Réf. : Cons. const., 29 avril 2011, n° 2011-122 QPC N° Lexbase : A2798HPC)
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par Christophe Radé, Professeur agrégé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 05 Mai 2011
Résumé
L'exclusion de certaines catégories de travailleurs défavorisés du décompte des effectifs est destinée à leur venir en aide car elle vise à améliorer l'emploi des jeunes et des personnes en difficulté et à leur faire acquérir une qualification professionnelle ; elle répond ainsi à une fin d'intérêt général et n'est pas, dès lors, contraire au principe d'égalité. Le principe de participation des travailleurs a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés. En excluant du décompte des effectifs certaines catégories de travailleurs pour les règles relatives à la représentation du personnel, le législateur a entendu alléger les contraintes susceptibles de peser sur les entreprises afin de favoriser l'insertion ou le retour de ces personnes sur le marché du travail, ce qui fait que la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi. Cette exclusion n'a pas de conséquences sur les droits et obligations des salariés en cause, ne leur interdit pas, en particulier, d'être électeur ou éligible au sein des instances représentatives du personnel de l'entreprise dans laquelle ils travaillent, et ne porte donc pas atteinte, en lui-même, au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. Cette exclusion ne fait pas obstacle au droit des salariés de constituer librement une organisation syndicale ou d'adhérer librement à celle de leur choix. |
Commentaire
I - Le texte contesté
Article contesté. Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. QPC, 16 février 2011, n° 10-40.062, F-D N° Lexbase : A1762GXK) d'une QPC portant sur l'article L. 1111-3 du Code du travail. Rappelons que ce texte dispose qu'à l'exception "des dispositions légales relatives à la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles", "ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l'entreprise : 1° Les apprentis ; 2° Les titulaires d'un contrat initiative-emploi , pendant la durée de la convention prévue à l'article L. 5134-66 ([LXB=L0949IC7 ]) ; 4° Les titulaires d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi pendant la durée de la convention mentionnée à l'article L. 5134-19-1 (N° Lexbase : L8431IM9) ; 6° Les titulaires d'un contrat de professionnalisation jusqu'au terme prévu par le contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée ou jusqu'à la fin de l'action de professionnalisation lorsque le contrat est à durée indéterminée".
Article validé. Les requérants contestaient la conformité de cette exclusion au principe d'égalité devant la loi, au principe de la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.
Aucun de ces arguments n'a convaincu le Conseil constitutionnel qui valide sans réserve ce texte.
II - L'atteinte au principe d'égalité
Une formule classique. Le Conseil reprend dans sa décision (cons. 3) les termes de sa jurisprudence constante dégagée depuis 1988 en matière de principe d'égalité aux termes de laquelle "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (1).
La promotion des catégories défavorisées de travailleurs. Pour le Conseil constitutionnel, la raison d'intérêt général qui justifie que certains travailleurs soient exclus du décompte des effectifs est à rechercher dans la volonté du législateur de venir en aide à des catégories défavorisées de travailleurs, en raison de leur âge ou de leur faible "employabilité" et le temps qu'ils intègrent une catégorie "normale" entrant dans le décompte des effectifs (cons. 4 et 7).
L'argument n'est, là encore, pas nouveau et avait été utilisé dernièrement pour valider le régime de la mise à la retraite des vieux travailleurs en âge de partir à taux plein (2), et déjà en 2005 pour valider les dispositions de la loi (loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L8804G9X) autorisant le Gouvernement à adopter par voie d'ordonnance des mesures d'urgence pour l'emploi et l'exclusion des jeunes de moins de 26 ans des effectifs (3). Le Conseil constitutionnel avait à l'époque indiqué "qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes rencontrant des difficultés particulières". Il avait donc considéré que le législateur "pouvait donc, en vue de favoriser le recrutement des jeunes âgés de moins de vingt-six ans, autoriser le Gouvernement à prendre des dispositions spécifiques en ce qui concerne les règles de décompte des effectifs, que les salariés ne seront pas traités différemment selon leur âge au sein d'une même entreprise, que les règles de droit commun en matière de décompte des effectifs s'appliqueront à nouveau lorsque les intéressés atteindront l'âge de vingt-six ans". Cette décision n'a toutefois pas suffit à sauver durablement un texte qui a été jugé contraire au droit communautaire par la CJCE (4).
Cette analyse fut confirmée en 2006 s'agissant de la mise en oeuvre du contrat "première embauche". Dans sa décision en date du 30 mars 2006, le Conseil a considéré que "le législateur pouvait [...], compte tenu de la précarité de la situation des jeunes sur le marché du travail, et notamment des jeunes les moins qualifiés, créer un nouveau contrat de travail ayant pour objet de faciliter leur insertion professionnelle" (5). On sait toutefois ce qu'il advint de ce contrat "première embauche" qui fut remplacé très rapidement par un autre dispositif (6) et qui, en toute hypothèse, aurait fini, et pour les mêmes raisons, par subir les foudres de la Cour de cassation en raison de sa contrariété avec la Convention n° 158 de l'OIT (7).
Des arguments comparables ont permis de valider sur le plan constitutionnel des mesures visant à favoriser les femmes en 2003 à propos de la réforme des retraites (8).
Dans cette nouvelle décision relative à l'exclusion des effectifs, le Conseil persiste donc, et signe (cons. 5) : "le législateur pouvait donc, en vue d'améliorer l'emploi des jeunes et des personnes en difficulté et leur faire acquérir une qualification professionnelle, autoriser des mesures propres à ces catégories de travailleurs" et "les différences de traitement qui peuvent en résulter entre catégories de travailleurs ou catégories d'entreprises répondent à ces fins d'intérêt général et ne sont pas, dès lors, contraires au principe d'égalité".
Un contrôle des motifs minimaliste. Le moins que l'on puisse dire est que le Conseil ne cherche pas réellement à entrer dans une logique de contrôle des motifs justifiant ces mesures. On entend en effet que l'exclusion de certaines catégories de travailleurs économique "peu rentables" est de nature à rendre leur embauche plus attractive en ne dissuadant pas les employeurs qui seraient proches de certains seuils fatidiques (11 ou 50) de les embaucher. Mais on peut s'interroger sur le sérieux de ces arguments et nous serions curieux de savoir si des études dignes de ce nom ont été menées pour déterminer l'impact positif de ces mesures sur l'emploi.
Comme d'habitude, le Conseil se satisfait d'un certain discours que lui sert volontiers le Gouvernement sur le sujet sans véritablement chercher à en vérifier la pertinence, ce qui rend finalement le contrôle du respect par le législateur du principe d'égalité essentiellement formel. Il est d'ailleurs symptomatique de relever que le commentaire aux Cahiers de la décision fait bien référence à "la justification de ces dispositions, telle qu'avancée par le législateur " (p. 3) ; c'est tout dire... Or, ces justifications sont parfois plus que douteuses et on aimerait voir le Conseil plus exigeant avec le Parlement, compte tenu des enjeux constitutionnels.
III - L'atteinte au principe de participation et à la liberté syndicale
L'argument. Le demandeur prétendait également que l'article L. 1111-3 du Code du travail privait les catégories de salariés exclus du décompte des effectifs du droit à la participation à la détermination de leurs conditions de travail, au sens où l'entend l'alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94).
Titulaires du droit à la participation. Le Conseil commence par rappeler une précédente décision rendue en 2006 aux termes de laquelle "ce droit a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés", ce dont il avait déduit à l'époque qu'il n'était pas possible d'exclure du corps électoral des travailleurs associés étroitement à l'activité de l'entreprise sous prétexte qu'ils n'y seraient pas salariés (9).
Une solution justifiée. Surtout, et comme le relève le Conseil, l'exclusion de ces catégories de salariés ne portent que sur le décompte des effectifs et nullement sur la qualité d'électeur ou d'éligible, dont on sait qu'elles sont indépendantes de la prise en compte au titre de l'effectif de l'entreprise (10). Dans ces conditions, et du point de vue du droit à participation des salariés, le texte incriminé était neutre, tout comme il n'interdisait nullement aux salariés d'adhérer au syndicat de leur choix.
(1) Cons. const., 7 janvier 1988, n° 87-232 DC, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole (N° Lexbase : A8176ACS), cons. 10.
(2) Cons. const., 4 février 2011, n° 2010-98 QPC (N° Lexbase : A1691GR3), v. nos obs., Actualité de la QPC en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 429 du 24 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4949BRQ).
(3) Cons. const., 22 juillet 2005, n° 2005-521 DC (N° Lexbase : A1642DKZ).
(4) CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-385/05 (N° Lexbase : A5728DTC).
(5) Cons. const., 30 mars 2006, n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances (N° Lexbase : A8313DN9).
(6) Sur le dispositif du CPE, Ch. Radé, Feu le contrat première embauche, RDC, 2006, p. 768 s..
(7) Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-44 .124, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4245D94), RDT, 2008. 504, avis J. Duplat.
(8) Cons. const., 14 août 2003, n° 2003-483 DC, Loi portant réforme des retraites ([LXB=A5188C9Z ]).
(9) Cons. const., 28 décembre 2006, n° 2006-545 DC (N° Lexbase : A1487DTA).
(10) Dernièrement, à propos des salariés mis à disposition, Cass. soc., 19 janvier 2011, n° 10-60.296, F-P+B (N° Lexbase : A2991GQT), v. les obs. de S. Tournaux, Le salarié mis à disposition, membre de l'effectif sans être électeur ?, Lexbase Hebdo n ° 426 du 3 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3364BRZ).
Décision
Cons. const., 29 avril 2011, n° 2011-122 QPC (N° Lexbase : A2798HPC) Texte validé : C. trav., art. L. 1111-3 (N° Lexbase : L0924IC9) Mots-clés : effectif, exclusion Liens base : (N° Lexbase : E1591ET4) |
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