Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 novembre 2018, n° 17/04957 (N° Lexbase : A7021YKA)
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par Anne-Laure Blouet-Patin
le 21 Novembre 2018
► Le site "Demander Justice" effectue une prestation matérielle de mise à disposition d’une bibliothèque documentaire et non une assistance juridique ; et il n’est pas prouvé que le personnel du service téléphonique, tenu par une charte lui interdisant expressément de le faire, aurait dépassé sa mission de simple renseignement sur le fonctionnement du site et donné des conseils d’ordre juridique personnalisés assimilables à de l’assistance juridique interdite ; enfin, "Demander Justice" n’effectue aucune tache de représentation en justice qui lui serait interdite comme réservée aux avocats, une éventuelle irrégularité dans la déclaration de saisine étant indifférente à l’absence de mandat de représentation donné par le requérant, lequel, seul présent à l’audience de la juridiction, sera à même de confirmer qu’il est bien à l’origine de la démarche.
Sur les pratiques commerciales trompeuses alléguées, s’agissant de la saisine par internet, la quasi-totalité des cas les internautes justiciables effectuent la saisine de la juridiction compétente seul, de sorte qu’il est abusif de prétendre que l’indication d’une saisine par internet serait trompeuse.
En revanche, les taux de réussite cités sur le site ne reposent sur aucune étude indiquée et il est impossible que les pourcentages de réussite restent inchangés au fur et à mesure des années qui passent ; il convient d’enjoindre sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à la société "Demander Justice" de les faire disparaître de son site, sauf à en mentionner les modalités précises de calcul.
Enfin, l’utilisation d’un bandeau tricolore, d’un logo et d’une figurine est de nature à laisser penser aux internautes qu’ils ont à faire à un site officiel, aussi sans qu’il soit nécessaire pour autant d’ordonner la fermeture du site, il sera fait interdiction à la société "Demander Justice", afin d’éviter tout risque de confusion, de continuer à utiliser ensemble les trois couleurs du drapeau français, un mois après la signification de la décision, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard.
Tels sont les enseignements d’un arrêt de la cour d’appel de Paris, rendu le 6 novembre 2018 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 novembre 2018, n° 17/04957 N° Lexbase : A7021YKA).
Cette décision a trait à l'affaire "Demander justice", société assignée pour assistance et représentation en contravention avec le "périmètre du droit", pratiques trompeuses, caractère trompeur des dénominations "Demander Justice" et "Saisir prud'hommes". Sur ces trois griefs, le TGI de Paris avait débouté le CNB et l'Ordre des avocats du barreau de Paris (TGI Paris, 11 janvier 2017, n° 15/04207 N° Lexbase : A6806S8L).
En l'espèce, la société "Demander Justice" a mis en place un traitement automatisé qui permet à l'internaute après avoir renseigné son identité et celle de son adversaire, puis après paiement d'une somme, de choisir un modèle de mise en demeure qui correspond à son litige, de rédiger une déclaration de saisine du tribunal ou du conseil de prud'hommes, de motiver et de chiffrer sa demande, y incluant éventuellement le remboursement de frais de justice, de joindre toutes pièces justificatives numérisées, le dossier étant ensuite envoyé à un centre de traitement postal qui l'imprime, le met sous pli et l'expédie, les déclarations de saisine des juridictions étant établies et validées informatiquement par le client lui-même. Pour le tribunal, puis la cour d’appel, il n'apparaît, au vu de ces pièces, aucunement démontré que les prestations ainsi assurées relèveraient de la mission traditionnelle d'assistance ou de représentation en justice telle que peut l'accomplir un avocat, celles-ci s'avérant dépourvues d'une véritable valeur juridique ajoutée ainsi que de toute dimension stratégique, outre l'absence de fourniture de conseils personnalisés et le défaut d'une analyse quant à l'applicabilité au cas d'espèce des normes et informations juridiques mises à disposition, lesquelles sont par ailleurs aisément accessibles.
Est donc licite la mise à disposition d'un process facilitant l'élaboration de lettres de mise en demeure, quand bien même celles-ci s'avéreraient être un préalable à un recours juridictionnel, le fait de rendre accessibles en ligne des formulaires de saisine de juridiction -au demeurant édités par le centre d'enregistrement et de révision des formulaires administratifs (Cerfa) et publiés par les services administratifs du Gouvernement- ; cette activité ne relevant pas nécessairement de la mission d'assistance en justice réservée aux avocats.
A noter que pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, les activités de "Demander Justice" ne constituent ni des actes de représentation, ni des actes d'assistance, actes que l'article 4 de la loi n° 71-1139 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) réserve aux avocats devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit (Cass. crim., 21 mars 2017, n° 16-82.437, FS-D N° Lexbase : A6957UEE).
C’est donc seulement le logo et l’affichage des taux de réussite qui auront été jugés trompeurs pour la cour d’appel de Paris (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E0989E9I).
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