La lettre juridique n°659 du 16 juin 2016 : Procédure prud'homale

[Textes] Réforme de la justice prud'homale issue de la loi "Macron" : le décret d'application est enfin publié

Réf. : Décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail (N° Lexbase : L2693K8A)

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par Kevin Bouleau, Juriste en droit du travail et Pierre Didier, Avocat à la cour, Cabinet Baker & McKenzie

le 16 Juin 2016

Depuis plusieurs années, les condamnations de l'Etat liées au dysfonctionnement des juridictions prud'homales, et notamment aux délais excessifs, sont en augmentation constante. Ces délais de traitement anormalement longs (en moyenne 16,6 mois ou 28 mois selon qu'il y a ou non départage, et 17,2 mois en appel), mais également la disparité des décisions d'une juridiction à l'autre ou encore des taux d'appel très élevés (67 %) (1) concernent quelques 200 000 personnes saisissant la juridiction prud'homale chaque année. Ce bilan peu glorieux avait été à l'origine de la mission confiée par l'ancienne Garde des Sceaux, Madame Christiane Taubira, à l'ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, Monsieur Alain Lacabarats, qui avait rendu en juillet 2014 un rapport intitulé "L'avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud'homal du XXIème siècle" (2).
Le volet sur la justice prud'homale de la loi du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi "Macron" (3) a repris plusieurs des propositions de ce rapport (4) dans le but d'améliorer le fonctionnement de la justice prud'homale en la rendant plus rapide, plus sûre et plus prévisible pour les employeurs comme pour les salariés.
Le décret d'application n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, très attendu, et plusieurs fois reporté, vient enfin d'être publié au Journal officiel du 25 mai 2016, et permet à cette réforme de rentrer pleinement en vigueur. Modification de la procédure prud'homale en première instance et en appel, regroupement devant le tribunal d'instance du contentieux préélectoral, possibilité de saisir la Cour de cassation pour avis sur l'interprétation des accords collectifs..., ce décret adopte, selon sa notice explicative, "les mesures nécessaires à la modernisation de la justice prud'homale et à la rationalisation du traitement de certains contentieux du travail relevant de la compétence judiciaire". I - La nouvelle procédure devant le conseil des prud'hommes

Le décret rénove, tout d'abord, le cadre procédural devant le conseil de prud'hommes.

Saisine du conseil de prud'hommes. La demande reste formée soit par requête, soit par présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) (4).

La possibilité de présentation volontaire des parties existait déjà avant le présent décret, mais reste très peu utilisée pour des questions pratiques, ce mode de saisine impliquant une connaissance par le demandeur des jours d'audiences de conciliation, qu'il se présente devant la section compétente, mais également qu'il soit accompagné de son employeur, ce qui est tout à fait illusoire.

En revanche, à compter du 1er août 2016, la requête introductive sera calquée sur la saisine prévue par le Code de procédure civile. Ainsi, cette requête ne se fera plus par simple dépôt d'un formulaire type, mais devra contenir un exposé des motifs de la demande et mentionner chacun des chefs de celle-ci. Elle devra également être accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions, ces pièces devant être énumérées dans un bordereau qui lui sera annexé. Cette requête, ainsi que le bordereau, devront être établis en autant d'exemplaires qu'il existe de défendeurs, outre l'exemplaire destiné à la juridiction (5). A réception de cette requête, le greffe communiquera au demandeur le lieu, la date et l'heure de la séance de conciliation.

Il faut préciser que cette procédure prévoit également une incitation pour le demandeur à communiquer ses pièces en amont de la date de conciliation, car si le défendeur ne comparaît pas, une décision pourra être rendue en son absence, à la condition qu'il ait eu connaissance des pièces et des moyens (6) adverses au préalable.

Dans la pratique, cette modification des règles de saisine aura pour intérêt de contraindre les parties, et en premier lieu le demandeur, à communiquer leurs pièces et conclusions très en amont dans le déroulé de la procédure, ce qui constituera une grande nouveauté par rapport à la pratique actuelle où les communications sont régulièrement tardives, ce qui provoque de très nombreux renvois et explique, en partie, les délais très longs de la justice prud'homale.

De plus, cette procédure permettant d'assurer une information plus complète sur le litige, tant pour le défendeur que pour le bureau d'orientation et de conciliation (BCO), elle pourrait être susceptible de favoriser une conciliation entre les parties (7).

En revanche, on peut imaginer que de nombreux demandeurs se contenteront d'une saisine "allégée" pour respecter ces nouvelles prescriptions, en ne communiquant qu'une version minimaliste de leurs pièces et conclusions dans l'attente de découvrir les moyens de leur adversaire, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes par la suite, lorsqu'à l'issue du bureau de conciliation et d'orientation (BCO), il s'agira d'établir un calendrier de communication des pièces et conclusions par les parties, le demandeur pouvant être tenté d'argumenter qu'il aura déjà procédé à cette communication lors de sa saisine, quand bien même celle-ci serait minimaliste, dans le seul but de forcer le défendeur à procéder sans attendre à sa propre communication de pièces et conclusions, alors qu'il ne connaîtra qu'une partie des arguments de la partie adverse.

En outre, cette complexification de la saisine et de la procédure, dès le stade de la conciliation, rendra la justice prud'homale moins accessible aux justiciables qui souhaiteraient se défendre seuls et qui seraient découragés par le respect nécessaire de ce formalisme.

Assistance et représentation des parties. Désormais, le Code du travail dispose que les parties se défendent elles-mêmes devant le Conseil de prud'hommes. Elles conservent, toutefois, la faculté de se faire assister ou représenter sans devoir, dans ce dernier cas, et comme c'était le cas auparavant, justifier d'un motif légitime (8). Cette précision entérine la pratique qui veut que la plupart du temps, la société défenderesse ne soit pas physiquement présente, et soit uniquement représentée par un avocat. Il ne sera donc plus nécessaire de justifier d'un motif légitime pour expliquer l'absence d'un représentant de l'entreprise.

Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 introduit également le défenseur syndical parmi les personnes habilitées à assister ou représenter les parties (9). Le défenseur syndical, remplaçant le délégué permanent ou non permanent d'une organisation syndicale, bénéficie désormais d'un véritable statut. Il exerce ainsi des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale. Il est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel, ou dans au moins une branche, dans des conditions qui seront définies à l'occasion d'un nouveau décret (10).

La compétence du bureau de conciliation et d'orientation (BCO) pour statuer sur la compétence des sections. En cas de difficulté de répartition d'une affaire ou de contestation sur la connaissance d'une affaire par une section, le dossier est transmis au président du conseil de prud'hommes, qui, après avis du vice-président, renvoie l'affaire à la section qu'il désigne par ordonnance. La contestation de la compétence d'une section doit désormais être formée devant le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) ou, dans les cas où l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, avant toute défense au fond (11) et ce, afin d'éviter les manoeuvres dilatoires observées jusqu'alors, consistant à soulever cette contestation le plus tard possible dans la procédure.

Un bureau d'orientation et de conciliation (BCO) chargé de la mise en l'état. Le décret prévoit qu'en cas d'échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) assure la mise en l'état de l'affaire jusqu'à la date qu'il fixe pour l'audience de jugement, des séances pouvant être spécialement tenues à cette fin. Après avis des parties, le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) fixe les délais et les conditions de communication des prétentions, moyens et pièces, par les parties. Il peut entendre les parties séparément, en personne, les inviter à fournir les explications nécessaires à la solution du litige ainsi que les mettre en demeure de produire, dans le délai qu'il détermine, tous documents ou justifications propres à éclairer le conseil (12). Le bureau tire toute conséquence de l'abstention de la partie ou de son refus (13). Ainsi, à défaut pour les parties de respecter les modalités de communication fixées, il peut radier l'affaire ou la renvoyer à la première date utile devant le bureau de jugement. Enfin, le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) peut, par une décision non susceptible de recours, désigner un ou deux conseillers rapporteurs pour procéder à la mise en l'état de l'affaire (14).

Déjà appliquée devant certains conseils de prud'hommes (notamment dans l'Est de la France), une véritable phase de mise en l'état est plus que la bienvenue devant une juridiction désarmée face aux mesures de renvois endémiques et dont les délais de jugements sont particulièrement longs. Elle doit permettre qu'à la date fixée pour l'audience de jugement, la plupart des dossiers soient effectivement plaidés et ne fassent plus l'objet de renvois incessants. Cependant, pour être efficace, cette mise en l'état devra être appliquée de façon extrêmement stricte et le rôle des conseillers chargés de cette mise en l'état sera déterminant, d'autant que la seule menace d'une radiation ne sera évidemment pas de nature à effrayer une partie défenderesse peu diligente.

Sur ce point, le projet de loi dit "El Khomri" prévoit, au stade de son examen devant le Sénat, la possibilité pour les conseillers prud'homaux de fixer une date de clôture de l'instruction (15). Ainsi, si cet article est définitivement voté, il ne sera plus possible pour les parties, sauf en cas de "rabat" de la clôture (16), de produire d'autres pièces et conclusions après la date de clôture fixée par le bureau de conciliation et d'orientation (BCO).

Bien que très contraignant et révolutionnaire par rapport aux pratiques actuelles, l'adoption d'un tel amendement est souhaitable en ce qu'il complèterait ce décret qui, en l'état, paraît prodiguer des mesures insuffisamment coercitives pour forcer les parties à être diligentes, et ce d'autant que cela ferait coïncider la procédure de première instance avec la procédure désormais applicable devant la cour d'appel, qui, par ce même décret, vient de basculer vers les obligations requises en matière de procédure avec représentation obligatoire (voir ci-après).

Reste également à observer la façon dont chaque conseil de prud'hommes s'accommodera de cette nouvelle procédure et l'efficacité avec laquelle les conseillers chargés de cette mise en état procèderont au suivi des affaires, des fortes disparités selon les conseils étant à prévoir.

Composition du bureau de jugement. Dans l'objectif encore d'améliorer les délais de traitement, le décret entérine la création de nouvelles formations de jugement (17). Il est ainsi prévu qu'en l'absence de conciliation ou en cas de conciliation partielle, le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) oriente les parties vers le bureau de jugement approprié au règlement de l'affaire, qui sera composé :

- soit de deux conseillers prud'hommes employeurs et de deux conseillers salariés (formation normale) ;

- soit d'un conseiller employeur et d'un conseiller salarié, devant statuer dans un délai de trois mois (formation restreinte) ;

- soit, enfin, de deux conseillers employeurs, de deux conseillers salariés et du juge départiteur (formation de départage).

Ainsi, en cas d'échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) disposera de la possibilité, si le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, de renvoyer les parties, avec leur accord, devant le bureau de jugement en sa formation restreinte (18), celui-ci devant donc statuer dans un délai de trois mois.

De même, cet article prévoit qu'en cas d'échec de la conciliation, si les parties le demandent ou si la nature du litige le justifie (notion abstraite et non définie), l'affaire peut être renvoyée directement devant la formation de départage.

On peut, cependant, être sceptique face à ces mesures, étant donné que le renvoi devant ces formations particulières de jugement implique nécessairement l'accord conjoint des parties, ce qui semble peu envisageable, la partie défenderesse ayant rarement intérêt à accepter un traitement plus rapide de son affaire, qui faciliterait la tâche de son adversaire.

En outre, le délai de trois mois dans lequel la nouvelle formation restreinte est censée se prononcer, paraît bien illusoire, compte tenu des délais actuels devant nombre de conseils de prud'hommes, des délais courts similaires étant d'ailleurs déjà prévus pour certaines actions (motif économique, requalification du CDD, prise d'acte) sans qu'ils ne soient jamais respectés en pratique, faute pour les conseils de disposer de moyens suffisants.

Bureau de conciliation et résolution amiable des différends. Le décret prévoit que le bureau de conciliation et d'orientation (BCO), la formation de référé ou le bureau de jugement puisse, quel que soit le stade de la procédure et après avoir recueilli l'accord des parties, désigner un médiateur afin de les entendre et de confronter leurs points de vue pour permettre de trouver une solution au litige qui les oppose. Le décret prévoit également la possibilité d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur qui les informe sur l'objet et le déroulement de la mesure. En cas d'accord, celui-ci serait homologué, selon le cas, par le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) ou par le bureau de jugement.

Même si cette résolution amiable présente un intérêt théorique pour les parties (raccourcissement des délais, obligation de confidentialité...), les incitations au rapprochement des parties offertes aux conseillers prud'homaux n'ont, pour l'instant, jamais démontré une véritable efficacité (19), et la médiation, dont les mérites sont régulièrement vantés devant certaines cours d'appel, reste un mode de résolution des litiges auquel les parties n'ont pas le réflexe de recourir en matière prud'homale.

II - La procédure d'appel

Passé presque inaperçu, tant rien ne laissait le présager, ce décret du 20 mai 2016 procède à une modification d'apparence modeste, s'agissant de la procédure d'appel, mais qui, en réalité, va provoquer un véritable bouleversement des pratiques et habitudes actuelles devant les chambres sociales.

La représentation obligatoire devant les chambres sociales des cours d'appel. Le décret précise qu'à compter du 1er août 2016, "l'appel sera régi par la procédure avec représentation obligatoire, les parties étant ainsi tenues devant la juridiction prud'homale de second degré de recourir à un avocat ou à un défenseur syndical" (20).

Cette disposition nouvelle emporte trois conséquences notables.

- Fin de la possibilité pour une partie de se défendre seule devant la cour d'appel.

Cette nouvelle règle sonne le glas de la possibilité, pour une partie, de se défendre elle-même, comme cela était possible jusqu'alors. Certains trouveront que la mesure est positive, car elle permettra d'évacuer de trop nombreuses affaires portées par des parties ignorant quasiment tout d'une matière devenue particulièrement complexe, d'autres considèreront, à l'inverse, que la facilité d'accès, qui était jusqu'alors une des grandes caractéristiques de la procédure prud'homale, va s'en trouver anéantie et empêchera, en pratique, de nombreux justiciables de porter leurs réclamations en justice, découragés par les obligations à respecter, les démarches à accomplir et les coûts associés.

- Modification des formalités de déclaration d'appel et de postulation.

Concernant l'appelant, la déclaration d'appel devra, à peine de nullité, contenir toutes les mentions prescrites par les articles 58 (N° Lexbase : L1442I8W) et 901 (N° Lexbase : L0352IT9) du Code de procédure civile.

Par ailleurs, ces actes de procédure seront transmis par le biais d'un réseau informatique sécurisé (RPVA) permettant la communication entre les avocats et les juridictions. Ce réseau n'étant pas, contrairement à ce que préconisait le rapport Lacabarats sur ce point, ouvert au défenseur syndical (21), le décret prévoit que ce dernier réalisera l'ensemble des actes de procédure sur support papier. Ce support devra ensuite être remis au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise sera constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un sera immédiatement restitué (22). Outre la rupture d'égalité entre les avocats et lesdits défenseurs syndicaux, ce point risque de générer de grandes difficultés pratiques pour les avocats devant assurer la validité des notifications des actes aux défenseurs syndicaux par la voie d'huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception, tout en retransmettant et justifiant de cette notification auprès de la juridiction, par le biais du réseau informatique sécurisé (RPVA).

De plus, la procédure avec représentation obligatoire induisant des règles de territorialité, et donc l'obligation de constituer un avocat du ressort de la cour d'appel (23), il sera, par conséquent, nécessaire d'avoir recours à un avocat local postulant lorsque l'avocat d'une partie ne relèvera pas du ressort de la cour d'appel saisie. Le décret étant silencieux sur ce point, la question de l'applicabilité de ces dispositions au défenseur syndical reste ouverte, une solution consistant à ce que le défenseur syndical ait vocation à intervenir sur l'ensemble du territoire semblant peu envisageable, compte tenu des disparités potentielles que cela créerait entre les obligations du défenseur syndical et celles de l'avocat.

Enfin, l'article 1635 bis P du Code général des impôts (N° Lexbase : L3138I7D) prévoit actuellement qu'il "est institué un droit d'un montant de 225 euros dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel". Toutefois, le décret du 20 mai 2016 diffère en ce qu'il prévoit que les parties sont "tenues devant la juridiction prud'homale de second degré de recourir à un avocat ou à un défenseur syndical". Le décret n'apporte pas de réponse sur ce point.

- Bouleversement des obligations procédurales devant la cour d'appel.

Ce bouleversement par le passage d'une procédure sans représentation obligatoire où l'oralité était la règle, à une procédure commune d'appel, écrite et avec représentation obligatoire, entraîne de facto l'application des articles 899 (N° Lexbase : L0369ITT) et suivants du Code de procédure civile, et donc des modifications importantes, aussi bien pour l'appelant que pour l'intimé et leurs conseils respectifs.

Ainsi, à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, l'appelant disposera d'un délai de trois mois pour conclure, à compter de cette déclaration (24).

Concernant l'intimé, dès qu'il aura constitué avocat, ce dernier en informera l'avocat de l'appelant et remettra une copie de son acte de constitution au greffe (25). A peine d'irrecevabilité, l'intimé disposera, pour sa part, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident. En outre, les conclusions devront être notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie. En cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles devront l'être à tous les avocats constitués. Une copie des conclusions sera remise au greffe avec la justification de leur notification (26). Enfin, les dossiers de plaidoiries devront être déposés à la cour quinze jours avant la date fixée pour l'audience de plaidoiries (27).

Il sera donc important de respecter scrupuleusement la procédure afin de limiter les risques de caducités d'appel pour l'appelant, ou d'irrecevabilité des conclusions pour l'intimé. Enfin, il faut souligner que, sous peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure en appel seront remis à la juridiction par voie électronique (28).

Gageons que ces nouvelles obligations seront source de nombreux incidents dans les premiers mois de mise en place de cette réforme, tant les habitudes et pratiques étaient jusqu'alors radicalement différentes.

III - Les autres mesures

Le juge judiciaire et le contentieux préélectoral. Le décret prévoit le regroupement devant le tribunal d'instance du contentieux préélectoral. En effet, afin d'éviter qu'une même élection professionnelle fasse l'objet de deux saisines en même temps, l'une devant l'ordre judiciaire et l'autre devant l'ordre administratif, les recours à l'encontre de la décision prise par l'autorité administrative en matière de protocole préélectoral relèvent, désormais, de la compétence du tribunal d'instance, qui statuera en dernier ressort (29). Le tribunal d'instance devra être saisi dans les quinze jours suivant la notification de la décision, avec mention des voies et délais de recours, par lettre recommandée avec avis de réception (30).

Les litiges en matière de licenciement économique. En cas de recours portant sur un licenciement pour motif économique, et dans un délai de huit jours à compter de la date à laquelle il reçoit la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation (BCO), l'employeur dépose ou adresse au greffe par lettre recommandée avec avis de réception les éléments mentionnés à l'article L. 1235-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1354H9Z), afin qu'ils soient versés au dossier. La nouveauté apportée par le décret réside dans le fait que dans le même délai, l'employeur doit désormais également adresser ces éléments au demandeur par lettre recommandée (31).

Cette disposition ne présente pas véritablement d'intérêt puisque l'obligation de transmission au greffe existait déjà, mais n'était déjà assortie d'aucune sanction en cas de non-respect, les parties n'y trouvant, en tout état de cause, pas d'intérêt particulier, et les conseillers prud'homaux étant très peu regardant sur le respect de cette formalité.

Le référé en la forme. Le décret instaure une procédure de référé "en la forme". Le conseil de prud'hommes statuera ainsi en la forme des référés à une audience tenue aux jours et heures habituels des référés. Cette procédure est censée permettre que, dans des cas d'urgence, l'affaire soit examinée rapidement par le conseil, et que des mesures définitives et non provisoires soient prises. Il faut noter que le conseil peut, s'il est saisi à tort en la forme des référés, renvoyer au bureau de jugement dans les conditions de l'article R. 1455-8 du Code du travail (N° Lexbase : L0815IAG).

A ce stade, il est difficile de comprendre à quel besoin la mise en place de cette procédure répond, d'autant que si le seul objectif est de permettre de juger des cas en urgence, sans définition préalable de cette notion d'urgence ni de mise en place de conditions d'admissibilité, le grand risque est de voir de nombreux demandeurs tenter leur chance, indépendamment de tout réel caractère d'urgence, sans risque particulier. En effet, leur affaire fera, au pire, l'objet d'un renvoi direct en bureau de jugement, leur permettant ainsi de gagner de précieuses semaines, voire de précieux mois, les délais d'attente devant certains conseils étant beaucoup plus longs entre une saisine et une audience de conciliation qu'entre une saisine et une audience de référé.

La saisine pour avis de la Cour de cassation sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif. Les juridictions judiciaires peuvent, avant de statuer sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif présentant une difficulté sérieuse, solliciter l'avis de la Cour de cassation. Pour les demandes d'avis, la formation appelée à se prononcer est composée, outre le premier président, du président de la Chambre sociale, d'un président de chambre désigné par le premier président, de quatre conseillers de la Chambre sociale et de deux conseillers, désignés par le premier président, appartenant à une autre chambre (32). Compte tenu de l'article 2, très discuté, du projet de loi, dit "El Khomri" (33), qui au stade de son examen devant le Sénat, donnerait la primauté à la négociation d'entreprise, cette procédure risque de rencontrer un certain succès.

La fin de l'unicité et de la péremption d'instance. L'unicité de l'instance, spécificité devant le conseil de prud'hommes, n'existe donc plus. Jusque là, les demandes liées au même contrat de travail entre les parties devaient faire l'objet d'une seule et même instance (34). Désormais, plusieurs instances pourront donc être engagées, avec des demandes différentes, issues du même contrat de travail. Cette disposition ne va clairement pas dans le sens d'un raccourcissement des délais et d'un désengorgement des conseils de prud'hommes. Par ailleurs, la péremption d'instance spécifique à la procédure prud'homale est désormais supprimée au profit de la péremption d'instance de droit commun, l'instance étant périmée "lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans" (35). En conséquence, il ne sera plus nécessaire que la juridiction prud'homale ait mis expressément des diligences à la charge des parties pour constater la péremption d'instance.

Conclusion. Débarrassées de certaines mesures gadgets ou probablement inapplicables, ces dispositions nouvelles vont dans le bon sens, dans la mesure où elles doivent permettre aux juridictions prud'homales de s'adapter aux réalités du terrain et de la pratique.

On peut, néanmoins, regretter que seule la moitié du chemin nécessaire ait été parcourue, tant en termes de mise en place d'une véritable procédure contraignante permettant d'endiguer les innombrables renvois qui polluent la première instance prud'homale, qu'en termes de formation des conseillers prud'homaux, dont on n'a de cesse de renforcer l'arsenal de textes mis à leur disposition, sans que la question de leur formation, trop souvent lacunaire aujourd'hui, fasse l'objet d'une véritable réforme, la "loi Macron" du 6 août 2015 comportant, sur ce dernier point, des dispositions qui, en plus de paraître encore très insuffisantes, devraient, de surcroît, faire l'objet d'un autre décret d'application, toujours en attente à ce jour.

Plus généralement, les éventuels manques constatés dans cette vaste réforme de la justice prud'homale posent encore et toujours la question des moyens alloués à la justice.

En ce sens, le Gouvernement a annoncé le 25 mai 2016 (36) un plan de soutien consacré aux juridictions en situation particulièrement difficile (Bobigny, Créteil, Lyon, Marseille, Martigues, Meaux, Montmorency, Nanterre et Cayenne), d'un montant de deux millions d'euros -montant qui paraît bien insuffisant par rapport aux besoins réels d'une justice du travail qui peine à se mettre au diapason de son époque-, ainsi qu'un renforcement des équipes pour certaines cours d'appel en difficultés (Paris, Versailles, Angers, Montpellier, Pau, Toulouse).

Enfin, Madame Christine Rostand, ancienne présidente de la Chambre sociale de la cour d'appel de Paris, a été missionnée par le Gouvernement pour se rendre auprès des conseils de prud'hommes, afin de soutenir les conseillers dans l'appropriation de ces nouvelles règles de procédure. A l'appui de sa mission, un observatoire sera mis en place par la direction des services judiciaires pour mesurer les effets de cette réforme, au travers de quatre juridictions représentatives (Angers, Béziers, Nanterre et Saint-Omer).


(1) Compte rendu du Conseil des ministres du 25 mai 2016.
(2) Rapport du groupe de travail présidé par A. Lacabarats, L'avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud'homal du XXIème siècle, remis à Madame la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, juillet 2014.
(3) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
(4) V. Orif, Lexbase, éd. soc., n° 623, 2015 (N° Lexbase : N8676BUU) et (N° Lexbase : N8694BUK).
(5) C. trav., art. R. 1452-1 (N° Lexbase : L2638K89).
(6) C. trav., art. R. 1452-2 (N° Lexbase : L2637K88).
(7) C. trav., art. R. 1452-3 (N° Lexbase : L2636K87).
(8) Rapport du groupe de travail présidé par A. Lacabarats, préc., p. 61.
(9) C. trav., art. R. 1453-1 (N° Lexbase : L2639K8A).
(10) C. trav., art. R. 1453-2 (N° Lexbase : L2640K8B).
(11) C. trav., art. L. 1453-4 (N° Lexbase : L6233ISN).
(12) C. trav., art. R. 1423-7 (N° Lexbase : L2627K8S).
(13) C. trav., art. R. 1454-1 (N° Lexbase : L2645K8H).
(14) C. trav., art. R. 1454-2 (N° Lexbase : L2644K8G).
(15) C. trav., art. R. 1454-3 (N° Lexbase : L2643K8E).
(16) L'article 30 bis du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs prévoit que l'article L. 1454-1-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5371KGZ) sera complété par un alinéa ainsi rédigé : "Le bureau de conciliation et d'orientation, les conseillers rapporteurs désignés par le bureau de conciliation et d'orientation ou le bureau de jugement peuvent fixer la clôture de l'instruction par ordonnance, dont copie est remise aux parties ou à leur conseil. Cette ordonnance constitue une mesure d'administration judiciaire".
(17) L'amendement n° 4928 présenté par M. Robiliard et M. Ferrand précise qu'il "appartiendra au décret de préciser la possibilité et les modalités d'un rabat de la clôture pour cause grave (évènement postérieur à la clôture tel qu'un licenciement, par exemple)".
(18) C. trav., art. R. 1423-35 (N° Lexbase : L2629K8U).
(19) C. trav., art. L. 1454-1-1 (N° Lexbase : L5370KGY).
(20) Rapport de Monsieur Michel Laurent, "Pour une justice prud'homale plus efficiente", CCI de Paris, 25 octobre 2012.
(21) C. trav., art. R. 1461-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2664K88).
(22) Rapport du groupe de travail présidé par A. Lacabarats, préc., p. 79.
(23) C. pr. civ., art. 930-2 (N° Lexbase : L2619K8I)..
(24) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
(25) C. pr. civ., art. 908 (N° Lexbase : L0162IPP).
(26) C. pr. civ., art. 903 (N° Lexbase : L0376IT4).
(27) C. pr. civ., art. 906 (N° Lexbase : L0367ITR).
(28) C. pr. civ., art. 912 (N° Lexbase : L0366ITQ).
(29) C. pr. civ., art. 930-1 (N° Lexbase : L0362ITL).
(30) C. trav., art. R. 2314-26 (N° Lexbase : L2670K8E).
(31) C. trav., art. R. 2314-28 (N° Lexbase : L2671K8G).
(32) C. trav., art. R. 1456-1 (N° Lexbase : L2658K8X).
(33) COJ, art. R. 441-1, ancien (N° Lexbase : L6372IAA).
(34) Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, préc., actuellement en examen devant la Commission des affaires sociales du Sénat.
(35) C. trav., art. R. 1452-6, ancien (N° Lexbase : L0932IAR).
(36) C. pr. civ., art. 386 (N° Lexbase : L2277H44).
(37) Compte rendu du Conseil des ministres du 25 mai 2016, préc..

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