La lettre juridique n°697 du 4 mai 2017 : Avocats

[Jurisprudence] Départ protestataire de l'avocat devant la cour d'assises

Réf. : Cass. crim., 29 mars 2017, n° 15-86.300, F-P+B (N° Lexbase : A0856UTU)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 04 Mai 2017

Quel avocat pénaliste n'a jamais eu envie de plier la robe et de quitter la salle d'audience ? Refusant de prêter son concours à ce qu'il a pu estimer -à juste ou mauvais titre- être une parodie de justice, la tentation est parfois grande de ranger la robe au fond du sac... Mais cette stratégie est-elle bénéfique pour le client qui, pour sa part, restera dans la salle d'audience sous escorte ? C'est à ce cas de figure qu'était confrontée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt en date du 29 mars 2017. En l'occurrence, la cour d'assises du Pas-de-Calais était saisie d'une célèbre affaire de vol à main armée commis en bande organisée. Au cours des débats, la présidente de la cour d'assises a accepté que les avocats de la défense puissent accéder à l'intégralité des interceptions téléphoniques et sonorisations, ce qui semble leur avoir été refusé jusqu'alors. Une fois en possession d'une dizaine de CD-ROM, les avocats de la défense ont constaté que la totalité des interceptions et sonorisations représentaient une centaine d'heures d'enregistrement. Ils ont donc sollicité un renvoi afin de pouvoir les décortiquer. Leur demande a, cependant, été refusée par un arrêt incident, ce qui a provoqué un véritable courroux et le départ des avocats qui ont quitté l'audience. A la suite de ce départ, le président de la cour d'assises a commis d'office un nouvel avocat qui a refusé sa mission et a également quitté le prétoire sans que ses motifs d'excuse n'aient été acceptés par la juridiction. Les débats se sont alors poursuivis, sans que l'accusé ne soit assisté par un avocat, choisi ou commis d'office. Un peu plus tard dans la journée, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats s'est présenté à la porte de la salle d'audience et a remis à l'huissier -audiencier des conclusions émanant des avocats choisis par les accusés et des avocats commis d'office intitulé "Conclusions aux fins de donner acte".

Par un nouvel arrêt incident, la cour d'assises du Pas-de-Calais a déclaré irrecevables ces conclusions de donner acte en relevant qu'elles émanaient d'avocats n'assurant plus la défense de la personne accusée. Le surlendemain, les avocats choisis ont finalement décidé de revenir à l'audience et, par un arrêt en date du 7 octobre 2016, la cour d'assises du Pas de Calais a condamné l'accusé à une peine de dix-neuf ans de réclusion criminelle, ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

L'accusé a formé un pourvoi en cassation, articulé autour de plusieurs moyens. L'un soulevait la violation des droits de la défense en ce que l'accusé avait été privé de la défense d'un conseil à la suite du départ des avocats choisis et du refus des avocats commis d'office. L'autre critiquait l'arrêt en ce qu'il a déclaré irrecevables les conclusions de donner acte litigieuses, déposées postérieurement au départ protestataire des avocats.

Mais aucun de ces moyens n'a été retenu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère que le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'assises d'avoir poursuivi les débats en l'absence de tout défenseur dès lors que cette absence n'est pas le fait de la cour, du président ou du ministère. L'avocat commis d'office par le président étant absent en raison de sa protestation et n'ayant pas été déchargé de sa mission, il n'y avait pas lieu à désignation d'un autre avocat commis (I). Et partant, dès lors que seules sont recevables les conclusions émanant d'un avocat qui assiste une partie au procès, la cour, ayant constaté que les signataires avaient quitté le procès et n'assuraient donc plus la défense de l'accusé, a fait une exacte application de l'article 315 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3712AZI) (II).

I - Limites à la désignation d'un avocat commis d'office

La procédure menée devant la cour d'assises est gouvernée par un principe simple : la désignation de l'avocat est obligatoire. En effet, l'article 317 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3715AZM) prévoit qu'"à l'audience, la présence d'un défenseur auprès de l'accusé est obligatoire" et précise, au besoin que "si le défenseur choisi ou désigné conformément à l'article 274 (N° Lexbase : L3663AZP) ne se présente pas, le président en commet un d'office". La désignation de l'avocat commis d'office, en cas de défaillance de l'avocat choisi, vise donc à rapprocher deux objectifs difficilement conciliables : le principe de continuité du cours de la justice et le droit à l'assistance de l'avocat. Aussi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation admet une certaine liberté pour le président de la cour d'assises dans la désignation de l'avocat commis d'office. Le président peut même désigner d'office l'avocat qui a indiqué ne pas pouvoir défendre l'accusé du fait de son absence de confiance (1), l'avocat récusé par l'accusé et qui a déclaré de ce fait ne plus pouvoir continuer à assurer sa défense (2) ou l'avocat initialement désigné pour défendre l'accusé, mais qui avait été remplacé par un autre avocat choisi, qui n'a pu être présent à l'audience (3).

Mais la mission du président de la cour d'assises ne va pas au-delà. En effet, il est acquis en jurisprudence que l'absence de l'avocat commis d'office au soutien des intérêts de l'accusé n'est une cause de nullité que si elle résulte du fait de la juridiction ou du ministère public (4). C'est donc vainement que le moyen du pourvoi invitait la Chambre criminelle de la Cour de cassation à dépasser sa jurisprudence actuelle en consacrant le principe selon lequel "il incombe [rait] aux autorités judiciaires d'assurer à l'accusé la jouissance effective des droits de la défense, au besoin en commettant d'office un nouvel avocat". L'arrêt commenté rappelle cette règle en exposant que "le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'assises d'avoir poursuivi les débats en l'absence de tout défenseur" et qu'"en effet l'absence d'un avocat de l'accusé pendant tout ou partie des débats ne constitue un motif de nullité qu'autant qu'elle est le fait de la cour, du président ou du ministère public". Or, tel n'était pas le cas en l'espèce puisque l'accusé était privé de conseil en raison du départ volontaire des avocats désignés et de l'absence de motif légitime invoqué par les avocats commis d'office.

II - Irrecevabilité des conclusions de l'avocat défaillant

Et force est de constater que le départ protestataire des avocats choisis et des avocats commis d'office était de nature à affecter la défense de l'accusé. Rappelons que l'audience était particulièrement houleuse. En effet, il résulte du procès-verbal des débats que, pour protester contre l'arrêt incident rejetant la demande de renvoi du procès aux fins de prendre connaissance du contenu des cédéroms, les avocats du demandeur au pourvoi et de son co-accusé ont décidé de quitter le procès, ce qui a conduit le président de la cour d'assises à désigner d'office de nouveaux avocats pour assurer la défense des accusés, lesquels ont à leur tour refusé leur mission et ont également quitté le prétoire, bien que leurs motifs d'excuse n'aient pas été acceptés. Les débats se sont alors poursuivis et le Bâtonnier de l'Ordre des avocats s'est présenté à la porte de la salle d'audience et a remis à l'huissier-audiencier des conclusions émanant des avocats choisis par les accusés et des avocats commis d'office. Voilà pour mesurer l'ambiance... Ces conclusions ont été déclarées irrecevables par un arrêt incident qui a retenu que seules sont recevables les conclusions émanant d'un avocat qui assiste une partie au procès, la cour ayant constaté que les signataires avaient quitté le procès et n'assuraient donc plus la défense de l'accusé.

Or, bien que la jurisprudence soit relativement peu formaliste quant au dépôt des conclusions en incident devant la cour d'assises, lesquelles peuvent même être présentées oralement (5), il n'en demeure pas moins que l'article 315 du Code de procédure pénale dispose que "l'accusé, la partie civile et leurs avocats peuvent déposer des conclusions sur lesquelles la cour est tenue de statuer". En d'autres termes, pour déposer des conclusions devant la cour d'assises, il faut notamment être "l'avocat de l'accusé" au sens de l'article 315 du Code de procédure pénale. Par conséquent, le départ protestataire des avocats avait une conséquence importante sur le sort des conclusions sur incident qu'ils ont pu déposer par l'intermédiaire du Bâtonnier de l'Ordre des avocats.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que les avocats n'assuraient plus la défense de l'accusé et que, par conséquent, ils ne pouvaient plus déposer de conclusions d'incident en application de l'article 315 du Code de procédure pénale.

En définitive, l'arrêt rendu par la Cour de cassation amène à une réflexion sur la stratégie de la colère. En effet, la protestation de l'avocat devant la cour d'assises doit être soigneusement organisée. Ne dit-on pas que la colère est mauvaise conseillère ? Au risque de voir des conclusions en incident -bien que pertinentes sur le fond- déclarées irrecevables, il appartiendra à l'avocat de déposer ses conclusions dans un premier temps et de protester ensuite...


(1) Cass. crim., 19 février 1986, n° 85-93.429 (N° Lexbase : A3621AAD), Bull. crim., n° 68 ; Cass. crim., 6 septembre 2006, n° 06-80.034, F-D (N° Lexbase : A3256WB9).
(2) Cass. crim., 23 novembre 1994, n° 94-81.219 (N° Lexbase : A7665CIQ), Bull. crim., n° 374.
(3) Cass. crim., 31 mars 2005, n° 04-83.037, F-P+F (N° Lexbase : A1842DI3), Bull. crim., n° 114.
(4) Cass. crim., 13 février 2008, n° 07-83.168, F-D (N° Lexbase : A3258WBB).
(5) Cass. crim., 24 mai 1913, Bull. crim., n° 251 ; Cass. crim., 23 mars 1950, Bull. crim., n° 108 et, en dernier lieu, Cass. crim., 28 mai 2015, n° 14-82.559, FS-P+B (N° Lexbase : A8171NIH), Bull. crim., n° 130.

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