cassation ne regarde toutefois pas la détention des parts et actions dans les sociétés A et B comme un complément indispensable de l'activité exercée à titre individuel. En outre, le redevable de l'impôt ne pouvait être regardé comme ayant plusieurs activités, ni comme ayant cherché à diversifier son activité exercée à titre principal.
La solution retenue par la Cour de cassation ne se place donc pas dans le prolongement de l'article 39 de loi de finances rectificative pour 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L0278IRQ), qui complète les dispositions de l'article 885 N du CGI par les deux alinéas suivants : "sont présumées constituer une seule profession les différentes activités professionnelles exercées par une même personne et qui sont soit similaires, soit connexes et complémentaires. Sont considérées comme des biens professionnels les parts ou actions détenues par une personne mentionnée au premier alinéa du présent article dans une ou plusieurs sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés lorsque chaque participation, prise isolément, satisfait aux conditions prévues à l'article 885-O bis pour avoir la qualité de biens professionnels". Le second alinéa de l'article 39 de la loi de finances rectificative, complète l'article 885 N du CGI, permettant notamment de regarder comme des biens professionnels des parts ou actions détenues par une personne exerçant une activité à titre individuel, les conditions de l'exonération étant appréciée en fonction des dispositions de l'article 885 O bis du CGI. En l'espèce, les critères d'exonération des biens professionnels en application de l'article 885 O bis du CGI n'étaient, en tout état de cause, pas satisfaits.
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