Réf. : Cass.civ.1, 14 février 2018, n°16-20.278, F-P+B (N° Lexbase : A7689XD7)
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N3020BX7
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par Murielle Gamet, Notaire associée, SAS Cheuvreux
le 08 Mars 2018
A - Tentative de qualification juridique
Le séquestre est selon le Code civil, un type de dépôt. Il en diffère pourtant dans la mesure où un dépôt tend à conserver des biens alors que le séquestre conserve des droits. Autre distinction, le dépôt ne peut concerner que des biens meubles tandis que le séquestre a une vocation tant immobilière que mobilière. Certains auteurs et une partie de la jurisprudence tendent à le rapprocher du mandat. Or, il s'en distingue.
Le séquestre ne renferme aucune idée de représentation et n'a aucun pouvoir d'administration. Le séquestre dispose principalement du pouvoir de conserver (1) et accessoirement celui d'administrer (2).
Certains auteurs affirment que le séquestre judiciaire est un règlement ordonné par le juge et d'autres préfèrent le qualifier de quasi-contrat.
Le Professeur Alain Bénabent plaide en faveur d'un contrat judiciairement formé dont les parties sont d'une part, le séquestre [...], d'autre part, le plaideur qui a demandé cette mesure. Ce contrat serait judiciaire car seul le juge peut le former et l'imposer. Le séquestre n'accepte pas sa mission aux termes d'un contrat mais se la voit imposer par la force judiciaire.
L'arrêt précisant que "M. Patrice Y n'étant lié au notaire par aucun contrat", il faut en déduire que pour la première chambre civile de la Cour de cassation, le séquestre constitué par voie judiciaire ne serait pas de nature contractuelle.
B - Constitution du séquestre judiciaire
"Le séquestre est ou conventionnel ou judiciaire". Il faut entendre par séquestre judiciaire tout séquestre institué par une décision judiciaire pour placer un bien sous la main et la sauvegarde de justice. Peu importe que la désignation du séquestre résulte d'une décision de justice ou d'un texte précis qui la prévoit dans le cadre d'une procédure déterminée (3).
"Lorsqu'il est judiciaire, la justice peut ordonner le séquestre des meubles saisis sur un débiteur, d'un immeuble ou d'une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes ou des choses qu'un débiteur offre pour sa libération" (4). La Cour de cassation a même qualifié celui qui a été désigné séquestre, d'auxiliaire de justice occasionnel (5). En conséquence, le séquestre judiciaire s'oppose donc au séquestre conventionnel, désigné consensuellement par les parties. En l'espèce, le notaire a été nommé séquestre par décision de justice d'immeubles et de valeurs mobilières. Il revêt donc la qualification de séquestre judiciaire.
II - Le régime du séquestre judiciaire
A - Au regard de la responsabilité du notaire séquestre
La responsabilité civile du séquestre répond aux règles de droit commun. Sa mise en oeuvre exige une faute, un préjudice et un lien de causalité.
La responsabilité extracontractuelle fait naître à la charge de la personne à laquelle une faute est imputable une obligation de réparation au profit de la victime.
Le séquestre a des obligations notamment édictées à l'article 1962 du Code civil ([LXB=L2185AB]]) dans sa version antérieure à la loi du 4 aout 2014, lequel stipule que "l'établissement d'un gardien judiciaire produit, entre le saisissant et le gardien, des obligations réciproques. Le gardien doit apporter, pour la conservation des effets saisis, les soins d'un bon père de famille".
Le séquestre est responsable même en cas de faute très légère (6). Mais, il pourra se dégager de sa responsabilité par la preuve d'une absence de faute de sa part (7). Toutefois, la cour d'appel d'Aix-en-Provence (8) a rendu responsable un séquestre judiciaire de dégradations commises sur un immeuble dans la mesure où il ne démontrait pas l'absence de faute de sa part.
La notion de responsabilité extracontractuelle est plus large que celle de responsabilité délictuelle. Le délit suppose une faute intentionnelle, alors que la responsabilité civile peut être engagée par une faute d'imprudence ou de négligence. Par ailleurs, la notion de responsabilité extracontractuelle est plus large que celle de responsabilité délictuelle fondée sur l'ancien article 1382, désormais 1240 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9). Elle englobe les régimes spéciaux de responsabilité qui s'appliquent à toutes les victimes, indépendamment de leur qualité de tiers ou de parties.
En l'espèce, le séquestre n'avait pas de lien contractuel avec les héritiers du défunt. Il ne pouvait donc s'agir de responsabilité contractuelle. Il n'avait pas commis de délit qui pouvait engager une responsabilité délictuelle. En revanche, son inaction a eu pour conséquences la perte des terrains et du portefeuille de valeurs mobilières qu'il avait obligation de conserver en sa qualité de séquestre, ou encore la limitation du montant des indemnités d'occupation dues par un héritier occupant sans titre. Par sa négligence ou son inaction, le séquestre a causé un préjudice aux héritiers. Sa responsabilité extracontractuelle devait donc être engagée.
B - Au regard de la prescription des actes
L'article 2270-1 du Code Civil dans sa version antérieure au 17 juin 2008 (N° Lexbase : L2557ABC) dispose que "les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation"
Le délai de prescription est donc de dix ans et son point de départ est défini par le texte. Dans notre espèce, l'héritier reprochait au notaire l'occupation sans titre et à titre gratuit de la villa par Jérôme Y depuis 1958 laquelle indemnité d'occupation avait été fixée par l'arrêt du 20 mars 1995. En ce qui concerne la perte des terrains et du portefeuille de valeurs mobilières, les héritiers avaient eu connaissance du recel de ces terrains au détriment de la succession par le même arrêt d'appel. La date de cette décision de justice marque donc le point de départ de la prescription. A défaut d'actes interruptifs pendant les dix années qui ont suivi, elle est intervenue le 20 mars 2005. Toutes ces actions étaient donc prescrites depuis cette date-là.
(1) Cass. civ. 1, 18 mars 1959, JCP, IV, 50 ; Bull. civ, I, n° 169, p 140.
(2) Cass. civ. 1, 7 octobre 1953, JCP 53, IV, 158, Bull. civ I, n° 267, p. 220.
(3) JCl not., Rep, Fasc 10, n° 34.
(4) C. civ., art 1956 (N° Lexbase : L2179ABC).
(5) Cass. civ. 2, 1er juin 1967, Bull. civ.II, n° 205, p 143.
(6) Cass.civ. 2, 14 novembre 1956, Bull civ. II, n° 586, p. 378.
(7) Cass. civ. 2, 2 juillet 1997, n° 95-20.154 (N° Lexbase : A0734AC8), JCP éd. G, IV, 1997.
(8) CA Aix-en-Provence, 14 octobre 1999, n° 95/00281.
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