La lettre juridique n°738 du 12 avril 2018 : Droit des étrangers

[Questions à...] Projet de loi «Asile et Immigration» - Questions à Madame le Bâtonnier Pascale Taelman

Réf. : Projet de loi, pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2018.

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par Marie Le Guerroué

le 11 Avril 2018

Droit des étrangers / Interview / Projet de loi "Asile et immigration" / Politique d'éloignement / Rétention administrative / Système d'accueil 

Le ministre de l’Intérieur a présenté le 21 février 2018 en conseil des ministres un projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. L’objectif avancé par le ministre est de «mieux maitriser l’immigration pour mieux l’accueillir» [1]. Si le Gouvernement défend un texte équilibré entre «humanité et efficacité», tel n’est pas l’avis des associations de défense des droits des étrangers qui y voient, tout au contraire, un texte «dangereux» pour les personnes étrangères [2]

Alors que les députés étudient actuellement les différentes propositions du projet de loi, Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de revenir sur les enjeux de ce texte à travers le regard éclairé de Pascale Taelman, Bâtonnier du Barreau du Val de Marne et spécialiste du Droit des Etrangers et de la Nationalité.

 

Lexbase : Le projet de loi «Asile et immigration» sera le troisième texte de loi adopté en matière d’asile en l’espace de quatre ans, pourquoi, selon vous, un nouveau texte s’avérait-il nécessaire ?

 

Madame Pascale Taelman : A mon sens, il n’est absolument pas nécessaire. D’ailleurs, le Conseil d’Etat lui-même a indiqué qu’on n’avait pas de recul suffisant sur le texte de 2015 pour envisager un nouveau texte [3]. Il s’agit uniquement d’un effet d’annonce, qui ne repose sur aucune réalité ou besoin sérieux.

 

Lexbase : Le projet de loi asile distingue trois axes d’amélioration. Le premier a pour objectif de ramener le traitement de la demande d’asile à six mois en réduisant à la fois le délai d’examen de la demande et celui de la phase contentieuse. Cette accélération du temps de la procédure vous semble-t-elle souhaitable ?

 

Madame Pascale Taelman : Evidemment non. Curieusement rien n’est dit du temps que l’on pourrait gagner en amont, c’est-à-dire dans la phase purement administrative avant l’enregistrement même de la demande d’asile. Les délais à raccourcir ne sont envisagés que dans la phase du temps donné au requérant pour établir ce qu’il dit, pour préparer sa demande, pour obtenir des conseils, pour parvenir à décoder la procédure à laquelle il est soumis. Réduire le délai initial de la demande de 120 jours à 90 jours, c’est réduire les possibilités pour le demandeur d’asile de pouvoir comprendre les démarches qui lui sont nécessaires, dans un pays qu’il ne connaît pas, dans une langue qu’il ne maîtrise pas, avec des règles dont il ignore tout. C’est le mettre en  grande difficulté pour trouver, conseils, traducteurs, mode d’emploi de la procédure française.

S’agissant de la phase de recours contre la décision de l’Ofpra, il me semble important de rappeler que le demandeur d’asile dispose déjà de délais particulièrement dérogatoires du droit commun. En effet, dans une procédure administrative classique, le justiciable qui est confronté à une décision administrative qui ne lui convient pas, dispose de deux mois pour la contester devant un tribunal administratif, puis lorsque la décision est rendue, il dispose d’un nouveau délai pour saisir la cour administrative d’appel (double degré de juridiction). En l’état du droit aujourd’hui, le demandeur d’asile ne dispose pas du double degré de juridiction, puisque la décision administrative qu’il attaque, la décision de l’Ofpra, il doit la déférer directement à la CNDA ; en outre, le délai dont il dispose pour le faire n’est que d’un mois, c’est à dire moitié moins que pour le contentieux classique. Et on voudrait encore réduire de moitié ce délai…

 

Lexbase : Le second objectif avancé par le gouvernement est de renforcer la politique d‘éloignement. Sont, à cette fin, prévues l’augmentation de la durée maximale de la retenue pour vérification du droit au séjour de 16 à 24 heures et l’augmentation de la durée maximale de la retenue administrative passant de 45 à 90 jours. Quel avis portez-vous sur ces nouvelles mesures ? Pensez-vous qu’elles répondront à l’objectif avancé par le gouvernement ?

 

Madame Pascale Taelman : Malheureusement, je n’en pense aucun bien. On prétend vouloir accueillir mieux alors qu’en réalité tout est mis en œuvre pour enfermer plus et rejeter davantage. On sait parfaitement, parce que des études ont été faites sur cette question en particulier par la CIMADE, que c’est dans les premiers jours de la rétention administrative que les reconduites sont effectuées. Ainsi, ce n’est pas par un enfermement systématique et plus long des étrangers que l’on parviendra à quelque efficacité que ce soit, dans le dispositif d’éloignement. En revanche, ce sera l’occasion de stigmatisations et d’humiliations supplémentaires. Sans parler du coût que cela représente et qu’on pourrait utiliser utilement à améliorer le système d’accueil, par exemple.

 

Lexbase : Le troisième axe développé par le projet de loi concerne l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour en assouplissant les démarches pour des publics ciblés tels que les entrepreneurs, les étudiants ou les victimes des mariages forcés. Ces mesures vous semblent-elles aller dans le bon sens ?

 

Madame Pascale Taelman : Là on sort complètement du champ spécifique de l’asile. On est clairement dans le domaine de l’immigration «choisie», puisque cela concerne les étudiants ayant un niveau master ou assimilé, les chercheurs, les créateurs d’entreprises, constituant les fleurons de l’immigration souhaitée.  Alors oui, pour cette catégorie de personnes il y a un certain progrès.

De même, l’article 29 étend aux victimes de violences «familiales» et non seulement «conjugales» la possibilité d’obtenir un titre de séjour prévu par l’article L. 316-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9540I3Q) ; c’est évidemment un point positif. Cependant, très peu de personnes seront concernées du fait de l’exigence de conditions très restrictives, et en particulier qu’il y ait eu une condamnation définitive de l’agresseur

.

Lexbase : Enfin, quels sont, selon vous, les autres pistes qui devraient être explorées pour améliorer le système d’asile français ?

 

Madame Pascale Taelman : Il faudrait commencer par réfléchir différemment et redonner à la Convention de Genève [4] et aux termes mêmes de notre Constitution (N° Lexbase : L0826AH3) tout leur sens. Il faudrait envisager que l’on puisse obtenir des visas dans nos ambassades pour cause d’asile, ce qui éviterait bien des drames tels que ceux de la Méditerranée ; il faudrait retrouver notre tradition d’accueil au lieu de ne réfléchir qu’en termes d’exclusion.

 

[1] Communiqué de Presse du ministère de l’Intérieur.

[2] V., notamment, l’avis de «La Cimade».

[3] CE avis, 15 février 2018, n° 394206 (N° Lexbase : A1476XEE).

[4] Convention relative au statut des réfugiés, Genève du 28 juillet 1951 (N° Lexbase : L6810BHP).

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