La lettre juridique n°733 du 8 mars 2018 : Procédure civile

[Jurisprudence] Péremption d'instance et diligences des parties

Réf. : Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 16-17.618, F-P+B (N° Lexbase : A4857XCU)

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N2944BXC

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par Gabrielle Guizard, Avocate au barreau de Paris, membre de l'Association Droit et Procédure (GGV Avocats à la Cour Rechtsanwälte Paris)

le 08 Mars 2018

Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 1er février 2018, apporte une nouvelle illustration du danger que représente pour les parties au procès la péremption d'instance et donne des précisions sur la nature et les effets des diligences interruptives de la péremption. La péremption d'instance est un mode d'extinction de l'instance venant sanctionner l'inertie procédurale des parties pendant un délai de deux ans. Réglementée aux articles 386 (N° Lexbase : L2277H44) à 393 du Code de procédure civile, ses contours ont été également précisés par la doctrine et une jurisprudence relativement fournie.

Le point de départ de la péremption s'ouvre en principe avec la saisine de la juridiction. Les causes d'interruption de la péremption, au titre desquelles figurent les diligences interruptives accomplies par les parties, anéantissent le délai déjà écoulé et font courir un nouveau délai de deux ans.

Le Code de procédure civile ne définit pas la notion de diligences interruptives, ni ne donne de liste d'actes considérés comme interruptifs de la péremption. Une définition duale s'est dégagée de la jurisprudence et de la doctrine, oscillant entre une conception objective et une conception subjective (1) : les diligences interruptives peuvent se définir comme des démarches processuelles de nature à faire progresser l'affaire (2) ou encore comme celles établissant la volonté du plaideur de poursuivre la procédure (3).

La Cour de cassation avait récemment jugé, dans le cadre d'une instance d'appel, que la péremption d'instance était acquise en l'absence de diligences des parties pendant un délai de deux ans, quand bien même les parties avaient conclu dans les délais impartis par les articles 908 (N° Lexbase : L7239LET) et 909 (N° Lexbase : L7240LEU) du Code de procédure civile et alors que l'affaire était mentionnée "à fixer" sur le RPVA.

Les arguments tenant au respect des délais "Magendie", au droit à un procès équitable issu de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), ou encore au défaut de diligences du conseiller de la mise en état à qui il appartenait de fixer la date de clôture et celle des plaidoiries, avaient tous été balayés par la Cour de cassation qui avait considéré que la péremption d'instance résultait du seul défaut de diligences des parties pendant un délai de deux ans sans que cela porte une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable (4).

L'arrêt commenté apporte de nouvelles précisions s'agissant des diligences interruptives, venant confirmer à quel point le mécanisme de la péremption d'instance peut s'avérer dangereux pour les parties.

Les circonstances de l'affaire étaient les suivantes. La cour d'appel de Rennes était saisie de l'appel d'une société de construction à l'encontre d'un jugement l'ayant condamné à indemniser un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC), tout en la déboutant de son recours contre son assureur. En phase d'appel, l'ensemble des parties avaient toutes conclu et l'appelant avait même demandé au président de la formation de jugement, par lettre du 21 juin 2013, que soit fixée une date de plaidoiries, précisant qu'elle n'entendait pas répliquer.

La Cour de cassation a approuvé la cour d'appel qui a constaté la péremption d'instance sur demande du GAEC en date du 26 juin 2015, retenant que si la demande de fixation formalisée par lettre du 21 juin 2013 était interruptive de la péremption et avait donc eu pour effet de faire courir un nouveau délai, aucune diligence de nature à faire progresser l'affaire ni aucune nouvelle demande de fixation n'étaient ensuite intervenues pendant plus de deux ans, de sorte que l'instance était périmée, peu important à cet égard l'intention déclarée de l'appelante de ne plus conclure.

Dans le droit fil de ses décisions antérieures, et selon une interprétation stricte, la Cour de cassation se prononce à la fois sur la notion de diligences interruptives (I) et sur leurs effets quant au délai de péremption (II).

I - Notion de diligences interruptives de la péremption d'instance

La Cour de cassation précise la notion de diligences interruptives à double titre. Elle considère en premier lieu que la demande de fixation de date de plaidoiries, formalisée par une lettre de l'appelant, est effectivement une diligence interruptive de la péremption.

Cette solution n'est pas nouvelle et avait déjà été retenue en matière de procédure orale (5). Il avait néanmoins été jugé qu'une simple demande de renseignement auprès du greffe, relatée dans des échanges écrits entre avocats ne suffisait pas à interrompre la péremption d'instance (6).

Il est donc acquis maintenant qu'une lettre adressée à la juridiction saisie et demandant la fixation de l'affaire à plaider constitue une diligence interruptive.

La motivation de l'arrêt est intéressante en second lieu en ce que la Cour de cassation semble pencher vers une conception objective et restrictive de la notion de diligence interruptive.

Elle approuve en effet les juges du fond d'avoir constaté la péremption d'instance au motif qu'"aucune conclusion, aucune diligence de nature à faire progresser l'affaire ni aucune nouvelle demande de fixation n'étaient intervenues [...] peu important l'intention déclarée de l'appelante de plus conclure".

On le voit, l'intention clairement affichée de l'appelant de ne plus conclure, non contredite par les autres parties qui n'avaient pas manifesté l'intention de conclure, n'a pas suffi. Alors que l'affaire était manifestement en état d'être plaidée, la Cour s'est attachée à la seule absence de nouvelles diligences interruptives, lesquelles, précise-t-elle ne pouvaient procéder que d'actes matériels de nature à faire progresser l'affaire, tels des conclusions ou une nouvelle demande de fixation.

II - Effet des diligences interruptives de la péremption d'instance

L'arrêt illustre également l'effet qu'ont des diligences interruptives sur le cours de la péremption. Elles font courir un nouveau délai de deux ans qui doit donc de nouveau être interrompu sous peine de péremption.

En l'espèce, la lettre de demande de fixation avait bien eu un effet sur la péremption puisqu'elle l'avait interrompue. Mais un nouveau délai avait donc démarré à compter de cette lettre que les parties devaient s'attacher à interrompre à nouveau.

Cette solution est logique au regard du mécanisme même de la péremption d'instance et de son interruption, tel que prévus par les textes.

Elle révèle néanmoins toute la difficulté qu'ont les plaideurs dans la conduite du procès, alors que c'est in fine la juridiction qui a la maîtrise de l'audiencement de l'affaire et ainsi de son traitement définitif.

A la lecture de l'arrêt, on comprend qu'il faudrait à nouveau conclure, malgré le principe de concentration des moyens imposé par les réformes récentes, et donc même si l'on n'a plus de moyen nouveau ou de pièces à communiquer, ou renouveler la demande fixation jusqu'à ce que la juridiction finisse par fixer une date de clôture et de plaidoirie.

Dès lors, même si elle est parfaitement cohérente au regard du système existant, la jurisprudence de la Cour de cassation apparait sévère car elle pénalise le justiciable alors que le problème de fond n'est autre que celui de la lenteur de la justice.

Il est vrai que l'appelant n'a pas contribué à accélérer les choses, en laissant passer un nouveau délai de deux ans (tout de même long) sans se manifester auprès de la juridiction.

L'enseignement à tirer de cet arrêt est donc la nécessité pour les parties à un procès, en pratique surtout le demandeur ou l'appelant, de redoubler d'attention quant à l'écoulement du temps. Si la juridiction ne fixe pas d'elle-même un calendrier rapproché, il convient de se manifester en continu et par des actes écrits pour faire avancer l'instance.

Cette exigence est encore accrue par le fait que, depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2664LEE), le juge a désormais la faculté de prononcer d'office la péremption d'instance.


(1) Droit et pratique de la procédure civile, sous la direction de Serge Guinchard, Dalloz Action 2017-2018, n° 352. 394.
(2) Cass. civ. 3, 11 décembre 1991, n° 87-19.680 (N° Lexbase : A0924ABT), Bull. civ. II, n° 315 ; Cass. civ. 3, 20 décembre 1994, n° 92-21.536 (N° Lexbase : A7425ABM), Bull. civ. III, n° 227.
(3) V. not. Cass. civ. 2, 11 septembre 2003, n° 01-12.331, FS-P+B (N° Lexbase : A5208C9R), Bull. civ. II n° 256.
(4) Cass. civ. 2, 16 décembre 2016, n° 15-27.917, FS-P+B+I ([LXB=A2215SXC ] ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1365EU4).
(5) Cass. civ. 2, 30 avril 2009, n° 07-16.467, FS-D (N° Lexbase : A6439EGL).
(6) Cass. civ. 2, 15 avril 1991, n° 90-11.412 (N° Lexbase : A5045AHC), Bull. civ. II n° 131.

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