La lettre juridique n°672 du 13 octobre 2016 : Arbitrage

[Jurisprudence] Une clause d'arbitrage insérée dans un projet de contrat non signé est-elle "une clause manifestement inapplicable" au sens des articles 1448 et 1455 du Code de procédure civile ?

Réf. : Cass. civ. 1, 21 septembre 2016, n° 15-28.941, F-P+B (N° Lexbase : A0168R4Y)

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

le 13 Octobre 2016

1. Suffirait-il que l'une des parties à un processus de création d'une relation contractuelle ait envisagé une clause d'arbitrage pour que cette clause, non signée par les deux parties, soit cependant considérée comme n'étant pas manifestement inapplicable ? L'affirmative, indiquée par l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 21 septembre 2016, irait-elle trop loin sur la voie tracée par le principe de compétence-compétence ? 2. L'article 1448 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2275IPX) dispose que "lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction d'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable". De même, l'article 1455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2268IPP) dispose, en matière d'arbitrage interne, que, "si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable, le juge d'appui déclare n'y avoir lieu à désignation [d'un arbitre]", texte que l'article 1506, alinéa 3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2216IPR) déclare également applicable en matière d'arbitrage international. C'est un grand principe du droit de l'arbitrage. Ces textes reprennent et formalisent vingt années de jurisprudence (1) sur ce que la doctrine a désigné comme le principe de "compétence-compétence" : le tribunal arbitral est compétent sur sa propre compétence, sauf dans les cas de nullité manifeste ou d'inapplicabilité manifeste de la clause.

3. Ce principe comporte un effet positif, la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence, et corrélativement un effet négatif, l'incompétence des tribunaux judiciaires pour vérifier la compétence du tribunal arbitral. C'est le régime de ce second effet dont il est question ici d'apprécier l'interprétation. En particulier, le tribunal arbitral n'ayant pas été constitué au sens de l'article 1448, et la nullité de la clause n'étant pas en cause, la seule condition dont il s'agit d'apprécier les contours est la notion d'inapplicabilité manifeste de la clause.

4. Il est toujours utile de rappeler qu'en tout état de cause le résultat du mécanisme mis en oeuvre par le principe de compétence-compétence restera conforme au droit. En effet, dans le premier cas, le tribunal arbitral se déclare compétent. S'il le fait à juste titre, la sentence ne sera pas annulée, du moins du chef de la compétence, le défendeur n'aura pas pu utiliser cette voie dilatoire de défense, et l'arbitrage aura conservé son efficacité. S'il le fait à tort, sa sentence sera annulée de ce chef. Dans le second cas, le tribunal arbitral se déclare incompétent. S'il le fait à juste titre, c'est conformément au droit que le tribunal judiciaire pourra connaître au fond de l'affaire. S'il le fait à tort, la sentence d'incompétence sera annulée sur le recours exercé par la partie qui en est insatisfaite, et la compétence reviendra au tribunal arbitral.

5. En définitive, non seulement l'exigence de légalité est, en tout cas, satisfaite mais en outre, l'arbitrage répond aux attentes légitimes des parties qui sont de voir régler leur différend au fond dans un délai raisonnablement diligent et surtout, d'éviter le comportement dilatoire consistant à éluder la compétence arbitrale par le biais d'une difficulté de compétence.

6. En revanche, l'application du principe cesse là où disparaît sa raison d'être, qui est d'éviter le risque d'un tel comportement dilatoire destiné à retarder la connaissance légitime du litige par le tribunal arbitral. Dans cet esprit, l'article 1455 in fine détermine deux limites à l'effet négatif du principe de compétence-compétence.

7. Il convient de relever une première limite. Dès lors que la clause d'arbitrage est "manifestement nulle", tout un chacun peut raisonnablement pronostiquer que, si d'aventure un tribunal arbitral, à supposer qu'il ait pu être constitué, venait à rendre une décision par laquelle il se déclare compétent, sa sentence serait annulée ; il est alors rationnel que la compétence du juge judiciaire puisse être admise de plano, en dispensant les parties du tracas inutile de constituer un tribunal arbitral et des coûts et retards qui en résultent à voir l'affaire examinée au fond ; en ce dernier sens, l'exception demeure conforme à l'esprit et à la logique de l'arbitrage.

8. La même observation vaut dans l'autre cas, celui où la clause, sans être manifestement nulle, serait cependant "manifestement inapplicable". Cette exception ne figurait pas dans les textes antérieurs à 2011. Son utilité avait cependant conduit la Cour de cassation à l'admettre (2), et a conduit le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, portant réforme de l'arbitrage (N° Lexbase : L1700IPN) à l'ajouter expressément.

9. Le système général est donc bien conçu, et même pourrait-on dire parfaitement bien au point. Il reste cependant la difficulté que peut poser le régime de la frontière entre le principe et les exceptions de l'article 1455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2268IPP).

10. En l'espèce, et en termes très pratiques, la question à résoudre est donc la suivante. En l'état d'une clause d'arbitrage figurant dans un projet de contrat non signée, faut-il considérer :

1°/ ou bien qu'il n'y a pas de clause d'arbitrage, ce qui écarte toute compétence arbitrale, ainsi que toute compétence (arbitrale ou judiciaire) pour apprécier une telle compétence ?

2°/ ou bien que nous sommes en présence d'une clause manifestement inapplicable, ce qui ouvre la compétence judiciaire pour dire si le tribunal arbitral est compétent ?

3°/ ou bien que nous sommes en présence d'une clause qui n'est pas manifestement inapplicable, ce qui confère au tribunal arbitral (à constituer), lui seul, compétence pour statuer sur sa compétence au fond du litige ?

11. Les principes d'interprétation retenus ne font, en général, l'objet d'aucune hésitation, encore moins de controverse. Ils sont commandés par l'économie générale du régime du principe de compétence-compétence. On doit "privilégier la prise en compte de la volonté réelle commune générale des parties de compromettre, aux dépens des avatars résultant de l'inadéquation ou de la maladresse de rédaction de la clause" (3). De manière plus précise, on considère (4) que "l'interprétation jurisprudentielle de la notion de nullité ou d'inapplicabilité manifeste demeure très restrictive". En particulier (5), "l'inapplicabilité manifeste ne peut résulter que du constat, exclusif de toute interprétation ou de toute analyse substantielle des faits, que le litige ne peut, à l'évidence, entrer dans le champ d'application de la convention d'arbitrage en cause". En dernier lieu, l'ouvrage du professeur Jean-Baptiste Racine (6) confirme qu'il faut que "la nullité ou l'inapplicabilité de la convention soit évidente au prix d'un simple examen sommaire" en précisant -pertinemment- que "nous sommes bien dans une application de la théorie de l'apparence : la convention d'arbitrage, dès lors qu'elle est invoquée, est apparemment efficace. Tel est bien le sens de la jurisprudence observée, dont la logique sans faille conduit le plus souvent -si ce n'est presque toujours- à rejeter l'exception d'inapplicabilité manifeste

12. Presque toujours, car dans le cadre d'une théorie de l'apparence dont on a bien compris la justification, dès lors que la clause d'arbitrage est invoquée elle est apparemment efficace et corrélativement, elle n'est pas manifestement inapplicable. Certes. Mais pour "apparaître", ne faut-il pas au moins qu'elle existe, et qu'à défaut d'avoir été signée par les parties, elle soit l'expression ou au moins le reflet d'une volonté commune des parties ?

13. Ne faut-il pas ainsi que cette volonté commune des parties de conclure une convention d'arbitrage soit caractérisée ? Certes, il est des situations désormais admises en droit positif d'extension de la clause d'arbitrage (groupe de contrats, circulation du contrat, opération économique globale, relations spécifiques entre parties, groupes de sociétés, adhésion à une offre d'arbitrage, etc...). Mais elles constituent toute une construction originale et légitime établie cependant sur l'appui de la fondation d'une première expression de la volonté des parties.

14. En d'autres termes, si le droit positif de l'arbitrage admet de nombreuses qualifications d'engagement compromissoire en l'absence de clause d'arbitrage, c'est à raison d'une volonté tacite en ce sens. Comme chacun sait, la volonté tacite n'est pas purement hypothétique : elle résulte du comportement des parties qui ne peut s'expliquer que par la volonté juridique que l'on entend en inférer. Même si les hypothèses retenues (8) pour une telle extension traduisent une conception fort extensive de cette volonté tacite et sa mise en perspective avec une certaine fluidité des relations commerciales, il n'en demeure pas moins qu'elle ne saurait s'en affranchir totalement.

15. C'est pourtant ce que fait la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté en considérant qu'une clause d'arbitrage figurant dans un projet de convention, non signé et en l'absence de toute autre circonstance permettant de la rattacher à un autre engagement compromissoire :

1°/ non seulement est une clause d'arbitrage ;

2°/ mais en outre est une clause qui n'est pas manifestement inapplicable.

16. Cette solution (sous bénéfice d'inventaire) semble nouvelle. Parmi les illustrations d'une inapplicabilité manifeste, on avait, par exemple, observé l'absence pure et simple de clause compromissoire (9), ou bien son remplacement par une clause différente dans une édition ultérieure du document contractuel.

17. En l'espèce, la "clause" apparaît dans un projet de contrat non signé par les parties et c'est -à notre avis- avec une assez forte logique que la cour d'appel avait considéré que la clause d'arbitrage n'avait jamais été discutée ou envisagée entre les parties, que sa présence dans un accord est entièrement nouvelle et que l'absence de signature de cet accord caractérise incontestablement une absence de volonté des parties de recourir à l'arbitrage, ce qui exclut la saisine de l'arbitre en l'absence de tout engagement contractuel.

18. Selon la cour d'appel, l'absence de tout engagement contractuel est une faiblesse qui est plus invalidante que ne le serait une "simple" inapplicabilité manifeste au sens de l'article 1448 du Code de procédure civile. L'insuffisance de la clause est plus grave. L'absence de tout engagement contractuel est une absence de clause (hypothèse 1°/ du n° 10 ci-dessus).

19. Pour s'en assurer, on a consulté l'arrêt contre lequel le pourvoi avait été formé. On peut y lire que "le fait que le projet de contrat du 4 février 2005 n'ait été signé par aucune des parties exclut le consentement de celles-ci. Cette circonstance caractérise incontestablement une absence de volonté de recourir à l'arbitrage, ce qui rend cette clause manifestement nulle et inapplicable au litige".

20. Voilà pourquoi, à notre avis, l'arrêt commenté ne mérite l'approbation ni du point de vue de l'économie particulière de la relation contractuelle concernée, ni du point de vue de l'économie générale du droit de l'arbitrage.

21. Il n'est sans doute pas raisonnable de considérer l'existence d'une clause d'arbitrage, de surcroît non manifestement inapplicable, par la seule circonstance que le rédactionnel d'une telle clause figure dans un projet de convention qui n'est signé par aucune des deux parties. Ce serait permettre à celle des parties qui rédige le projet de se constituer à elle-même un titre contractuel.

22. Les conséquences d'une telle jurisprudence, si elle venait à se pérenniser, seraient graves. Suffirait-il par exemple qu'une partie propose une clause d'arbitrage pour qu'elle soit considérée comme existante et non manifestement inapplicable ? Au terme d'un raisonnement absurde, suffirait qu'une partie en rêve, en supposant bien entendu qu'elle en prenne note à son réveil ?

23. Les rédacteurs de cet arrêt ont sans doute encore oublié qu'il convient d'être prudent à l'égard d'une conception trop élitiste de l'arbitrage, et qu'il serait juridiquement, économiquement et socialement utile de ne point trop en ignorer une conception plus "démocratique", c'est-à-dire aisément compréhensible. Dans des milieux géographiquement ou sectoriellement encore éloignés de l'arbitrage (disons le : dans le milieu des PME "de régions" et de leurs avocats), une solution de cette nature n'est pas susceptible de les en approcher. Ce sont aussi -mais ceci est sans doute négligeable- des années d'efforts assidus pour acclimater ceux qui auraient avantage à devenir de nouveaux acteurs de l'arbitrage qui sont menacés. Difficile de plaider la rationalité d'un système de règlement des litiges qui retient sa mise en oeuvre opérationnelle sur la foi d'un projet de clause non signé !

24. L'arrêt commenté présente certes un fondement, ou du moins un attendu décisoire : "en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire stipulée dans l'accord en procédant à un examen substantiel et approfondi des négociations contractuelles entre les parties pour conclure à leur absence d'engagement, la cour a violé le texte susvisé".

25. La consultation de l'arrêt d'appel permet encore de constater qu'il présente quelques lignes sur l'analyse des comportements qu'il faut bien considérer ici comme pré-contractuels, dans la mesure où ils sont dépourvus de tout engagement. Quelques lignes pour dire que la "clause" n'a jamais été signée, conclue, discutée ni même envisagée entre les parties et qu'elle est "entièrement nouvelle malgré presque 5 mois de négociations". Est-ce trop pour justifier le constat de l'absence de concours de volontés de recourir à l'arbitrage ? Assurément non.

26. Mais pour la Cour de cassation, c'est trop pour demeurer dans le cade prédéterminé du contrôle prima facie de la clause. La solution si technique qu'elle en devient technocratique conduit à une solution juridique dégagée des contingences pratiques, "hors sol" en quelque sorte, et inappropriée. Elle ne saurait être approuvée.


(1) D.Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, Gualino, 2012, n° 81 et s., n° 554 et s..
(2) Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 99-19.319, FS-P (N° Lexbase : A4856AWR) (en arbitrage international), Rev. arb., 2002, p. 919, note D. Cohen ; Cass. civ. 2, 18 décembre 2003, n° 02-13.410, FS-P+B (N° Lexbase : A4916DAC) (en arbitrage interne), Rev. arb., 2004, 442, RTDCom., 2004, 255, note E. Loquin.
(3) D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, précité, n° 140, p. 66.
(4) Ch. Séraglini et J. Ortscheidt, Droit de l'arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 168, p. 190 (en arbitrage interne) et n° 680, p. 600 (en arbitrage international).
(5) idem
(6) J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, PUF, Themis droit, septembre 2016, n° 364, p.271
(7) J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, préc., n° 370, p. 274.
(8) J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, préc., n° 317 et s., p. 243 et s..
(9) O. Cachard, Le contrôle de la nullité ou de l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, Rev. arb., 2006, p. 893 et s., n° 8.
(10) CA Aix en Provence, 23 février 2006, Rev. arb., 2006, 479.
(11) CA Aix-en-Provence, 5 novembre 2015, n° 14/24336 (N° Lexbase : A7894NUW).

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