Réf. : Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 18-17.111, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8751ZTB)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 14 Novembre 2019
► La «conversion» opérée par les dispositions de la loi allemande du 2 juillet 1976, d’une adoption produisant les effets d’une adoption simple en une adoption produisant les effets d’une adoption plénière, n’est pas contraire à l’ordre public international français ;
► la requérante ayant fait l’objet d’une telle adoption, n’est dès lors pas fondée à revendiquer la qualité d’héritière réservataire de son père de sang français.
Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 6 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 18-17.111, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8751ZTB).
En l’espèce, après le divorce de ses parents, en France, en 1972, et le remariage de sa mère, le 9 février 1973, en Allemagne, la requérante, qui résidait avec sa mère et son conjoint, avait été adoptée «en qualité d’enfant commun», par contrat du 11 septembre 1975 ; ce contrat d’adoption avait fait l’objet d’une homologation judiciaire par le tribunal d’Offenburg, par décisions des 11 et 25 novembre 1975 ; de la seconde union du père, dissoute par jugement du 21 juillet 2000, était née une fille à Poissy ; le père était décédé à Paris ; la requérante, ayant contesté l’acte de notoriété établi après le décès, qui mentionnait sa sœur pour unique héritière, cette dernière l’avait assignée devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin qu’il soit constaté qu’elle n’avait pas la qualité d’héritière du père.
Elle faisait grief à l’arrêt de dire qu’elle n’avait pas la qualité d’héritière réservataire de son père, qu’elle devait être tenue pour légataire à titre particulier de certains biens et que sa sœur recevrait l’intégralité de la succession, à charge pour elle de délivrer les legs particuliers. Elle n’obtiendra pas gain de cause devant la Cour suprême, qui approuve sur tous les points la décision rendue par la cour d’appel.
- Dans l’un des moyens, la requérante soutenait, notamment, que la question de la conversion de cette adoption simple en adoption plénière relevait du droit français, et invoquait l’application des articles 370-3 (N° Lexbase : L8428ASX) et 370-5 (N° Lexbase : L8430ASZ), exigeant le consentement du père de sang, en toute connaissance de cause après avoir été éclairé sur les conséquences de l’adoption.
Mais, ainsi que le relèvent les juges d’appel, approuvés par la Cour suprême, si l’adoption avait, en Allemagne, jusqu’à la loi du 2 juillet 1976, des effets juridiques limités, sans incidence sur les droits successoraux de l’enfant, cette loi a instauré une adoption plénière qui, pour les mineurs, rompt les liens entre ceux-ci et les parents par le sang ; aux termes de ses dispositions transitoires, cette loi nouvelle s’applique de plein droit, à compter du 1er janvier 1978, aux enfants mineurs adoptés sous l’empire de l’ancienne loi, de sorte que, sauf opposition, l’adoption, qui avait les effets d’une adoption simple, se transforme de plein droit en adoption entraînant la rupture des liens juridiques avec la famille d’origine.
Aussi, ayant constaté qu’aucune déclaration s’opposant à cette «conversion» de l’adoption de la requérante n’avait été enregistrée, de sorte que sa situation était régie par la loi nouvelle, la cour d’appel, qui n’avait pas à appliquer les articles 370-3, alinéa 3, et 370-5 du Code civil dès lors qu’elle n’était saisie ni d’une requête en adoption ni d’une demande de conversion de l’adoption simple en adoption plénière, en avait exactement déduit que, l’ordonnance du 25 novembre 1975 produisant en France des effets identiques à ceux produits en Allemagne, la requérante n’avait pas la qualité d’héritière réservataire de son père de sang.
- Par un autre moyen, la requérante invoquait les dispositions de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, relative aux droits de l’enfant (N° Lexbase : L6807BHL), l’article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), ainsi qu’une atteinte à l’ordre public international.
En vain. La Haute juridiction relève, tout d’abord, que, l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, relative aux droits de l’enfant n’ayant pas été invoqué devant la cour d’appel, celle-ci n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.
Ensuite, selon la Cour suprême, ayant relevé, d’une part, qu’au lien juridique unissant la requérante à son père de sang s’était substitué, par l’effet attaché à la décision d’adoption par la loi nouvelle, un lien juridique nouveau l’unissant à son père adoptif et qu’elle avait bénéficié des dispositions du droit allemand qui en résultaient, d’autre part, que ce lien était ancien et que la requérante avait eu une vie familiale avec ses parents adoptifs durant plusieurs dizaines d’années, la cour d’appel avait pu en déduire que c’est le refus de reconnaître en France le lien de filiation dont l’adoptée bénéficiait depuis aussi longtemps en Allemagne qui aurait été contraire à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Enfin, après avoir rappelé les dispositions de l’article 12, § 2, de la loi allemande du 2 juillet 1976, aux termes desquelles la loi nouvelle s’appliquait de plein droit aux enfants mineurs adoptés sous l’empire de l’ancienne loi, la cour d’appel a retenu qu’en présence d’une décision de justice ayant suppléé le consentement du père, la «conversion» opérée par cette loi, d’une adoption produisant les effets d’une adoption simple en une adoption produisant les effets d’une adoption plénière, n’était pas contraire à l’ordre public international français ; elle a ainsi légalement justifié sa décision.
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