La lettre juridique n°738 du 12 avril 2018 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Mise en place de la DUP et consultation du CHSCT

Réf. : Cass. soc., 28 mars 2018, n° 17-60.068, FS-P+B (N° Lexbase : A8777XIW)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 11 Avril 2018

DUP/mise en place/consultation du CHSCT/prorogation des mandats

 

 


 

Résumé

Est irrégulière la consultation du CHSCT intervenue alors qu’à la date à laquelle le CHSCT avait été consulté sur la mise en place d'une DUP, les mandats de ses membres étaient expirés et qu'il n'avait pas été procédé à leur prorogation.

 

Les deux acronymes figurant dans l’intitulé du présent commentaire paraissent en révéler le caractère anachronique. Ce serait le cas si le comité social et économique s’était immédiatement substitué aux institutions représentatives du personnel que l’on connaissait antérieurement. On sait que tel n’est pas le cas puisque l’instance nouvelle peut être mise en place progressivement jusqu’au 31 décembre 2019. En outre, il y a lieu de penser qu’à cette date certains litiges intéressant délégation unique du personnel (DUP), CHSCT, comité d’entreprise et délégués du personnel seront encore pendants devant la Cour de cassation. On comprend, dès lors, que l’on aurait tort de négliger les décisions qui les concernent, spécialement lorsqu’elles sont publiées. Dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 28 mars 2018, était en cause la mise en place irrégulière d’une DUP, faute d’une consultation valable du CHSCT.

 

Observations

 

I - La mise en place de la DUP

 

Une décision unilatérale de l’employeur. Instituée par la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 (N° Lexbase : L7486AI4), la DUP relevait alors uniquement du libre choix de l’employeur. Dans les entreprises de moins de deux cents salariés, ce dernier pouvait, par simple décision unilatérale, décider de fusionner délégués du personnel et comité d’entreprise. La loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite loi «Rebsamen» a très sensiblement modifié le dispositif. En premier lieu, le pouvoir unilatéral de l’employeur a été accru à deux égards. Outre que la faculté de constituer une DUP a été étendue aux entreprises de moins de trois cents salariés, l’employeur pouvait décider de fusionner délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT. En second lieu, dans les entreprises franchissant le seuil précité, un accord collectif pouvait instituer une DUP. Dans cette hypothèse, et à la différence de la précédente, la loi admettait une «fusion partielle» ; l’accord pouvant prévoir le regroupement de deux institutions seulement.

 

Ainsi, au lendemain de la loi «Rebsamen», la faculté de simplifier l’architecture des institutions représentatives du personnel était ouverte à toutes les entreprises. Mais tandis que cette simplification était réservée à la décision unilatérale de l’employeur dans un cas[1], elle relevait de la négociation dans l’autre.

 

Une décision soumise à consultation. A s’en tenir à la constitution de la DUP par simple décision unilatérale de l’employeur qui, seule, nous intéressera ici, le législateur avait pris soin, dès l’origine, de prévoir qu’une telle décision ne pouvait être prise sans qu’aient été consultées les institutions représentatives du personnel concernées. Nonobstant cette exigence, on avait pu se demander si le législateur pouvait ainsi renvoyer la mise en œuvre du principe de participation des travailleurs à une décision unilatérale de l’employeur. Cette question ne devait-elle pas relever, pour le moins, de la négociation collective ?

 

Saisi de la loi du 20 décembre 1993, le Conseil constitutionnel avait estimé qu’eu égard aux précisions et garanties prévues par le texte, une simple concertation préalable suffisait[2]. Suffisante, la consultation des institutions représentatives du personnel en place n’en restait pas moins éminemment nécessaire. Par voie de conséquence, il pouvait être considéré que tout manquement à cet égard devait se solder par l’annulation des élections, alors même qu’en principe[3], les irrégularités relatives à l'organisation et au déroulement d'un scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur les résultats de l'élection.

 

C’est la solution que la Cour de cassation a consacré dans un arrêt rendu le 7 décembre 2016. Visant l’article L. 2326-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5569KGD) dans sa version antérieure à la loi «Rebsamen», la Chambre sociale rappelle que «pour décider qu'ils constitueront la délégation du personnel au comité d'entreprise, l'employeur doit consulter les délégués du personnel, ainsi que s'il existe, le comité d'entreprise». Elle en déduit «qu'en l'absence de cette consultation, les élections des délégués du personnel appelés à constituer la délégation du personnel au comité d'entreprise, sont entachées d'une irrégularité justifiant leur annulation»[4].

 

Pleinement justifiée, cette solution devait certainement valoir pour la DUP «nouvelle formule». C’est ce que confirme l’arrêt sous examen, tout en apportant une importante précision sur les exigences auxquelles est subordonnée une consultation régulière.

 

II - Une consultation irrégulière

 

L’affaire. Etait, en l’espèce, en cause la société Dumez Auvergne qui, employant cent vingt salariés, était pourvue d'un comité d'entreprise, d'un CHSCT et de délégués du personnel. Les instances représentatives du personnel avaient été informées, le 19 juillet 2016, du projet de la direction de mettre en place une délégation unique du personnel, le premier tour des élections étant prévu pour le 25 novembre 2016.

Pour débouter le syndicat USCBA CGT 63 de sa demande d'annulation des élections, et dire que la consultation des membres du CHSCT avait été régulière, le jugement attaqué avait retenu que le procès-verbal de la réunion exceptionnelle du comité permettait d'établir que la condition de consultation prévue par les textes avait été remplie et que le seul fait que les mandats de ses membres soient expirés à la date de la consultation ne permettait pas de remettre en cause la régularité de cette consultation, dès lors que la société pouvait mettre en place une délégation unique du personnel telle qu'issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 à l'occasion du renouvellement du CHSCT et ce, même si ce renouvellement n'intervenait pas au terme exact des mandats.

 

La décision des juges du fond est censurée au visa de l’article L. 2326-1 du Code du travail alors applicable. Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, en application de ce texte, «pour décider qu'ils constitueront la délégation unique du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), l'employeur doit consulter les délégués du personnel, ainsi que s'ils existent, le comité d'entreprise et le CHSCT [et] que la durée des mandats des délégués du personnel, des membres du comité d'entreprise et du CHSCT peut être prorogée ou réduite dans la limite de deux années, de manière à ce que leur échéance coïncide avec la date de mise en place de la délégation unique». Pour la Chambre sociale, «il en résulte qu'en l'absence de décision de prorogation, la consultation des membres du CHSCT dont les mandats sont expirés est irrégulière et qu'il s'ensuit que les élections des délégués du personnel appelés à constituer la délégation du personnel au comité d'entreprise sont elles-mêmes entachées d'une irrégularité justifiant leur annulation».

En conséquence, en statuant comme il l’a fait, «alors qu'il avait constaté qu'à la date à laquelle le CHSCT avait été consulté sur la mise en place d'une délégation unique du personnel, les mandats de ses membres étaient expirés et qu'il n'avait pas été procédé à leur prorogation, de sorte que la consultation du CHSCT était irrégulière, le tribunal a violé le texte susvisé».

 

Une solution justifiée. Ainsi qu’il a été dit précédemment, la décision commentée doit être située dans le prolongement de l’arrêt précité rendu le 7 décembre 2016. La décision unilatérale de l’employeur de constituer une DUP regroupant délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT doit être précédée d’une consultation de chacune de ces institutions représentatives du personnel, sous peine d’annulation de l’élection des délégués du personnel appelés à constituer la délégation du personnel au comité d’entreprise et au CHSCT[5]. Mais là n’est pas l’apport majeur de l’arrêt qui concerne la régularité de cette consultation.

Il faut, à cet égard, rappeler que si le CHSCT avait bien été consulté, en l’espèce, sur la mise en place d’une DUP, c’était à une date où les mandats de ses membres étaient expirés. De notre point de vue, cela suffit pour admettre que la consultation est irrégulière. Faute de détenir un mandat valable, ses membres ne sont plus en mesure d’exprimer juridiquement l’intérêt de la collectivité des travailleurs qu’ils représentent. Mais la solution est renforcée par les dispositions particulières de l’article L. 2326-1, ancien du Code du travail.

A lire ce texte, la mise en place de la DUP ne peut intervenir à n’importe quel moment. Elle n’est possible que lors de la constitution de l’une des institutions concernées par la fusion ou le renouvellement de l’une d’entre elles. Le législateur a pris soin de préciser que «la durée du mandat des délégués du personnel, des membres du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut être prorogée ou réduite dans la limite de deux années, de manière à ce que leur échéance coïncide avec la date de mise en place de la délégation unique». Ce texte ne renvoie pas seulement aux modalités techniques et concrètes de mise en place de la DUP. Il évite aussi qu’en raison de sa constitution, les salariés soient, ne serait-ce que momentanément, privés de la représentation du personnel à laquelle ils peuvent prétendre en vertu de la loi. C’est donc, plus fondamentalement, le principe constitutionnel de participation qui se trouve ainsi préservé.

On mesure, dès lors, toute l’importance de la prorogation des mandats arrivés à expiration antérieurement à la mise en place de la DUP, qui relève de la responsabilité de l’employeur. Cette prorogation permet à l’institution représentative du personnel intéressée de continuer à exercer les prérogatives que la loi lui reconnaît dans l’intérêt des salariés, en attendant la mise en place de l’instance appelée à prendre le relais. Parmi ces prérogatives figurent le droit à être consulté sur la constitution de la DUP.

 

Décision

Cass. soc., 28 mars 2018, n° 17-60.068, FS-P+B (N° Lexbase : A8777XIW)

Cassation (TI Clermont-Ferrand, 10 janvier 2017)

Texte visé : C. trav., art. L. 2326-1 alors applicable (N° Lexbase : L5569KGD).

Mots-clefs : DUP ; mise en place ; consultation du CHSCT ; prorogation des mandats.

Lien base : (N° Lexbase : E2047ETY).

 

[1] A dire vrai, rien ne paraissait s’opposer à ce que la DUP soit constituée par accord collectif dans les entreprises de moins de trois cents salariés.

[2] Cons. const., décision n° 93-328 DC du 16 décembre 1993 (N° Lexbase : A8287ACW), Dr. soc. 1994, obs. X. Prétot.

[3] On sait qu’il existe quelques exceptions à cette règle de principe, notamment en cas de manquement aux principes du droit électoral.

[4] Cass. soc., 7 décembre 2016, n° 15-25.317, FS-P+B (N° Lexbase : A3993SPL), RDT, 2017, p. 213, note I. Odoul-Asorey.

[5] Dans son motif de principe, la Cour de cassation oublie de viser cette institution pourtant nécessairement comprise dans le champ de la fusion.

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