La lettre juridique n°438 du 5 mai 2011 : Avocats/Champ de compétence

[Focus] Acte contresigné d'avocat : cadre juridique et déontologie

Réf. : Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions juridiques ou judiciaires et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI)

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 27 Mars 2014

La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions juridiques ou judiciaires et certaines professions réglementées, apporte une modification conséquente dans le paysage des actes juridiques en droit français. En créant un acte contresigné par avocat, le texte ajoute un terme à l'alternative actuellement offerte au justiciable entre l'acte authentique et l'acte sous seing privé. L'objectif poursuivi est celui d'une plus grande sécurité juridique pour les actes conclus entre les parties, grâce à l'intervention plus fréquente des avocats. La commission présidée par Jean-Michel Darrois avait, en effet, observé que de nombreux actes sous seing privé étaient conclus sans que les parties aient reçu le conseil de professionnels du droit, alors même que les obligations souscrites peuvent être particulièrement graves. Or, selon les termes du rapport éponyme, "cette façon de procéder, de plus en plus répandue en France notamment par l'utilisation de formulaires pré-imprimés ou disponibles sur internet, présente deux risques principaux. Il peut arriver, en premier lieu, que les conséquences de cet acte ne soient pas celles que les parties attendaient, soit parce que le but recherché en commun n'est pas atteint (le bail n'est pas valable par exemple), soit parce que la convention est illicite. En second lieu, l'une des parties peut être tentée de contester ultérieurement l'existence du contrat ou l'un de ses éléments. L'assistance d'un avocat est insuffisante pour parer à ces risques : les parties pourront éprouver des difficultés à établir que l'acte est le produit de ses conseils et aucune force probante particulière n'en résultera". Le régime juridique du contreseing d'avocat est défini dans les trois articles d'un nouveau chapitre de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).

L'article 66-3-1 dispose que : "En contresignant un acte sous seing privé, l'avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu'il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte".

L'article 66-3-2 précise, ensuite, que : "L'acte sous seing privé contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l'avocat de toutes les parties fait pleine foi de l'écriture et de la signature de celles-ci tant à leur égard qu'à celui de leurs héritiers ou ayants cause. La procédure de faux prévue par le Code de procédure civile lui est applicable".

Enfin, l'article 66-3-3 énonce que : "L'acte sous seing privé contresigné par avocat est, sauf disposition dérogeant expressément au présent article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi".

Face à ce nouvel outil juridique mis à disposition des avocats, de nombreuses questions se posent. A cet égard un colloque était organisé le 28 avril dernier à la Maison du barreau, sous l'égide de Maître Vincent Canu, avocat au barreau de Paris, et consacré à L'Acte d'avocat en droit immobilier. A cette occasion tant le cadre juridique, que les aspects déontologiques, ont été abordés et Lexbase Hebdo - édition professions vous propose de revenir cette semaine sur cette question, au regard notamment de l'intervention de Maître Jean-Pierre Chiffaut-Moliard, avocat au barreau de Paris.

Quelle est la différence entre l'acte authentique et le contreseing d'avocat ?

Il semblerait que l'acte contresigné d'avocat soit plus à rapprocher de l'acte sous seing privé que de l'acte authentique. En effet, à la lecture de la loi, il ressort que le contreseing d'avocat n'emporte pas force exécutoire de l'acte. Néanmoins, il ne vaut pas acte ayant date certaine puisque les dispositions de l'article 1328 du Code civil (N° Lexbase : L1438ABU) n'ont pas été modifiées par la loi nouvelle (1). Ainsi, il devrait y avoir une confrontation entre les notions de date certaine et de date certifiée. Ce qui est certain, en revanche, c'est que l'acte contresigné d'avocat vaut reconnaissance du conseil donné. Si certains peuvent donc y voir un risque de l'élargissement de l'obligation de conseil, Maître Jean-Pierre Chiffaut-Moliard relativise ce risque, la jurisprudence ayant déjà mis à la charge de l'avocat des obligations liées au conseil et à la rédaction d'actes.

Quel est le bon usage de l'acte contresigné d'avocat ?

De la formulation des textes, on peut en déduire que l'acte pourra être soit sur support papier, soit sur support numérique. Ce qui soulève un certain nombre de questions auxquelles seule la pratique permettra d'apporter des réponses concrètes. Une autre question se pose et dont la réponse n'est pas non plus aisée à apporter, selon Maître Jean-Pierre Chiffaut-Moliard : faut-il assimiler acte et contrat ? En réalité, il semblerait logique que le contreseing d'avocat ne soit apposé que sur des actes créateurs de droit -contrat, acte unilatéral, etc.-.

Quels sont les effets légaux du contreseing d'avocat ?

L'acte sur lequel l'avocat pose son contreseing atteste du conseil donné. Il vaut certification d'écriture et de signature. Comme le soulignait le Professeur Etienne Vergès dans nos colonnes (2), la formule "pleine foi" est ambivalente. Elle est utilisée à deux reprises par le Code civil : d'une part, dans l'article 1319 (N° Lexbase : L1430ABL) et, d'autre part, dans l'article 1356 (N° Lexbase : L1464ABT).

Pour Etienne Vergès, il est difficile de croire que le législateur ait souhaité attribuer la même force probante à l'acte contresigné d'avocat et à l'acte notarié. L'expression "fait pleine foi" est donc mal choisie, sauf à considérer qu'elle signifie seulement "fait preuve", ce qui n'indique aucune force probante particulière. Il faut donc chercher la force probante de l'acte contresigné d'avocat ailleurs. L'article 66-3-2 prévoit que "la procédure de faux prévue par le Code de procédure civile lui est applicable". Ce qui est troublant, pour l'auteur, c'est que l'acte contresigné peut être attaqué de la même manière que l'acte sous seing privé. Ainsi, la force probante de l'acte sous seing privé est conditionnée par la reconnaissance de celui à qui on l'oppose. A l'inverse, si une partie "désavoue son écriture ou sa signature" une vérification doit être ordonnée en justice selon les articles 287 (N° Lexbase : L1892H4T) et suivants du Code de procédure civile. S'agissant de l'acte contresigné d'avocat, la procédure de contestation est celle du faux de l'article 299 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1924H4Z). Mais lorsqu'un acte est argué de faux, l'article 299 renvoie précisément à l'article 287, c'est-à-dire à la vérification d'écriture. Et de conclure, "qu'en sautant d'un article à un autre, on se rend compte que le législateur a doté l'acte contresigné d'avocat de la même force probante que l'acte sous seing privé". Ce dont il ressort que l'acte contresigné fait pleine foi de la convention qu'il renferme, mais il peut être combattu avec les mêmes armes que l'acte sous sein privé. A cet égard, Etienne Vergès estime que le législateur n'a pas mesuré la portée de son texte et les travaux parlementaires montrent à quel point la question de la force probante d'un mode de preuve a été méconnue ou mal comprise par les rédacteurs de la loi.

A quelles conditions le contreseing d'avocat est-il subordonné ?

L'avocat, dans le cadre des principes essentiels qui gouvernent la profession, se doit de donner son contreseing dès lors qu'il a la capacité de le faire. L'avocat devra avoir personnellement réalisé des vérifications en amont. Il devra personnellement recueillir la signature de son client.

En apposant son contreseing sur l'acte qu'il a rédigé l'avocat accepte de reconnaître son rôle de conseil et il doit préciser de qui il est le conseil -conseil unique des deux parties, ou conseil individuel d'une des parties-. Il semblerait également que cela soit aux parties de faire la démarche d'obtenir un acte contresigné et non à l'avocat d'imposer son contreseing.

Quelle forme faut-il donner au contreseing d'avocat ?

Maître Jean-Pierre Chiffaut-Moliard préconise que la signature de l'avocat soit précédée de la mention des éléments qui vont être certifiés par le contreseing. L'avocat devra recueillir les pièces d'identité, les pouvoirs des uns et des autres ; il devra attester d'avoir personnellement assister à la signature ; il devra également vérifier la capacité des parties. Enfin, il est recommandé à l'avocat de conserver tous ces justificatifs.

Quand l'avocat pourra-t-il contresigner seul ?

Deux possibilités semblent s'offrir à l'avocat pour pouvoir contresigner un acte seul. Soit être le conseil unique ; soit avoir précisé dans l'acte que l'avocat est le conseil individuel d'une des parties. En revanche dans les autres cas cela ne sera pas possible. Si plusieurs avocats assistent les parties et sont tous d'accord pour signer, le contreseing sera multiple. Mais, si l'un d'entre eux refuse, les autres ne devraient pas pouvoir contresigner. Enfin, l'intervenant préconise que l'avocat s'interdise de contresigner un acte si l'autre partie n'est pas assistée par un avocat.

On le voit, beaucoup d'interrogations sont soulevées et comme l'a dit Maître Vincent Canu dans ses propos introductifs, "l'acte d'avocat sera ce que nous en ferons [...] c'est à nous de le faire vivre".


(1) Sur la date certaine, lire aussi P. Michaud, Acte d'avocat : l'acte de la liberté contractuelle sera-t-il une révolution ? !, Gaz. Pal., 24 mars 2011, spéc. p. 15.
(2) La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France - Avril 2010 : La réforme de la justice civile, entre harmonisation et uniformisation (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N9686BR8).

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