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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III
le 05 Mai 2011
L'administration peut engager des poursuites pénales aux fins de faire sanctionner le délit de fraude fiscale. Rappelons que les articles 1741 (N° Lexbase : L1670IPK) et suivants du CGI énoncent qu'une personne est coupable d'un tel délit lorsqu'elle s'est frauduleusement soustraite, ou a tenté de se soustraire frauduleusement, à l'impôt. Peu importe la nature du procédé utilisé. La preuve du caractère intentionnel incombe aux parties poursuivantes, qui sont l'administration et le ministère public.
Il n'est nullement nécessaire que l'administration constate des manoeuvres frauduleuses, la seule dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt suffit (Cass. crim., 2 juillet 1998, n° 97-83.483, publié au Bulletin N° Lexbase : A5218ACA ; Droit fiscal, 1999, 434, note Tixier et Lamulle).
L'administration ne peut porter plainte qu'après avoir recueilli un avis favorable de la Commission des infractions fiscales.
L'article L. 230 du LPF prévoit que "les plaintes peuvent être déposées jusqu'à la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l'infraction a été commise". Précisons que ce délai est suspendu pendant une durée de six mois entre la date de la saisie de cette commission et celle à laquelle elle rend un avis qui n'est pas motivé.
En l'espèce, le contribuable a saisi la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité rédigée ainsi : "l'article L. 230 du LPF est-il conforme à l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) et à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ?".
On savait déjà que la plainte de l'administration ne constitue pas un acte de poursuite ou d'instruction au sens de l'article 7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2876HID), et n'a pas d'effet interruptif de la prescription de l'action publique (Cass. com., 17 mai 1989, n° 88-80.603, publié au Bulletin N° Lexbase : A3064AUZ ; RJF, 1990, 1, comm. 99). La prescription de l'article L. 230 susvisé commence à courir au jour où l'infraction a été commise. En outre, la plainte de l'administration, préalable aux poursuites du chef de fraude fiscale, n'a pas d'effet interruptif de prescription (Cass. com., 7 avril 1992, n° 91-82.842, publié au Bulletin N° Lexbase : A0609AB8 ; RJF, 1993, 1, comm. 149).
Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, que si la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. Faut-il encore que, sauf changement de circonstances, la disposition contestée n'ait pas été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision. Enfin, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux (ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 23-4 N° Lexbase : L0276AI3).
Dans sa décision du 3 décembre 2009 (Cons. const., décision n° 2009-595 DC, du 3 décembre 2009, loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : A3193EPX), le Conseil constitutionnel a précisé qu'une "question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle [...] au seul motif que la disposition législative n'a pas déjà été examinée" par lui, mais qu'il devra être saisi "de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application", le Conseil d'Etat et la Cour de cassation pouvant "dans d'autres cas" apprécier l'intérêt de le saisir en "fonction de ce critère alternatif".
En se référant à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, le contribuable entend faire sanctionner le dispositif au nom d'une rupture du principe d'égalité. La jurisprudence du Conseil en la matière n'est en rien dogmatique : "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet qui l'établit" (Cons. const. n° 87-232 DC du 7 janvier 1988 N° Lexbase : A8176ACS). Dans l'affaire qui nous occupe, la Cour de cassation fait observer, à bon droit, que la disposition incriminée est applicable à toutes les personnes poursuivies pour le même délit, celui de fraude fiscale, et qu'en conséquence "à l'évidence" il ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la loi.
Pour la Cour de cassation, la question soulevée n'est pas nouvelle car elle ne porte pas sur l'interprétation d'une disposition dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application.
Quant à la référence à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, le contribuable fait très certainement valoir son droit au procès équitable. Ce dispositif est de nature à garantir un tribunal indépendant, impartial, apte à décider pour que se déroule un procès respectueux de l'égalité des armes reconnaissant le principe du contradictoire avec une exigence de motivation de la décision juridictionnelle rendue. On voit mal en quoi la plainte déposée par l'administration visée à l'article L. 230 du LPF, qui n'est pas un acte d'instruction ou de poursuite interruptif de la prescription, pourrait être concernée par l'article 6 précité.
Par conséquent, c'est à bon droit que la Cour de cassation, jouant parfaitement son rôle de filtre, a décidé de ne pas renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel poursuit son oeuvre d'examen de l'article 1741 du CGI. En effet, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative au quatrième alinéa de l'article 1741 précité, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'obligation faite au juge de prononcer la peine de publication et d'affichage du jugement de la condamnation pour des faits de fraude fiscale (Cons. const. n° 2010-72/75/82 QPC du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC). Cette décision s'inscrit à la suite de celle qui avait déclaré contraire à la Constitution des peines obligatoires (Cons. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 N° Lexbase : A8020EYP).
Les différentes décisions relatives à l'article 1741 du CGI montrent que la question prioritaire de constitutionnalité, qui est une avancée incontestable, permettant de faire valoir des droits et libertés constitutionnellement reconnus, permet aux contribuables et leurs conseils d'avoir gain de cause. Il faut toutefois en faire un usage réfléchi.
Le contribuable avait constitué, avec ses deux enfants, une société civile ayant pour objet l'acquisition, la propriété et la gestion de titres de participations, l'achat et la vente de titres, ainsi que la gestion d'un patrimoine composé de titres de sociétés. Il avait apporté au capital de cette société 9 400 actions, qu'il détenait dans le capital d'une société, dont il était le président-directeur général, et reçu en échange 235 000 parts de la société civile.
La société civile a opté pour un assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
Le contribuable ayant dégagé une plus-value de cette opération, il a choisi de la placer sous le régime du report d'imposition (CGI, art. 160-I ter-4). L'imposition des plus-values reportées en application de cet article, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2000, intervient lors de la cession, du rachat, du remboursement ou de l'annulation des titres reçus en échange. Ces plus-values sont imposées selon les modalités prévues pour l'imposition de la cession des titres mettant fin à ce report (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004, art. 10-VII N° Lexbase : L6348DM3).
Ultérieurement, toutes les actions de la société ont été acquises, conformément à un protocole d'accord, pour un prix total de 25 000 000 de francs (3 811 225,43 euros), dont 23 500 000 francs (3 582 551,91 euros) pour les 9 400 actions détenues par la société civile.
L'administration a remis en cause cette opération, visant à placer sous le régime du report d'imposition la plus-value réalisée par le contribuable, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU).
La jurisprudence en matière d'abus de droit fiscal est aussi abondante que variée. L'acte fictif est constitutif d'abus de droit, notamment quand il s'agit, par exemple, d'un bail fictif destiné à permettre la déduction de la totalité de charges d'un immeuble (CE 7° et 9° s-s-r., 15 janvier 1982, n° 16110, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0438B8Q ; Droit fiscal, 1982, comm. 1372, concl. Rivière) ou encore quand une société civile immobilière est constituée dans le but de contourner la limitation des intérêts déductibles au titre de l'acquisition d'une habitation principale (CE Section, 25 février 1983, n° 34520, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7929ALA ; RJF, 1983, 2, comm. 241). Le but recherché peut être exclusivement fiscal. Il en va, ainsi, d'un acte de rachat de titres par une société, inspiré exclusivement par la suppression ou l'atténuation de la charge fiscale, qui est constitutif d'un abus de droit (CE 7° s-s., 30 juin 1982, n° 16391 N° Lexbase : A8501AK3 ; Droit fiscal, 1983, comm. 355, concl. Schricke).
Concernant le régime du report d'imposition, les cours administratives d'appel ont semblé hésiter. Une cour administrative d'appel a jugé que le fait pour un contribuable de placer ou de maintenir sous le régime du report d'imposition, prévu par les dispositions de l'article 160 du CGI, une plus-value à l'occasion d'un apport de droits sociaux ne déguise, par elle-même, ni une réalisation, ni un transfert de bénéfices ou revenus au sens de l'article L. 64 du LPF (CAA Douai, 2ème ch., 11 décembre 2007, n° 06DA01458 N° Lexbase : A1217D4T ; Droit fiscal, 2008, 16, comm. 282, concl. Mesmin d'Estienne). En revanche, une autre cour administrative d'appel a considéré que les dispositions de l'article L. 64 précitées pouvaient s'appliquer aux actes ayant normalement pour effet de reporter ou d'atténuer l'imposition due, tels que le report d'imposition d'une plus-value réalisée lors d'une opération d'apport-cession sur le fondement de l'article 160-I ter du CGI (CAA Nancy, 1ère ch., 7 février 2008, n° 06NC00327, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9725D4X ; Droit fiscal, 2008, 21, comm. 343, note Pierre).
Finalement, le Conseil d'Etat a jugé que, lorsque l'administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération visant à bénéficier d'un report d'imposition, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 64 du LPF. En effet, l'objet d'une opération de cette nature est de différer l'imposition, et a pour conséquence de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû, à raison de la situation et des activités réelles du contribuable. En conséquence, l'administration était fondée à mettre en oeuvre les dispositions de l'article L. 64 du LPF. En réalité, nous sommes dans le cadre d'une scission artificielle, en deux actes apparemment réguliers, d'une transaction unique de vente, et dont l'objectif était d'éluder l'impôt. Cette décision s'inscrit à la suite de la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui considère que la scission artificielle, en deux actes apparemment réguliers, d'une transaction unique de vente, comprenant la vente d'un immeuble et la conclusion d'un bail commercial fictif, relève de l'abus de droit (CE 3° et 8° s-s-r., 17 novembre 2010, n° 314291, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4239GK9).
Au début de l'année 2001, le contribuable a été avisé qu'il allait faire l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle par un courrier avec accusé de réception, envoyé à son adresse personnelle connue de l'administration. A l'issue du contrôle, l'administration lui a adressé, en fin d'année, une proposition de rectification à la même adresse. Ce pli a reçu la mention "non réclamé" de la part des services postaux. Dans ces conditions, l'administration a considéré que la prescription avait valablement été interrompue.
Toutefois, avant que ce pli ne lui soit envoyé, le contribuable avait informé l'administration de son absence pour la période des fêtes de fin d'année, et avait indiqué que, pendant ces quelques semaines, le courrier pouvait lui être adressé sur son lieu de villégiature.
Il est un fait que nul ne peut contester : la prescription est interrompue par la notification d'une proposition de redressements ou de rectifications (LPF, art. L. 189 N° Lexbase : L8757G8T).
A suivre le Conseil d'Etat, pour qu'une notification de redressements, ou proposition de rectifications, soit interruptive de prescription, il suffit qu'elle parvienne avant le 31 décembre de la troisième année suivant l'année d'imposition (CE 9° et 7° s-s-r., 9 décembre 1988, n° 59667, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6795APD ; Droit fiscal, 1989, comm. 1289, concl. Martin).
En raison de contestations abondantes, relatives au lieu de délivrance de la proposition de rectification et à la réglementation postale en vigueur, la jurisprudence a prospéré. Les Sages du Palais-Royal ont été conduits à préciser que, si le contribuable était absent à l'adresse indiquée par lui et qu'il n'a pu retirer la lettre avant la date d'expiration du délai de répétition, ce fait est sans influence sur l'interruption de la prescription résultant de la notification, ou proposition, qui lui a été adressée en temps utile (CE 8° et 7° s-s-r., 17 février 1986, n° 45836, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4035AME ; Droit fiscal, 1986, comm. 1300, concl. de Guillenchmidt). En outre, la prescription doit être considérée comme interrompue à la date de la première présentation de la lettre recommandée contenant la proposition de rectification (CE 8° et 9° s-s-r., 15 juin 1987, n° 48864, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2460APS ; Droit fiscal, 1987, comm. 1878).
Il appartient à l'administration de faire la preuve qu'en l'absence du contribuable un avis de mise en instance lui a été régulièrement délivré (CAA Bordeaux, 3ème ch., 23 avril 1997, n° 94BX00900 N° Lexbase : A0084AXE ; RJF, 1998, 4, comm. 397). Il est indispensable que l'administration fournisse un avis de passage des services postaux, ou tout autre document, de nature à prouver la date de présentation du pli. Dans ces conditions, les services postaux sont amenés à délivrer des attestations, à la demande de l'administration, précisant la date de présentation du pli recommandé. Il a été jugé que l'attestation du bureau expéditeur n'est pas de nature à démontrer que le bureau distributeur, dont relève le domicile du requérant, a procédé à une première présentation du pli recommandé avant que la prescription soit acquise au contribuable (CE 7° et 8° s-s-r., 6 juillet 1990, n° 98161, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7797B7W ; Droit fiscal, 1992, comm. 278, concl. Hagelsteen).
Pour le Conseil d'Etat, la notification présentée au domicile du contribuable, quelles qu'aient été les instructions données par ce dernier aux services postaux interrompt la prescription (CE 7° et 9° s-s-r., 31 mars 1989, n° 75652, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0714AQI ; Droit fiscal, 1990, comm. 284).
Dans l'espèce qui nous occupe, le contribuable avait pris la précaution d'informer l'administration de son absence temporaire. La chose aurait été plus simple pour l'administration si le contribuable avait fait procéder à une réexpédition de son courrier par le service postal. Il a été jugé, à cet égard, qu'une notification de redressements doit être regardée comme ayant interrompu la prescription à la date à laquelle le service postal a exécuté l'ordre de réexpédition (TA Paris, 25 novembre 1998, n° 94-16.931 ; RJF, 1999, 6, comm. 748).
Finalement, peut-être aurait-il été sage, pour l'administration, d'adresser un pli recommandé contenant la proposition de rectification à chacune des adresses ?
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