La lettre juridique n°807 du 19 décembre 2019 : Marchés publics

[Conclusions] Modalités de fixation des pénalités de retard par le maître d’ouvrage établissant les décomptes des membres du groupement d’entreprises

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 422615, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6405Z4Y)

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[Conclusions] Modalités de fixation des pénalités de retard par le maître d’ouvrage établissant les décomptes des membres du groupement d’entreprises. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/55514536-conclusionsmodalitesdefixationdespenalitesderetardparlemaitredouvrageetablissantlesdec
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par Gilles Pellissier, rapporteur public au Conseil d'Etat

le 18 Décembre 2019

Dans un arrêt rendu le 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat a précisé les modalités de fixation des pénalités de retard par le maître d’ouvrage établissant les décomptes des membres du groupement d’entreprises. Lexbase Hebdo – édition publique vous propose de découvrir les conclusions de Gilles Pellissier, rapporteur public sur cette affaire.

L'affaire qui vient d'être appelée vous conduira à trancher une question d'une grande importance pratique dans le règlement des marchés publics, dont le caractère inédit montre que les dispositions dont vous devez déterminer la portée, qui sont appliquées dans la plupart des marchés, le sont de manière consensuelle.

Ces dispositions sont celles de l'article 20.7 du Cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux dans sa rédaction de 1976, applicable au litige, qui figurent aujourd'hui pratiquement inchangées à l'article 20.6 dans la version de ce cahier de 2009. Elles prévoient que «Dans le cas d'entrepreneurs groupés pour lesquels le paiement est effectué à des comptes séparés, les pénalités et les primes sont réparties entre les cotraitants conformément aux indications données par le mandataire, sauf stipulations différentes du cahier des clauses administratives particulières. Dans l'attente de ces indications les primes ne sont pas payées et les pénalités sont retenues en totalité au mandataire, sans que cette opération engage la responsabilité du maître de l'ouvrage à l'égard des autres entrepreneurs». La question que pose le principal moyen du pourvoi est celle de savoir si le maître de l’ouvrage est tenu, lorsqu'il établit les décomptes de chacun des membres du groupement, de fixer les pénalités conformément à la répartition que lui a indiquée le mandataire ou s’il dispose d’un pouvoir d’appréciation dont l’exercice est susceptible d’engager sa responsabilité envers les membres du groupement.

           

La cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé qu’il était tenu par les indications données par le mandataire. Elle était saisie d'un litige relatif au règlement d'un marché passé fin 2006 pour le compte de la région Midi-Pyrénées ayant pour objet la réalisation du lot n° 2, clos et couvert, de la construction d'un lycée. Le titulaire était un groupement d'entreprises conjoint composé de sept sociétés, dont la société Serin constructions métalliques, aux droits de laquelle est venue la société Giraud-Serin, qui avait en charge la réalisation de la charpente métallique et des planchers, la société Thomas et Danizan (SNTD) étant le mandataire commun. Les travaux ont été réceptionnés avec une date d'effet au 5 janvier 2009, avec un retard sur les délais contractuels qui a été fixé à 129 jours.

Le litige porte sur la répartition des pénalités de retard, contractuellement fixées à 1/1000ème du montant global TTC du marché par jour de retard et qui s'élèvent donc à un montant global de près de 6 millions d'euros. Il s'est noué avant même la réception, lorsque la COGEMIP, mandataire du maître de l’ouvrage, a entendu arrêter des pénalités provisoires. Le mandataire commun du groupement proposant de mettre près de 70 % de ces pénalités à la charge de la société Metalsigma et le reste à celle de la société Serin, la première a obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse une expertise pour déterminer la répartition des pénalités provisoires au sein du groupement. La répartition proposée par l'expert a été reprise par la société SNTD dans la proposition de répartition qu'elle a fini par faire, après plusieurs relances, au mandataire du maître de l’ouvrage afin qu'il puisse établir le décompte général du marché et qui s'établissait comme suit : 78,30 % pour la société Serin, 13 % pour la société Metalsigma et 8,7 % pour la société Thomas et Danizan. La COGEMIP a repris cette répartition dans le décompte général qu'elle a notifié au mandataire du groupement. La société Serin, qui se voyait rendue débitrice d'une somme d'un peu plus de 4,3 millions d'euros, a refusé de signer ce décompte et transmis au maître de l’ouvrage une réclamation tendant au paiement d'une somme d'un peu plus de 1,2 millions d'euros, qui est demeurée sans réponse. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Toulouse de conclusions aux fins de condamnation de la région à lui verser cette somme, à laquelle il a fait droit. Saisie par la région, la cour administrative d'appel de Bordeaux a profondément réformé le jugement et condamné la société Serin à verser à la région une somme presque égale à celle que le décompte général avait mis à sa charge.

La société Serin vous demande d'annuler cet arrêt et de surseoir à son exécution.

Le premier moyen soutient que la cour a commis une erreur de droit en tirant des stipulations précitées du CCAG une règle générale selon laquelle "s’il appartient au mandataire d’un groupement conjoint non-solidaire d’entreprises d’indiquer au maître d’oeuvre la répartition des pénalités entre les entreprises membres du groupement, la fixation des pénalités est intégrée au décompte et relève du maître de l’ouvrage qui se trouve toutefois lié par la clé de répartition des pénalités qui lui est indiquée par le mandataire du groupement" et en en déduisant que la société Serin ne pouvait "utilement contester dans le cadre du présent litige, le taux de 78,3 % d’imputabilité des pénalités à l’intérieur du groupement d’entreprises conjointes, qui a été retenu par la région".

           

Les stipulations du CCAG dont il s'agit de déterminer la portée, dont la lettre est par elle-même assez claire, s'inscrivent dans le cadre plus général des missions du mandataire du groupement conjoint et de ses rapports avec le maître de l’ouvrage.

Rappelons-en brièvement les éléments essentiels.

Un groupement conjoint d'entreprises est une modalité d'attribution d'un marché public à plusieurs entreprises. Dépourvu de personnalité juridique, ce groupement n'a pour objet que l'exécution des prestations qui font l'objet du marché. Il peut être conjoint ou solidaire, chacun des membres du groupement étant, dans ce dernier cas, engagé financièrement pour la totalité du marché (CCP, art R. 2142-19 N° Lexbase : L3967LRD).

Les stipulations qu'il s'agit d'interpréter ne concernent que les groupements conjoints. Le CCAG rappelle que dans ces groupements chaque entrepreneur n'est engagé que pour le ou les lots qui lui sont assignés et est payé directement par le maître de l’ouvrage sur un compte séparé. Le décompte général du marché attribué à un groupement conjoint d'entreprises, établi par le maître de l’ouvrage, doit donc distinguer les comptes de chaque membre du groupement (art 13.51), en indiquant les sommes auxquelles il a droit au titre des prestations qu'il a effectuées et les pénalités de retard qui lui sont infligées.

L'intérêt pour le maître de l’ouvrage d'avoir attribué le marché à un groupement conjoint plutôt que d'avoir conclu autant de marchés que ce groupement comporte de membres est d'avoir un interlocuteur unique, le mandataire du groupement. Sa mission est décrite à l'article 2.31 du CCAG de 1976 (que l'on retrouve en substance à l'article 3.5.1 dans la version 2009) : "l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard du maître de l'ouvrage jusqu'à la date, définie au 1 de l'article 44, à laquelle ces obligations prennent fin. Le mandataire représente, jusqu'à la date ci-dessus, l'ensemble des entrepreneurs conjoints, vis-à-vis du maître de l'ouvrage, de la personne responsable du marché et du maître d'oeuvre, pour l'exécution du marché. Il assure, sous sa responsabilité, la coordination de ces entrepreneurs en assumant les tâches d'ordonnancement et de pilotage des travaux". C'est ainsi notamment le mandataire du groupement qui reçoit les ordres de service (art 2.54, version 1976) et les convocations aux rendez-vous de chantier (art 2.7), qui est le garant du respect par les entrepreneurs de leurs différentes obligations (par ex, en matière de conditions de travail : art 9.2), qui est seul habilité à présenter les projets de décompte et à accepter le décompte général ou à présenter des réclamations (art 13.52) et qui les représente dans la procédure de règlement amiable des différends (art 50.5).

Les obligations que l'article 20.7 met à la charge du mandataire ne sont qu'une déclinaison de son rôle de représentant unique des entrepreneurs groupés vis à vis du maître de l’ouvrage. Or ce rôle d'interlocuteur unique a précisément pour fonction de dispenser le maître de l’ouvrage de s'immiscer dans les rapports entre les membres du groupement.

Cela ressort d'abord de la lettre même de ces stipulations qui prévoient que le maître de l’ouvrage fixe ces pénalités "conformément aux indications données par le mandataire". Contrairement à ce que soutient la société requérante, le terme "indications" ne signifie pas qu'il ne s'agirait que d'une proposition faite au maître de l’ouvrage. Ce qui détermine ici la portée de ces indications sur le maître de l'ouvrage est le mot "conformément" et l'indicatif du verbe, qui nous semblent signifier assez clairement que le maître de l’ouvrage doit s'en tenir à ce qui lui est indiqué.

Cela ressort ensuite des obligations respectives du maître de l'ouvrage et du mandataire dans la fixation des pénalités, que vous avez eu l'occasion de rappeler à deux reprises dans l'hypothèse différente de la nôtre de la carence du mandataire à indiquer leur répartition. Vous avez jugé que "s'il incombe au maître de l'ouvrage de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l'ensemble des entreprises, il appartient au seul mandataire commun de celles-ci de répartir entre elles ces pénalités, et qu'en cas d'inaction du mandataire commun, le maître de l'ouvrage est tenu d'imputer la totalité des pénalités sur le décompte général et définitif du marché de ce mandataire" (CE, 28 novembre 1986, n° 60522 N° Lexbase : A7179AMT ; CE, 17 mars 1999, n° 165595 N° Lexbase : A4600AXN, au Recueil).  

Bien que ces motifs ne se prononcent pas explicitement sur un éventuel pouvoir d'appréciation du maître de l’ouvrage dans la répartition des pénalités entre les membres du groupement, ils précisent tout de même qu'il "appartient au seul mandataire commun" de répartir les pénalités, ce qui nous semble exclure nécessairement que le maître de l’ouvrage puisse intervenir dans cette répartition.

Tant la lettre et l'esprit des stipulations du CCAG que votre jurisprudence nous semblent donc conduire à écarter l'argumentation de la société requérante selon laquelle la compétence du maître de l’ouvrage pour établir le décompte général du marché, lequel doit être décomposé en autant de comptes qu'il y a de membres du groupement, implique qu'il détermine lui-même non seulement le montant global des pénalités mais leur répartition entre les membres du groupement. S'il est vrai, particulièrement en présence d'un groupement conjoint, que les membres du groupement ne sauraient être engagés au-delà de leur part dans l'exécution du marché, cela n'implique pas, dans leurs relations avec le maître de l’ouvrage, que celui-ci détermine lui-même les pénalités qui peuvent être mises à leur charge, car, précisément, les stipulations contractuelles qu'il s'agit d'interpréter, et que les membres du groupement ont accepté, fait intervenir le mandataire dans le processus d'imputabilité des pénalités aux membres du groupement, qui n'incombe pas seulement au maître de l'ouvrage : celui-ci les arrête pour le groupement et le mandataire les répartit entre ses membres. Le maître de l’ouvrage ne fait que transcrire l'indication que lui a donnée le mandataire dans la présentation du décompte en comptes séparés. Que cela puisse aboutir à ce que les pénalités soient mises à la charge d'une entreprise qui n'est pas responsable des retards est possible, mais c'est l'effet de cette clause contractuelle, et vous l'avez admis en jugeant qu'en cas de carence du mandataire à indiquer la répartition, elles devaient lui être imputées. Cela signifie bien que le maître de l’ouvrage n'est pas tenu de n'imputer les pénalités qu'aux entreprises responsables des retards.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, cette répartition des rôles ne prive ni le maître de l’ouvrage ni le juge de leur faculté de moduler les pénalités, faculté qui s'exerce sur le montant global dû par le groupement.

Impliquer le maître de l’ouvrage dans la répartition des pénalités représenterait une charge qu'il a précisément entendu ne pas exercer en passant le marché avec un groupement conjoint, sans déroger, comme les parties peuvent le faire, à cette stipulation générale du CCAG. Il n'aurait d'ailleurs pas toujours les moyens de vérifier l'exactitude des indications que lui fournit le mandataire, car la clé de répartition des pénalités entre les membres d'un groupement n'est pas nécessairement liée aux retards effectivement pris par chacun des membres. Ils peuvent par exemple avoir décidé qu'ils se répartiront les pénalités proportionnellement à leur part de marché, sans que le maître de l’ouvrage ait connaissance de cet arrangement.

Ne faudrait-il pas malgré tout réserver le cas où le maître de l’ouvrage a connaissance du caractère erroné de la répartition que lui indique le mandataire ? La tentation est grande mais nous pensons qu'il faut y résister, sauf peut-être dans l'hypothèse où le maître de l’ouvrage aurait connaissance d'une tentative de dol du mandataire à l'encontre des autres membres du groupement, qu'il pourrait lui être reproché de n'avoir pas signalée. Car hormis ce cas très particulier où son silence pourrait lui être reproché, affirmer que le maître de l’ouvrage doit se détacher des indications qui lui sont fournies lorsqu'il constate qu'elles sont erronées, même manifestement, sera inéluctablement source de contestations lorsqu'il ne l'aura pas fait, déplaçant la responsabilité du mandataire au maître de l’ouvrage, par l'effet attractif de sa solvabilité. Lorsque le maître de l’ouvrage a de sérieuses raisons de penser que les indications du mandataire sont erronées, il doit lui en faire part, éventuellement en informer les autres membres du groupement afin qu'ils puissent en discuter avec leur mandataire. Mais cette démarche informelle, qu’il ne nous paraît pas opportun de sanctionner juridiquement, ne tend qu’à obtenir une confirmation à laquelle il devra se tenir.

           

Cette répartition des rôles et des responsabilités qui en découlent nous semble avoir le mérite de la clarté et de la sécurité juridique. Elle présente l'inconvénient que le membre du groupement qui entend contester les pénalités mises à sa charge devra s'adresser soit au maître de l’ouvrage s'il conteste le volume total des pénalités, soit au mandataire s'il conteste la répartition de ce volume entre l'ensemble des membres du groupement. Cette distinction des différends peut sembler compliquée, d'autant que le plus souvent il contestera les deux, mais elle est inhérente au dispositif du groupement conjoint, qui intercale une structure non solidaire entre les entrepreneurs et le maître de l’ouvrage. Sauf à ce que le maître de l’ouvrage soit le seul responsable, ce qui n'est pas dans la logique du groupement et de la représentation qu'en assure son mandataire, il est inévitable et, croyons-nous, souhaitable, que chaque fonction donne lieu à une responsabilité particulière.

Ces inconvénients ne doivent cependant pas être exagérés. D'une part, l'objet des contestations -volume global-répartition- est bien circonscrit.

D'autre part, en ce qui concerne leur mise en oeuvre, les inconvénients sont minimisés par le fait que le mandataire continue de représenter les membres du groupement lors du règlement amiable des différends et par la jurisprudence récente du Tribunal des conflits qui s'attache à regrouper devant le juge administratif les contentieux auxquels donne lieu l'exécution d'un marché public. Ainsi, le juge administratif, saisi d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics opposant le maître de l’ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un groupement pour exécuter le marché, est compétent pour connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres, que le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement ou que cette répartition résulte d'un contrat de droit privé conclu entre eux. Dans ce dernier cas, il doit seulement, si la validité ou l'interprétation de ce contrat soulève une difficulté sérieuse, poser une question préjudicielle au juge judiciaire (T. confl., 9 février 2015, n° 3983 N° Lexbase : A3005NBW). Ce n'est que lorsque le litige oppose deux membres du groupement liés entre eux par un contrat de droit privé, hors de tout litige né de l'exécution d'un marché public opposant le maître de l’ouvrage à un ou plusieurs membres du groupement, qu'il est regardé comme ne mettant en cause que des relations de droit privé et relevant de la juridiction judiciaire (T. confl., 10 décembre 2018, n° 4144 N° Lexbase : A7379YRQ).

Par conséquent, le membre du groupement qui entend contester les pénalités qui ont été mises à sa charge conformément aux indications données par le mandataire doit le faire dans le cadre de la contestation du décompte s'il estime que le montant global des pénalités est injustifié ou s'il en demande la modulation, en appelant en garantie le mandataire et le ou les autres membres du groupement s'il entend aussi contester la répartition des pénalités entre eux et le juge administratif sera compétent pour traiter de l'ensemble de ces conclusions. S'il obtient gain de cause contre le maître de l’ouvrage, la diminution du montant global des pénalités se traduira par une diminution de sa part, dans une mesure que le juge devra déterminer. Par exemple, s'il a pu démontrer qu'un certain nombre de jours de retard avait été imputé à tort à sa part du marché, il en obtiendra la déduction de son compte. S'il a obtenu la modulation du montant global des pénalités, il en bénéficiera à due proportion de sa part des pénalités. Si sa contestation ne porte que sur la répartition, ce qui devrait être assez exceptionnel, il devrait accepter le décompte mais ensuite agir contre les autres membres du groupement, sur le fondement de leur responsabilité quasi-délictuelle car cette action ne sera pas fondée sur l'application de la convention de groupement, mais sur les retards commis par les autres membres du groupement dans l'exécution du marché public, qui lui auront causé un préjudice. Cette action relève également de la compétence du juge administratif (T. confl., 2 juin 2008, n° 3621 N° Lexbase : A9524D8A, p. 555). Cette répartition des compétences permet donc que le juge administratif connaisse de toutes les contestations liées à l'exécution du marché, qu'elles soient dirigées contre le maître de l’ouvrage ou entre les membres du groupement, tout en garantissant l'efficacité du dispositif contractuel du groupement d'entreprises, notamment pour le maître de l’ouvrage qui doit pouvoir regarder le mandataire comme représentant le groupement sans avoir à s'assurer qu'il assure correctement ses missions. La solution que nous vous proposerons protégera le maître d'ouvrage d'une action d'un membre du groupement qui ne se plaindrait que de la répartition proposée par le mandataire du groupement, mais ne l'empêchera aucunement d'agir contre ce dernier ou contre les autres membres du groupement et, au cas où il contesterait aussi le montant global des pénalités, contestation dirigée contre le maître de l'ouvrage, il pourra présenter ces différentes conclusions dans une même requête devant le même juge, administratif. 

           

Le deuxième moyen est tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte des reports d'exécution de travaux décidés par le maître de l’ouvrage, qui exonèrent le titulaire d'éventuels retards (CE, 17 mars 2010, n° 308676 N° Lexbase : A7939ET9, aux Tables), au motif qu'ils ne concernaient pas les bâtiments sur lesquels était intervenue la société Serin, tout en retenant comme base de calcul des pénalités, non les retards de réalisation des seuls bâtiments sur lesquels était intervenus la société Serin, mais le retard par rapport au délai global d’exécution.

Ce que décrit ce moyen pourrait effectivement constituer une erreur de droit ou, au mieux, u un raccourci un peu rapide, puisque, selon le schéma que nous avons décrit, tout membre du groupement peut contester dans le cadre d'une contestation du décompte le volume global de pénalités imputable au groupement. Il peut d'autant plus le faire que la répartition était indiquée par le mandataire en pourcentages du volume global. Concrètement, si le juge constate à l'occasion de la contestation de son décompte par un membre du groupement que le maître de l’ouvrage a tenu compte d'un nombre de jours de retards excessifs, il devra commencer par diminuer le montant global des pénalités. Ce n'est que dans un second temps qu'il devra vérifier si cette diminution doit se traduire par une diminution du montant des pénalités mises à la charge du requérant. Si ce n'est pas le cas, cette erreur n'aura pas pour effet de diminuer la part du requérant. Elle aura préjudicié aux autres membres mais, s'ils n'ont pas contesté leur décompte, elle bénéficiera au maître de l’ouvrage.

Mais la cour n'a pas commis cette erreur : bien que les motifs critiqués soient assez confus et qu'elle relève que les reports d'exécution ne concernent pas les retards retenus à l'encontre de la société Serin, elle indique aussi que les reports d'exécution ne concernaient pas les 129 jours retenus pour les pénalités globalement infligées au groupement.

Les deux derniers moyens portent sur les motifs par lesquels la cour a rejeté la demande de modulation des pénalités de retard. Il est reproché à la cour d'avoir commis une erreur de droit en rejetant cette demande au motif que les retards étaient en grande partie imputables aux sous-traitants de la requérante, contre lesquels elle pourrait se retourner en vue de recouvrer une partie des pénalités dont elle estimerait ne pas être redevable et dénaturé les pièces du dossier en refusant de diminuer le montant des pénalités qui correspondaient à plus de 90 % du montant du marché.

Le premier de ces moyens nous paraît fondé. Comme vous l'avez rappelé par votre décision «Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent» du 19 juillet 2017 (CE n° 392707 N° Lexbase : A2037WNR, au recueil), le juge ne peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat que "si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations". La circonstance que les retards soient imputables à des sous-traitants du titulaire est sans incidence sur l'exercice de ce pouvoir de modulation qui s'exerce sur les obligations contractuelles du titulaire envers le maître de l’ouvrage. Or, comme l'a d'ailleurs écrit la cour, le titulaire est contractuellement responsable vis à vis du maître de l’ouvrage de l'exécution des prestations sous-traitées. C'est pourquoi des pénalités peuvent lui être infligées pour des retards dans l'exécution de prestations sous-traitées et qu'il peut en demander la modulation, laquelle ne sera fonction que du montant du marché principal et du retard de son exécution, abstraction faite de leur imputabilité au titulaire ou à ses sous-traitants. Les actions récursoires envisagées par la cour du titulaire contre ses sous-traitants viseront à obtenir l'indemnisation de tout ou partie des pénalités qui resteront à sa charge, après leur éventuelle modulation.

Nous vous proposons de retenir ce moyen, ce qui vous dispensera d'examiner l'autre et vous conduira, si vous nous suivez pour écarter les deux premiers, à annuler partiellement l'arrêt, en tant qu'il rejette les conclusions aux fins de modération des pénalités de retard (pour une précédente annulation partielle sur ce point, voyez votre décision du CE, 20 juin 2016, n° 376235 N° Lexbase : A6216RTE, aux Tables).

Vous pourrez enfin prononcer un non-lieu à statuer sur la demande de sursis à exécution de l'arrêt et mettre à la charge de la Région Occitanie le versement à la société Giraud Serin d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés. 

           

           

           

             

           

           

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