La lettre juridique n°703 du 22 juin 2017 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Rappel sur la date de création d'un bail commercial à l'issue d'un bail dérogatoire

Réf. : Cass. civ. 3, 8 juin 2017, n° 16-24.045, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6053WGB)

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N9006BWH

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par Julien Prigent, Avocat à la cour, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 22 Juin 2017

Quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est régi par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS). Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 8 juin 2017.
En l'espèce, le 14 juin 2010, avait été consenti un bail dérogatoire pour une durée de quatre mois. La convention stipulait que le bail prendrait effet le 14 juin 2010 pour se terminer le 13 octobre 2010. Le preneur était resté dans les lieux après cette date et le bailleur n'avait pas réagi. Après avoir délivré un congé le 16 mars 2012 pour le 15 avril 2012, le preneur avait libéré les lieux et remis les clés le 21 mai 2012. Le bailleur a assigné le locataire en paiement des loyers et charges échus postérieurement au terme du bail dérogatoire. Faisant grief aux juges du fond (1) d'avoir dit qu'à compter du 14 octobre 2010, il s'était opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux et qu'il était tenu au paiement des loyers jusqu'à l'échéance triennale du 13 octobre 2013, le preneur s'est pourvu en cassation. I - La notion de bail dérogatoire

Le bail dérogatoire est un bail qui n'est pas soumis au statut des baux commerciaux car une disposition de ce dernier (C. com., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5031I3Q) offre cette possibilité sous réserve du respect des conditions suivantes : le bail doit être conclu "lors de l'entrée dans les lieux du preneur" et "la durée totale du bail ou des baux successifs [ne doit pas être] supérieure à trois ans".

Avant sa modification par loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi "Pinel" (N° Lexbase : L4967I3D), l'article L. 145-5 du Code de commerce limitait la durée maximale du ou des baux dérogatoires successifs à deux ans.

Aux termes de l'article L. 145-5 du Code de commerce, si le preneur est laissé et reste en possession à l'expiration de la durée visée par ce texte pour pouvoir recourir à un bail dérogatoire, il se crée, un principe, un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

La question se pose de savoir à partir de quand se crée ce nouveau bail.

II - Le moment de la création d'un nouveau bail soumis au statut en cas de maintien dans les lieux

A - La thèse du preneur : nécessité d'un maintien dans les lieux postérieurement au délai légal maximum d'un bail dérogatoire

Dans son pourvoi, le preneur soutenait que le statut des baux commerciaux n'était susceptible de régir le contrat de bail que s'il était resté et avait été laissé en possession des lieux à l'expiration du délai de deux ans (les anciennes dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce étant applicables) suivant la conclusion du premier bail dérogatoire.

Toujours selon le moyen du pourvoi, avant la date correspondant à l'expiration de ce délai, lorsque le bail dérogatoire est inférieur à ce dernier, si le preneur reste et est laissé en possession des lieux après le terme contractuel, seules les dispositions de l'article 1738 du Code civil (N° Lexbase : L1860ABI) seraient applicables. Aux termes de ce texte, "si, à l'expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par l'article relatif aux locations faites sans écrit ". Ce nouveau bail est à durée indéterminée (2), l'article 1736 du Code civil (N° Lexbase : L1858ABG) disposant que "si le bail a été fait sans écrit, l'une des parties ne pourra donner congé à l'autre qu'en observant les délais fixés par l'usage des lieux".

Il a déjà été jugé, concernant l'absence de nécessité d'un congé pour mettre un terme à un bail dérogatoire, que les articles 1737 (N° Lexbase : L1859ABH) et 1738 du Code civil étaient applicables à ce type de convention (3).

La convention dérogatoire conclue le 14 juin 2010 comportait un terme (13 octobre 2010). Selon le raisonnement du preneur, après cette date, un bail à durée indéterminée s'était opéré. Le preneur y ayant mis fin par un congé donné pour le 15 avril 2012, soit avant l'expiration du délai de deux. Il n'avait donc pu s'opérer un bail commercial.

B - La notion de "durée" au sens de l'article L. 145-5 du Code de commerce

Au soutien de sa thèse, le preneur s'appuyait sur une ambiguïté de l'article L. 145-5 du Code de commerce qui dispose que "les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans [trois ans depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014]. Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre".

La question posée par le preneur dans l'arrêt commenté portait in fine sur la notion de "durée" à l'expiration de laquelle il peut s'opérer un bail commercial : est-elle celle du bail dérogatoire ou celle des deux années ?

Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, dite "LME" (loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), il ne faisait guère de doute que cette "durée" était celle du bail dérogatoire.

L'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5733AI8), dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008, disposait en effet que "les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans. Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre". L'emploi des termes "cette durée" permettait de conclure que c'est la "durée" précédemment visée qui est désignée, soit celle du bail.

La loi du 4 août 2008, qui a introduit la possibilité d'une succession de baux dérogatoires, ne semble pas permettre de retenir une solution différente. Est désormais précédemment visée "la durée totale du bail ou des baux successifs". Avant cette modification, un seul bail dérogatoire unique pouvait être conclu, même si sa durée était inférieure à deux années. Il n'en reste pas moins que la "durée" à l'expiration de laquelle peut se créer un bail dérogatoire devrait toujours être celle soit du bail dérogatoire, s'il n'y en a eu qu'un, soit celle de l'ensemble des baux dérogatoires successifs s'il y en a eu plusieurs, ce qui revient dans ce dernier cas à prendre en considération le terme du dernier bail qui aura été conclu.

Cette interprétation est moins évidente depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 précitée qui a ajouté à l'article L. 145-5 du Code de commerce, premier alinéa, une phrase aux termes de laquelle "à l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux". La "durée" au sein de cette phrase est la durée de trois ans et non directement celle stipulée dans un bail dérogatoire puisque plusieurs baux successifs peuvent être conclus dans le délai de trois ans.

C - Les solutions jurisprudentielles

Sous l'empire des dispositions de l'article 3-2 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d'immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal (N° Lexbase : L4591E9W), codifiées à droit constant à l'article L. 145-5 du Code de commerce (ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre2000, relative à la partie législative du Code de commerce N° Lexbase : L2955AIB), il avait été jugé que la durée à l'expiration de laquelle il s'opère un bail dérogatoire lorsque le preneur reste et est laissé en possession des lieux est celle du "premier bail et qui peut être inférieure à deux ans" et non la durée de deux années si le bail dérogatoire a une durée inférieure (4).

La Cour de cassation retenait, pour apprécier la création d'un bail commercial à la suite d'un bail dérogatoire, le terme du bail dérogatoire. Etaient ainsi visées, l'expiration de la "date contractuelle" du bail dérogatoire (5), "l'expiration d'un bail d'une durée au plus égale à deux ans" -excluant sans ambiguïté la prise en compte de la seule durée de deux ans sans référence à la durée du bail dérogatoire- (6) ou "l'expiration du contrat" (7).

Il a été également expressément précisé, en présence de baux dérogatoires d'une durée inférieure à deux années, que lorsque le preneur restait et était laissé en possession des lieux, c'est au lendemain du terme contractuel que prenait effet le bail commercial (8).

L'arrêt rapporté maintient donc la solution antérieure. Dans son arrêt du 8 juin 2017, la Cour de cassation affirme en effet que "quelle soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est régi par les articles L. 145-1 (N° Lexbase : L2327IBS) et suivants du Code de commerce".

Donc, même en présence d'un bail dérogatoire inférieur au délai maximum prévu pour la conclusion d'un tel bail et d'un maintien dans les lieux inférieur à cette durée, il y aura création d'un bail commercial. Toutefois, en cas de conclusion d'un premier bail dérogatoire d'une durée inférieure à la durée maximum, il ne devrait pas y avoir création d'un bail commercial s'il est conclu un ou des nouveaux baux dérogatoires si leur durée totale est inférieure au délai maximum.

Après avoir énoncé cette solution, la Cour de cassation, dans son arrêt du 8 juin 2017, approuve les juges du fond d'avoir jugé qu'un bail commercial s'était créé le 14 octobre 2010 puisque le preneur s'était maintenu dans les lieux à l'issue du bail dérogatoire fixée au 13 octobre 2010, "en application de l'article L. 145-5 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 18 juin 2014".

La solution ne devrait pas, sur le principe, être différente sous l'empire des nouvelles dispositions même si, comme cela a été précédemment évoqué, il pourrait être soutenu que la loi du 18 juin 2014 précitée a introduit une ambiguïté sur la notion de durée.

Cette précision relative à la version de l'article L. 145-5 du Code de commerce pourrait concerner le fait que, désormais, il s'opère un nouveau bail soumis au statut en cas de maintien dans les lieux à l'expiration de "cette durée", et "au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance".

Un bail commercial ne se créera en application de ces dispositions que si le preneur reste et est laissé en possession pendant au moins un mois à compter de l'échéance du bail dérogatoire (9), et non plus au lendemain de son terme.


(1) CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 24 juin 2016, n° 14/11971 (N° Lexbase : A1928RUX).
(2) Cass. civ. 3, 12 février 1985, n° 83-16.095 (N° Lexbase : A0503AH4).
(3) Cass. civ. 3, 15 mars 1972, n° 71-10.482 (N° Lexbase : A6771AGU).
(4) Cass. civ. 3, 25 novembre 1975, n° 74-13.075 (N° Lexbase : A7109AGE), Bull. civ. III, n° 345.
(5) Cass. civ. 3, 4 mai 2010, n° 09-11.840, F-D (N° Lexbase : A0732EXE).
(6) Cass. civ. 3, 8 octobre 1986, n° 85-11.962 (N° Lexbase : A5187AAD) ; Cass. civ. 3, 10 janvier 1990, n° 88-18.734 (N° Lexbase : A7847AGQ).
(7) Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-23.321, FS-D (N° Lexbase : A8619NHP).
(8) Cass. civ. 3, 25 juin 2003, n° 02-12.545, FS-D (N° Lexbase : A9843C83).
(9) En ce sens, J. Monéger, F. Kendérian, Premiers regards sur les dispositions de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relatives au bail commercial, RTDCom., 2014, p. 535.

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