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N1580BY8
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par Rodolphe Olivier, Avocat associé, et Dorian Moore, Avocat - CMS Francis Lefebvre Avocats
le 31 Décembre 2019
L'échéance est connue de longue date : le 1er décembre 2019 marque l'entrée en vigueur du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, relatif à la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et de maladies professionnelles du régime général (N° Lexbase : L0392LQL ; ci-après «le Décret»).
Assurer «une meilleure lisibilité du droit applicable pour la victime et l’employeur et une plus grande transparence notamment en améliorant le respect du contradictoire avant la décision de la caisse», tels sont les objectifs annoncés de la réforme selon la circulaire [1] d’application du Décret (ci-après «la Circulaire»).
Si l’on peut estimer que la consécration d’un délai imparti à l’employeur pour émettre des réserves motivées au sujet de la déclaration d’un accident du travail participe effectivement d’une amélioration du respect du contradictoire (I), il semble cependant que la refonte de la phase d’instruction, marquée par un foisonnement de délais (II), et les nouvelles modalités de consultation du dossier (III) ne concourront pas nécessairement à la réalisation de ces objectifs.
Eclairages sur ces principales nouveautés, applicables aux accidents du travail déclarés à compter du 1er décembre 2019 [2].
I - Un délai consacré pour émettre des réserves motivées
On le sait, l’émission par l’employeur de réserves motivées oblige la caisse à initier une instruction avant de statuer sur le caractère professionnel du sinistre [3].
Outre la contradiction qu’elle lui permet d’apporter sur le fond du dossier, la phase d’instruction peut s’avérer particulièrement profitable à l’employeur s’il parvient à démontrer que la caisse a commis une ou plusieurs erreurs procédurales lui faisant grief.
Dans cette hypothèse, il pourra effectivement invoquer un manquement au principe du contradictoire aux fins de solliciter l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle et, ce faisant, éviter que le sinistre ne vienne augmenter son taux de cotisations AT/MP.
D’où l’importance pour lui de disposer d’un délai suffisant pour pouvoir motiver au mieux ses réserves ce qui implique, suivant la définition constamment rappelée en jurisprudence -mais que le Décret n’a pas cru devoir consacrer- que l’employeur doit dans ce cadre contester le caractère professionnel de l'accident sur la base des circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail [4].
Or, en la matière, il n’est pas rare que les caisses rendent leur décision quelques jours seulement après avoir reçu la déclaration d’accident du travail, avant donc que l’employeur ne formule des réserves conservatoires.
Et l’on sait que les réserves communiquées postérieurement à la décision prise par la caisse sont, de jurisprudence constante, dépourvues d’effet [5], privant en conséquence l’employeur de toute procédure contradictoire.
Raison pour laquelle le nouvel article R. 441-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0570LQ8) aménage au bénéfice de l’employeur, un délai de 10 jours francs à compter de la déclaration pour émettre ses réserves.
Ce texte appelle plusieurs observations.
En ce qui concerne le point de départ du délai d’abord, la Circulaire précise qu’il court soit à compter de la date de la déclaration d’accident du travail (mentionnée sur le formulaire de déclaration) lorsque celle-ci émane de l’employeur, soit à compter de la date à laquelle l’employeur a reçu le double de la déclaration transmise par la caisse lorsque la déclaration émane du salarié ou de ses représentants.
La Circulaire indique aussi, s’agissant de la computation du délai, que celui-ci est exprimé en «jours francs». Concrètement, cela signifie que le délai court à compter du lendemain de l’acte ou de l’évènement conditionnant son départ, en l’occurrence la déclaration d’accident du travail ou la réception du double de la déclaration. Puis, il convient de décompter chaque jour qui suit, de 0h à 24h, étant précisé que dans le cas où le 10ème jour survient un samedi, un dimanche ou un jour férié, l’extinction du délai est repoussée au premier jour ouvrable suivant.
Par ailleurs, comme le Décret et la Circulaire n’apportent aucune précision quant aux conséquences du non-respect de ce délai, on peut légitimement s’interroger sur le traitement applicable aux réserves émises après l'expiration du délai, mais formulées avant la décision de la caisse.
Cette dernière pourra-t-elle se fonder sur la seule méconnaissance de ce délai pour écarter les réserves tardives, sans prêter attention à leur motivation, voire à leur bien-fondé ?
Les juridictions de Sécurité sociale seront certainement appelées à se prononcer rapidement sur ce point.
II - La refonte de la phase d’instruction ou le foisonnement des délais
Une fois que la déclaration d’accident du travail et le certificat initial sont parvenus à la caisse, celle-ci dispose désormais d’un délai de 30 jours francs à compter de la date de réception de ces deux documents pour statuer sur le caractère professionnel du sinistre ou pour engager des investigations, lorsqu’elle l’estime nécessaire ou en cas de réserves motivées de l’employeur.
L’on peut raisonnablement considérer que la caisse dispose en réalité de 20 jours francs -à compter de l’expiration du délai accordé à l’employeur pour formuler ses réserves motivées- pour choisir l’une des deux options précitées.
Une incertitude tient cependant à l’effet attaché aux réserves motivées de l’employeur dans le cas où elles seraient réceptionnées par la caisse après l’expiration du délai qui lui est laissé pour les émettre, mais envoyées avant le terme de ce délai.
En toute logique, la notification par la caisse d’une prise en charge d’emblée, c’est-à-dire en l’absence d’instruction du dossier, alors même que l’employeur aurait émis des réserves dans les temps, caractériserait une violation du principe du contradictoire.
La Circulaire n’éclaircit toutefois pas ce point qui sera donc laissé, à regret, à la libre appréciation des juridictions de Sécurité sociale.
Cela étant, lorsque la caisse engage des investigations sur le sinistre, les dispositions du nouvel article R. 441-8, I du Code du travail (N° Lexbase : L0574LQC) lui sont applicables.
Il en résulte que la caisse bénéficie d'un délai de 90 jours francs, à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial, pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident.
Cet article précise en outre que la caisse doit adresser un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur et au salarié (ou à son représentant) dans le délai de 30 jours francs précité, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, et peut recourir à une enquête complémentaire.
Notons que les modalités de l’instruction ne sont plus laissées à la libre discrétion de la caisse, le questionnaire étant à présent privilégié par rapport à l’enquête qui ne peut être qu’un complément.
Une disposition qui met ainsi un terme à une jurisprudence bien établie, retenant que l’envoi d’un questionnaire à l’employeur peut constituer une modalité d’enquête «sans que la caisse soit tenue d’associer celui-ci à l’enquête éventuellement mise en œuvre» [6].
Curieusement, cette prévalence ne s’applique pas à la modalité par laquelle le salarié et l'employeur sont informés de la date à laquelle la caisse doit rendre sa décision, c’est-à-dire de la date d’expiration du délai de 90 jours francs, cette information pouvant leur être transmise lors de l’envoi du questionnaire ou de l’ouverture de l’enquête.
En tout état de cause, il incombe aux parties de retourner le questionnaire qui leur est adressé dans un délai de 20 jours francs à compter de sa date de réception.
Sur ce point, la Circulaire précise qu’«à défaut de respecter ce délai, la partie défaillante s’expose à ce que ses réponses ne soient pas prises en compte dans le cadre de la décision de la caisse».
Est-ce à dire que la caisse pourra décider d’écarter le questionnaire de l’employeur au seul motif que ce dernier lui aura restitué hors délai, alors même que l’émission de réserves motivées impose en principe à la caisse de recueillir ses explications avant qu’elle n’arrête sa décision sur le caractère professionnel de l’accident ?
Une question à laquelle les juridictions de sécurité sociale seront certainement conduites à répondre.
III - Une phase de consultation du dossier réaménagée
Dorénavant, à l’issue de ces investigations et au plus tard 70 jours francs à compter de la réception de la déclaration de l'accident du travail et du certificat médical, la caisse est tenue de mettre le dossier qu’elle a constitué à la disposition du salarié et de l’employeur [7].
Ce faisant, le salarié et l’employeur disposent d’un délai de 10 jours francs pour consulter le dossier et faire connaître leurs observations, qui y sont annexées.
Passé ce délai, les parties peuvent continuer à consulter les pièces du dossier, mais elles ne peuvent plus émettre d’observations.
L’article R. 441-8, II du Code de la Sécurité sociale précise enfin que les parties doivent être informées par la caisse, au plus tard 10 jours francs avant l’ouverture de la phase de consultation du dossier, des dates d’ouverture et de clôture de la période de consultation du dossier ainsi que de la période pendant laquelle ils pourront formuler leurs observations.
Plusieurs remarques s’imposent.
Une fois de plus, le Décret et la Circulaire ne fournissent aucune indication sur les incidences de la méconnaissance par la caisse de ces différents délais.
On peut toutefois raisonnablement penser que la jurisprudence selon laquelle la décision rendue par la caisse doit être déclarée inopposable à l’employeur lorsqu’elle ne l’a pas informé de sa faculté de consulter le dossier[8] demeure applicable sous l’empire du Décret.
En revanche, on ignore le sort applicable aux observations formulées hors délai par l’employeur et le salarié.
La caisse peut-elle refuser de les annexer au dossier et, par conséquent, les écarter des débats au seul motif qu’elles ont été émises à contre-temps ? Un nouveau sujet qui méritera d’être élucidé par les juridictions de Sécurité sociale.
Par ailleurs, on ignore la raison pour laquelle un délai complémentaire de 10 jours francs est accordé aux parties pour consulter le dossier sans toutefois pouvoir formuler d’observations.
A ce sujet, la Circulaire indique que «la nouvelle procédure prévoit qu’à l’issue de ce délai de 10 jours francs, la caisse dispose encore de quelques jours (jusqu’à expiration du délai de 90 jours francs) pour procéder aux vérifications nécessaires pour prendre sa décision au vu des observations ainsi faites».
Il ne peut être exclu que, sous couvert de «procéder aux vérifications nécessaires», la caisse décide en réalité de poursuivre ses investigations durant ce délai de 10 jours francs, en ajoutant au dossier un nouveau ou une nouvelle attestation.
Remarquons à cet égard que le Décret ne fait aucunement référence à la «clôture de l’instruction», ce qui laisse à penser que celle-ci resterait ouverte jusqu’au jour où la caisse prend sa décision sur le caractère professionnel, y compris durant la période au cours de laquelle les parties peuvent consulter le dossier ainsi que postérieurement à celle au cours de laquelle elles peuvent formuler des observations.
Cependant, une telle interprétation de l’article R. 441-8, II du Code de la Sécurité sociale conduirait certainement à remettre en cause le caractère contradictoire de la procédure, dans la mesure où les parties seraient privées de la possibilité de commenter ces nouveaux éléments.
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On l’aura compris, un certain nombre de questions restent en suspens, au sujet desquelles la Circulaire n’est guère éclairante.
Les parties ont ainsi tout intérêt à se montrer particulièrement vigilantes au respect de chaque phase de la nouvelle procédure, et notamment au respect des nouveaux délais qu’elle institue.
Elles devront se montrer d’autant plus vigilantes que le Décret fait la part belle à la dématérialisation [9]. En particulier, le questionnaire intitulé «questionnaire risques professionnels» et la consultation du dossier d’instruction sont accessibles en ligne, via le site questionnaires-risquepro.ameli.fr.
En dépit de l’intérêt non négligeable que cette dématérialisation présente, en particulier en ce qui concerne la consultation à distance des pièces du dossier dans la mesure où elle évite aux parties de se déplacer dans les locaux de la caisse, elle expose ces dernières au risque de la déperdition de l’information.
Il est en effet à craindre, en particulier pour les employeurs, que les éléments adressés par la caisse, faisant courir les délais correspondants de la procédure, soient égarés par leurs destinataires dans la multitude de mails qu’ils auront reçus ou encore soient envoyés à un seul destinataire manquant de diligence, ce qui restreindra considérablement la capacité des employeurs à contester la décision in fine retenue par la caisse.
D’où l’importance d’identifier clairement les interlocuteurs de la caisse pour chacune des procédures.
Il est par ailleurs à craindre que des difficultés informatiques entravent la communication des informations par la caisse aux parties et, partant, contreviennent au bon déroulement de la procédure d’instruction.
Autant de difficultés qui seront, à n’en pas douter, invoquées dans le cadre du contentieux de l’inopposabilité des décisions prises par les organismes de sécurité sociale au sujet des déclarations d’accidents du travail.
[1] Circ. CNAM, n° 28/2019, du 9 août 2019, Préciser les modalités d'application du décret du 23 avril 2019 relatif à la procédure d'instruction des AT/MP (N° Lexbase : L8479LRH) ayant pour objet de préciser les modalités d’application du décret n° 2019-356 du 23 décembre 2019, relatif à la procédure d’instruction des AT/MP (N° Lexbase : L0392LQL).
[2] Décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, préc., art. 5.
[3] CSS, anc. art. R. 441-11 (N° Lexbase : L6173IED) ; CSS. art. R. 441-7, nouveau (N° Lexbase : L0572LQA).
[4] Voir en ce sens Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-26.990, F-D (N° Lexbase : A3275YGE) ; Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-11.778, F-D (N° Lexbase : A3261Y8B).
[5] Voir en ce sens Cass. 2e civ., 5 avr. 2007, n° 06-10.017
[6] Cass. civ. 2, 11-07-2013, n° 12-22.152, F-D (N° Lexbase : A8728KI4) ; Cass. civ. 2, 19 juin 2014, n° 13-18.127, F-D, (N° Lexbase : A6005MRT).
[7] CSS, art. R. 441-8, II.
[8] Cass. soc., 19 décembre 2002, n° 01-20.384, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4915A4S) : RJS, 3/03 n° 388, Bull. civ. V, n° 403 ; Cass. civ. 2, 16 septembre 2003, n° 02-31.017, F-D (N° Lexbase : A5575C9D) : RJS, 12/03, n° 1440 ; Cass. civ. 2, 9 juillet 2015, n° 14-22.083, F-D (N° Lexbase : A7776NMX).
[9] Le Décret faisant désormais référence à «tout moyen conférant date certaine à leur réception».
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