Réf. : Décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la procédure civile (N° Lexbase : L2664LEE)
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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"
le 22 Juin 2017
Il s'agit du décret "touche-à-tout" dont la double vocation de moderniser et de simplifier correspond assez bien au contenu. Certaines procédures sont réformées en profondeur (la récusation, la procédure participative), alors que d'autres sont tout juste retouchées.
A - Les conclusions structurées (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9908ET7 et N° Lexbase : E1585EUA)
Depuis 1998, les conclusions échangées entre avocats ont été soumises à des normes de plus en plus rigoureuses. Le décret n° 2017-892 achève cette évolution avec la structuration des écritures, lesquelles doivent désormais suivre une trame très précise. De surcroît, la structuration des écritures s'étend à toutes les procédures, avec ou sans représentation obligatoire, dès lors que les parties sont assistées d'un avocat.
1 - La structuration des écritures : un principe qui s'impose aux avocats devant toutes les juridictions
Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3), avait créé, dans les dispositions générales du Code de procédure civile, un paragraphe spécialement dédié à la procédure orale. Paradoxalement, ce paragraphe avait pour finalité d'introduire une dose d'écrit dans la procédure orale, de sorte que l'on pouvait parler de procédure "orale/écrite". Cette procédure écrite est adaptée à la pratique procédurale, chaque fois que les parties sont représentées et assistées par un avocat, même lorsque cette représentation n'est pas obligatoire. Le caractère écrit de la procédure est aujourd'hui renforcé puisque le principe des écritures structurées s'impose dans toutes les procédures orales, chaque fois que "toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat" (C. pr. civ., art. 446-2 N° Lexbase : L6754LEU). La structure des écritures est identique à celle désormais imposée dans la procédure écrite devant le TGI (C. pr. civ., art. 753 N° Lexbase : L6767LED) et la cour d'appel (C. pr. civ., art. 954 N° Lexbase : L0386IGE).
La structuration des conclusions doit respecter certaines obligations et ces dernières doivent être rédigées en suivant une trame.
- un exposé des faits et de la procédure ;
- une discussion des prétentions et des moyens ;
- un dispositif récapitulant les prétentions.
- les conclusions formulent expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels s'appuie chaque prétention (c'est classique) ;
- chaque nouveau jeu de conclusion est récapitulatif (c'est classique) et tous les moyens nouveaux, qui n'ont pas été présentés dans des conclusions précédentes, doivent être présentés de manière formellement distincte (c'est nouveau) ;
- pour chaque prétention, les conclusions doivent indiquer les pièces invoquées et leur numérotation (c'est nouveau) ;
- un bordereau énumérant les pièces (numérotées donc), est annexé aux conclusions.
- le juge ne statue pas sur les prétentions qui ne figurent pas dans le dispositif ;
- le juge ne statue pas sur les moyens qui ne figurent pas dans la discussion ;
- le Code ne le précise pas, mais on peut imaginer que le juge n'est pas tenu de statuer sur les pièces qui n'ont pas été visées dans le bordereau ou qui n'ont pas été numérotées (on raisonne ici par analogie avec les deux autres sanctions).
La pratique a déjà très largement intégré ces différentes contraintes et on peut imaginer que la structuration des écritures ne sera pas vécue comme un formalisme supplémentaire. Toutefois, des contraintes sont ajoutées (la formalisation des moyens nouveaux, la numérotation des pièces) et les sanctions sont précisées (le juge ne statue pas si les obligations ne sont pas respectées).
2 - Les échanges dans les procédures écrites et orales
Deux modifications importantes doivent être signalées concernant les échanges entre les parties. D'une part, devant le TGI, la communication électronique va s'imposer à toutes les instances nouvelles introduites à compter du 1er septembre 2019. L'article 796-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6599LE7) précise ainsi que "les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique" à peine d'irrecevabilité et que "les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l'expéditeur". D'autre part, dans les procédures orales, le juge pourra "organiser les échanges entre les parties comparantes" en recueillant simplement leur avis. En revanche, pour fixer les délais du calendrier de procédure, il devra obtenir leur accord (C. pr. civ., art. 446-2 N° Lexbase : L6754LEU).
B - Modifications légères concernant le référé
Deux modifications significatives réforment légèrement la procédure en référé. D'une part, lors d'un référé-instruction, le défendeur peut être dispensé de comparaître s'il acquiesce à la demande avant l'audience. Cet acquiescement permet au juge des référés de rendre une décision contradictoire, après avoir entendu seulement le demandeur (C. pr. civ., art. 486-1 N° Lexbase : L6596LEZ). D'autre part, l'article 491 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6755LEW) vient préciser que le juge des référés, lorsqu'il assortit sa décision d'une astreinte, peut s'en réserver la liquidation. Il s'agit là d'une simple clarification du régime de la liquidation (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1652EUQ).
C - Refonte de la procédure de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime
La procédure de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime est profondément remaniée. La récusation avait fait l'objet d'une jurisprudence relativement importante, la Cour de cassation ayant d'ailleurs précisé que cette procédure n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6 § 1 CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et que les principes du procès équitable ne lui sont donc pas applicables (2). La matière était devenue confuse (3) et méritait une mise à jour.
Les deux actions sont fusionnées dans un régime commun qui tient compte, notamment, de l'évolution jurisprudentielle de la matière. Les causes de récusation sont inchangées. Elles figurent toujours à l'article L. 111-6 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L2516LBS). Il faut signaler toutefois que la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a ajouté le conflit d'intérêts à la liste limitative des causes de récusation. La distinction entre la récusation (d'un juge) et le renvoi (vers une autre juridiction ) est également conservée.
La partie doit formuler sa demande de récusation ou de renvoi dès qu'elle a connaissance de la cause justifiant sa demande et, au plus tard, avant la clôture des débats (C. pr. civ., art. 342 N° Lexbase : L6751LER). La demande est portée devant le premier président de la cour d'appel. Si la demande de récusation vise le premier président, ou si la demande de renvoi vise la cour d'appel dans son ensemble, la requête est adressée au premier président de la Cour de cassation.
La requête est formée par acte remis au greffe de la Cour ou, si la cause est découverte à l'audience, par déclaration consignée par le greffier. Si la requête vise plusieurs juges de la même juridiction, elle doit être formée dans un même acte. Le magistrat concerné par la demande de récusation (ou le président de la juridiction concernée par la demande de renvoi) est avisé de la requête et il peut être invité à présenter ses observations. Par ailleurs, la requête en récusation ne dessaisit pas le magistrat. Toutefois, le premier président peut décider qu'il soit sursis à statuer sur la décision juridictionnelle qu'il doit prendre, et ce, afin d'éviter que la décision prise par ce juge et la demande de récusation entrent en contradiction. Si le magistrat visé par la requête le souhaite, il peut également décider de s'abstenir de siéger (procédure des articles 339 N° Lexbase : L2059H4Z à 340 du Code de procédure civile). Le premier président en est alors informé. L'abstention permet d'éviter la perte de temps liée à la procédure de récusation.
Il n'existe pas d'audience contradictoire dans cette procédure, puisque le Code précise que le premier président "statue sans débat" (C. pr. civ., art. 346 N° Lexbase : L6747LEM), dans le délai d'un mois à compter de sa saisine et après avis du procureur général :
- si la demande de récusation ou de renvoi est rejetée, l'ordonnance du premier président peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Celui qui a formé la requête peut être condamné à une amende civile de 10 000 euros ;
- si la demande est admise, soit il est procédé au remplacement du juge (récusation), soit l'affaire est renvoyée à une autre formation de la juridiction initialement saisie, soit devant une autre juridiction de même nature. Si la juridiction saisie initialement a déjà tranché le principal ou a rendu une décision exécutoire, cette décision est non avenue. En revanche, tous les autres actes de procédures pris par la juridiction initialement saisie ne peuvent être remis en cause (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1321EUH).
D - La procédure participative à des fins de mise en état
La procédure participative est l'une de ces innovations procédurales qui n'a pas connu le succès escompté, malgré son évidente modernité. Introduite en 2012 dans le Code de procédure civile, elle n'a suscité que très peu d'intérêt comme semblent le montrer les statistiques disponibles (4). Fort de cet échec, le législateur a cherché à accroître la pratique de cette procédure en ouvrant son champ d'application à la mise en état du litige. La loi du 18 novembre 2016 a ainsi modifié l'article 2062 du Code civil (N° Lexbase : L2429LBL) qui définit désormais la convention de procédure participative comme celle qui tend "à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige". Le décret n° 2017-892 développe cette nouvelle fonction de la procédure participative dans le Code de procédure civile.
La modification majeure consiste à autoriser la procédure participative après l'exercice de l'action en justice, alors qu'elle était jusqu'à présent réservée à la phase antéjudiciaire. Selon l'article 1529 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6771LEI) la procédure participative s'applique aux conventions conclues dans le cadre d'instances pendantes devant les juridictions aux fins de mise en état du litige. L'article 1544 (N° Lexbase : L6785LEZ) précise que la convention peut viser à la mise en état du litige. Sur ce point, le Code entretient une ambiguïté que l'on retrouvera plus loin. L'ouverture d'une procédure participative en cours d'instance peut avoir pour seul objectif, la mise en état du litige, mais elle peut également avoir pour finalité de régler le différend à l'amiable. Voilà une ambigüité qui risque de renforcer la méfiance des praticiens à l'égard de cette procédure.
Du point de vue de la procédure en cours, le principal effet de la procédure participative après saisine de la juridiction, réside dans la suspension de l'instance. Lorsque les parties décident de conclure une convention de procédure participative en cours d'instance, elles en informent le juge, qui ordonne le retrait du rôle. On sait que la conclusion de la convention a pour effet de suspendre la prescription (C. civ., art. 2238 N° Lexbase : L1053KZZ). De surcroît, si elle est conclue durant l'instance d'appel, elle a pour effet d'interrompre les délais impartis pour conclure et former appel incident, jusqu'à l'extinction de la procédure participative (C. pr. civ., art. 1546-2 N° Lexbase : L6606LEE). Il y a là un effet naturel, qui pourrait présenter un intérêt nouveau pour les parties. Les fameux délais des articles 908 (N° Lexbase : L0390IGK) à 910 du Code de procédure civile cessent ainsi de courir et cette suspension pourrait permettre aux parties de temporiser la mise en état devant la cour d'appel.
L'issue de la procédure participative consiste nécessairement dans un retour vers le juge. L'affaire est rétablie à la demande d'une des parties. On retrouve alors les trois situations classiques :
1) soit les parties sont parvenues à un accord total et elles demandent l'homologation de leur accord au juge ;
2) soit l'accord est partiel et le juge peut être saisi à la fois pour homologuer l'accord et trancher le litige persistant ;
3) soit enfin, aucun accord n'a été trouvé et le juge doit trancher l'entier litige.
L'ouverture de la procédure participative à l'instance s'accompagne d'une importante réforme de l'acte contresigné par avocat. En effet, fortement soutenu par les instances professionnelles, l'acte contresigné d'avocat n'a pas connu le développement attendu. Initialement limité par sa finalité probatoire, l'acte d'avocat voit ses fonctions se démultiplier lorsqu'il est mis en oeuvre au cours d'une procédure participative. L'article 1546-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6601LE9) dispose ainsi qu'au moyen d'un acte contresigné par avocat, les parties peuvent :
- constater les faits qui ne l'auraient pas été dans la convention ;
- déterminer les points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, dès lors qu'ils portent sur des droits dont elles ont la libre disposition ;
- convenir des modalités de communication de leurs écritures ;
- recourir à un technicien ;
- désigner un conciliateur de justice ou un médiateur.
Cette énumération suscite plusieurs commentaires. D'une part, les nouvelles fonctions de l'acte d'avocats sont considérablement étendues, mais à bien y réfléchir, l'utilité de recourir à un tel acte est douteuse. En effet, on se demande quelle peut être la valeur ajoutée de l'acte d'avocat, alors que les parties à la convention avaient déjà, avant la réforme, la possibilité de recourir à un technicien, convenir des modalités de communication de leurs écritures, etc.. La convention de procédure participative permet, déjà d'atteindre ces finalités. De plus, sa force probante est suffisante, sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter un contreseing. D'autre part, le cinquième point de l'article 1546-3 peut surprendre. La procédure participative a été conçue comme un mode de résolution du différend à l'aide des avocats des parties et sans recours à un tiers. C'est en cela que cette procédure se distingue nettement de la conciliation ou de la médiation. Il est donc contradictoire d'autoriser les parties, au cours d'une procédure participative, à désigner un conciliateur ou un médiateur. De deux choses l'une : si les parties ont opté pour la procédure participative, c'est qu'elles souhaitent se dispenser de la présence d'un tiers ; à l'inverse, si elles souhaitent recourir à un tiers, elles doivent opter pour une procédure adéquate. Le mélange des genres risque de soulever de nombreuses difficultés. Par exemple, comment combiner le secret des procédures amiables avec tiers et l'absence de secret de la procédure participative ?
La rénovation des fonctions de l'acte contresigné par avocat, qui est réservée à la procédure participative, raisonne ainsi comme une offre marketing, destinée à attirer les avocats vers cette procédure, sans offrir de véritables services supplémentaires, que ce soit aux avocats, ou aux parties.
Cette ouverture de la procédure participative nous laisse sceptique pour plusieurs raisons. D'abord, on voit mal l'intérêt pour les parties de sortir de l'instance pour mettre en état leur dossier. Au contraire, c'est bien la fonction de l'instance, que de mettre le litige en état d'être jugé. Ensuite, les raisons de l'échec de la procédure participative n'ont pas été analysées par le législateur et par le Gouvernement. Sans connaître ce qui motive la réticence des avocats, il y a fort à parier que cette tentative d'ouverture soit un coup d'épée dans l'eau. Enfin, en conservant un voile opaque sur les fonctions de la procédure participative durant l'instance (mise en état ou règlement amiable) mais aussi sur les caractéristiques de la procédure (publique ou secrète), le nouveau décret, porteur d'insécurité, ne devrait pas susciter un grand enthousiasme (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9696ETB)..
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