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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
le 05 Mai 2011
Brigitte Bogucki : C'est une vraie question... Il existe des tenants de la caducité, d'autres de la nullité. S'agissant de cette dernière, il me semble difficile de pouvoir envisager la nullité d'un mariage du fait du changement de sexe à l'état civil obtenu par l'un des époux transsexuels.
Le problème de la nullité est qu'elle est rétroactive. C'est la raison pour laquelle on a créé en droit français le mariage putatif (C. civ., art. 201 du Code civil N° Lexbase : L1962ABB). Le mariage putatif est un mariage nul, mais qui, en raison de la bonne foi de l'un au moins des époux, est réputé valable pour le passé à l'égard de cet époux. A l'égard des enfants, le mariage nul est toujours un mariage putatif, même si les deux époux sont de mauvaise foi. Les effets de la nullité ne se produisent donc que pour l'avenir. Mais le mariage putatif ne peut être envisagé dans le cas du mariage d'un transsexuel auparavant marié.
En effet, au regard de la théorie générale de la nullité :
- tout d'abord, il n'y a pas de nullité sans texte ;
- ensuite, la nullité doit avoir un lien avec les conditions dans lesquelles le mariage a été conclu ; or, dans le cas d'un transsexuel, le mariage a été conclu parfaitement régulièrement entre un homme et une femme. La nullité ne peut être appréciée qu'au moment où les époux ont contracté.
Je ne vois donc pas à quel titre on pourrait envisager qu'il y ait nullité du mariage.
Si la Cour de cassation n'a pas encore eu à statuer sur cette question, il faut signaler un arrêt rendu par la cour d'appel de Caen, le 12 juin 2003, qui a reconnu à un transsexuel, qui s'était marié avant son opération, la possibilité d'obtenir le changement de son sexe à l'état civil tout en conservant le statut de rester marié à son épouse. Les juges ont, en effet, considéré que "l'ordre public [...] qui accepte que le transsexualisme puisse justifier la rectification de l'état civil, n'est pas affecté et troublé par la coexistence chez une même personne, à un moment donné, d'une appartenance au sexe féminin et du statut de conjoint d'une femme".
Lexbase : Dans quelle mesure peut-on envisager la caducité du mariage ?
Brigitte Bogucki : S'agissant de la caducité du mariage du fait du changement de sexe à l'état civil de l'un des époux, là encore, il me semble problématique d'envisager une telle solution.
Certes, la jurisprudence française a dit que le mariage était l'union d'un homme et d'une femme (2). On peut donc effectivement se poser la question, à partir du moment où il apparaît que le mariage existe entre deux personnes du même sexe, de savoir à quel moment un mariage valide deviendrait caduc, autrement dit de savoir à partir de quel moment devient-on du même sexe ?
Le problème est que la jurisprudence (3) considère aujourd'hui qu'il n'y a plus nécessairement besoin d'opération pour être reconnu comme ayant changé de sexe, ce changement pouvant résulter d'un traitement d'hormonothérapie, le critère étant alors celui du caractère irréversible du changement de sexe ou de genre consécutif. Mais le moment à partir duquel la personne devient irréversiblement de l'autre sexe est indéterminable.
Donc le moment à considérer de la caducité du mariage ne peut être envisagé que comme étant celui d'une décision qui fixe la date à laquelle a lieu le changement de sexe à l'état civil.
Mais cela implique qu'il existerait un laps de temps durant lequel la personne serait physiologiquement d'un certain sexe, et légalement d'un autre, tout en étant légalement mariée.
Un autre problème se pose, également, si l'on envisage qu'il puisse y avoir une caducité automatique du fait du changement de sexe à l'état civil de son conjoint : quid de la personne qui ne veut pas que son mariage devienne caduc, et qui ne demandera pas la modification de son état civil pour éviter de tomber dans la caducité ?
En tout état de cause, là encore, il me semble difficile de penser qu'il puisse y avoir une caducité, sans texte, du fait du changement de sexe à l'état civil. Et j'imagine mal aujourd'hui en l'état de la politique actuelle, que notre législateur se lance sur un texte sur le sujet.
Lexbase : Comment une procédure de divorce peut-elle être envisagée par un couple dont l'un des époux est transsexuel ?
Brigitte Bogucki : Contrairement à la nullité ou la caducité du mariage, le divorce ne me semble pas problématique à envisager pour les époux qui souhaitent se séparer.
Le choix est alors classique entre l'amiable, qu'il s'agisse du consentement mutuel pur et simple ou de l'acceptation du principe du divorce, et le divorce pour faute.
C'est sur ce sujet que le décret n° 2010-125 du 8 février 2010 (N° Lexbase : L5332IGL), portant modification de l'annexe figurant à l'article D. 322-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2333IP4) relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l'affection de longue durée "affections psychiatriques de longue durée", et qui fait sortir le transsexualisme de la liste des affections psychiatriques, risque d'avoir pour conséquence la possibilité pour le conjoint d'un transsexuel de pouvoir divorcer pour faute.
En effet, jusqu'à cette décision le transsexualisme appelé aussi le syndrome de Benjamin relevait des affections psychiatriques de longue durée et il était reconnu à ce titre comme une pathologie.
Dans la mesure où la faute, telle que définie pour un divorce, nécessite un acte volontaire de la part de l'époux pour être considéré comme fautif, le fait même qu'il s'agisse d'une affection psychiatrique reconnue involontaire, qui s'impose à la personne concernée rendait impossible l'assimilation du transsexualisme à une faute.
Aujourd'hui, le transsexualisme n'étant plus légalement une affection psychiatrique, on peut craindre que dans le cadre d'une procédure de divorce un transsexuel puisse être divorcé à ses torts exclusifs du fait de son transsexualisme.
On est là bien loin des droits fondamentaux des personnes transgenres tels qu'ils sont mis en avant par le Conseil de l'Europe.
Je pense que le législateur n'a pas mesuré les effets engendrés par le fait d'avoir retiré le syndrome de Benjamin des pathologies psychiatriques, ce qui ouvre la voie au divorce pour faute.
Lexbase : Que pensez-vous de la solution consistant à imposer le divorce antérieurement au changement de sexe à l'état civil, solution retenue dans certains pays européens et par la CEDH ?
Brigitte Bogucki : Sur l'opportunité de retenir une telle solution en France, je n'y crois pas.
On se retrouve, en effet, dans une situation juridique en France tout à fait bancale dans la mesure où l'interdiction du mariage aux homosexuels pose, ou va nécessairement poser problème, à un moment ou à un autre, au niveau du droit européen.
Prenons l'hypothèse d'un Français et d'un Espagnol qui se marient en Espagne et vivent au début de leur union ensemble à Madrid. Au bout de quelques années, ils quittent l'Espagne pour s'installer à Paris. Puis, ils décident de se séparer, et veulent divorcer autrement que par consentement mutuel. Au regard du droit européen, le seul tribunal compétent pour statuer est la France. Les juges français peuvent-ils refuser de statuer sur le divorce alors que le mariage est valide en France ? La même situation se pose le jour où les époux homosexuels décident d'adopter un enfant, selon les modalités d'adoption des couples mariés. En France, on leur oppose que ce n'est pas possible alors qu'ils sont bien mariés.
Donc, quoi qu'il en soit, il existe deux ou trois cas de figure dont on sait très bien qu'ils vont nécessairement arriver un jour, et qui imposeront une évolution du système français au regard du système européen.
Donc la création d'une procédure consistant à imposer le divorce antérieurement au changement de sexe à l'état civil ne me semble pas envisageable au regard du droit européen.
(1) cf. : http://www.adr-avocat.com ; http://www.cyber-avocat.com.
(2) Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-16.627, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6575DU3) ; Cons. const., décision n° 2010-92 QPC, du 28 janvier 2011 (N° Lexbase : A7409GQH).
(3) CA Rennes, 6ème ch., 26 octobre 1998, n° 97/07389 (N° Lexbase : A4183GGZ), Dalloz, 1999, p. 508, comm. M. Friant-Perot ; CA Aix-en-Provence, 6ème ch., sect. A, 9 novembre 2001, n° 00/20236 (N° Lexbase : A2833GGZ).
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