La lettre juridique n°703 du 22 juin 2017 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Sur la solidarité de paiement dans le cadre d'un circuit de fraude à la TVA - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 29 mai 2017, n° 396896, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5479WEN)

Lecture: 15 min

N8894BWC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Sur la solidarité de paiement dans le cadre d'un circuit de fraude à la TVA - Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/41393817-jurisprudence-sur-la-solidarite-de-paiement-dans-le-cadre-dun-circuit-de-fraude-a-la-tva-conclusions
Copier

par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 22 Juin 2017

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 29 mai 2017, a jugé que l'administration a la possibilité de remettre en cause la déduction, par le même contribuable, de la TVA ayant grevé l'acquisition des mêmes biens, et qu'elle peut ainsi mettre en jeu la responsabilité solidaire de l'assujetti qui ne pouvait ignorer que tout ou partie de la TVA due sur une livraison de biens ne serait pas reversée de manière frauduleuse (CE 8° et 3° ch.-r., 29 mai 2017, n° 396896, mentionné aux tables du recueil Lebon). Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Romain Victor, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. 1. La présente affaire vous conduira donc à préciser les conditions dans lesquelles l'administration peut, lorsqu'elle met au jour un circuit de fraude à la TVA, déclarer que le client de l'entreprise fiscalement défaillante est solidairement tenu au paiement des droits fraudés.

2. Les Etats membres de l'Union européenne se sont vu reconnaître la faculté d'instituer un dispositif anti-fraude de cette nature par l'article 21, paragraphe 3, de la "sixième Directive-TVA" de 1977 (1), dont les dispositions ont ensuite été reprises à l'article 205 de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ). Le considérant 44 de cette Directive retient qu'il importe que les Etats membres puissent prendre des dispositions prévoyant qu'une autre personne que le redevable est solidairement responsable du paiement de la taxe. Le principe d'une telle réglementation nationale a été approuvé par la Cour de justice des Communautés européennes, sous réserve du respect des principes généraux du droit de l'Union, notamment de sécurité juridique et de proportionnalité, par un arrêt "Federation of Technological Industries" du 11 mai 2006 (CJCE, 11 mai 2006, aff. C-384/04 N° Lexbase : A3284DPC, RJF, 2006, n° 1135, concl. P. Poiares Maduro, BDCF, 2006, n° 100).

Le législateur français s'est saisi de cette faculté en créant, par l'article 93 de la loi de finances rectificative pour 2006 (2), un mécanisme de solidarité de paiement codifié au paragraphe 4 bis de l'article 283 du CGI (N° Lexbase : L3959KWK), applicable à compter depuis le 1er janvier 2007. Ce paragraphe comporte deux alinéas. Le premier dispose que : "[l]'assujetti en faveur duquel a été effectuée une livraison de biens [...] et qui savait ou ne pouvait ignorer que tout ou partie de la TVA due sur cette livraison ou sur toute livraison antérieure des mêmes biens [...] ne serait pas reversée de manière frauduleuse est solidairement tenu, avec la personne redevable, d'acquitter cette taxe". L'intérêt du dispositif est évident : alors que la société redevable de la TVA, fiscalement défaillante, n'est souvent qu'une entreprise éphémère, une société en liquidation voire une société fictive, l'entreprise déductrice, située en aval dans la chaîne de facturation, est en règle générale pérenne, réelle, solvable, donc susceptible de garantir le recouvrement de la créance fiscale.

Le second alinéa du paragraphe 4 bis fixe néanmoins une limite en énonçant que les dispositions du premier alinéa relatives à la solidarité de paiement ne peuvent être cumulativement mises en oeuvre, pour un même bien, avec celles prévues au paragraphe 3 de l'article 272 du CGI (N° Lexbase : L3960KWL). Selon ce texte, également issu de la loi de finances rectificative pour 2006, la TVA afférente à une livraison de biens "ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison".

3. C'est autour de l'application de ces dispositions que s'est noué le présent litige. La société requérante, qui exerçait une activité principale de vente de consommables informatiques et une activité secondaire de négoce de téléphones portables, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité par la Direction nationale des enquêtes fiscales, à l'issue de laquelle ce service l'a informée qu'aucun rehaussement ne lui était notifié mais que les constatations effectuées au cours du contrôle avaient révélé son implication dans une fraude à la TVA de type "carrousel" dont elle connaissait ou ne pouvait ignorer l'existence.

Dans sa partie française, le circuit de fraude, constitué selon un schéma classique, faisait intervenir trois sociétés :

- une SARL A. Cette entreprise "taxi", située en amont de la chaîne de facturation, n'était qu'une officine de facturation, dépourvue de moyens d'exploitation. Son rôle consistait à vendre à perte des lots de téléphones portables à son unique cliente, la SARL B, la TVA facturée et encaissée n'étant pas reversée au Trésor ;

- la SARL B. Il s'agit d'une entreprise "tampon" qui revendait à la société requérante les marchandises acquises auprès de la société A et demandait ensuite à exercer son droit à déduction ;

- la SAS requérante. Cette dernière, située en aval de la chaîne de facturation, faisait l'acquisition des téléphones cédés par B et provenant de A en vue de les revendre à son tour, principalement à une société néerlandaise.

Les investigations de la DNEF ayant fait apparaître diverses anomalies telles que des doublons dans les numéros IMEI (3) des téléphones acquis auprès de A, le recours à de faux documents de transport ou encore le règlement par la société requérante des factures émises par son fournisseur avant leur émission, l'administration a informé la société requérante qu'elle serait solidairement tenue avec la société A, fiscalement défaillante, au paiement de la TVA non reversée au Trésor par cette dernière et lui a adressé le 26 décembre 2011 un avis de recouvrement portant sur la somme de 6 271 689 euros.

Le tribunal de commerce de Versailles ayant prononcé la mise en liquidation judiciaire de la société requérante par jugement du 26 janvier 2012, c'est le mandataire désigné qui a engagé le présent contentieux qui doit être regardé comme un contentieux de recouvrement s'agissant d'une contestation portant sur l'existence de l'obligation de payer au sens du 2° de l'article L. 281 du LPF (N° Lexbase : L8541AE3), présentée par la personne solidaire du redevable de l'imposition, conformément aux dispositions de l'article R. 281-1 du même livre (N° Lexbase : L2291AEL).

Par jugement du 27 décembre 2013, le tribunal administratif de Paris a confirmé le bien-fondé de la mise en oeuvre de la solidarité mais a limité le quantum de l'obligation solidaire au montant de la taxe éludée par la société A à raison des livraisons dont la société requérante était le destinataire final (TA Paris, 27 décembre 2013, n° 1217498). A la suite de ce jugement, l'administration a émis un nouvel avis de recouvrement portant sur la somme de 5 975 861 euros. Le mandataire se pourvoit contre l'arrêt du 16 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement en tant qu'il lui était défavorable (CAA Paris, 16 décembre 2015, n° 14PA00930 N° Lexbase : A9022NZ8). Il invoque cinq moyens de cassation.

4. Il est soutenu, en premier lieu, que la cour aurait omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la société requérante aurait été privée de garanties de procédure substantielles à l'occasion de la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité de paiement. La requérante avait fait valoir que la copie de la proposition de rectification adressée à la société A qui lui a été communiquée comportait des passages occultés, notamment en ce qui concerne le montant de la TVA éludée, et que les factures adressées par la société A à la société B ne lui avaient pas été remises. Elle rappelle que son argumentation prenait appui sur le fait que l'administration lui avait opposé à tort les dispositions de l'article L. 103 du LPF (N° Lexbase : L8485AEY) protégeant le secret professionnel pour refuser de lui communiquer ces éléments indispensables, selon elle, pour lui permettre de vérifier que les sommes mises à sa charge correspondaient effectivement à la TVA acquittée sur des livraisons de biens dont elle était le destinataire final.

La société requérante a certes raison de soutenir que les dispositions de l'article L. 103 ne peuvent être opposées au débiteur solidaire de l'impôt, conformément à la solution retenue par votre avis contentieux "Duguay" (CE 8° et 3° s-s-r., 21 décembre 2006, n° 293749, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1476DTT, p. 810, RJF, 2007, n° 394, concl. P. Collin, BDCF, 2007, n° 32 ; v. également CE 9° et 7° s-sr., 1er juin 1990, n° 65822, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4641AQX, p. 141, RJF, 1990, n° 1058, concl. Ph. Martin). Toutefois la cour n'a pas omis de prendre position, dans la partie de son arrêt relative au montant des droits rappelés, sur l'argumentation relative au secret fiscal et à l'information délivrée sur l'étendue de l'obligation solidaire. Les juges d'appel ont en effet constaté "qu'à l'issue de la procédure devant la cour, le montant des droits éludés ne fait plus l'objet d'aucun débat entre les parties", ce dont ils ont déduit que plusieurs moyens de la requête d'appel, notamment le moyen tiré de ce que le secret professionnel n'était pas opposable, étaient devenus sans objet.

5. Une deuxième critique est tirée de l'erreur de droit qu'aurait commise la cour en jugeant, pour écarter plusieurs moyens relatifs à la procédure d'imposition, que la solidarité prévue par les dispositions du 4 bis de l'article 283 du CGI se rattachait à une procédure de recouvrement, alors que, par son arrêt "Federation of Technological Industries" précité, la CJCE a dit pour droit qu'une disposition nationale instituant une solidarité pour le paiement de la TVA due par un autre assujetti "vise la détermination de la personne qui peut être tenue au paiement de cette taxe envers le Trésor public, et non pas le recouvrement de celle-ci". La société requérante voudrait ainsi vous faire juger, ce sont les termes du pourvoi, que la "procédure de solidarité" en cause est une "procédure d'imposition".

Il est certain qu'au point 24 de son arrêt du 11 mai 2006, la Cour de justice a écarté un moyen présenté par le Gouvernement néerlandais tiré de ce que la solidarité pour le paiement de la TVA fraudée constituait une pure mesure de recouvrement se trouvant comme telle en dehors du champ d'application de la Directive qui n'a pas entendu harmoniser le droit des Etats membres applicable aux procédures de recouvrement. Mais le pourvoi joue sur les mots.

L'article 283, 4 bis du CGI a pour objet d'instituer une solidarité de paiement qui constitue, pour reprendre une formulation que l'on retrouve dans vos décisions comme dans celles du Conseil constitutionnel, une garantie pour le recouvrement des créances du Trésor public (v. CE 8° et 3° s-s-r., 9 décembre 2015, n° 367310, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0401NZU, p. 623, RJF, 2016, n° 248 ; CE 9° et 10° s-s-r., 22 février 2017, n° 386430, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8440TNW ; Cons. const., 21 janvier 2011, n° 2010-90 QPC N° Lexbase : A1523GQH, cons. 6, RJF, 2011, n° 483). Le débiteur solidaire n'acquiert pas la qualité de redevable de la taxe du seul fait qu'il est recherché en paiement. Or, cette conception n'est pas différente de celle de la Cour de justice qui retient (ce sont les termes de sa décision précitée) qu'une réglementation nationale instituant une solidarité en matière de TVA en cas de fraude vise la détermination de la personne qui peut être "tenue au paiement" de la taxe "due par un autre assujetti".

En outre, si vous jugez que le débiteur solidaire peut former un contentieux du recouvrement en vue de contester le principe de la solidarité et/ou le quantum de l'obligation solidaire (CE 9° et 7° s-s-r., 20 mars 1991, n° 76639, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9043AQY, RJF, 1991, n° 686, concl. Ph. Martin, Dr. fisc., 1992, n° 14, comm. 734) ainsi qu'un contentieux d'assiette en vue de contester la régularité et le bien-fondé des impositions mises à la charge du redevable de l'impôt (CE plén., 24 novembre 1971, n° 77372, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6855B8E, p. 711 ; CE 7° et 8° s-s-r., 25 avril 1979, n° 7253 et 7254 N° Lexbase : A7139B8W, RJF, 6/79, n° 398 ; CE 7° et 8° s-s-r., 3 juillet 1985, n° 52011, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3018AMQ, RJF, 1985, n° 1393), vous jugez inopérant le moyen tiré de ce que l'administration serait tenue de suivre une procédure de rectification contradictoire à l'égard du débiteur solidaire et de faire jouer l'ensemble des garanties attachées à cette procédure (v. CE 9° et 10° s-s-r., 8 juillet 2015, n° 368821, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7002NMB, RJF, 2015, n° 914, concl. F. Aladjidi, C 914). La cour, qui s'est bornée à constater qu'aucun rehaussement n'était en cause et à réitérer cette jurisprudence, n'a donc commis aucune erreur de droit.

6. C'est également en vain qu'il est soutenu, en troisième lieu, que la cour aurait méconnu les dispositions du second alinéa de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM) en jugeant qu'elle ne pouvait invoquer sur ce fondement une instruction fiscale relative à la procédure d'imposition, car ce motif est fidèle à votre jurisprudence ancienne et constante (CE plén., 29 juillet 1983, n° 31761, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8666ALK, RJF, 1983, n° 493, Dr. Fisc., 1983, comm. 2367 ; CE 10° et 9° s-sr., 29 septembre 2003, n° 224058, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6444C9K, RJF, 2003, n° 1433 ; CE 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 309331, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6978GNR, RJF, 2011, n° 465).

7. Le quatrième moyen du pourvoi, relatif aux motifs par lesquels la cour a jugé que la requérante devait être regardée comme ayant participé en conscience à un circuit de fraude à la TVA, ne vous retiendra pas davantage. Il résulte des termes mêmes du 4 bis de l'article 283 du CGI qu'un assujetti ne peut être mis en cause en tant que débiteur solidaire des droits de TVA fraudés que si deux éléments sont établis : un élément matériel (c'est l'existence même du circuit de fraude) et un élément intentionnel (c'est la participation consciente à ce circuit par un assujetti situé en un point donné de la chaîne de facturation, la loi ne limitant pas le nombre de degrés susceptibles de séparer le redevable défaillant de cet assujetti).

C'est dès lors par des motifs suffisants et exempts d'erreur de droit que les juges d'appel ont relevé que l'existence du circuit de fraude à la TVA n'était pas contestée et, au vu des différents éléments de fait qu'ils ont relevés, que l'administration apportait la preuve de ce que la requérante savait que la TVA due sur les livraisons antérieures de biens à la société B par la société A ne serait pas reversée au Trésor public de manière frauduleuse. Ce faisant, ils n'ont pas inversé la charge de la preuve qu'ils ont régulièrement et explicitement fait peser sur l'administration.

Le pourvoi fait encore grief à l'arrêt attaqué de s'être abstenu de vérifier le respect d'une condition supplémentaire tenant à ce que les biens acquis par l'assujetti appelé en solidarité soient les mêmes que les biens objets de la fraude. Mais la cour s'est nécessairement prononcée sur ce point, par des motifs qui ne sont pas argués de dénaturation, en constatant l'implication de la requérante dans une fraude circulaire (portant donc sur un même flux de marchandises) et en relevant que le fournisseur de cette dernière était l'unique client de la société A.

8. Le dernier moyen du pourvoi est le plus intéressant. Il est tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en validant la mise en oeuvre de la solidarité de paiement à l'égard de la société requérante alors que l'administration a parallèlement refusé au fournisseur de cette dernière, sur le fondement de l'article 272, paragraphe 3, du CGI, de déduire la taxe non reversée au Trésor. La question est inédite dans votre jurisprudence.

Le second alinéa du paragraphe 4 bis de l'article 283 prohibe, nous l'avons vu, la mise en oeuvre cumulative de la solidarité de paiement avec l'application des dispositions du 3 de l'article 272 relatives à la remise en cause du droit à déduction "pour un même bien" ou "pour un même service". La société requérante avait en l'espèce relevé, devant les juges du fond, que l'administration avait mis en oeuvre les deux procédures, certes à l'égard de deux entreprises différentes, mais à raison des mêmes biens, puisqu'elle avait, d'une part, refusé que la société B déduise la TVA versée à la société A sur les biens ensuite cédés à l'intéressée et, d'autre part, appelé cette dernière en solidarité pour le paiement de la taxe due par la société A sur le même flux de marchandises.

Le moyen pose donc la question de savoir si les dispositions du CGI excluant le cumul du refus de déduction et de la solidarité "pour un même bien ou un même service" doivent être interprétées en ce sens qu'elles ne trouvent à s'appliquer qu'à l'égard du même assujetti dans la chaîne de facturation ou s'il est permis à l'administration de les mettre en oeuvre cumulativement, dès lors que ces mesures sont prises à l'égard d'assujettis différents. C'est en faveur de cette seconde solution qu'a tranché la cour et quatre raisons nous conduisent à aller dans son sens.

1°) La lettre du 4 bis de l'article 283. Le second alinéa du paragraphe, qui pose la règle de non-cumul doit être lu, ainsi que vous y invite le ministre, à la lumière du premier alinéa auquel il fait référence et qui concerne le cas de l'assujetti qui a été appelé en solidarité, de sorte que c'est à l'égard de cette même personne, au titre de la même livraison de biens ou de la même prestation de services, que la règle de non-cumul doit trouver à s'appliquer.

2°) Les travaux préparatoires à l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2006. Si vous n'êtes pas convaincus par l'interprétation littérale du paragraphe 4 bis qui nous venons de mentionner, vous êtes fondés à vous référer à ces travaux qui, bien qu'assez maigres, vont dans le sens de cette interprétation. Le rapport n° 3469 du 29 novembre 2006 fait par Gilles Carrez sur l'article 30 du projet de loi, devenu l'article 93 de la loi adoptée, comporte en effet une illustration qui montre que le législateur a entendu prohiber le cumul à l'égard d'une même entreprise : "[...] dès lors que l'administration, ayant prouvé que la société cliente C savait, ou ne pouvait ignorer, qu'elle participait à une fraude de type carrousel', lui refuserait le droit à déduction de la taxe facturée par la société "taxi" B, en application du 3 de l'article 272 du CGI, les dispositions du premier alinéa du 4 bis de l'article 283 du même code seraient inutiles, sauf à admettre que la société cliente C paie deux fois la TVA afférente à une même opération".

3°) Une raison de logique. Dans l'hypothèse d'une chaîne de facturation impliquant trois entreprises A, B et C (A, fiscalement défaillante, en amont et C en aval), la solidarité de C à l'égard de A est neutre. L'objet de l'obligation solidaire est de permettre à l'administration de recouvrer la créance fiscale qu'elle détient sur A auprès de C. Unis dans la fraude, A et C sont solidairement tenus au paiement de la taxe éludée. Mais, en théorie du moins, il se peut que C n'ait rien à payer s'il s'avère que la créance fiscale peut être recouvrée directement auprès de A. On voit ainsi qu'il n'y a aucune différence de nature par rapport à la situation dans laquelle il n'y aurait que deux sociétés A et B, la première étant redevable de la taxe et la seconde pouvant, soit être privée du droit à déduction, soit être appelée en solidarité. Ajoutons enfin que la CJUE n'a, à notre connaissance, jamais subordonné le refus de déduction, en cas de fraude, à une condition telle que l'impossibilité de recouvrer effectivement la taxe éludée auprès du redevable ou d'un tiers solidaire. Il n'y a donc, contrairement à ce que soutient la requérante, aucune atteinte au principe de neutralité qui résulterait de la mise en oeuvre de la solidarité de paiement, seule le refus de déduction étant susceptible de mettre en cause ce principe.

4°) La finalité prophylactique et dissuasive des dispositions en cause. Celles-ci constituent un mécanisme anti-fraude, adopté pour combattre le phénomène d'ampleur que constituent les fraudes à la TVA de type "carrousel", dont chacun connaît les conséquences extrêmement lourdes pour les finances publiques des Etats membres. Or, la CJUE rappelle fréquemment que la lutte contre la fraude et les abus éventuels constitue un objectif reconnu et encouragé par la sixième Directive. Elle ajoute que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes communautaires. Voyez notamment son arrêt "Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL" (CJUE, 6 juillet 2006, aff. C-439/04 et C 440/04 N° Lexbase : A2718DQQ, RJF, 2006, n° 1301, point 54), par lequel les juges de Luxembourg revendiquent ouvertement une interprétation de la Directive-TVA qui soit de nature à "entraver les opérations frauduleuses" (v. point 58). Vous pourrez donc écarter le dernier moyen du pourvoi, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel.

Par ces motifs nous concluons au rejet du pourvoi, y compris des conclusions présentées au titre des frais irrépétibles.


(1) Art. 21 § 3 de la Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (N° Lexbase : L9279AU9), tel que modifié par l'article 28 octies, issu de la Directive 92 /111/CEE du Conseil du 14 décembre 1992 (N° Lexbase : L7486AUS) et de la Directive 2000/65 /CE du Conseil du 17 octobre 2000 (N° Lexbase : L8050AUP) dont le considérant 9 indique : "Il importe que les Etats membres puissent continuer à prendre des dispositions prévoyant qu'une autre personne que le redevable est solidairement responsable du paiement de la taxe".
(2) Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 (N° Lexbase : L9270HTI).
(3) International Mobile Equipment Identify.

newsid:458894

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus