La lettre juridique n°802 du 14 novembre 2019 : Droit pénal des mineurs

[Point de vue...] De l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante à l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs

Réf. : Ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs (N° Lexbase : L2043LSH)

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N1085BYT

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[Point de vue...] De l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante à l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/54667359-point-de-vue-de-lordonnance-du-2-fevrier-1945-relative-a-lenfance-delinquante-a-lordonnance-du-11-se
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par Christine Lazerges, Professeure émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)

le 13 Novembre 2019

 


Mots-clés : mineurs • Code de la justice pénale des mineurs • ordonnance du 2 février 1945 • ordonnance du 11 septembre 2019 • réforme

Cet article est issu du dossier spécial "Code de la justice pénale des mineurs" publié le 14 novembre 2019 dans la revue Lexbase Pénal. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N1086BYU)


 

Réforme ou révolution, ajustement ou bouleversement ? Le lecteur de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) ne peut que s’interroger tant le texte recèle de messages différents, voire quelquefois contradictoires, si l’on y réfléchit bien. Signes de continuité et signes de rupture émaillent le texte et conduisent à s’interroger sur la cohérence du projet de politique criminelle de la nouvelle ordonnance concernant les mineurs délinquants.

L’ordonnance du 11 septembre 2019 n’est pas à droit constant, le Parlement, par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC) ayant autorisé le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance, l’ordonnance du 2 février 1945.  

De façon rassurante pour celles et ceux qui sont attachés au modèle protectionnel, le rapport au président de la République sur la nouvelle ordonnance débute par le rappel de la phrase la plus connue du préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Est également rappelé la nécessité « de préserver la continuité de l’intervention du juge des enfants, qui est l’un des éléments de la spécialisation de la justice pénale des mineurs et un gage de son efficacité ».

Les spécialistes du droit des mineurs n’ignorent pas que l’ordonnance du 2 février 1945 a subi plus de quarante réformes, des plus modestes aux plus importantes, au point que Pierre Joxe auditionné en 2018 par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans le cadre de la préparation d’un avis sur saisine de la garde des Sceaux sur les mineurs privés de liberté [1], n’hésitait pas à dire : « Il n’y a plus d’ordonnance de 1945 ».  

La fièvre législative sur la délinquance des mineurs est liée à la très forte charge symbolique du sujet, facilement instrumentalisé par les politiques.

Indéniablement, le texte était devenu illisible et la mutation du texte initial ne faisait aucun doute. Cette mutation insidieuse ou explicite [2] résultait de tensions évidentes entre la logique protectionnelle, la nécessaire garantie des droits fondamentaux et la double exigence de fermeté et de rapidité revendiquée. Un consensus existait sur la nécessité de réformer l’ordonnance de 1945 depuis quelques années seulement. En effet, dans le rapport que nous remettions au premier ministre en 1998, Jean-Pierre Balduyck et moi-même, sous le titre Réponses à la délinquance des mineurs [3], les 135 propositions faites par la commission mise en place préconisaient une application effective de l’ordonnance de 1945 avec les moyens afférents indispensables et non une réécriture de l’ordonnance. Dix ans plus tard, en 2008, André Varinard, dans un rapport à la garde des Sceaux proposait, avec la commission constituée alors, une réforme profonde sous le titre : Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales, 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs [4]. En dix ans, il n’était plus apparu tenable de ne pas réviser l’ordonnance de 1945 avec le risque de la défigurer dans ses fondements et de céder aux sirènes sécuritaires et en particulier au déséquilibre grandissant entre droit à la sûreté et droit à la sécurité.

L’analyse du texte de l’ordonnance de 2019, qui doit être soumis au Parlement pour ratification, sous l’angle de la politique criminelle invite à présenter dans des propos conclusifs d’une part, les éléments de continuité (I) et d’autre part, les éléments de rupture avec l’esprit de l’ordonnance de 1945, largement trahi au fil des années depuis 1945 jusqu’à parler de porosité de la frontière entre la justice des mineurs et la justice des majeurs [5] (II).

Aussi judicieux qu’apparaîtrait le nouveau code, il ne faut jamais oublier que l’on ne peut pas attendre de la loi ce qu’elle ne peut pas produire. S’agissant de la justice pénale des mineurs, il faut garder à l’esprit sa pauvreté, en d’autres termes la lourde insuffisance de ses moyens dont aussi bien ses acteurs que les experts ou la presse ne cessent de se faire l’écho [6].

I - Les éléments de continuité

La nouvelle ordonnance, ou le CJPM, comporte un article préliminaire porteur d’un principe directeur et un énoncé des principes généraux de la justice pénale des mineurs dans les articles L. 11-1 à L. 12-6 (A) qui sont signes de continuité, comme l’est aussi la prise en compte affichée aussi bien de l’acte posé par le mineur délinquant que de sa personnalité par la consécration de la césure du procès pénal des mineurs mais assortie de bien des exceptions (B).

A - Les principes directeurs et généraux

L’article préliminaire du futur code est simplement une reprise du principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) sur la délinquance des mineurs, érigé comme tel par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002 [7]. Il doit être analysé comme un principe directeur de la justice pénale des mineurs. Le texte de cet article préliminaire mérite d’être rappelé, il est bref et même trop bref : « Le présent code régit les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des mineurs est mise en œuvre, en prenant en compte l’atténuation de cette responsabilité en fonction de leur âge et la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral par des mesures appropriées à leur âge et leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Cet article préliminaire est d’une grande, trop grande sécheresse ; aucun renvoi à l’intérêt supérieur de l’enfant n’est fait, aucun renvoi à la Convention internationale des droits de l’enfant, aucune philosophie pénale n’est affirmée [8].

Le titre préliminaire, qui fait suite à l’article préliminaire, décline en deux temps les principes généraux du droit pénal, puis de la procédure pénale applicable aux mineurs.

Dans un chapitre 1er du titre préliminaire les articles L. 11-1 à L. 11-5 énoncent les principes généraux du droit pénal applicable aux mineurs. Ces articles rappellent les principes fondateurs de l’ordonnance de 1945 sans trancher, comme déjà ne l’avait pas fait l’ordonnance de 1945, la situation des jeunes enfants matériellement coupables d’une infraction, alors que cela est attendu par la doctrine depuis des décennies et parfaitement traité dans de nombreux pays étrangers respectueux de la Convention internationale des droits de l’enfant (N° Lexbase : L6807BHL). La jurisprudence française depuis le célèbre arrêt « Laboube », rendue par la Chambre criminelle le 13 décembre 1956, pallie ce manque qui aurait dû être comblé. Dans le nouveau Code de la justice pénale des mineurs, il n’est pas question d’un seuil de présomption irréfragable de capacité à répondre de ses actes devant une juridiction pénale. Tel qu’est rédigé l’article L. 11-1, la présomption dont il est question est une présomption simple en l’absence de toute précision : « Lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du Code civil (N° Lexbase : L0260K7R), sont pénalement responsables des crimes délits et contraventions dont ils sont reconnus coupables. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. ». La garde des Sceaux a été invitée à plusieurs reprises à se prononcer sur la nature de cette présomption, elle ne l’a jamais qualifiée d’irréfragable. La question de la responsabilité pénale des mineurs délinquants est traitée comme dans l’ordonnance de 1945 sans que l’on sache ce qu’est le discernement, notion abandonnée à la jurisprudence. Il est stupéfiant qu’un âge d’exclusion du champ pénal pour les mineurs les plus jeunes n’ait pas été fixé, aucune présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale n’est introduite. La France ne répond toujours pas à cet égard à ses engagements internationaux.

Concernant les peines et les mesures éducatives, la continuité domine avec la version initiale de l’ordonnance de 1945. Les sanctions éducatives introduites plus tard ont heureusement disparu, elles ne faisaient que créer de la confusion. Cette simplification était souhaitable. La simplification va apparemment plus loin dans la mesure où l’article L. 111-1 n’affiche plus que deux mesures éducatives : l’avertissement judiciaire et la mesure éducative judiciaire (sur ce point, v. C. Marie, La nouvelle mesure éducative judiciaire : la diversité sous l’unité, Lexbase Pénal, doss. spé. n° 1 N° Lexbase : N0955BYZ). En réalité, cette dernière peut comporter quatre modules cumulables ou non (module d’insertion, module de réparation, module de santé, module de placement), des interdictions et/ou des obligations. La présentation est plus moderne, le contenu ne change que peu ; au fil des années de nouvelles mesures éducatives avait été introduites. Toute la gamme ou presque des anciennes mesures éducatives et sanctions éducatives se retrouve dans cette nouvelle classification, y compris le placement dans un centre éducatif fermé qui fait l’objet d’une attention particulière de la part du législateur. Certaines interdictions ou obligations sont exclues pour les mineurs de moins de dix ans.

Concernant les peines, le CJPM est à droit constant. Comme précédemment un mineur de moins de treize ans ne peut pas faire l’objet d’une peine à proprement parler, il ne peut donc pas être privé de liberté dans un établissement pénitentiaire, mais il peut l’être dans un centre éducatif fermé, juridiquement mesure éducative. Contrairement au dispositif de 1945 mais plusieurs fois amendé, peines et mesures éducatives sont cumulables.

Dans un chapitre second du titre préliminaire, les articles L. 12-1 à L. 12-6 énoncent les principes généraux de la procédure pénale applicable aux mineurs. Il est regrettable que dans un article préliminaire de ce chapitre ne soit pas rappelé que l’article préliminaire du Code de procédure pénale est applicable in extenso aux mineurs délinquants. 

Ces principes généraux débutent par le rappel de la spécialisation des acteurs à tous les stades de la procédure, marque de continuité. Autant la spécialisation effective des juges pour enfants ne prête guère de façon générale au doute, autant il n’en est pas de même en fait pour les magistrats du parquet chargé des affaires concernant les mineurs. L’indivisibilité du parquet permet à des magistrats qui n’ont reçu aucune formation particulière de traiter de dossiers concernant des mineurs. Or, on sait combien nombreuses sont les affaires concernant des mineurs qui font l’objet d’alternatives aux poursuites. Ce ne sont que 50 % environ des mineurs suspectés d’infractions pénales qui rencontrent un juge pour enfants. Les écarts à cet égard sont considérables selon les juridictions. On peut douter aussi, sauf dans les grandes juridictions, de la spécialisation de tous les juges d’instruction chargés spécialement des affaires concernant les mineurs. Hormis les juges pour enfants, tous les magistrats ayant à connaître à tous les stades de la procédure de poursuites ou d’alternatives aux poursuites à l’encontre d’un mineur ne suivent pas une session de formation à l’ENM (sur ces difficultés pratiques, v. L. Hebbadj, Approche pratique de l’ordonnance n• 2019-950 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, Lexbase Pénal, doss. spé. n° 1 N° Lexbase : N1103BYI).

Une étude mériterait d’être conduite en particulier sur la spécialisation des juges d’instruction spécialement chargés des affaires concernant les mineurs, sujet d’autant plus important que les juges pour enfants perdent leur compétence de juge d’instruction.

La composition de la cour d’assises des mineurs n’a pas bougé, l’occasion était pourtant donnée d’accroître sa spécialisation. En bref, la spécialisation des acteurs magistrats de la justice des mineurs n’est que relative y compris pour les juges pour enfants en raison du turn over très rapide dans de nombreuses juridictions. Ce turn over ne permet pas à chaque juge des enfants d’acquérir une véritable spécialisation et une bonne connaissance des partenaires indispensables pour la mise en œuvre des mesures qu’il prend.

Le principe de la publicité restreinte des audiences concernant un mineur demeure avec des exceptions dont il est traité plus loin dans le nouveau code. De même, le principe selon lequel le mineur poursuivi ou condamné est assisté d’un avocat est réaffirmé. Globalement la continuité domine dans l’énoncé des principes généraux du droit pénal ou de la procédure pénale applicable aux mineurs. 

A priori, il en est de même dans la prise en compte affichée de l’acte et de la personnalité du mineur en justice pénale des mineurs

B - La prise en compte de l’acte et de la personne du mineur consacrée par la césure du procès pénal du mineur

L’implicite dans l’ordonnance de 1945 devient explicite. Jean Chazal, juge pour enfants de la première génération, aimait à expliquer que lorsqu’un mineur vole un vélo, ce n’est pas le vélo qui doit retenir l’attention mais le mineur. La personne de l’enfant est au cœur de l’ordonnance de 1945, preuve en est cette mesure phare de l’ordonnance qu’était la liberté surveillée préjudicielle devant éclairer par la suite le jugement rendu.

Cette première forme de césure était une césure entre l’observation du mineur dans le cadre de la liberté surveillée préjudicielle et le jugement du mineur. L’objectif était de connaître le mieux possible la personnalité du mineur avant de faire le choix d’une sanction. Avec le CJPM, la liberté surveillée préjudicielle ou à titre provisoire est remplacée par la mesure éducative judiciaire provisoire, dont le contenu est modulable durant toute la période de mise à l’épreuve éducative pour tenir compte de l’évolution du mineur. Cette période permet d’entamer la constitution ou de compléter « le dossier unique de personnalité » qui fait l’objet des articles L. 322-8 à L. 322-10 du CJPM. Il n’y a pas d’hésitation à affirmer la continuité idéologique apparente avec l’ordonnance de 1945. Distinguant l’acte délictueux commis par le mineur et l’appréhension de sa personnalité, les premiers commentateurs de l’ordonnance de 1945 pensaient déjà la césure du procès pénal du mineur, de nombreux articles et ouvrages de doctrine de l’époque en attestent [9]. En réalité, la continuité n’est qu’apparente dans le CJPM car les délais dans lesquels est enserrée la nouvelle césure du procès pénal casse la possibilité d’une vraie mise à l’épreuve éducative avant jugement, par ailleurs les exceptions à la césure ou les contournements de la césure sont nombreux. La continuité est en trompe-l’œil.

Avant le CJPM, la loi du 10 août 2011 traitait de la césure, modifiée ensuite dans ses modalités par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la Justice au XXIème siècle [10]. Le CJPM consacre à la césure du procès pénal du mineur trois sous-sections dans le titre traitant de la procédure de jugement, aux articles L. 521-7 à L. 521-25 du CJPM. Sont bien distinguées l’audience d’examen de la culpabilité, la période de mise à l’épreuve éducative et l’audience de prononcé de la sanction.

En raison de la faiblesse des moyens de la PJJ et en conséquence de l’incapacité à mettre en application rapidement la mesure éducative judiciaire provisoire, la césure du procès pénal du mineur, enserré dans des délais très courts, ne pourra permettre ni une meilleure connaissance de la personnalité du mineur, ni une mise à l’épreuve de ce mineur avant prononcé de la sanction. L’article L. 521-9 du CJPM dispose que lors de l’audience d’examen de la culpabilité « la juridiction fixe, dans son jugement, la date de l’audience de prononcé de la sanction qui a lieu, dans un délai compris entre six et neuf mois après la déclaration de culpabilité, devant le juge des enfants ou, si la personnalité du mineur, ou la gravité, ou la complexité des faits le justifie, devant le tribunal pour enfants de son ressort ». Le délai moyen aujourd’hui de mise en place d’une mesure éducative est de six mois, si l’audience de prononcé de la sanction est fixée à neuf mois, il n’y aura eu le plus souvent que trois mois pour apprécier les effets de la mesure éducative judiciaire provisoire. En l’état des forces de la PJJ ou du secteur associatif de protection de la jeunesse, le dispositif de la césure du procès pénal du mineur selon le CJPM est irréaliste. L’objectif de rapidité avant tout de la procédure tue des innovations qui auraient pu être intéressantes [11].

Les rédacteurs de l’ordonnance du 11 septembre 2019 n’étaient pas inconscients de ces difficultés d’ordre pratique, contournées en prévoyant des exceptions à la césure du procès pénal du mineur. Ainsi, l’article L. 423-4 du CJPM autorise dans certains cas le procureur de la République à saisir le tribunal pour enfants aux fins de jugement en audience unique. De même l’article L. 521-2 autorise le juge, sur décision motivée, à statuer en audience unique sur la culpabilité et la sanction du mineur. En outre, un vide juridique interpelle : rien n’est prévu dans l’hypothèse ou au terme des neuf mois, autorisés par la loi pour fixer l’audience de jugement, cette dernière ne peut se tenir en raison du volume des affaires à audiencer ; qu’en est-il alors de la mesure éducative provisoire qui doit prendre fin au bout de neuf mois ? En principe elle prend fin brutalement, laissant le mineur sans accompagnement jusqu’au jugement.

À l’évidence, l’ordonnance nouvelle a été préparée trop vite sur un mode bien peu démocratique, sans débats, après un nombre d’auditions très faible, semble-t-il. Le risque est majeur que des dispositions qui constituaient potentiellement des éléments de continuité avec l’ordonnance de 1945 et même d’avancées dans la protection des mineurs délinquants se retournent contre ces mêmes mineurs et s’avèrent en rupture avec l’esprit même de l’ordonnance de 1945.

Il est difficile de ne pas être critique dans l’appréciation d’éléments apparemment seulement en continuité avec la philosophie politique humaniste de l’ordonnance de 1945. D’autres éléments s’inscrivent en rupture sans ambiguïtés.

II - Les éléments de rupture

Seuls deux exemples de rupture explicite (A), puis un exemple de rupture implicite (B) seront pris.

A - Les ruptures explicites

Au titre des ruptures explicites, l’appauvrissement de la fonction de juge des enfants et la rapidité comme objectif sont manifestes. Dans l’un et l’autre cas des développements conséquents seraient nécessaires qui n’ont pas place dans des propos conclusifs, cependant des signes non trompeurs peuvent être notés.

La suppression de l’instruction devant le juge des enfants, appauvrissement manifeste de ses compétences, au nom de la simplification de la procédure pénale applicable aux mineurs, est un bouleversement radical. Le juge des enfants n’était juge d’instruction qu’en matière délictuelle on le sait, mais ceci correspond quantitativement, hormis les contraventions, à la quasi-totalité des affaires. La réforme simplifie la procédure en instituant un mode de saisine unique : la saisine de la juridiction de jugement spécialisée aux fins de jugement sur la culpabilité en principe dans un premier temps, si césure du procès il y a, avant le jugement sur la sanction dans un second temps. En clair, le pouvoir du parquet s’accroit considérablement par la suppression de l’instruction par le juge des enfants en matière délictuelle, sauf dans les affaires complexes où un juge d’instruction spécialisé peut être saisi. On le sait, dans les petites et moyennes juridictions, la spécialisation de ce juge d’instruction, non juge des enfants par définition, peut être très relative.

Concernant cet appauvrissement de la fonction de juge des enfants, les rédacteurs du CJPM ont-ils mesuré la contradiction qu’il y a à souhaiter préserver la connaissance par le juge des enfants du mineur qu’il juge, alors que le jugement sur la culpabilité doit intervenir dans un délai de dix jours à trois mois après l’issue de l’enquête ? Le juge des enfants aura-t-il la possibilité de rencontrer avant le jugement sur la culpabilité, ne serait-ce qu’une fois, le mineur qu’il doit juger si ce dernier est primo délinquant ? On peut sérieusement en douter. Comment va-t-il pouvoir choisir avec pertinence une mesure judiciaire provisoire pour un mineur qu’il ne connait pas, alors que cette mesure judiciaire provisoire doit éclairer au mieux le choix de la sanction lors de la seconde audience ?

Des générations de juges des enfants ont démontré l’importance de connaître au mieux le mineur que l’on juge ainsi que son environnement familial et social. Or remplacer l’instruction par l’enquête dans la très grande majorité des cas tourne le dos à la philosophie pénale en droit des mineurs qui fut celle de l’ordonnance du 2 février 1945 et qui est celle de la plupart des juges des enfants. C’est seulement pour les primo-délinquants, ayant précédemment fait l’objet de mesures d’assistance éducative, que lors de la première audience le juge des enfants bénéficiera d’une certaine connaissance du mineur. Ce sera également le cas pour les mineurs récidivistes. Il est évident que l’objectif de la nouvelle ordonnance est la rapidité en contradiction avec le temps nécessaire pour apprécier les effets de la mesure de protection judiciaire provisoire.

La rapidité comme objectif ressort de nombreuses dispositions de la nouvelle ordonnance. Un jugement qui intervient relativement vite est une bonne chose, mais un mineur ne doit pas être jugé de façon expéditive. Or les délais prévus par le CJPM non seulement s’avèreront rapidement inapplicables en l’état de la justice des mineurs, mais encore tournent le dos à l’intérêt supérieur de l’enfant. Reprenons ces délais presque stupéfiants : la convocation dans un délai de 10 jours à trois mois pour voir tranchée la question de la culpabilité sera particulièrement difficile à respecter et aura les effets pervers déjà dénoncés. Le prononcé de la sanction dans un délai de six à neuf mois à compter du premier jugement ne permet pas d’évaluer les effets de la mesure éducative judiciaire provisoire qui elle-même ne peut pas être mise en place immédiatement.

Frappent dans ces exemples de dispositions en rupture avec l’esprit et la lettre du droit des mineurs antérieurs en dépit de modifications déjà intervenues précédemment, un irréalisme certain.

B - Les ruptures implicites

Au titre des ruptures implicites avec le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant est cette promotion des centres éducatifs fermés (CEF) auxquels est consacrée la seconde section d’un chapitre intitulé « Du régime de placement ». Un long article L. 113-7, définit ce que sont les CEF sur un mode ambitieux alors que, sauf exceptions, les dysfonctionnements des CEF sont légions comme l’ont montré travaux de recherche et études [12]. La rapidité de la justice des mineurs comme l’enfermement de ces derniers dans des établissements différents des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ou des quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt, sont une réponse à une demande politique claire de plus grande sévérité à l’égard des mineurs délinquants, mais bien peu fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’ordonnance de 1945 n’excluait pas les centres fermés mais les derniers d’entre eux avaient été supprimés en 1979. La décision du Conseil constitutionnel d’août 2002, en même temps qu’elle posait le principe fondamental reconnu par les lois de la République sur la délinquance des mineurs, avalisait l’ouverture de nouveaux centres fermés. Le sujet avait donné lieu à de très vifs débats parlementaires. La circulaire de mise en œuvre du programme des CEF définissait le placement dans ce type d’établissement comme une contrainte juridique. Pensé au départ pour un public « multirécidiviste », le placement en CEF peut s’appliquer aux mineurs de 13 à 18 ans, sans condition d’antécédents judiciaires. Il s’agit de mineurs le plus souvent sous contrôle judiciaire. Comme le note la CNCDH, au fil des années les CEF ont vu leur cadre se rigidifier. La tendance à la « carcéralisation » (fermeture des portes, ajout de grilles, de vidéo-surveillance etc…) au point que l’on peut considérer comme privés de liberté les mineurs détenus dans les quelques 50 CEF actuellement ouverts. Le chiffre ne peut pas être donné précisément car fermetures et ouvertures de CEF se succèdent rapidement dans le temps, prouvant ainsi la difficulté à faire fonctionner des établissements de ce type. Les CEF augmentent petit à petit en nombre au détriment d’établissements diversifiés dans leur projet pédagogique. Les juges des enfants ont besoin d’une gamme aussi large que possible de types d’établissements.

Dans son article L. 113-7 sont élargies encore les catégories de mineurs pouvant être placés en CEF : contrôle judiciaire, sursis probatoire, placement à l’extérieur ou à la suite d’une libération conditionnelle. Malgré son coût de fonctionnement considérable le placement en CEF est implicitement présenté comme la mesure phare avant la privation de liberté dans un établissement pénitentiaire, et ce malgré le constat établi de ce que le CEF est la porte de la prison dès que les obligations imposées au mineur, par exemple sous contrôle judiciaire, ne sont pas respectées. L’institution même des CEF participe mécaniquement à accroître le nombre de mineurs détenus par l’administration pénitentiaire. Ce nombre n’a jamais été aussi important depuis 1945.

En définitive, l’ordonnance du 11 septembre 2019 est à ce point porteuse de messages contradictoires et dépourvue de philosophie générale, si ce n’est accélérer le cours de la justice des mineurs, qu’il est difficile de qualifier son économie générale en un temps de surcroît, où la mise en œuvre des textes nouveaux supposerait une autre accélération, une accélération magistrale des moyens donnés à la justice des mineurs délinquants.

 

[1] CNCDH, Avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018, JORF, n° 0077 du 1er avril 2018, texte n°48 (N° Lexbase : Z581267X).

[2] Christine Lazerges, La démolition méthodique de la justice pénale des mineurs devant le Conseil constitutionnel, RSC, n° 3/2011.

[3] Réponses à la délinquance des mineurs, La documentation française 1998.

[4] Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales, 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs, La documentation française, 2008.

[5] Cf. Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs, JORF n° 0213 du 13 septembre 2019, texte n°1 (N° Lexbase : Z850978S).

[6] Le sacerdoce des juges pour enfants, Le Monde, 27 septembre 2019 [en ligne] ; et dans le même numéro, Les promesses du gouvernement sur la justice des mineurs [en ligne].

[7] Cons. const., décision n° 2002-461, du 29 août 2002, Loi d'orientation et de programmation pour la justice (N° Lexbase : A2314AZQ).

[8] Cf. Ph. Bonfils, Première approche du Code de la justice pénale des mineurs, AJ Pénal, octobre 2019, p. 476 et s.

[9] Cf. en particulier les écrits de Marc Ancel et son ouvrage phare La défense sociale nouvelle - Un mouvement de politique criminelle humaniste, Paris, Cujas, 1954, 3ème édition 1981.

[10] Nadia Beddiar, La césure du procès pénal des mineurs, AJ Pénal, octobre 2019, p. 483 et s.

[11] Cf. infra.

[12] Cf. note 2 ; Avis précité de la CNCDH sur les mineurs privés de liberté.

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