Réf. : Ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs (N° Lexbase : L2043LSH)
Lecture: 12 min
N0992BYE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Philippe Bonfils, Professeur à Aix-Marseille Université, Doyen honoraire de la faculté de droit et de science politique, Avocat au barreau de Marseille
le 13 Novembre 2019
Mots-clés : mineurs • Code de la justice pénale des mineurs • ordonnance du 2 février 1945 • ordonnance du 11 septembre 2019 • réforme • présentation
Cet article est issu du dossier spécial "Code de la justice pénale des mineurs" publié le 14 novembre 2019 dans la revue Lexbase Pénal. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N1086BYU)
Le Code de la justice pénale des mineurs a été adopté par l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019. L’idée d’une codification du droit pénal des mineurs n’est pas nouvelle, et la Commission « Varinard » avait en 2008 proposé l’adoption d’un code dédié [1], et suggéré que celui-ci s’appelle « Code de la justice pénale des mineurs » -pour intégrer le fond et la procédure. Du reste, deux avant-projets de codification avaient été élaborés par le ministère de la Justice, mais les aléas de la vie politique et le caractère sensible de la matière n’avaient pas permis à ces projets d’aboutir.
Le Gouvernement avait ici choisi de procéder par voie d’ordonnance de l’article 38 de la Constitution. Le Parlement, par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (N° Lexbase : L6740LPC), a donc habilité le Gouvernement à « intervenir » dans le domaine de la loi, sans débat démocratique, le Parlement n’étant finalement sollicité que pour ratifier après coup l’ordonnance prise. La méthode est particulièrement gênante, d’autant que le texte qui vient d’être adopté n’est pas la simple reprise de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante (N° Lexbase : L4662AGR), mais un texte nouveau, faisant parfois des choix de sociétés -ou le plus souvent ne les faisant pas. Certes, l’entrée en vigueur du texte est repoussée au 1er octobre 2020, ce qui pourrait permettre l’adoption, dans l’intervalle, d’une loi d’adaptation, destinée à corriger les imperfections les plus manifestes du texte. Mais il serait illusoire de penser qu’une loi d’adaptation pourrait refondre profondément le Code de la justice pénale des mineurs, et compenser l’absence de débat ayant présidé à son adoption. Du reste, le projet de loi de ratification déposé en conseil des ministres le 30 octobre 2019 se contente d’un article unique qui dispose que «l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs est ratifiée».
La lecture du code donne l’impression d’un travail un peu précipité, voire inabouti. La terminologie, par exemple, n’est pas fixée, et, malgré son titre, le Code de la justice pénale des «mineurs» ne tranche pas entre les termes d’enfant et de mineur (le juge des enfants et le tribunal pour enfants conservent leur nom, comme la chambre spéciale des mineurs ou la cour d’assises des mineurs). De même, la philosophie générale du code n’est pas énoncée, et l’article préliminaire du code n’apporte rien de ce point de vue, dans la mesure où il se contente de reprendre une partie du principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel en 2002 [2]. Plus encore, la question de l’âge de la responsabilité pénale -ô combien importante [3]- n’est pas clairement précisée, puisque le code affirme à la fois que le discernement est le critère de la responsabilité pénale, et que l’âge de 13 ans est le seuil pivot, en dessous duquel un mineur est présumé ne pas avoir le discernement et au dessus duquel il est présumé l’avoir acquis. Le seuil souple du discernement comme fondement de la responsabilité pénale pouvait parfaitement être conservé, mais on pouvait aussi fixer -comme le font la plupart des droits étrangers [4]- un âge de responsabilité pénale des mineurs, et par exemple 13 ans. Mais la combinaison des deux systèmes manque singulièrement de clarté, et il est possible qu’elle nourrisse même un contentieux nouveau, puisque les présomptions énoncées ne sont que des présomptions simples.
L’objectif annoncé -qui constituait du reste le cadre de l’habilitation parlementaire- était de simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants, d’accélérer leur jugement pour qu'il soit statué rapidement sur leur culpabilité, de renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de leur peine, notamment pour les mineurs récidivistes ou en état de réitération et d’améliorer la prise en compte de leurs victimes. Il est évidemment trop tôt pour dire si ces objectifs ont été atteints. On peut cependant constater, dès à présent, que le texte n’est pas véritablement plus simple que l’ordonnance de 1945. Le Code de la justice pénale des mineurs est un texte long (plus de 250 articles) et complexe, qui modifie profondément le droit pénal des mineurs. Certes, le code reprend nombre de dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945, mais il apporte d’importants changements, sur le fond comme sur la procédure. On les abordera dans cet ordre.
I - Les dispositions de fond
S’agissant des conditions de responsabilité pénale des mineurs, le code énonce, dans un article L. 11-1, que « lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du Code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables ». Cette disposition reprend le principe inscrit à l’article 122-8 du Code pénal (N° Lexbase : L2057AM7) (qui n’est pas modifié sur ce point), qui lui-même consacre la solution posée par l’arrêt « Laboube » en 1956 [5]. Mais le même article prévoit, dans l’alinéa suivant que « les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement ». On peut penser qu’en pratique, la responsabilité pénale des mineurs de moins de treize ans devrait être exceptionnelle. Néanmoins, tout dépendra de la manière dont ces dispositions seront effectivement appliquées et combinées. A cet égard, on peut rappeler qu’actuellement on considère que le discernement s’acquiert aux alentours de l’âge de 7 ans (l’âge de raison) [6], dans la continuité du droit romain qui désignait comme infans ceux qui avaient moins de 7 ans…
Concernant les mesures, le code affirme, au titre des principes directeurs, le principe de primauté de l’éducation sur la répression, en combinant la formule utilisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002 [7] et les fonctions de la peine de l’article 130-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9806I3L). L’article L. 11-2 prévoit ainsi que « les décisions prises à l’égard des mineurs tendent à leur relèvement éducatif et moral ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection de l’intérêt des victimes ». Le principe se déduit aussi de l’article L. 11-3, qui prévoit quant à lui que « les mineurs déclarés coupables d’une infraction pénale peuvent faire l’objet de mesures éducatives et, si les circonstances et leur personnalité l’exigent, de peines ». Mais, comme on pouvait s’y attendre, la primauté de l’éducation sur la répression admet le cumul le plus large entre les mesures éducatives et les peines (art. L. 111-3), le code venant ici achever l’abandon progressif de l’option des voies éducative et répressive [8].
Plus précisément, le code revient -avec raison- à un système dualiste, composé de mesures éducatives et de peines. Les sanctions éducatives qui avaient été créées par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 (N° Lexbase : L6903A4G) (et qui n’avaient guère prouvé leur efficacité) disparaissent donc, certaines d’entre elles étant absorbées par la catégorie des mesures éducatives. Ces dernières sont profondément réaménagées. Le code en propose deux : l’avertissement judiciaire (nouvelle dénomination de l’admonestation, de l’avertissement solennel et de la remise à parent) et la mesure éducative judiciaire (lire dans ce numéro, C. Marie, La nouvelle mesure éducative judiciaire : la diversité sous l’unité, Lexbase Pénal, doss. spé. n° 1, novembre 2019 N° Lexbase : N0955BYZ) qui constitue une mesure « fourre-tout », comprenant des « modules » (insertion, réparation, santé et placement) ou des interdictions (de paraître, d’aller et venir, de rencontrer les coauteurs ou complices ou la victime…), ou encore l’obligation d’accomplir un stage, inspirés de certaines mesures éducatives ou sanctions éducatives actuelles.
S’agissant enfin des peines, le code reprend l’exemption légale de peine en dessous de l’âge de treize ans, et la diminution légale applicable à partir de l’âge de treize ans, diminution obligatoire entre treize et seize ans (plafonné à la moitié de la peine encourue par un majeur et plafonnée à vingt ans de réclusion en cas de perpétuité encourue par un majeur), et pouvant être écartée entre seize et dix-huit ans. Le code reprend aussi à l’ordonnance du 2 février 1945 les peines inapplicables aux mineurs, comme l’interdiction du territoire, le jour amende, ou l’affichage de la décision, et l’impossibilité de faire application aux mineurs de la période de sûreté.
II - Les dispositions de procédure
Le Code de justice pénale des mineurs consacre d’abord à la procédure des principes directeurs, dans le titre préliminaire (art. L. 12-4 et s.) : publicité restreinte, assistance obligatoire du mineur par un avocat, droit à l’information et à l’accompagnement des représentants légaux, droit d’exercer des voies de recours, prise en compte de l’âge au moment des faits. Ces principes ne sont pas nouveaux et existent aujourd’hui, soit dans l’ordonnance du 2 février 1945, soit dans la jurisprudence. Mais leur consécration va certainement les stabiliser, et sans doute aussi les renforcer, en leur donnant une plus grande visibilité.
S’agissant des acteurs de la justice pénale des mineurs, le code n’apporte guère de nouveauté, puisqu’il reprend ceux que nous connaissons aujourd’hui : juridictions (juge des enfants, tribunal pour enfants, cour d’assises des mineurs, tribunal de police, chambre spéciale des mineurs…), protection judiciaire de la jeunesse, et ministère public. On peut cependant relever ici que désormais le premier acteur -et cela n’est pas innocent- n’est pas le juge des enfants, mais le parquet. Mais le juge des enfants se voit reconnaître la possibilité de prononcer seul, en audience de cabinet, des peines autres que les peines d’emprisonnement.
Cela étant, concernant la procédure, ce qui mérite surtout d’être souligné c’est la généralisation de la césure du procès pénal du mineur, consistant à distinguer une première audience sur la culpabilité et l’action civile et une seconde relative aux mesures éducatives et aux peines. Inspirée de la technique de l’ajournement de peine, la césure du procès pénal avait été proposée par la Commission « Varinard », et inscrite dans l’ordonnance du 2 février 1945 (art. 24-5 et s.) par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 (N° Lexbase : L9731IQH). Le code en fait le schéma normal de procédure, et réserve l’instruction aux crimes, et, de manière exceptionnelle, aux délits complexes. Il est prévu que l’audience sur la culpabilité se tienne dans un délai de trois mois après l’interpellation, et que l’audience sur la sanction intervienne ensuite dans un délai de six à neuf mois. Mais, dans l’intervalle, une mesure éducative judiciaire provisoire peut être prononcée par le juge des enfants. En outre, le mineur peut être astreint à un contrôle judiciaire, prévoyant un certain nombre d’interdictions ou d’obligations provisoires, et même, le cas échéant, être placé en détention provisoire. A cet égard, c’est le juge des enfants ou le tribunal pour enfants qui, dans ce cas, pourront prononcer ces mesures de contraintes, en tant que juridictions correctionnelles, d’autant que le code enlève au juge des enfants les fonctions d’instruction (l’instruction relèvera donc désormais des seuls juges d’instruction). La procédure est donc profondément modifiée, et nombre de questions se posent, pour lesquelles on ne peut espérer trouver des éléments de réponse dans les débats parlementaires, puisque précisément il n’y a pas eu de débat… Il n’est pas certain que le droit pénal des mineurs ait finalement gagné en simplicité et en lisibilité…
[1] Rapport de la Commission «Varinard», Adapter la justice pénale des mineurs (entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions), Doc. fr., 2009. Cf. not. les propositions 1 et 2.
[2] Cons. const., décision n° 2002-461, du 29 août 2002, Loi d'orientation et de programmation pour la justice (N° Lexbase : A2314AZQ).
[3] Cf. not. Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, Précis Dalloz, 2ème éd., n° 1364 et s., p. 852 et s.
[4] Cf. not. Ch. Lazerges, Seuils d’âge et responsabilité pénale en Europe, RSC, 1991, p. 414 et s.
[5] Cass. crim., 13 décembre 1956, D., 1957, p. 349, note M. Patin ; J. Pradel et A. Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 11ème éd., 2018, n° 43, p. 710 et s.
[6] Ph. Bonfils, Le discernement en droit pénal, in Mélanges Gassin, PUAM, 2007, p. 97 et s.
[7] Précité.
[8] Ph. Bonfils, La nouvelle primauté de l'éducation sur la répression, Dr. Pénal, 2018, Etudes n° 20.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:470992