La lettre juridique n°748 du 5 juillet 2018 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Absence de convention d’honoraires entre l’avocat et son client : quelles conséquences ?

Réf. : Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-19.709, F-P+B+I (N° Lexbase : A9312XQX)

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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour, ancien Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

le 04 Juillet 2018

Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 14 juin 2018, apporte une réponse à cette question dans un cas d’espèce soumis aux dispositions de l’article 10 de la loi n° 71–1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) dans sa nouvelle rédaction, issue de la loi n° 2015–990 du 6 août 2015 (N° Lexbase : L4876KEC).

La question n’est pas nouvelle, mais ne se posait pas dans les mêmes termes avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, laquelle pose, notamment, le principe que l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires.

  • Avant la loi du 6 août 2015

 

Avant la généralisation de ce principe par l’article 10 de la loi n° 71–1130 du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015–990 du 6 août 2015, une convention d’honoraires écrite était déjà rendue obligatoire en matière de divorce, d’aide juridictionnelle partielle et d’assurance de protection juridique.

 

  • Des contentieux sont nés en raison de l’absence de convention d’honoraires

 

Dans un arrêt en date du 20 juillet 2015 (CA Toulouse, 20 juillet 2015, n° 128/2015 N° Lexbase : A9643PEU ; cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E9117ETT), la cour d’appel de Toulouse avait considéré, à propos de l’obligation spécifique d’une convention d’honoraires en matière de divorce, qu’en l’absence de convention, il y avait lieu de fixer les honoraires de l’avocat en fonction des critères énoncés par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, faute de dispositions édictant une sanction en cas d’absence de convention.

 

Par arrêt en date du 14 janvier 2016, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 15-10.130, F-P+B N° Lexbase : A9244N3R ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9664ET4) a rendu une décision allant dans le même sens, cette fois en matière d’assurance de protection juridique, en jugeant qu’en l’absence de convention, les honoraires de l’avocat sont fixés par référence aux seuls critères de l’article 10.

 

Notons que ces deux arrêts ont été rendus alors qu’étaient applicables aux faits de l’espèce les règles antérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 modifiant l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971. Ainsi que l’a relevé Maître Dominique Piau (Règles de la profession d’avocat - Dalloz Action 2018-2019, n° 713-24), l’ancienne rédaction de l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 précisait alors expressément que : «en l’absence de convention d’honoraires, les honoraires sont fixés…» en fonction des critères qu’il précisait.

Or, l’alinéa 4 dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 6 août 2015, s’il reprend les mêmes critères de fixation de l’honoraires de l’ancien article 10, ne reprend plus en introduction de leur énoncé les termes «en l’absence de convention d’honoraires… ».

 

Cette modification dans le nouvel article 10 apparaît logique dès lors que la conclusion d’une convention d’honoraires écrite est érigée en principe dans un alinéa précédent du même article, quand à l’inverse, l’hypothèse d’une absence de convention écrite pouvait être envisagée avant 2015 et alors que la conclusion d’une convention n’était pas la règle.

Selon nous, la problématique était cependant identique dans ces cas d’espèce qui ont donné lieu aux arrêts précités. En effet, dans les domaines considérés, le divorce et l’assurance de protection juridique, la conclusion d’une convention d’honoraires écrite était déjà obligatoire.

 

Ce n’est donc pas l’ancienne rédaction de l’article 10 de la loi de 1971, en ce qu’elle visait le cas de l’absence de convention d’honoraires, qui a donné à ces décisions le fondement de leur motivation. La question posée était déjà : l’avocat peut-il prétendre au paiement de ses honoraires, en l’absence d’une convention pourtant obligatoire ? Et les termes «en l’absence d’une convention d’honoraires…» n’instituaient pas une dérogation à ce caractère obligatoire.

 

  • Depuis la loi du 6 août 2015

 

L’article 10 de la loi n° 71–1130 du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 généralise, dans ses alinéas 3 et 4, la règle selon laquelle l’avocat conclut par écrit une convention d’honoraires avec son client, ceci dans les termes suivants : «Sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci». 

 

Le principe est clairement posé par ces dispositions : l’avocat conclut une convention d’honoraires avec son client.

Les exceptions au principe sont également énumérées : l’urgence ou la force majeure (ou le cadre de la mission de l’avocat, selon qu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou des commissions d’office en matière de procédure non juridictionnelle, domaines dans lesquels l’avocat ne peut percevoir de rémunération, sous des réserves qu’il n’y a pas lieu de rappeler ici).

Le contenu de la convention est, sinon précisé, du moins fixé a minima : la convention doit indiquer le montant ou le mode de déterminations des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les frais et débours envisagés.

Mais le nouvel article 10 de la loi de 1971 modifié par la loi de 2015, n’a pas institué comme sanction à l’absence de convention d’honoraires écrite entre l’avocat et son client l’interdiction pour l’avocat de percevoir des honoraires.

 

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  • Une jurisprudence qui a suscité des inquiétudes chez les avocats après l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015

 

Au visa de ces dispositions nouvelles, la cour d’appel de Papeete (CA Papeete, 2 août 2017, n° 17/00008 N° Lexbase : A6700WRL ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9105ETE) a jugé le 2 août 2017 : «…qu’à défaut de convention d’honoraires écrite, que l’article 10 de la loi n° 71–1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi ‘Macron’ du 6 août 2015, rend obligatoire, un avocat ne peut prétendre au paiement d’honoraires qu’aucun accord entre l’avocat et ses clients n’a fixés».

 

  • L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 14 juin 2018

 

Il clôt les incertitudes liées à la jurisprudence de la cour d’appel de Papeete.

Cet arrêt de cassation a été rendu sur pourvoi à l’encontre d’une ordonnance d’infirmation rendue le 11 avril 2017 par le délégué du premier président de la cour d’appel de Bordeaux statuant sur appel d’une décision du Bâtonnier rendue en matière d’honoraires.

 

Selon le moyen présenté au soutien du pourvoi, le client de l’avocat avait requis ses services et ses conseils en lui remettant une longue liste de pièces en original afin de le consulter sur plusieurs éléments et obtenir son avis sur l’éventualité d’une action judiciaire.

Statuant sur l’appel de la décision du Bâtonnier qui accueillait la requête en taxation d’honoraires en son principe, tout en la réduisant dans son montant, le délégué du premier président de la cour d’appel de Bordeaux a jugé «qu’à défaut de la convention imposée par la loi, l’avocat n’est pas fondé à réclamer quelque honoraire que ce soit à son client», précisant qu’une telle solution s’imposait «pour que la loi ait un sens».

 

Il est important de relever que l’arrêt de cassation en date du 14 juin 2018 est intervenu sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, qui était ainsi rédigé : «si l’obligation d’établir une convention d’honoraires imposée jusque-là à l’avocat pour les procédures de divorce et pour l’assurance de protection juridique a été généralisée à toutes les matières et à tout type d’intervention par la loi du 6 août 2015, le défaut de signature d’une convention d’honoraires n’est pas sanctionné légalement par l’interdiction, pour l’avocat, de percevoir des honoraires pour ses diligences dès lors que celles-ci sont établies ; qu’en décidant le contraire 'pour que la loi est ait sens' le délégué du premier président, a violé les dispositions des articles 10 et 10–1 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015–990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi 'Macron'».

 

C’est ainsi que, pour entrer en voie de cassation, la Cour de cassation a rappelé que selon les alinéas 3 et 4 de l’article 10 de la loi de 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 : «Le défaut de signature d’une convention ne prive pas l’avocat du droit de percevoir pour ses diligences, dès lors que celles-ci sont établies, des honoraires qui sont alors fixés en tenant compte, selon les usages, la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci».

 

Faut-il déduire des termes de cet arrêt de cassation que l’avocat pourrait s’affranchir de l’obligation de conclure une convention d’honoraires écrite avec son client, dès lors qu’il ne s’exposerait pas à perdre le droit de prétendre au paiement de ses honoraires ?

 

Certainement pas.

 

L’obligation de conclure une convention d’honoraires écrite, même si le mot «obligation» ou tout autre mot similaire, n’est pas inséré dans le texte du nouvel article 10, n’est pas discutable. Les exceptions à la conclusion préalable d’une convention, l’urgence et la force majeure notamment, viennent renforcer s’il en est besoin le caractère obligatoire et l’exigence de la convention d’honoraires.

L’avocat qui ne conclut pas de convention d’honoraires commet assurément une faute déontologique qui l’expose à des poursuites disciplinaires.

Il renonce en outre à tout honoraire de résultat qui doit avoir été prévu dans la convention d’honoraires.

 

Il méconnaît les raisons d’être de la convention d’honoraires qui est destinée à permettre à l’avocat de sécuriser, en toute transparence, l’intention des parties et les modalités de détermination des honoraires de l’avocat. Il en va ainsi de l’intérêt personnel de l’avocat comme de l’image de la profession.

 

L’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation commenté, au-delà de ses motifs de droit, a le mérite, dans les faits, de prémunir l’avocat contre la mauvaise foi de son client lorsque celui-ci invoque commodément l’absence de convention d’honoraires pour tenter de se soustraire à toute rémunération de son avocat.

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