La lettre juridique n°672 du 13 octobre 2016 : Cotisations sociales

[Doctrine] Contrôle d'assiette : formalisme et enjeux de la lettre d'observations

Lecture: 20 min

N4666BWQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Doctrine] Contrôle d'assiette : formalisme et enjeux de la lettre d'observations. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/34981859-doctrinecontroledassietteformalismeetenjeuxdelalettredobservations
Copier

par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 13 Octobre 2016

Il faut commencer par les chiffres, en ce qu'ils donnent la mesure des choses. L'ACOSS a encaissé en 2015, 488,8 milliards d'euros dont 105,7 milliards d'euros pour le compte d'un tiers (UNEDIC, 32,2 milliards d'euros et CNRSI, 10,4 milliards d'euros ; FSV, CADES, AOT...) ; au titre du contrôle et lutte contre la fraude, 1,52 milliard d'euros, dont 463 millions d'euros au titre du travail dissimulé (1). Les enjeux financiers sont donc considérables ; la dimension juridique l'est tout autant, sous d'autres formes. Les employeurs mais aussi les URSSAF et les contrôleurs de recouvrement sont confrontés à un certain nombre de difficultés, qui tiennent à la complexité des opérations de contrôle d'assiette. Cette situation génère des risques juridiques et judiciaires, car la procédure de contrôle risque d'être annulée si elle n'est pas conforme aux prescriptions législatives et réglementaires, spécialement, au principe du contradictoire. Un bref et rapide état des lieux montre en effet que dès la phase antérieure au contrôle, se pose un certain nombre de difficultés juridiques, relatives à l'avis de contrôle (contenu) ; aux formalités et modalités du contrôle sur place (commencement du contrôle) ; et, pour les contrôles accomplis dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, à l'absence d'envoi d'un avis de visite ; à la durée du contrôle ; à la période contrôlée et enfin, aux pouvoirs d'investigation. Ces complexités s'élèvent d'un cran dans l'hypothèse de passage d'un contrôle "normal" à un contrôle "travail dissimulé" (et réciproquement) : quel régime appliquer, celui en vigueur au début de la procédure ou celui, au final, retenu par l'URSSAF en fin de procédure de contrôle ? La Cour de cassation donne des réponses (Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-16.110, FS-P+B N° Lexbase : A0051RX8), mais elles restent assez fragiles. Eu égard à la complexité et la multiplicité des questions soulevées par les opérations de contrôle d'assiette, il paraît raisonnable de limiter le propos à un ou deux points seulement. L'attention a été portée, plus précisément, sur le dispositif de la lettre d'observations, qui est l'une des étapes clés dans la procédure postérieure au contrôle d'assiette. C'est à ce moment, en effet, que l'inspecteur de recouvrement a analysé la situation comptable de l'entreprise et le respect par l'employeur de ses obligations sociales (règles de calcul des cotisations, notamment leur assiette et modes de calcul) ; l'éligibilité de l'employeur aux différentes aides (exemption d'assiette, exonérations et autres réductions). La lettre d'observations retrace ces points. Son analyse et la compréhension de ses ressorts juridiques sont capitaux, car ils sont au coeur de l'amélioration des relations URSSAF/employeurs et de la consécration des droits du cotisant.
Les décrets du 31 janvier 1996 (décret n° 96-91, fixant les modalités du contrôle de l'application de la législation de la Sécurité sociale par les employeurs, les travailleurs indépendants non salariés non agricoles, les exploitants agricoles et les avocats N° Lexbase : L2813G8P) et du 28 mai 1999 (décret n° 99-434, portant diverses mesures de simplification et d'amélioration des relations avec les cotisants N° Lexbase : L2814G8Q) ont précisé le déroulement du contrôle de façon à garantir les droits du cotisant : envoi obligatoire d'un avis de contrôle par lettre recommandée avec avis de réception, remise d'une lettre d'observations à l'issue du contrôle, délai de réponse du cotisant porté de quinze à trente jours. Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 (relatif aux droits des cotisants et au recouvrement des cotisations et contributions sociales N° Lexbase : L9947HUX) et le décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013 (relatif aux redressements des cotisations et contributions sociales en cas de constat de travail dissimulé ou d'absence de mise en conformité N° Lexbase : L6037IYA) et enfin le décret du 8 juillet 2016 (décret n° 2016-941, relatif au renforcement des droits des cotisants N° Lexbase : L2678K93) (2) ont élargi les prérogatives reconnues aux employeurs, avant le contrôle (envoi de l'avis préalable de contrôle ; contenu et portée de l'avis préalable de contrôle), pendant le contrôle (consultation de documents ; audition des salariés ; exploitation des données numériques ; méthode d'échantillonnage) ou à l'issue du contrôle (lettre d'observations ; réponse à la lettre d'observations ; mise en recouvrement des cotisations ; fixation forfaitaire du montant de l'assiette ; avertissement/mise en demeure ; remise des majorations et des pénalités).

Les travaux aussi bien universitaires qu'institutionnels (3), suscités par l'activité de contrôle des URSSAF, ont en effet montré l'enjeu majeur que représentent les droits des cotisants, appréciés selon une logique de droits fondamentaux (obligation d'information, de transparence et loyauté) (4) et de droits de la procédure (objectif : assurer une plus grande sécurité juridique des acteurs économiques et lutter contre le phénomène d'insécurité juridique des cotisants, liée à la complexification et de l'instabilité de la norme en matière d'exonération et d'allègement de cotisation sociale).

I - Existence et contenu d'une lettre d'observations

La première question qui se pose est celle de l'existence d'une lettre d'observations rédigée et envoyée par l'inspecteur du recouvrement. La jurisprudence avait admis la possibilité d'une existence implicite et informelle d'une lettre d'observations ("accord tacite") ; mais le décret du 8 juillet 2016 (préc.) (5) a remis en cause l'existence de l'accord tacite. Le pouvoir réglementaire a poursuivi cet effort d'encadrer et fixer un régime juridique de la lettre d'observations, dont le contenu est désormais défini.

A - Existence implicite et informelle d'une lettre d'observation : l'accord tacite

Il faut distinguer deux périodes, lesquelles s'articulent autour du décret du 8 juillet 2016.

1 - Jusqu'au décret du 8 juillet 2016 : l'absence d'observations vaut accord tacite

A l'issue des opérations de contrôle URSSAF, un certain nombre d'obligations pèsent sur les agents de contrôle, qui sont conçues comme des garanties des droits des cotisants. L'inspecteur du recouvrement doit établir un document de fin de contrôle (lettre d'observations), dans lequel figurent obligatoirement un certain nombre de mentions : ce document, daté et signé, mentionne l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle (CSS, art. R. 243-59 N° Lexbase : L2870K98). Le pouvoir réglementaire avait alors admis l'existence d'un accord tacite (dernier alinéa de l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale) : l'absence d'observations valait accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l'URSSAF avait pu se prononcer en toute connaissance de cause (6).

La Cour de cassation est intervenue à de nombreuses reprises, pour fixer et définir un régime juridique de l'accord tacite, face à cette situation de carence normative (aucun texte n'organisait le régime de l'accord tacite, not. l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, dernier alinéa). La Cour de cassation a ainsi fixé le régime :

- de la preuve. L'employeur qui entend se prévaloir d'un accord tacite doit en rapporter la preuve (7). Le seul examen des bulletins de salaires ne permet pas, en lui-même, de démontrer l'accord tacite de l'URSSAF (Cass. civ. 2, 28 janvier 2010, n° 08-21.783, FS-P+B N° Lexbase : A6054ERN). Le fait que les agents prennent connaissance des bulletins de salaire mentionnant les frais de déplacement professionnel n'implique pas qu'ils aient vérifié les conditions d'exonération (Cass. civ. 2, 19 avril 2005, n° 03-30.718, FS-P+B N° Lexbase : A9651DHW). Mais la consultation du procès-verbal du directoire instituant l'avantage litigieux et du procès-verbal de réunion des délégués du personnel, qui en rappelait l'existence, est suffisante pour démontrer l'accord tacite (Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-17.126, F-D N° Lexbase : A8974EKL) ;

- de la portée de l'accord tacite. L'accord tacite n'est que temporaire. En effet, la notification par l'URSSAF d'une décision contraire fait obstacle à ce que l'accord tacite antérieur puisse continuer à produire effet (Cass. civ. 2, 4 avril 2013, n° 12-15.739, F-P+B N° Lexbase : A6391KBC) (8). Réciproquement, le silence gardé par l'organisme de recouvrement, lors d'un précédent contrôle, sur la légitimité de la pratique suivie par la société, constitue une décision implicite et non équivoque qui lie l'URSSAF jusqu'à notification d'une décision en sens opposé (Cass. soc., 17 mars 1994, n° 91-21.042, inédit N° Lexbase : A6964CUH). La Cour de cassation a rendu d'autres décisions, dans le même sens, donnant tous ses effets à l'accord tacite, qui lie l'URSSAF (9) ;

- du pouvoir souverain des juges du fond. L'absence d'observations est une question de fait. La Cour de cassation n'opère pas de contrôle sur les éléments de fait à partir desquels les juges du fond caractérisent une décision implicite. La question relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (Cass. civ. 2, 28 janvier 2010, n° 08-21.783, FS-P+B N° Lexbase : A6054ERN) (10) ;

- des conditions de validité de l'accord tacite. Les textes (CSS, art. R. 243-59, dernier alinéa, réd. antérieure décr. du 8 juillet 2016) admettaient que l'absence d'observations valait accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l'organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause. Le redressement ne pouvait porter sur des éléments qui, ayant fait l'objet d'un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n'ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme. Bref, les conditions portaient sur une identité de situation (11), identité d'objet (12), identité de cotisant (13) et enfin, identité des conditions (14).

2 - Régime en vigueur depuis le décret du 8 juillet 2016

Il aura donc fallu attendre 2016 pour que le pouvoir réglementaire (décret du 8 juillet 2016, préc.) supprime l'accord tacite. En effet, en cas de réitération d'une pratique ayant déjà fait l'objet d'une observation ou d'un redressement lors d'un précédent contrôle, la lettre d'observations précise les éléments caractérisant le constat d'absence de mise en conformité (défini à l'article L. 243-7-6 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6941IUM). Le constat d'absence de mise en conformité est contresigné par le directeur de l'organisme effectuant le recouvrement (CSS, art. R. 243-59, III).

B - Contenu de la lettre d'observations

Le contenu de la lettre d'observations pose deux types de difficultés : les premières sont relatives aux mentions de la lettre d'observations ; la seconde, à la signature de l'auteur de la lettre d'observations.

1 - Mentions obligatoires

Jusqu'au décret du 8 juillet 2016. Le régime était fixé en dernier lieu par le décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013 (CSS, art. R. 243-59, III). L'inspecteur du recouvrement doit établir un document de fin de contrôle (lettre d'observations), dans lequel figurent obligatoirement un certain nombre de mentions :

- l'objet du contrôle. L'inspecteur du recouvrement doit préciser qu'il agit dans le cadre de la mission de vérification de l'application des dispositions du Code de la Sécurité sociale que la loi confie aux URSSAF ;

- les documents consultés. La lettre d'observations doit mentionner les documents que l'agent de contrôle a consultés dans le cadre de son droit à communication. Cette mention présente un double intérêt pour le cotisant. En premier lieu, l'information peut être utile en cas de contestation, dans la mesure où le contrôlé peut orienter ses observations sur le contenu et la portée à donner à tel document ayant été vérifié. En second lieu, la liste des documents consultés peut faciliter la reconnaissance d'un accord tacite de l'URSSAF sur certaines pratiques contrôlées ;

- la période vérifiée. Le document de fin de contrôle doit faire état de la période ayant donné lieu à contrôle. Cette mention permet de s'assurer que les délais de prescription en matière de contrôle et de redressement ont été respectés (CSS, art. L. 244-3 N° Lexbase : L4455IRG) ;

- la date de fin de contrôle. L'inspecteur du recouvrement ne peut plus faire usage de ses différentes prérogatives (droits d'entrée dans l'entreprise, de communication de tout document nécessaire et d'audition des personnes rémunérées) dès lors qu'il a mis un terme au contrôle sur place par la rédaction du document de fin de contrôle ;

- le droit de réponse du cotisant. La lettre d'observations doit indiquer au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre, par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations. L'employeur a la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix. Il s'agit là d'une formalité substantielle affectant la validité du contrôle (15).

- les motivations de fait et de droit. Le décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59, III) prévoit désormais que la lettre d'observations indique, pour chaque chef de redressement les considérations de droit et de fait sur lesquelles l'union de recouvrement se fonde, avec l'indication du montant des assiettes correspondant. Elle doit également mentionner pour les cotisations et contributions sociales, l'indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations.

Mais, a contrario, la lettre d'observations ne doit pas nécessairement indiquer le nombre de salariés concernés pour chaque chef de redressement. En l'espèce (16), l'employeur disposait des éléments suffisants pour en discuter l'exactitude. La Cour de cassation avait déjà décidé qu'il n'existe pas d'obligation de joindre une liste nominative des salariés concernés (17).

Depuis le décret du 8 juillet 2016. La lettre d'observations est modifiée, en certains points, par le décret du 8 juillet 2016 (art. 16 ; CSS, art. R. 243-59, II, nouvelle réd.) :

- les lettres d'observations sont désormais motivées par chef de redressement. A ce titre, elles comprennent les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement ;

- le contenu de la lettre d'observations est modifié. Auparavant, la lettre indiquait la nature, du mode de calcul (18) et du montant des redressements (19) et des éventuelles majorations et pénalités (CSS, art. L. 243-7-2 N° Lexbase : L1943IEP, art. L. 243-7-6 et L. 243-7-7 N° Lexbase : L1377I77). Désormais, la lettre d'observations indique le montant des assiettes correspondant, ainsi que pour les cotisations et contributions sociales l'indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités qui sont envisagés.

2 - Signature

Les juges font preuve d'une certaine sévérité et admettent l'annulation des lettres d'observations qui n'ont pas été signées par l'un des inspecteurs ayant procédé au contrôle (20). A contrario, les juges n'exigent pas que la lettre de mise en demeure, ou la lettre simple portant détail des cotisations ne soient signées (CA Toulouse, 6 juillet 2016, n° 16/00581 N° Lexbase : A4691RWN) (21). Cependant, aucune disposition n'impose à peine de nullité la signature de la mise en demeure par le directeur ou par un agent de l'organisme titulaire d'une délégation de pouvoir ou de signature de celui-ci. En effet, en l'espèce, la mise en demeure informe suffisamment le cotisant, tant dans le courrier recommandé que dans le courrier simple, la nature des cotisations est indiquée, les allocations familiales et cotisations du travailleur indépendant, les périodes trimestrielles et les montants. Ce qui importe, pour les juges, est le respect par les URSSAF de leurs obligations d'information, de transparence et de loyauté (22).

II - Mise en oeuvre de l'obligation d'envoyer une lettre d'observations

Le décret du 8 juillet 2016 a résolu un certain nombre de difficultés, liées au régime du contrôle d'assiette, mais de manière partielle et incomplète. La jurisprudence apporte, au fur et à mesure, des réponses aux questions laissées en suspens : c'est particulièrement vrai pour l'envoi de la lettre d'observations et l'étude des effets attachés à l'envoi de la lettre d'observations.

A - Envoi de la lettre d'observations

1 - Preuve de l'envoi

Depuis 1991, la Cour de cassation a tranché la difficulté du régime de la preuve : la charge de la preuve de la communication de la lettre d'observations pèse sur l'organisme de recouvrement (Cass. soc., 7 mai 1991, n° 88-16.344, publié au bulletin N° Lexbase : A1079AA9). La doctrine administrative s'est alignée sur cette position (lettre-circ. ACOSS n° 99-82 du 16 juillet 1999).

2 - Délais d'envoi de la lettre

Les dispositions réglementaires (CSS, art. R. 243-59, réd. décr. 8 juil. 2016 et réd. antérieure) n'apportent aucune indication. A priori, la procédure de contrôle et le redressement lui-même ne sont pas susceptibles d'être sanctionnés par la nullité, en raison du caractère tardif de la communication des observations de l'inspecteur du recouvrement. La Cour de cassation estime en effet qu'aucun délai n'est fixé pour l'envoi de la lettre d'observations que l'URSSAF envoie au cotisant (23) : en l'espèce, l'entreprise, objet d'un contrôle en mars et avril 2009 sur les années 2007 et 2008, a reproché à l'URSSAF de ne pas avoir clôturé ce contrôle dans un délai raisonnable. Ce n'est qu'en octobre 2010 qu'elle lui avait adressé une lettre d'observations (soit un délai de quinze mois entre le contrôle sur place et la lettre d'observations). En effet, pour la Cour de cassation, les dispositions de l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, qui ne méconnaissent pas les exigences des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ne fixent aucun délai pour l'envoi de la lettre d'observations que l'inspecteur du recouvrement adresse au cotisant à l'issue du contrôle. Le délai de quinze mois pendant lequel le contrôle s'est prolongé jusqu'à l'envoi de la lettre d'observations apparaît justifié au regard de la complexité de la législation et de l'ampleur du redressement pouvant être envisagé.

Dans le même sens, la Cour de cassation n'a pas prononcé l'annulation d'une procédure de contrôle d'une entreprise par une URSSAF, s'agissant d'une lettre d'observations adressée huit mois plus tard (24). En effet, la cour d'appel a pu estimer qu'un tel délai était raisonnable aux motifs que de nombreuses relances et échanges avaient été nécessaires pour obtenir tous les documents et justificatifs permettant la vérification et l'établissement de la lettre d'observations. Les anomalies étaient nombreuses et justifiaient une exploitation exhaustive des pièces réclamées par l'inspecteur ; postérieurement au 9 octobre 2007, l'URSSAF avait informé la cotisante que sa situation justifiait une poursuite et un approfondissement des investigations.

Au final, le régime des délais d'envoi de la lettre n'est pas satisfaisant, car non encadré et laissé à la libre appréciation des URSSAF, générant une forte insécurité juridique.

B - Effets attachés à l'envoi de la lettre d'observations

L'envoi de la lettre d'observations n'est pas du tout un point anodin, puisque cet envoi déclenche plusieurs droits et prérogatives juridiques : un droit de réponse du cotisant ; une obligation de réponse à la charge de l'URSSAF.

1 - Droit de réponse du cotisant

Auparavant, l'employeur disposait d'un délai de quinze jours, raisonnablement passé à trente jours (décr. n° 99-434 du 28 mai 1999, portant diverses mesures de simplification et d'amélioration des relations avec les cotisants et modifiant le Code de la Sécurité sociale) pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception à la lettre observations. Il pouvait se faire assister d'un conseil de son choix (CSS, art. R. 243-59, al. 6). Cette disposition a été maintenue et complétée par le décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59, II, nouvelle réd.). Dorénavant, dans sa réponse, l'employeur contrôlé peut indiquer toute précision ou tout complément notamment en proposant des ajouts à la liste des documents consultés. Lorsque l'employeur répond avant la fin du délai imparti, l'agent chargé du contrôle est tenu de répondre.

Pour la Cour de cassation (25), cette communication à l'employeur, destinée à assurer le caractère contradictoire du contrôle ainsi que la sauvegarde des droits de la défense et à permettre un apurement souhaitable avant tout recours, constitue une formalité substantielle dont dépend la validité de la procédure. Aussi, lorsque l'agent de contrôle établit, clôture et transmet son rapport avant d'avoir communiqué ses observations à la société, cette circonstance entraîne la nullité des mises en demeure délivrées postérieurement. En effet, l'employeur n'a plus la possibilité, dans cette situation, d'exercer son droit de réponse. La même solution a été retenue, s'agissant de la procédure de contrôle au cours de laquelle l'inspecteur qui transmet son rapport de contrôle à son organisme de recouvrement concomitamment à l'envoi de ses observations au cotisant, n'accordant à celui-ci aucun délai de réponse (Cass. soc., 11 février 1999, n° 97-15.496, inédit N° Lexbase : A3046CRA)

La Cour de cassation a poussé l'exigence du formalisme jusqu'à imposer que l'agent de contrôle indique, dans la lettre d'observations, la mention intrinsèque invitant l'employeur à répondre dans le délai de quinze jours aux observations de l'agent de contrôle ; à défaut, la Cour en tire la conclusion que n'ont pas été respectées les formalités substantielles qui ont pour but de donner un caractère contradictoire au contrôle et de sauvegarder les droits de la défense (26).

2 - Obligation de réponse à la charge de l'URSSAF

Le décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59, II, nouvelle réd.) a modifié sur deux points le régime du droit de réponse de l'employeur : lorsque l'employeur répond avant la fin du délai imparti (30 jours), l'agent chargé du contrôle est tenu de répondre ; chaque observation exprimée de manière circonstanciée par la personne contrôlée fait l'objet d'une réponse motivée par l'URSSAF ; la réponse de l'URSSAF détaille, par motif de redressement, les montants qui ne sont pas retenus et les redressements qui demeurent envisagés.

Les textes antérieurs au décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59) prévoyaient déjà une obligation pour l'inspecteur de répondre aux observations du cotisant formulées dans un délai de trente jours après la réception de la lettre d'observations. La doctrine (27) a montré que les inspecteurs URSSAF se contentaient, le plus souvent, de réponses très lapidaires confirmant les termes du redressement sans tenir compte des arguments avancés par les entreprises.

La portée de la réponse de l'URSSAF a été précisée par la jurisprudence :

- l'inspecteur du recouvrement, à réception de la réponse de l'employeur dans le délai de trente jours, peut lui demander des justificatifs complémentaires et, tenant compte des observations en réponse, lui indiquer que celles-ci conduisaient à une minoration du redressement initialement envisagé sans avoir à envoyer une nouvelle lettre d'observations. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'un nouveau contrôle et un avis de contrôle n'a pas à être adressé au cotisant (28) ;

- l'inspecteur du recouvrement peut adresser une seconde lettre d'observations qui annule et remplace la première en reprenant les mêmes chefs de redressement, mais en en minorant les montants (29). En l'espèce, la société n'a pas fait l'objet de deux contrôles, mais d'un contrôle unique, concernant la même période et les mêmes éléments, ayant donné lieu à deux lettres d'observations de fin de contrôle, après prise en compte des observations en réponse fournies par l'employeur, la première annulant et remplaçant la précédente, tout en reprenant les mêmes chefs de redressement envisagés, sauf à en réduire les montants pour tenir compte des délais de prescription.

L'abondance du contentieux montre à quel point le régime de la lettre d'observations est un point sensible pour les entreprises et que ce régime est insuffisamment encadré et défini par les textes (source d'insécurité et nid à contentieux). Le décret du 8 juillet 2016 va clairement dans le sens d'une amélioration des relations URSSAF/entreprise, mais de nombreuses zones d'ombre demeurent (spéc., la question des délais d'envoi de la lettre).


(1) ACOSS, Le contrôle et la lutte contre la fraude au prélèvement social, Rapport d'activité thématique 2015, en ligne ; Convention d'objectifs et de gestion Etat-ACOSS, 2014-2017, p. 38-41.
(2) J.-M. Nelly, Réforme du contrôle URSSAF : aux tribunaux de transformer l'essai !, SSL, n° 1732 du 18 juillet 2016 ; F. Wismer et J. de Calbiac, JCP éd. S, 26 juillet 2016, act. 291 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 664, 2016 (N° Lexbase : N3822BWH).
(3) B. Gérard et M. Goua, Pour un nouveau mode de relation URSSAF - entreprises, Rapport, avril 2015 ; O. Fouquet et T. Wanecq (rapporteur général), Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les URSSAF et prévenir les abus, Rapport (dit "Fouquet II"), juillet 2008 (Ph. Coursier et D. Coleu, Droits et obligations des cotisants après le rapport "Fouquet II", Dr. soc., 2010, p. 202) ; ACOSS, Rapport d'activité, 2013.
(4) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 651, 2016 (N° Lexbase : N2248BW8).
(5) J.-M. Nelly, SSL, n° 1732 du 18 juillet 2016, préc. ; F. Wismer et J. de Calbiac, JCP éd. S, 26 juillet 2016, act. 291, préc. ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 664, 2016, préc..
(6) Le redressement ne portait alors que sur des éléments qui, ayant fait l'objet d'un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n'ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme.
(7) Cass. civ. 2, 26 novembre 2015, n° 14-26.017, F-P+B (N° Lexbase : A0769NY7), LSQ, n° 220, 8 décembre 2015.
(8) Cass. civ. 2, 4 avril 2013, n° 12-15.739, F-P+B (N° Lexbase : A6391KBC), Bull. civ. II, n° 74 ; JCP éd. S, 2013, n° 1306, note M. Michalletz. A la suite de plusieurs contrôles portant sur la période antérieure à 2007, l'URSSAF de Paris n'avait formulé aucune observation sur le non-paiement par l'Alliance française de Paris (l'association) du versement de transport. Pour dire l'association en droit de bénéficier de l'exonération du versement de transport, l'arrêt relève que, durant la période antérieure à 2007, les contrôles effectués par l'URSSAF en mars 2000, en décembre 2003 et en août 2007 n'ont pas remis en cause l'absence de versement de transport. En statuant ainsi, alors que la notification en 2007 d'une décision contraire faisait obstacle à ce que l'accord tacite antérieur de l'URSSAF puisse continuer à produire effet, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
(9) Cass. soc., 11 octobre 2001, n° 00-11.880, inédit (N° Lexbase : A8993AWY), RJS, 2002, n° 323, 2ème esp. ; Cass. soc., 25 janvier 2001, n° 98-14.915, inédit (N° Lexbase : A9373ASX ; la société Brit Air. a fait l'objet de deux précédents contrôles sur les périodes du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1979 et du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1983, portant sur les mêmes avantages en nature, au cours desquels l'URSSAF a consulté tous les documents comptables. L'URSSAF a alors décidé en toute connaissance de cause de ne pas intégrer dans l'assiette des cotisations ces avantages en nature. L'URSSAF était liée par sa décision implicite. La décision contraire prise le 20 décembre 1994 ne pouvait pas avoir un effet rétroactif) ; Cass. civ. 2, 22 janvier 2009, n° 07-19.038, FS-P+B (N° Lexbase : A6383ECE), RJS, 2009, n° 275 (au cours de la vérification, l'agent de l'URSSAF a pu prendre connaissance du relevé comptable des sommes versées aux membres de l'équipe de France au cours des années 1988 et 1989 dans des situations identiques à celles examinées lors du contrôle pratiqué en 1994 et n'a formulé aucune remarque sur ce point ; le silence gardé par l'URSSAF sur la pratique alors suivie par la FFF constituait de la part de celui-ci une décision implicite, prise en connaissance de cause, qui faisait obstacle au redressement litigieux, en l'absence de décision contraire de sa part notifiée avant le second contrôle, la diffusion par l'ACOSS d'une lettre ministérielle ne pouvant en tenir lieu).
(10) Cass. soc., 11 octobre 2001, n° 00-11.880, inédit (N° Lexbase : A8993AWY), Bull. civ. II, n° 23 ; RJS, 2010, n° 377. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments produits que le tribunal, après avoir exactement rappelé que la charge de la preuve en la matière incombait à l'employeur, a jugé que les documents versés aux débats par la société étaient insuffisants à caractériser un accord tacite sur la pratique litigieuse donné en connaissance de cause lors de précédents contrôles.
(11) Cass. soc., 16 avril 1992, n° 89-16.089, inédit (N° Lexbase : A1090AAM), RJS, 1992, n° 783 ; Cass. civ. 2, 30 mai 2013, n° 12-20.300, F-D (N° Lexbase : A9422KEP).
(12) Cass. soc., 17 décembre 1998, n° 97-13.180, inédit (N° Lexbase : A1622CWY), RJS, 1999, n° 261 ; Cass. civ. 2, 23 mai 2013, n° 12-20.045, F-D (N° Lexbase : A9202KD8).
(13) Cass. civ. 2, 18 novembre 2003, n° 02-30.552, F-D (N° Lexbase : A2078DA9), RJS, 2004, n° 447 ; Cass. soc., 13 février 1992, n° 89-17.951, publié (N° Lexbase : A4644ABM).
(14) Cass. civ. 2, 16 février 2012, n° 11-10.690, F-D (N° Lexbase : A8741ICQ) ; Cass. civ. 2, 20 janvier 2012, n° 10-27.291, F-D (N° Lexbase : A1356IBT).
(15) Cass. civ. 2, 10 octobre 2013, n° 12-26.586, F-D (N° Lexbase : A6966KMX), RJS, 2014, n° 77 ; Cass. civ. 2, 3 avril 2014, n° 13-11.516, F-P+B (N° Lexbase : A6339MIM), Gaz. Pal. 2014, I, jurispr., p. 1765, Ph. Coursier.
(16) Cass. civ. 2, 9 juillet 2015, n° 14-17.752, F-P+B (N° Lexbase : A7668NMX), JCP éd. S, 20 octobre 2015, 1374, Commentaire par O. Anfray, critique ("Cette analyse demeure regrettable. Certains chefs de redressement et la vérification des calculs effectués nécessitent de savoir quels éléments ont été réintégrés, donc de savoir quels salariés ont été visés").
(17) Cass. soc., 24 octobre 2002, n° 01-20.035 (N° Lexbase : A3515A3L), Bull. civ. V, n° 318, JCP éd. G, 2002, n° 2963, RJS, 2003, n° 249 ; Cass. civ. 2, 20 juin 2007, n° 06-16.227, F-D (N° Lexbase : A8811DWA) ; Cass. soc., 11 janvier 1973, n° 71-13321, publié (N° Lexbase : A9834CGC), Bull. civ. V, n° 23.
(18) Cass. civ. 2, 18 septembre 2014, n° 13-21.682, F-P+B (N° Lexbase : A8344MWX), M. Michalletz, Redressement URSSAF : la lettre d'observations doit mentionner le mode de calcul des redressements envisagés, JCP éd. S, n° 48, 25 novembre 2014, 1456.
(19) Cass. civ. 2, 16 février 2012, n° 11-12.166, F-P+B (N° Lexbase : A8638ICW), JCP éd. S, 2012, n° 1171, note T. Tauran.
(20) Cass. civ. 2, 6 novembre 2014, n° 13-23.990, F-P+B (N° Lexbase : A9183MZ7), LSQ, n° 159 du 8 septembre 2015.
(21) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 668, 2016 (N° Lexbase : N4273BW8).
(22) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 651, 2016, préc..
(23) Cass. civ. 2, 28 mai 2015, n° 14-17.618, F-P+B (N° Lexbase : A8152NIR), LSQ, n° 159 du 8 septembre 2015.
(24) Cass. civ. 2, 5 novembre 2015, n° 14-23.281, F-D (N° Lexbase : A0197NW9), JCP éd. E, 2015, n° 1592.
(25) Cass. soc., 6 février 1997, n° 95-13.685, publié (N° Lexbase : A1812AC4), Bull. civ. V, n° 56, p. 36 ; dans le même sens, Cass. soc., 5 novembre 1999, n° 96-21843, publié (N° Lexbase : A2499CGN) ; RJS, 1999, n° 1509, 2ème esp..
(26) Cass. soc., 18 juillet 1996, n° 94-17.174, publié (N° Lexbase : A9953ABA), Bull. civ. V, n° 306, p. 217, RJS, 1996, n° 1093.
(27) F. Wismer et J. de Calbiac, JCP éd. S, 26 juillet 2016, act. 291, préc..
(28) Cass. civ. 2, 3 mai 2006, n° 04-30.729, F-D (N° Lexbase : A3536DPN), RJS, 2006, n° 889.
(29) Cass. civ. 2, 16 novembre 2006, n° 05-16.874, FS-D (N° Lexbase : A3390DSD), RJS, 2007, n° 380, 1ère esp..

newsid:454666