Réf. : CA Versailles, 23 mai 2016, n° 15/07197 (N° Lexbase : A1569RQ8)
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par Olivia Baldès, Docteur en droit, Qualifiée Maître de conférences, Chargée d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille
le 16 Juin 2016
Ces juristes doivent néanmoins subir avec succès devant le jury, prévu à l'article 69 du même texte, un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle ; le texte ajoutant que "nul ne peut se présenter plus de trois fois à l'examen de contrôle des connaissances".
La demande d'inscription est adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé au Bâtonnier. Elle est accompagnée de toutes justifications utiles en ce qui concerne tant les conditions mentionnées à l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) que les obligations définies à l'article 27 de la même loi. A noter qu'aucun refus d'inscription ou de réinscription ne peut être prononcé par le conseil de l'Ordre sans que l'intéressé ait été entendu ou appelé dans un délai d'au moins huit jours par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le conseil de l'Ordre statue par suite sur la demande d'inscription dans les deux mois à compter de la réception de la demande. La décision portant refus d'inscription est alors notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans les quinze jours de sa date à l'intéressé et au procureur général, qui peuvent la déférer à la cour d'appel.
En l'espèce, par décision en date du 28 mai 2013, le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris rejetait la demande de M. Z. Après confirmation de cette décision par la cour d'appel de Paris, la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-14.472, F-P+B N° Lexbase : A5325NLS) casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt ainsi rendu, faute par la cour d'appel de ne pas avoir précisé si la lettre recommandée adressée à M. Z avait été remise au destinataire. Elle renvoie l'affaire devant la cour d'appel de Versailles.
Se pose par la suite la question du contenu des conditions dérogatoires d'accès à la profession d'avocat. M. Z., sollicitant son inscription au tableau de l'Ordre des avocats de Paris, soutient, à l'appui de sa demande, avoir exercé la fonction de juriste en cabinet d'avocat durant les années 1979 à 1984 et de mars 1996 à mai 2002 en Centrafrique soit plus de huit années d'exercice en qualité de juriste.
Il affirme, par ailleurs, qu'aux termes de l'article 28 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et la République centrafricaine du 18 janvier 1965 (décret n° 67-402 du 27 avril 1967) les avocats des barreaux centrafricains peuvent exercer en France et à titre de réciprocité, les avocats des barreaux français peuvent également exercer en Centrafrique. Dès lors, selon le requérant, ce décret impliquerait une reconnaissance de l'exercice de la profession de juriste d'entreprise en Centrafrique au même titre que l'exercice de cette même activité en France. Et ainsi satisferait à l'exigence de huit années d'expérience professionnelle en tant que juriste en entreprise.
Mais c'est ici faire un amalgame entre les conditions d'inscription particulières en fonction des activités précédemment exercées en vue d'accéder à la profession d'avocat et les conditions particulières d'inscription au barreau des personnes ayant déjà acquis la qualité d'avocat dans un Etat ou une unité territoriale n'appartenant ni à la Communauté européenne, ni à l'Espace économique européen, ni à la Confédération suisse et faisant l'objet d'un décret de coopération.
Cela dit et en toutes hypothèses, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles est l'occasion de revenir non seulement sur l'application stricte des conditions dérogatoires d'accès à la profession d'avocat (I) faite par la jurisprudence mais également sur les enjeux de l'accès et de l'exercice des juristes d'affaires à la profession (II).
I - L'application stricte des conditions dérogatoires d'accès à la profession d'avocat
Le débat sur l'existence de passerelles entre la profession d'avocat et différents corps de métiers exercés antérieurement par le demandeur à une inscription au tableau a toujours fait polémique notamment en terme de compétence de ces professionnels qui ne sont pas passés par les difficiles épreuves du pré-CAPA et du CAPA. Si certains soutiennent que la diversité des parcours professionnels enrichirait la profession même, les Ordres semblent quelque peu réticents à l'idée d'accorder cette dérogation aux professionnels qui la solliciteraient.
C'est donc au fil de la jurisprudence que se sont dessinées les conditions d'inscription du juriste d'entreprise qui souhaite embrasser la profession d'avocat.
D'abord, le juriste doit justifier, à la date à laquelle il sollicite son admission au barreau (1), d'un exercice à temps plein de juriste d'entreprise et ce pendant huit ans (2).
Par suite, la jurisprudence est venue préciser la notion même de "juriste d'entreprise", limitant, malgré l'imprécision du texte, la catégorie de juristes d'entreprise pouvant bénéficier de cette dérogation. Il en ressort que seuls "les juristes spécialisés chargés, dans l'entreprise, uniquement de l'étude et de la résolution des problèmes juridiques posés par les activités de celle ci" (3) sont concernés par la dispense. En effet, par cette formule, la Cour de cassation pose la condition que le juriste prétendant à la dérogation doit avoir exercé sa profession dans les plus hautes sphères de l'entreprise et doit donc avoir été en charge des affaires de l'entreprise même.
Ainsi, la fonction de juriste ne peut se confondre avec le simple exercice professionnel du droit assimilable à l'activité couramment pratiquée dans l'entreprise (4). La dérogation semble dès lors ne concerner que les juristes d'affaires.
Cette précision a d'ailleurs fait l'objet d'un arrêt récent en date du 17 mars 2016 selon lequel la Cour de cassation a réaffirmé que les juges ne doivent prendre en compte que l'exercice des fonctions exclusivement dans un service spécialisé interne à l'entreprise appelé à répondre aux problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci, et non les prestations délivrées à des tiers extérieurs à celle-ci (5).
L'arrêt qui nous occupe vient apporter davantage de précisions quant au lieu d'exercice de cette profession de juriste d'affaires.
En effet, là encore, malgré l'imprécision du texte, les huit années d'expérience requises doivent avoir été effectuées sur le territoire français. En appliquant restrictivement l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, les Ordres entendent s'assurer d'un niveau de compétence minimal du candidat.
Il s'agit ici d'un gage de compétence, d'un préalable nécessaire. Il est inutile de rappeler que l'avocat se doit de faire preuve d'un haut degré de technicité. Le contrôle du niveau de compétence du juriste d'affaires fera par suite l'objet d'un examen relatif à la déontologie et la réglementation professionnelle.
D'ailleurs, on rappellera que la Cour de cassation a déjà jugé que les juristes français à l'étranger ne pouvaient bénéficier de cette dérogation. Par arrêt en date du 28 mars 2008, la première chambre civile précise que ces huit années de pratique professionnelle doivent avoir été effectuées sur le territoire français (6). Cette décision fut confirmée dans un arrêt rendu le 14 janvier 2016. Il est impératif que le juriste d'entreprise prétendant à la dérogation ait exercé pendant au moins huit ans en France (7).
L'arrêt de la cour d'appel de Versailles n'est donc pas surprenant. S'il se positionne directement dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est l'occasion de revenir sur les enjeux de l'accès des juristes d'affaires à la profession d'avocat ; le décret n° 67-402 du 27 avril 1967 relatif à l'accord de coopération en matière de justice entre la France et la République Centrafricaine, quant à lui, ne permettant en aucune manière de revenir sur la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation.
II - Les enjeux de l'accès et de l'exercice des juristes d'affaires à la profession d'avocat
Le débat sur la dérogation accordée aux juristes d'entreprise d'accès et d'exercice à la profession d'avocat repose sur des problématiques plus profondes.
Afin d'en appréhender les contours, il nous faut revenir préalablement sur la fusion de la profession d'avocat et celle des conseils juridiques. Fruit d'une convergence d'intérêts, ce rapprochement a conduit à la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L7803AIT) et au décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 réunissant ces professions.
Par cette loi, les avocats se sont introduits, tout en gardant leur indépendance, dans le monde de l'entreprise. Coté conseillers juridiques, un tel rapprochement leur a permis de s'installer sur le plan international ; leurs homologues étrangers bénéficiant déjà du statut d'avocat.
Mais loin d'assister à une véritable intégration des conseils juridiques dans la profession d'avocat, le constat reste celui d'une scission de la profession entre le juridique et le judiciaire ; l'avocat "d'affaires", exerçant à titre exclusif dans le domaine du conseil en entreprise, ne plaide que rarement.
Aujourd'hui, face à ces avocats d'affaires, l'on retrouve les juristes d'affaires. Ils travaillent pour l'entreprise et bénéficient d'un salaire. Mais au grand dam des représentants des juristes d'entreprise, leurs avis ne sont pas couverts par la confidentialité. Leurs actes n'étant donc pas protégés ; ils prônent la reconnaissance du legal privilege qui permettrait aux juristes d'entreprise de s'imposer comme une nouvelle profession règlementée de conseil juridique en entreprise. Cette idée était d'ailleurs insérée dans le projet de loi "Macron" mais en a été retirée suite à l'opposition du CNB sur cette question. L'alternative resterait un statut d'avocat salarié en entreprise soumis aux règles déontologiques de la profession.
Aussi, si le débat est récurrent, il doit être conduit de manière raisonnée. Plus que jamais, l'avocat doit envisager sa profession sur un plan économique mais aussi international sinon européen. Aujourd'hui, il est vrai que de nombreuses directions juridiques d'entreprises sont délocalisées à l'étranger car bénéficiant non seulement de leurs juristes attitrés mais également d'une sécurité dans la confidentialité de leurs avis. Mieux encore, l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, la Grèce, l'Irlande, le Pays-Bas, le Royaume-Uni connaissent des avocats salariés d'entreprise. Face à ce constat, la profession se doit de rester compétitive vis à vis de ses homologues européens.
La passerelle aujourd'hui ouverte pour un passage de la profession de juriste d'affaires à celle d'avocat qui exercera très certainement dans le domaine du conseil juridique en raison de ses compétences professionnelles semble devoir également être envisagée au delà de nos frontières et a minima sur un plan européen.
A ce titre, il nous faut relever que l'exigence d'exercice pendant huit ans de juriste d'affaires sur le territoire français a fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (8). Dans cette affaire, M. X., domicilié en Belgique où il exerce son activité professionnelle, revendiquait son inscription au barreau de Grasse sous le bénéfice de la dispense de formation prévue par l'article 98, 5°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 pour les juristes attachés, pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale.
La question est alors posée : le droit d'accès à la profession d'avocat aux seules personnes ayant exercé leur activité sur le territoire national, méconnaît-il le principe constitutionnel d'égalité ? En ce qu'il subordonne le droit d'accès à la profession d'avocat par voie dérogatoire, à un critère de territorialité, méconnaît-il la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique, telle qu'elle découle de la liberté d'entreprise résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1368A9K) ?
Il est communément admis que le législateur "peut apporter à la liberté d'entreprendre des limitations, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi" (9). Ainsi, le principe de proportionnalité s'impose comme le garde fou de l'ingérence des autorités quant à la limitation d'accès à la profession.
Dans ce contexte, il nous semble, nonobstant le fait que le texte ne pose pas clairement la nécessité d'un exercice sur le territoire français, qu'une telle exigence ne serait pas contraire à la liberté d'entreprendre car il est indispensable pour la profession de s'assurer de la compétence de ses membres. L'objectif poursuivi, gage de sécurité pour le justiciable, semble proportionné à une limitation d'accès à la profession. En revanche, en matière d'ouverture de la profession sur le plan européen ou international par le biais d'accord de coopération, il serait opportun de réfléchir aux modalités d'une telle reconnaissance.
A noter qu'en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles, la tendance est celle à l'ouverture de la profession d'avocat sur le territoire français à des personnes ayant acquis la qualité d'avocat dans un Etat membre ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen s'ils justifient d'un an d'exercice (contre deux avant la Directive) dans le pays concerné et de leur établissement en France (10). Reste à savoir si la passerelle permettant aux juristes d'entreprise d'accéder à la profession d'avocat et justifiant de huit années d'exercice connaîtra la même évolution d'une prise en compte de l'expérience professionnel du candidat au delà du territoire français.
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