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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 05 Mai 2011
Delphine de Drouâs : Tout d'abord, les Etats membres gardent la maîtrise de leur taux d'imposition. C'est un premier point important. Ensuite, le système d'imposition commune est facultatif. Les règles nationales continueront donc à s'appliquer à de nombreuses entreprises, notamment celles qui n'ont pas d'activité dans d'autres Etats membres de l'Union Européenne et qui, par conséquent, auront un intérêt limité pour les règles communes.
On sait, néanmoins, que la proposition entraînera d'importantes réallocations de base d'imposition entre Etats membres. Les Etats perdants risquent de rester en marge. Il est probable que la proposition ne progresse qu'avec un nombre limité d'Etats membres, neuf au minimum selon la procédure de coopération renforcée (TFUE, art. 326 N° Lexbase : L2647IPQ et suivants). Les entreprises, enfin, n'opteront pour l'imposition commune que si elles y trouvent leur compte.
Lexbase : La Commission propose l'instauration d'un guichet unique. Concrètement, quel sera son impact ? Quelle sera la nouvelle procédure communautaire de déclaration ?
Delphine de Drouâs : La tête du groupe déposera une déclaration consolidée dans son pays. Cette déclaration comprendra le calcul de la base taxable de chaque membre du groupe, la quote-part du résultat du groupe revenant à chaque entité, et le calcul de l'impôt de chaque membre du groupe. Ces éléments seront portés dans une base de données centrale à laquelle les administrations auront accès. La proposition de Directive ne parle pas de la langue dans laquelle ces documents seront établis. Ce point mériterait d'être précisé.
Déclarer auprès d'un guichet unique est plus simple que de déclarer dans de nombreux pays selon des règles différentes. Il ne faut toutefois pas négliger la complexité de la transition vers le nouveau système et les incertitudes liées à toute nouvelle norme, qui plus est "multi pays".
En dépit du guichet unique, chaque membre du groupe doit conserver toute la documentation nécessaire au contrôle dans son pays suivant les règles locales. Le guichet unique ne couvre donc pas tous les aspects. Enfin, la proposition prévoit que les membres du groupe cessent d'être soumis aux dispositions nationales relatives à l'impôt sur les sociétés pour tous les domaines réglementés par elle, sauf indication contraire. A contrario, cela signifie que les dispositions nationales relatives à l'impôt sur les sociétés ne disparaissent pas complètement. Reste à comprendre la portée pratique de ces dispositions...
Lexbase : L'assiette commune consolidée prévoit des règles qui lui sont propres. Certaines d'entre elles sont-elles contraires aux règles fiscales françaises ?
Delphine de Drouâs : De nombreuses dispositions sont différentes de celles auxquelles nous sommes habitués. Je citerai, à titre d'exemple, les règles d'allocation du résultat entre les entreprises du groupe, qui sont très différentes de celles résultant des principes OCDE auxquels la France se réfère.
De plus, il faut noter quelques différences importantes :
Lexbase : Comment les relations intragroupe sont-elles envisagées ? De quelle manière l'assiette commune abaisse-t-elle les barrières nationales tout en luttant contre la fraude fiscale ?
Delphine de Drouâs : Les barrières nationales sont abaissées par l'existence de règles d'assiette identiques. La Commission prévoit une réduction des coûts de conformité pour les tâches récurrentes liées aux obligations fiscales de 7 %. C'est un peu décevant pour un projet de cette ampleur.
Les risques de double imposition sont aussi éliminés dans les relations intragroupes. Les entreprises devront, néanmoins, conserver des prix interentreprises adéquats pour leurs comptes statutaires, servant notamment à la détermination du bénéfice distribuable.
Un des moyens de lutte contre la fraude prévu par la proposition de Directive est l'échange rapide (moins de 3 mois) d'informations entre Etats membres. On peut aussi mentionner les audits coordonnés par le pays de la société tête de groupe. A cet égard, on peut regretter que ces audits restent soumis aux législations nationales et non à des règles communes ou aux règles de l'autorité fiscale principale. De nouveaux contentieux risquent d'apparaître entre Etats membres sur l'interprétation de la Directive. L'article 123 de la proposition de Directive prévoit, en effet, un recours pour les administrations fiscales devant les tribunaux de l'Etat du contribuable principal, c'est très novateur et un peu inquiétant.
La proposition de Directive contient aussi de nombreuses dispositions anti-abus, à la fois générales et spécifiques (par exemple, la limitation de la déduction des intérêts versés à des sociétés liées soumises à un régime fiscal préférentiel, etc.).
La lutte non pas contre la fraude, mais contre une certaine gestion fiscale optimisée, est assurée par la réallocation des bases taxables au sein de l'Union européenne. Les règles de répartition des bases imposables sont complètement nouvelles. Par exemple, la répartition du bénéfice à partir de trois facteurs, dont les ventes par destination ou les actifs essentiellement corporels, conduira à des mouvements significatifs de bases taxables d'un pays à l'autre par rapport à la situation actuelle.
Les Etats membres auront le souci de leurs rentrées fiscales avant de décider d'entrer dans l'aventure, et les entreprises s'assureront qu'elles y trouvent leur compte avant d'opter. La Commission estime que les bases s'accroîtront de près de 8 % dans la plupart des Etats (mais pas dans tous). Cela promet de nombreux débats.
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