Réf. : Cass. civ. 1, 29 mars 2017, n° 15-28.813, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6071UMS)
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N7926BWH
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par Nathalie Droin, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Bourgogne Franche-Comté, CREDESPO
le 04 Mai 2017
Saisi en première instance, le tribunal de grande instance de Metz, dans un jugement rendu le 20 novembre 2013, a écarté l'atteinte au droit à l'image considérant qu'elle n'était pas caractérisée dans la mesure où les traits et la voix de la personne n'étaient pas reconnaissables, le visage ayant été flouté en permanence et la voix ayant été modifiée. En revanche, il a accueilli la demande formulée sur le fondement des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) anciens du Code civil, retenant le caractère fautif de la séquence litigieuse filmée en caméra cachée. Les juges ont rappelé que si ce procédé est admis par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il doit respecter certaines règles, à savoir, notamment, que la personne ne doit pas pouvoir être identifiée. Or, en l'espèce, si les traits et la voix n'étaient pas reconnaissables, la personne pouvait, en revanche, être identifiée grâce à l'environnement dans lequel elle était filmée, précisément son cabinet qui avait été reconnu par plusieurs individus le fréquentant. Puis, ils ont considéré que le caractère fautif de la séquence litigieuse ne pouvait être justifié "par un souci d'une légitime information du public et par la primauté du droit à l'information quand celle-ci concerne un sujet d'intérêt général selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) et la jurisprudence européenne", ladite séquence n'étant "nullement essentielle", le médecin n'y fournissant aucune explication médicale. Les juges de première instance ont dès lors retenu un préjudice moral en raison de la tromperie dont a été victime le professionnel à la suite des manoeuvres des journalistes et de la crainte légitime d'une atteinte à sa réputation et ont condamné la société éditrice aux versements de 2 000 euros de dommages et intérêts.
La société Métropole télévision a fait appel du jugement rendu, considérant notamment que le tribunal ne pouvait ni réparer une atteinte prétendue à la réputation sur le fondement de l'article 1382 ancien du Code civil, ni se fonder sur les règles du CSA en matière de caméra cachée pour retenir une faute, puisqu'il s'agit de recommandations non normatives. De son côté, le médecin demandait, en sus de ce qui avait été retenu par les juges de première instance, à ce que soit reconnue une atteinte illicite à son droit à l'image. Dans son arrêt rendu le 6 octobre 2015 (1), la cour d'appel de Metz a, dans un premier temps, rejeté l'atteinte à la vie privée au motif que le médecin "ne pouvait valablement se prévaloir d'une violation de [...] [ce droit], dès lors que le reportage litigieux a été tourné à son cabinet médical et pour illustrer un sujet rentrant strictement dans le cadre de son activité professionnelle". Dans un deuxième temps, elle a repoussé la constitution d'une faute civile rappelant que l'atteinte prétendue à la réputation qui en découlerait relève de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 ([LXB=L7589AIW ]) et précisément de l'article 29 qui sanctionne la diffamation, et, qu'il est de jurisprudence constante que "les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par cette loi ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" (2). Dans un dernier temps, elle a, en revanche, retenu l'atteinte au droit à l'image. Elle a tout d'abord rappelé la jurisprudence qui lui est relative, indiquant qu'il appartient aux magistrats d'assurer la protection du droit à l'image, résultant de l'article 9 Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), comme constituant un attribut de la personnalité ; qu'à défaut d'indentification possible de la personne, l'atteinte n'est pas constituée ; et que ce droit cède devant la liberté d'expression quand son exercice fait obstacle à la liberté de recevoir et communiquer des informations, à moins que la publication soit contraire à la dignité de la personne. Puis, elle a jugé, d'une part, que la personne était identifiable, ainsi que l'attestent des témoignages produits de personnes fréquentant le cabinet ; d'autre part, que l'image était précédée et suivie d'un commentaire, en voix off, de nature à dévaloriser la personne dans la mesure où il laissait entendre que le médecin s'était totalement laissé berner par la patiente ; et enfin, que si "le sujet abordé est bien effectivement un sujet de société en ce qu'il a pour but de prévenir le public des dérives découlant de l'utilisation du réseau internet, [...] cette présentation de l'image du docteur G. [...] n'était pas dans la forme qui a été adoptée utile à l'information des spectateurs de l'émission". Il y a donc pour la cour d'appel, bel et bien violation du droit à l'image, qui résulte non pas de l'image en tant que telle mais de son association à un commentaire dévalorisant et constituant une atteinte à sa dignité. Elle a, de fait, condamné la société au versement de 2 000 euros de dommages et intérêts, laquelle s'est alors pourvue en cassation.
Par l'arrêt en date du 29 mars 2017, objet du présent commentaire, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé cette dernière décision. Certes, elle approuve l'arrêt rendu par la cour d'appel au sujet de l'identification de la personne, indiquant que pour constater le caractère identifiable de celle-ci, la cour a relevé qu'en dépit du floutage et de la déformation de la voix, un certain nombre de personnes qui avaient travaillé avec ledit médecin l'avaient reconnu à sa silhouette, et ajoutant que ces constatations et leur appréciation échappent à son contrôle. En revanche, elle juge que l'atteinte au droit à l'image n'est pas constituée. Statuant au visa des articles 9 et 16 (N° Lexbase : L1687AB4) du Code civil, relatifs au respect de la vie privée et de la dignité, et de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (ci-après CESDH), garantissant le droit à la liberté d'expression, elle rappelle que "la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine" et estime que les motifs retenus par la cour d'appel de Metz "tirés des propos tenus par les journalistes, relevant, comme tels, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse" étaient "impropres à caractériser une atteinte à la dignité de la personne représentée, au sens de l'article 16 du Code civil". Ce faisant, la cour d'appel a violé les articles 9 et 16 du Code civil, ainsi que l'article 10 de la CESDH.
Cette décision vient tout d'abord confirmer les contours du droit à l'image et s'inscrit dans une jurisprudence que l'on pourrait désormais qualifier de classique, la Haute juridiction rappelant qu'il ne peut y avoir d'atteinte que si la personne est identifiable et qu'elle n'est pas constituée si l'image s'inscrit dans un débat d'intérêt général ou si la personne est impliquée dans un évènement d'actualité, à moins qu'il résulte de sa diffusion une atteinte à la dignité (I). Elle vient ensuite et surtout apporter un éclairage quant à la résolution du conflit de droits en présence, précisément entre le droit à l'image et le droit à l'information, dès lors qu'il est question d'un sujet de société. Si l'appréciation ici effectuée par le juge peut paraître sévère, elle doit néanmoins être approuvée dans un souci de cohérence jurisprudentielle (II).
I - Une appréciation classique de l'atteinte au droit à l'image
Le droit à l'image ne bénéficie pas d'un fondement propre. C'est le juge qui a fait de l'article 9 du Code civil, protégeant le respect de la vie privée, son siège (3) précisant, dans la foulée, ses contours. L'arrêt dont il est ici question vient rappeler qu'il nécessite que la personne soit identifiable pour être valablement invoqué (A), mais que cette condition ne suffit pas à constituer l'atteinte ce qui, en un sens, vient confirmer l'absence de caractère autonome de ce droit (B).
A - Dissimulation des traits versus identification de la personne
Au même titre que le droit à la vie privée, à la voix ou encore au nom, le droit à l'image est un droit de la personnalité protégé, ainsi que nous venons de l'indiquer, sur le fondement de l'article 9 du Code civil.
Pour fonder l'invocation légitime de ce droit, il est exigé que la personne soit reconnaissable ou identifiable (4). L'appréciation de cette condition, a priori dénuée d'ambigüité, doit toutefois faire l'objet de quelques précisions. Ainsi que le souligne le Professeur Emmanuel Dreyer, "si, dans la majeure partie des cas où la diffusion d'une image est contestée, apparaît le visage d'une personne, ce n'est pas la reproduction de ses traits qui est sanctionnée mais la fixation sans autorisation préalable d'une expression particulière de sa personnalité" (5). Dès lors, il peut tout à fait y avoir atteinte au droit à l'image et donc une faute, même dans l'hypothèse où le visage de la personne représentée n'apparaît pas ou est caché, à partir du moment où son identification reste possible. En ce sens, il a notamment été jugé comme attentatoire au "droit à l'image" de salariés, la captation par une caméra d'une chaîne de télévision à leur insu, de leur image sur leur lieu de travail, alors même que leur visage avait été dissimulé sous un cache à l'occasion de la publication, dès lors qu'"ils étaient facilement identifiables à raison des prises de vue très précises de la boutique et de son enseigne" (6). L'identification ne réside donc pas dans les traits des individus mais dans des éléments extérieurs, présents à l'image, qui permettent sans aucun doute de les reconnaître. En revanche, si l'identification est impossible, il ne peut pas y avoir une atteinte à ce droit. Il en est ainsi lorsque le visage de la personne est correctement caché et qu'aucun autre élément ne permet son identification (7).
Dans l'espèce ici examinée, le tribunal de grande instance de Metz avait jugé, pour rejeter la violation du droit à l'image, que le visage du médecin était en permanence flouté, que sa voix était modifiée et qu'aucun élément d'indentification n'avait été porté à la connaissance du public. Ce faisant, rien ne permettait, selon les juges, d'identifier le médecin qui ne pouvait donc pas valablement invoquer une atteinte au droit à l'image. Sur ce point, la cour d'appel de Metz a infirmé le jugement rendu considérant, au contraire, que la personne du médecin était tout à fait identifiable. Elle a en effet indiqué qu'il "ressort des témoignages produits par le docteur, émanant certes de personnes ayant fréquenté son cabinet [...] que celles-ci ont immédiatement et très clairement reconnu, même si son visage était masqué et sa voix déformée, sa silhouette et sa physionomie de même que son cabinet de consultation". La cour a ajouté que "ces témoins ne peuvent se voir refuser la qualité de téléspectateur normalement attentifs, puisque précisément pour que l'image d'une personne soit reconnue par des tiers il faut que cette personne soit préalablement connue d'eux" (8). Le raisonnement de la cour d'appel de Metz, en plus d'être d'une logique implacable (comment, en effet, pouvons-nous reconnaître une personne, l'identifier, si elle n'est pas préalablement connue de nous ?), ne fait que confirmer la position classique de la jurisprudence qui n'assimile pas identification et reconnaissance des traits et admet que l'atteinte puisse être constituée en dépit de la dissimulation du visage dès lors que d'autres éléments permettent d'identifier la personne.
Tandis que la société appelante dénonçait la position adoptée par la cour d'appel au motif qu'elle a ainsi fait une analyse subjective de l'identification de la personne alors qu'elle aurait dû procéder à une analyse objective de cette possibilité d'identifier par une personne lambda, la Cour de cassation confirme, sur ce point, la décision rendue. Après avoir indiqué sur quels constats les juges du fond se sont basés pour retenir le caractère identifiable du médecin, elle souligne qu'il ne lui appartient pas de revenir sur leurs constatations et appréciations souveraines. Ce faisant, elle rappelle, mais était-ce vraiment nécessaire, qu'elle est juge du droit et non des faits.
L'accueil de la décision d'appel s'arrête néanmoins ici. Au contraire des juges du second degré, la Haute juridiction considère en effet que l'identification de la personne n'emporte pas atteinte au droit à l'image, révélant ainsi implicitement que l'objet de la protection n'est pas l'image en tant que telle.
B - Droit autonome ou fondement d'une atteinte à un autre droit ?
En accueillant l'argument contestant l'existence d'une atteinte au droit à l'image, la première chambre civile de la Cour de cassation offre un éclairage sur la querelle doctrinale opposant les tenants de la thèse autonomiste, pour qui ce droit est à la fois exclusif et autonome (9), à ceux qui jugent qu'il n'existe pas à titre autonome, ayant pour objet soit de protéger la vie privée d'une personne, précisément sa tranquillité, soit celui de garantir sa dignité (10). Par son raisonnement, la Haute juridiction semble en effet indiquer que l'image ne constitue en soi qu'un moyen de porter atteinte au droit de la personnalité. Il convient en effet d'observer que pour infirmer la décision de la cour d'appel, elle ne cherche pas à justifier l'atteinte mais rejette purement et simplement le fait qu'elle soit réalisée, admettant ainsi implicitement qu'il ne suffit pas que l'image d'une personne identifiable soit publiée sans autorisation pour qu'il y ait violation dudit droit.
Cette position est loin d'être nouvelle, la Cour de cassation s'attachant la plupart du temps, ainsi que le souligne le Professeur Emmanuel Dreyer (11), à dégager le véritable objet de la protection, qu'il s'agisse de la vie privée, dans son volet "tranquillité", ou de la dignité des personnes. Si, le plus souvent, la vie privée apparaît comme le fondement réel du droit à l'image -l'atteinte permettant de dénoncer soit une intrusion directe dans celle-ci, soit plus indirectement des répercussions dommageables sur celle-ci-, parfois, c'est l'honneur de la personne, sa dignité, qui constitue son fondement. Ainsi, il a pu être jugé que l'utilisation dans un sens dévalorisant de l'image d'une personne justifie que le juge prenne des mesures pour faire cesser cette atteinte (12). L'article 9 est du reste renforcé, sur ce point, par l'invocation de l'article 16 du Code civil, interdisant toute atteinte à la dignité de la personne. Dans un arrêt rendu le 20 février 2001, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé "que la liberté de communication des informations autorise la publication d'images des personnes impliquées dans un événement, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine" (13). Ainsi, il existe "une limite absolue" à la liberté de communiquer des informations et au droit à l'information du public : en effet, quel que soit l'intérêt du public à avoir connaissance d'un évènement, l'image ne peut porter atteinte à la dignité de la personne impliquée dans un évènement d'actualité (14). La légitimité du but poursuivi ne peut donc justifier une telle atteinte, de même qu'elle ne dispense pas de masquer le visage de la personne dès lors que son identité n'apporte rien au sujet traité. Cette jurisprudence qui, au départ, visait le droit à l'image face aux évènements d'actualité a été étendue au débat d'intérêt général, notion européenne prétorienne, qui connaît une application grandissante dès lorsqu'il s'agit d'arbitrer un conflit entre la liberté d'expression au sens large et, notamment, le droit au respect de la vie privée.
L'arrêt ici examiné en témoigne. La Haute juridiction énonce en effet que "la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine" (15). Si l'expression de débat d'intérêt général ne figurait pas dans l'arrêt de la cour d'appel de Metz, cette dernière avait également admis que le droit à l'image d'une personne impliquée dans un évènement "dont l'importance rend légitime [sa] divulgation pour l'information du public" cède devant la liberté de communiquer cette information, sauf dans le cas d'une publication contraire à la dignité de la personne. En revanche, les deux juridictions n'ont pas adopté la même solution. Tandis que la cour d'appel a retenu l'atteinte portée au droit à l'image, la Haute juridiction a infirmé, sur ce point, l'arrêt rendu.
Bien que surprenante, au regard de l'équilibre que les juges cherchent à dégager entre le droit à l'image et le droit à l'information, la position suivie était pour le moins attendue.
II - Une résolution sévère mais attendue du conflit entre le droit à l'image et le droit à l'information
La solution de la Haute juridiction témoigne de l'équilibre délicat qu'elle s'attache à dégager dès lors que le droit à l'image doit faire face au droit à l'information (A). Aussi étonnante soit elle quant à l'appréciation opérée, elle ne fait que confirmer la distinction des contentieux de l'image et de l'expression (B).
A - L'équilibre délicat entre le droit à l'image et le droit à l'information
Comme dans d'autres domaines, dès lors qu'il est question de résoudre un conflit de droits, la difficulté réside dans la nécessité de trouver le juste équilibre entre ce qui peut ou doit être rendu public, au nom d'un intérêt légitime qui résiderait dans la liberté de communiquer des informations et son corollaire, le droit d'être informé, et ce qui doit être gardé secret, afin de garantir le droit à l'image d'une personne. Il revient au juge de concilier ces droits en privilégiant la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime (16).
Ainsi que nous l'avons indiqué, il est traditionnellement admis que des images de personnes impliquées dans un évènement d'actualité, entendu dans un sens large, ou illustrant un sujet d'intérêt général peuvent être publiées sans l'accord de la personne. Les juges ont néanmoins précisé qu'il doit y avoir une relation directe entre la publication et le fait d'actualité (17), à défaut de laquelle l'atteinte portée ne saurait être justifiée. Cette possibilité n'est pas sans limite : il est en effet acquis que la nécessité de l'information du public sur un sujet d'actualité ou de société et l'adéquation de l'image au regard de cette nécessité ne fait pas disparaître l'obligation de respecter la vie privée et aussi la dignité de la personne (18). Pour être libre, l'image doit donc être légitimée par les circonstances et ne doit ni affecter la vie privée de la personne ni sa dignité. Tandis qu'il est fréquent que la révélation d'un aspect de la vie privée permette à une personne de s'opposer à la publication de l'image et/ou de l'attaquer, il est plus rare que la limitation tenant à l'obligation de respecter la dignité de la personne soit admise, et ce, en dépit d'une jurisprudence européenne allant en ce sens (19).
L'espèce ici commentée en est une parfaite illustration. En effet, si la cour d'appel de Metz a reconnu que le sujet abordé est bien un sujet de société tout en considérant que la présentation de l'image, accompagnée d'un commentaire en off de nature à dévaloriser la personne, n'était pas dans la forme adoptée utile à l'information, si bien qu'était constituée une atteinte au droit à l'image, la Haute juridiction a, quant à elle, jugé que de tels motifs, "tirés des propos tenus par les journalistes, relevant, comme tels, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse" étaient "impropres à caractériser une atteinte à la dignité de la personne représentée, au sens de l'article 16 du Code civil" (20). Ce faisant, elle rejette l'atteinte au droit à l'image, considérant, en un sens, qu'elle ne peut résulter du commentaire en off, quand bien même celui-ci est dévalorisant.
La solution rendue peut paraître surprenante au regard de ce que la Cour a déjà eu l'occasion de juger. Ainsi que le souligne le Professeur Emmanuel Dreyer, "l'invocation du droit à l'image sert parfois en vue de sanctionner des publications qui portent atteinte à la dignité du sujet, non pas directement à raison de leur contenu, mais de façon insidieuse à raison de ce qu'elle laisse penser de lui" (21). Le même auteur indique que le refus de voir son image associée à certains messages peut être dicté par des exigences déontologiques ou des considérations morales. A titre d'illustration, des chirurgiens ont pu légitimement invoquer leur droit à l'image à l'encontre de la diffusion de l'enregistrement de leurs interventions, car si ce dernier est permis à des fins scientifiques, sa publicité est en revanche interdite (22). Ici, c'est leur réputation professionnelle qui était atteinte par la diffusion des enregistrements et qui vient justifier l'invocation du droit à l'image. On aurait donc tout à fait pu admettre que la diffusion des images litigieuses accompagnées du commentaire off des journalistes ait pu être considérée comme fautive, dans la mesure où la réputation professionnelle du médecin est bien mise en cause dès lors que la séquence diffusée laisse entendre qu'il s'est laissé berner par une patiente.
Si ce n'est pas cette solution qui a reçu les faveurs de la Haute juridiction, c'est parce qu'elle distingue avec une remarquable acuité ce qui relève du contentieux du droit à l'image et ce qui touche au contentieux de la liberté d'expression.
B - La confirmation de la spécialisation du contentieux de la loi sur la presse
Ainsi que nous l'avons souligné, la Cour de cassation a rejeté la constitution d'une atteinte au droit à l'image considérant que les motifs retenus par la cour d'appel pour la caractériser, "tirés des propos tenus par les journalistes, relevant, comme tels, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse" étaient "impropres à caractériser une atteinte à la dignité de la personne représentée, au sens de l'article 16 du Code civil".
Par ce raisonnement, elle indique explicitement que la présentation dévalorisante de la personne du médecin, issue du commentaire off des journalistes, relève de la loi sur la presse. Sans précisément l'indiquer, elle révèle que les propos discréditant le médecin pouvaient être appréhendés sur le fondement de l'article 29 de ladite loi, sanctionnant la diffamation, précisément toute allégation ou imputation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne. Ce faisant, elle ne fait finalement que s'inscrire dans le prolongement de sa jurisprudence constante (23), selon laquelle les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9), ancien article 1382, en indiquant que lesdits abus sont distincts de ceux de l'article 9 du Code civil et, de fait, ne peuvent être réparés sur ce dernier fondement. D'ailleurs, la Cour de cassation avait eu l'occasion de juger que "les abus de la liberté d'expression prévus par la loi du 29 juillet 1881 ou par l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9) ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" (24), établissant ainsi déjà une distinction entre les abus relevant de la loi sur la presse et ceux relevant d'autres textes.
Dans l'espèce ici commentée, ce n'est en effet pas l'image en soi qui est dévalorisante et porte atteinte à la dignité de la personne mais bien le commentaire qui l'accompagne. En refusant que les motifs tirés des propos puissent caractériser l'atteinte à la dignité de la personne au sens de l'article 16 du Code civil, la Haute juridiction indique clairement que cette dernière, pour être valablement constituée, doit résulter de l'image elle-même, et non de propos l'accompagnant. Dès lors, la victime aurait dû poursuivre le commentaire et non l'image, et ce, non sur le fondement du droit au respect de la dignité, qui n'est pas protégé par la loi sur la presse, mais sur celui du droit au respect de sa considération, entendue comme étant la réputation professionnelle, protégé notamment au titre de l'article 29 de la loi sur la presse.
La solution adoptée est dès lors conforme à la spécialisation du contentieux de la loi sur la presse, dont les abus ne peuvent être réparés sur un autre fondement. On peut du reste observer qu'il avait déjà été jugé que dans l'hypothèse où une photographie illustrant une imputation diffamatoire n'était pas attentatoire à la vie privée, la poursuite ne pouvait être exercée que sur le fondement de l'article 29 de la loi sur la presse (25). L'espèce ici commentée s'inscrit dans ce prolongement : étant donné que l'image de la personne n'était pas, en elle-même, attentatoire à sa dignité mais était accompagnée d'un propos portant atteinte à sa réputation professionnelle, seule une poursuite sur le fondement de la dite loi était possible.
L'arrêt rendu témoigne donc, s'il en était besoin, de la technicité du contentieux des médias et de la nécessité pour la victime de déterminer avec précision et justesse le droit violé, duquel découle le préjudice subi, si elle veut obtenir réparation.
(1) CA Metz, 6 octobre 2015, 1ère ch., n° 13/03366 (N° Lexbase : A7132NSX).
(2) Ass. plén., 12 juillet 2000, n° 98-10.160 (N° Lexbase : A2598ATE), Bull. civ., n° 8 ; D., 2000, Somm., p. 463, obs. P. Jourdain ; RTDciv., 2000, pp. 845 et s., obs. P. Jourdain ; CCE, 2000, n° 108, obs. A. Lepage ; JCP éd. G, 2000, I, 280, note G. Viney ; LPA, 14 août 2000, pp. 4 à 10, note E. Derieux ; Légipresse, 2000, n° 175-III, pp. 153 et s., concl. av. gén. L. Joinet. Plus récemment la Cour de cassation a jugé qu'"hors restriction légalement prévue, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice, sauf dénigrement de produit ou service, ne peut être contesté sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" : Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 13-16.730, F-P+B (N° Lexbase : A2795MTP), Légipresse, 2014, n° 319, actu-n° 15, p. 460.
(3) Voir notamment : Cass. civ. 2, 30 juin 2004, n° 02-19.599, FS-P+B (N° Lexbase : A8956DCP), JCP éd. G, 2004, II, 10160, D. Bakouche.
(4) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 05-16.817, F-P+B (N° Lexbase : A8098DNA), Bull. civ., 2006, I, n° 170 ; D., 2006, p. 2702, obs. A. Lepage ; RTDCiv., 2006, p. 535, obs. J. Hauser ; Gaz. Pal., 5-6 octobre 2007, p. 54, obs. S. Lasfargeas.
(5) E. Dreyer, Image des personnes, J.- Cl. Comm., Fasc. 40, § 24.
(6) TGI Paris, 13 mars 1991.
(7) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 05-16.817, F-P+B, op. cit.. Voir également, CA Paris, 1ère ch., 15 avril 2005 ([LXB=en attente]), JCP éd. G, 2005, IV, 2672 ; CCE., 2005, comm. 142, obs. A. Lepage.
(8) CA Metz, 6 octobre 2015, 1ère ch., n° 13/03366, op. cit.
(9) R. Badinter, Le droit au respect de la vie privée, JCP éd. G, 1968, I, 2136 ; M. Serna, L'image des personnes et des biens, Economica, 1997, p. 174.
(10) J. Ravanas, La protection des personnes contre la réalisation et la publication de leur image, LGDJ, 1978 ; D. Acquarone, L'ambiguïté du droit à l'image, D., 1985, chron. p. 129 ; B. Beignier, L'honneur et le droit, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, 1995, p. 6 ; Le droit de la personnalité, PUF 1992, coll. Que sais-je ? ; E. Dreyer, L'image des personnes, op. cit..
(11) E. Dreyer, L'image des personnes, op. cit., § 25.
(12) Cass. civ. 1, 16 juillet 1998, n° 96-15.610 (N° Lexbase : A7537CHM), Bull. civ., 1998, I, n° 259 ; D., 1999, jurispr. p. 541, note J.-Ch. Saint-Pau.
(13) Cass. civ. 1, 20 février 2001, n° 98-23.471 (N° Lexbase : A8929AQR), Bull. civ., 2001, I, n° 25 ; JCP éd. G, 2001, II, 10533, p. 1049, note J. Ravanas ; D., 2001, p. 1199, note J.-P. Gridel.
(14) En ce sens : E. Dreyer, L'image des personnes, op. cit., § 39.
(15) Cass. civ. 1, 29 mars 2017, n° 15-28.813, FS-P+B+I, op. cit..
(16) Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 00-20.289, FS-P (N° Lexbase : A0906C9G), JCP éd G, 2003. II. 10139, note J. Ravanas ; Gaz. Pal., 2003. 3112, note C. Amson ; CCE 2003, n° 115, note A. Lepage ; ou encore, Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-16.273, FS-P+B (N° Lexbase : A5545NS8); D., 2015. 2008 ; ibid. 2016., 277, obs. E. Dreyer ; RTDciv., 2016, 449, obs. N. Cayrol ; JCP éd. G, 2015, n° 1385, note P. Ducoulombier.
(17) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-20.715, F-P+B (N° Lexbase : A5029DNL), Bull. civ. I, n° 140 ; D., 2006, 2702 , obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; JCP éd. G, 2006, I, 190, obs. Roussineau ; Gaz. Pal., 2007. Somm. 3522, obs. P. Guerder.
(18) Cass. civ. 1, 20 février 2001, n° 98-23.471 (N° Lexbase : A8929AQR), Bull. civ. I, no 42 ; D., 2001. 1199, note J.-P. Gridel ; ibid. 1990, obs. A. Lepage ; RTDCiv., 2001, 329, obs. J. Hauser ; JCP éd. G, 2001, II. 10533, note J. Ravanas ; Gaz. Pal., 2002, 641, concl. Sainte-Rose ; LPA, 5 avril 2001, note E. Derieux.
(19) Voir notamment : CEDH, 25 février 2016, Req. 4683/11 (N° Lexbase : A1633QDT), Dalloz actualité, 2 mars 2016, obs. S. Lavric ; RTDCiv., 2016. 297, obs. J.-P. Marguénaud.
(20) Cass. civ. 1, 29 mars 2017, n° 15-28.813, FS-P+B+I, op. cit..
(21) E. Dreyer, L'image des personnes, op. cit., § 70.
(22) Voir TGI Paris, 13 février 1974, D., 1974, jurispr. p. 550, note R. Lindon ; TGI Paris, réf., 14 novembre 1980, D., 1981, jurispr. p. 163, note R. Lindon ou encore TGI Paris, 26 septembre 1984, D., 1985, somm. p. 164, obs. R. Lindon : cité par E. Dreyer, L'image des personnes, op. cit., § 72.
(23) Ass. plén., 12 juillet 2000, n° 98-10.160, op. cit..
(24) Cass. civ. 2, 8 mars 2001, n° 99-14.995 (N° Lexbase : A4952ART).
(25) CA Paris, 1ère ch., section B, 15 décembre 2000, n° 2000/01080 (N° Lexbase : A3259WBC), Légipresse 2001, n° 182, III, p. 113.
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