La lettre juridique n°379 du 21 janvier 2010 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Janvier 2010

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N9650BMD

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le 06 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation : dans le premier arrêt, en date du 15 décembre 2009, la Cour de cassation se prononce, pour la première fois, depuis l'adoption de la loi de sauvegarde des entreprises, sur la question du titulaire du choix des contrats judiciairement cédés ; et, dans le second arrêt, également daté du 15 décembre 2009, la Chambre commerciale nous livre une intéressante décision relative aux voies de recours ouvertes aux créanciers titulaires de sûreté spéciale sur la décision arrêtant le plan de cession.
  • Le cessionnaire reconnu titulaire du choix des contrats devant être judiciairement cédés (Cass. com. 15 décembre 2009, n° 08-21.235, F-P+B N° Lexbase : A7156EPQ)

Reprenant les termes de l'ancien article L. 621-88 du Code de commerce (N° Lexbase : L6940AIU), l'article L. 642-7 (N° Lexbase : L3914HBL), dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), dispose que "le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité [...]". Ressort-il de ces dispositions qu'il appartient au tribunal, seul, de faire le tri parmi les contrats entre ceux nécessaires au maintien de l'activité et ceux qui ne le sont pas, pour, ensuite, n'imposer que la cession des premiers ? Le cessionnaire peut-il se voir imposer contre son gré la cession judiciaire d'un contrat nécessaire au maintien de l'activité ? Le débiteur peut-il exercer une voie de recours à l'encontre du jugement n'ayant pas ordonné la cession judiciaire d'un contrat apparaissant pourtant nécessaire au maintien de l'activité ? Voici autant de questions auxquelles la Chambre commerciale de la Cour de cassation, statuant dans une espèce régie par la loi de sauvegarde des entreprises, apporte des éléments de réponse au travers d'un arrêt en date du 15 décembre 2009, appelé à la publication.

Des établissements de crédit avaient accordé un crédit-bail portant sur un immeuble à usage d'abattoir à une société qui y exploitait son fonds de commerce. En 2007, le crédit-preneur avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ayant, l'année suivante, débouché sur l'arrêté d'un plan de cession. Le tribunal n'avait ordonné la cession judiciaire que des seuls contrats mentionnés dans l'offre de reprise établie par le cessionnaire. Or, cette offre de reprise excluait la poursuite du crédit-bail portant sur l'immeuble à usage d'abattoir dans la mesure où était prévue l'acquisition par le repreneur des locaux -acquisition dont le principe et les modalités avaient été acceptées par les crédits bailleurs-. Le débiteur avait interjeté appel du jugement n'ayant pas cédé le contrat. Il est fort à parier que le dirigeant de l'entreprise débitrice était caution de celui-ci. L'intérêt de la cession judiciaire était pour lui évident : les loyers postérieurs à la cession, nés du chef du repreneur, n'auraient pu alors lui être réclamés.

La cour d'appel avait confirmé la décision des premiers juges. On sait qu'il résulte des dispositions de l'article L. 661-7, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3498ICK) que le pourvoi n'est ouvert qu'au ministère public à l'encontre des arrêts qui arrêtent ou rejettent le plan de cession et qu'il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir. Le débiteur s'était alors pourvu en cassation arguant d'un prétendu excès de pouvoir du juge qui s'était gardé d'ordonner la cession judiciaire d'un contrat pourtant nécessaire au maintien de l'activité. Par l'arrêt rapporté, la Chambre commerciale déclare le pourvoi irrecevable, au motif qu'il est dirigé contre une décision qui n'est pas entachée d'excès de pouvoir et qui n'a pas consacré un excès de pouvoir. Par là même, la Cour de cassation considère que le tribunal ne peut pas imposer au repreneur la cession d'un contrat mentionné à l'article L. 642-7 dont l'exécution aggraverait les engagements que le cessionnaire a souscrits au cours de la préparation de son offre.

A notre connaissance, c'est la première fois, depuis l'adoption de la loi de sauvegarde des entreprises, que la Chambre commerciale a l'occasion de se prononcer sur la question du titulaire du choix des contrats judiciairement cédés. La position adoptée en l'espèce est d'autant plus intéressante qu'elle contraste avec celle adoptée par les juges du fond sous l'empire de la législation antérieure alors même que, sous l'empire de ces deux législations, "le tribunal détermine les contrats [...] nécessaires au maintien de l'activité" (C. com., art. L. 621-88, al. 1er, C. com., art. L. 642-7, al. 1er, réd. "LSE"). Les positions, apparemment divergentes, des juges du fond, sous l'empire de la législation ancienne, et celle de la Cour de cassation, sous l'empire de la législation nouvelle, sont pourtant parfaitement justifiées.

Sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), la lettre du texte de l'article L. 621-88, alinéa 1er, laissait apparaître que le tribunal était seul maître de la détermination des contrats nécessaires au maintien de l'activité et appelés, à ce titre, à être judiciairement cédés (1). Les juges du fond avaient alors considéré qu'il n'appartenait pas au repreneur de déterminer les contrats qui devaient lui être cédés (2). Ainsi avait-il été jugé que le consentement du repreneur n'était pas requis pour qu'un contrat lui soit judiciairement cédé (3). Il pouvait, certes, être tentant pour le repreneur d'arguer que le tribunal qui lui imposait la cession judiciaire d'un contrat dont la reprise n'était pas souhaitée par le cessionnaire lui imposait par là même une charge supplémentaire, ce qu'en principe le tribunal ne peut pas faire. Cependant, sous l'empire de la législation ancienne, au principe selon lequel le tribunal ne pouvait pas imposer au repreneur des charges non souscrites dans son offre, l'article L. 621-63, alinéa 3 (N° Lexbase : L6915AIX), posait une exception précisément en matière de cession judiciaire des contrats prévue à l'article L. 621-88 (N° Lexbase : L6940AIU). La doctrine considérait ainsi que la charge supplémentaire liée à la cession d'un contrat non souhaitée par le repreneur pouvait lui être imposée (4). Cette solution, dictée par la lettre du texte, était malheureuse en opportunité. En effet, qui mieux que le repreneur peut savoir de quel contrat il a besoin pour assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise (5) ? Il semblait donc inopportun de priver le repreneur de la maîtrise de la détermination des contrats devant lui être judiciairement cédés. Sont donc bienvenues les modifications apportées par la loi de sauvegarde tendant à confier au repreneur la maîtrise de la détermination des contrats devant lui être cédés, lesquelles ont conduit la Chambre commerciale a prendre la position adoptée dans l'arrêt du 15 décembre 2009.

L'évolution jurisprudentielle ne trouve pas son origine dans la rédaction du nouvel article L. 642-7, alinéa 1er, du Code de commerce dans la mesure où, comme le faisait l'ancien article L, 621-88, alinéa 1er, il dispose que "le tribunal détermine les contrats [...] nécessaires au maintien de l'activité" (6). La solution nouvelle trouve son siège dans deux autres dispositions : les articles L. 642-2-II (N° Lexbase : L3909HBE) et L. 626-10, alinéa 3 (N° Lexbase : L3491ICB).

L'article L. 642-2-II précise, de façon novatrice, que "toute offre doit être écrite et comporter l'indication : 1° de la désignation précise des biens, des droits et des contrats inclus dans l'offre". La doctrine considère que, de cette nouvelle précision, il peut être déduit qu'il est impossible de céder un contrat non mentionné dans la liste (7). Certains en déduisent même que la détermination de liste des contrats cessibles appartient désormais au repreneur (8).

Quant à l'article L. 626-10 du Code de commerce (C. com., art. L 621-63, anc.), il prévoit, comme sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, que le tribunal ne peut imposer au repreneur des charges souscrites dans son offre. Cependant, alors que l'ancien article L. 621-63, alinéa 3, faisait réserve de L. 621-88, c'est-à-dire de la cession judiciaire des contrats, le nouvel article L. 626-10 ne fait plus une telle réserve. Il en résulte incontestablement que la cession au repreneur d'un contrat qui n'est pas mentionné dans son offre constitue une charge supplémentaire que le tribunal ne peut pas lui imposer.

Ainsi, au regard de la rédaction actuelle des textes, le tribunal ne peut pas imposer au repreneur la cession judiciaire d'un contrat, même s'il lui apparaît que celui-ci est nécessaire au maintien de l'activité. Il ne reste alors plus au tribunal, convaincu de l'impossibilité du maintien de l'activité sans le contrat en question, qu'à refuser l'adoption du plan.

Force est de constater que les termes de l'article L. 642-7, alinéa 1er, prêtent à confusion en semblant laisser au seul tribunal le soin de déterminer les contrats judiciairement cédés. Il serait peut-être opportun de modifier la rédaction du texte et de prévoir que "le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services compris dans l'offre de cession nécessaires au maintien de l'activité".

S'il est désormais acquis, au regard de l'arrêt commenté, que le tribunal ne peut pas imposer au repreneur un contrat qui n'est pas inclus dans son offre de cession, au risque de lui imposer une charge supplémentaire prohibée, le tribunal peut-il se garder d'ordonner la cession judiciaire d'un contrat figurant pourtant dans l'offre de cession, au motif que ce contrat ne serait pas nécessaire au maintien de l'activité ?

La possibilité ouverte au tribunal de céder judiciairement un contrat est exorbitante en ce qu'elle impose au cocontractant cédé un nouveau partenaire contractuel, le repreneur. Elle n'est justifiée que par la nécessité du contrat au maintien en activité visé à l'article L. 642-7. Il est classique, en pratique, que la cession d'un contrat non nécessaire au maintien de l'activité paraisse intéressante au repreneur et fasse ainsi partie intégrante de son offre.

Cependant, si le tribunal ordonne la cession judiciaire d'un contrat non nécessaire au maintien de l'activité, il excède par là même ses pouvoirs. Le cocontractant judiciairement cédé pourrait alors exercer la voie de l'appel que lui ouvre l'article L. 661-6-III du Code de commerce (N° Lexbase : L3486IC4) et, sur l'arrêt d'appel, un pourvoi en cassation fondé sur l'excès de pouvoir (9).

Dès lors que le tribunal ne peut pas judiciairement céder un contrat non nécessaire au maintien de l'activité, cette absence de cession peut-elle être "imposée" au repreneur qui a présenté son offre en considération de la reprise de certains contrats. Refuser au repreneur la cession d'un contrat dont la reprise fait partie intégrante de son offre revient-il à lui imposer, en contrariété avec l'article L. 626-10, alinéa 3, des charges autres que les engagements souscrits au cours de la préparation du plan ? La réponse à cette question nous semble affirmative. Nous ne pouvons que conseiller au repreneur de préciser dans son offre de reprise que la cession judiciaire de tel ou tel contrat est érigée en condition sine qua non de son offre. Il ne fera alors aucun doute que l'adoption du plan de cession au profit de ce repreneur ne pourra qu'être accompagnée de la cession judiciaire des contrats en cause.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Voies de recours ouvertes aux créanciers titulaires de sûreté spéciale sur la décision arrêtant le plan de cession (Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-21.553, FS-P+B N° Lexbase : A7159EPT)

Les décisions arrêtant le plan de cession, depuis la loi du 25 janvier 1985, figurent au rang de celles sur lesquelles les voies de recours sont les plus chichement ouvertes. Aveuglées par l'idée du sauvetage de l'entreprise, cette législation avait même été jusqu'à fermer au débiteur l'appel d'une telle décision. L'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), qui consacre pour tout plaideur un droit d'accès au juge, a conduit la France à une position plus raisonnable : la loi de sauvegarde des entreprises a consacré la possibilité pour le débiteur d'interjeter appel de la décision qui consacrait son expropriation. Un minimum, pourrait-on dire ! Et les créanciers, dans "tout ça" ? On imagine sans peine que, dans une législation aussi dogmatique, leurs droits seraient passés à la moulinette. La traduction procédurale de cette prise de position est trouvée par la fermeture de la tierce opposition. Pourtant, ainsi que va nous le montrer la décision ici commentée, les droits de ces créanciers peuvent être gravement atteints. Certes, objectera-t-on, s'ils sont créanciers chirographaires, la solution ne saurait surprendre. Ils n'ont pas de moyens distincts à faire valoir et n'ont donc pas voix au chapitre. Mais il n'en va pas de même si l'on est en présence de créanciers titulaires de sûretés spéciales. Deux droits spécifiques leurs sont accordés à l'occasion de la décision arrêtant le plan de cession.

L'article L. 621-96, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6948AI8, anciennement loi du 25 janv. 1985, art. 93, al. 1er N° Lexbase : L6733AHT), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises et l'article L. 642-12, alinéa 1er (N° Lexbase : L3919HBR), dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, disposent que "lorsque la cession porte sur des biens grevés d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque, une quote-part du prix est affectée par le tribunal à chacun de ces biens, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence". L'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT) ajoute, à la liste des sûretés visées, le gage (C. com., art. L. 642-12, al 1er, nouv. N° Lexbase : L3334ICH). Cette règle est qualifiée de "règle de l'affectation d'une quote-part". Elle est destinée à permettre à un créancier titulaire d'une sûreté spéciale de se voir affecter une assiette dans le cadre d'un prix de cession, qui se veut forfaitaire et global. Il s'agit, en conséquence, d'individualiser les droits du créancier titulaire de la sûreté spéciale sur le prix de cession, afin de lui permettre d'être traité comme il se doit : en qualité de créancier titulaire d'une sûreté spéciale.

Pour sa part, l'article L. 621-96, alinéa 3, du Code de commerce, tel qu'issu de la réforme du 10 juin 1994 (loi ° 94-475, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7), dispose que "toutefois, la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d'un crédit consenti à l'entreprise pour lui permettre le financement d'un bien sûr lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d'acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie, sous réserve des délais de paiement qui pourraient être accordés dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 621-88 du Code de commerce (N° Lexbase : L6940AIU). Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés". Ce texte a été repris par la loi de sauvegarde des entreprises, pour devenir l'article L. 642-12, alinéa 4 (N° Lexbase : L3334ICH), avec une modification minime. Ont été supprimés les termes suivants : "sous réserve des délais de paiement qui pourraient être accordés dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 621-88 du Code de commerce". Cette règle est dénommée "règle du transfert de la charge de la sûreté". Elle institue une variété de cession de dette, analysée parfois (10), mais à tort selon nous (11), comme un mécanisme de droit de suite. Elle produit, pour le créancier, mais non pour la caution du débiteur (12), un effet assez comparable à la cession judiciaire du contrat, obligeant le repreneur à payer au prêteur les échéances qui restent à échoir à compter du transfert de propriété, lequel intervient à la date d'entrée en jouissance dans le jugement arrêtant le plan de cession, ou, à défaut de précision du jugement sur ce point, à la date de la signature des actes de cession.

L'obligation pour le tribunal d'affecter une quote-part du prix de cession pour l'exercice du droit de préférence d'un créancier inscrit sur un bien du débiteur cédé au repreneur et l'obligation pour le repreneur, qui résulte de la seule lettre du Code de commerce, de payer les échéances du crédit restant à échoir, au titre du transfert de la charge de la sûreté, apparaissent comme des droits essentiels du créancier. Que se passe-t-il si le tribunal s'en émancipe ? C'est à cette question que répond l'arrêt commenté.

En l'espèce, une banque consent à une société quatre prêts, tous garantis par une sûreté spéciale. En 2007, la débitrice est placée en redressement puis en liquidation judiciaires. Un plan de cession est arrêté. Le tribunal exclut expressément le jeu du transfert de la charge de la sûreté au titre de trois prêts et ne statue pas sur l'affectation d'une quote-part du prix de cession au titre du quatrième. La banque interjette un appel, qualifié d'appel nullité en soulevant les excès de pouvoir commis par les premiers juges. La cour d'appel déclare irrecevable son appel nullité, non pas en considération de l'absence de commission d'un excès de pouvoir, mais en déniant à la banque, créancier inscrit, la qualité de partie. La question soumise à la Cour de cassation est finalement d'ordre strictement procédural : la banque, prêteur, ayant inscrit des sûretés spéciales, qui peut prétendre au transfert de la charge de la sûreté et au jeu de l'affectation d'une quote-part du prix de cession, est-elle une partie au jugement arrêtant le plan de cession ? A cette question, la Cour de cassation répond clairement par la négative : "l'appel nullité ne peut être formé que par une partie au procès ; la cour d'appel ayant relevé d'un côté qu'il était nécessaire que la banque ait qualité à agir en vertu des règles relaves aux procédures collectives et, de l'autre, que la banque n'était pas un cocontractant mentionné à l'article L. 642-7 du Code de commerce, il en résultait que l'appel était irrecevable".

Les excès de pouvoir commis par le tribunal ayant arrêté le plan de cession sont ici incontestables, à notre sens. L'alinéa 1er de l'article L. 642-12, par lequel sont prévus les droits du créancier titulaire d'une sûreté spéciale sur le prix de cession, est particulièrement réducteur des droits des créanciers titulaires de sûretés. Le mécanisme de l'affectation de la quote-part du prix de cession est qualifié d'"outil absolu d'écrasement du passif" (13). On comprend aisément, dans ce contexte, qu'il constitue une garantie minimale pour le créancier, à laquelle ne peut absolument pas toucher le tribunal. L'indicatif utilisé par le Code de commerce, "une quote-part du prix est affectée par le tribunal à chacun de ces biens, pour la répartition du prix et l'exercice du droit de préférence", a nécessairement valeur d'impératif. Le tribunal est obligé d'affecter cette quote-part. S'il ne s'exécute pas, il méconnaît une obligation légale et commet, en conséquence, un excès de pouvoir.

La même observation s'impose à propos du transfert de la charge de la sûreté. L'article L. 642-12, alinéa 4, du Code de commerce, en disposant que "la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d'un crédit consenti à l'entreprise pour lui permettre le financement d'un bien sûr lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire", utilise identiquement un indicatif ayant valeur d'impératif. Le tribunal n'a pas le choix puisque, par l'effet de la loi, le transfert de la sûreté s'opère automatiquement. Le décret confirme d'ailleurs la solution, puisque l'article R. 642-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L1087HZB) dispose que "le tribunal vérifie que les conditions requises par l'article L. 642-12 sont remplies et constate dans le jugement arrêtant le plan de cession les sûretés dont la charge est transmise". Il est donc extrêmement clair que le tribunal ne peut pas décider d'écarter le mécanisme du transfert de la charge de la sûreté. Le transfert de la charge de la sûreté s'opère en conséquence de plein droit (14). La règle joue même si le repreneur ignorait l'existence de la sûreté (15). En conséquence, si le tribunal décide d'écarter le transfert de la charge de la sûreté au préjudice du créancier qui en bénéficie de plein droit, il commet un excès de pouvoir.

La discussion ne porte pas sur ce point. Elle n'a trait qu'à la qualité de partie ou de tiers du prêteur inscrit sur les biens du débiteur.

Au titre de l'affectation de la quote-part du prix de cession, aucune discussion n'est possible. En effet, le prêteur n'est pas convoqué à l'audience. N'étant ni présent, ni représenté, il n'est donc pas une partie au jugement arrêtant le plan de cession.

La discussion pourrait, en revanche, exister en ce qui concerne l'application de la règle du transfert de la charge de la sûreté. En effet, la convocation du créancier bénéficiaire du transfert de la charge de la sûreté s'impose au tribunal. Etant présent à l'audience arrêtant le plan de cession, la qualité de partie de ce créancier aurait pu être discutée. La difficulté essentielle se pose lorsque, comme en l'espèce, le tribunal, écarte le jeu du transfert de la charge de la sûreté et ne prend même par le soin de convoquer le créancier. Ce dernier n'est donc pas présent à l'audience arrêtant le plan de cession.

La convocation d'une personne dans le cadre d'une décision statuant en matière de procédure collective n'est pas suffisante pour conférer à cette dernière la qualité de partie. Certes, une analogie pouvait être tentée avec la situation du cocontractant auquel le tribunal impose la cession judiciaire d'un contrat. Mais, dans cette situation particulière, la qualité de partie à un contrat synallagmatique se fond avec la qualité de partie à la procédure. Le mécanisme du transfert de la charge de la sûreté n'institue pas une cession du contrat de prêt, contrat unilatéral. Le mécanisme de la cession judiciaire des contrats ne peut s'appliquer qu'à des contrats synallagmatiques. Le repreneur ne devient donc pas cocontractant du contrat de prêt et l'assimilation de la qualité de partie au contrat et de celle de partie à la procédure ne peut donc être faite. C'est d'ailleurs ce que juge, en l'espèce, la Cour de cassation, reprenant en cela la motivation de la cour d'appel, selon laquelle la banque n'était pas un cocontractant mentionné à l'article L. 642-7 du Code de commerce, c'est-à-dire un cocontractant dont le contrat est judiciairement cédé.

Mais alors, si le créancier titulaire d'une sûreté, qui doit bénéficier, d'une part, de l'affectation d'une quote-part du prix de cession pour l'exercice de son droit de préférence et, d'autre part, du transfert de la charge de la sûreté, est victime d'une décision du tribunal lui déniant ces deux prérogatives, comment peut-il les faire sanctionner ?

Le créancier n'étant pas une partie est donc incontestablement un tiers. La tierce opposition réformation contre les jugements arrêtant ou rejetant le plan de cession est fermée. L'article L. 661-7, alinéa 1er (N° Lexbase : L4173HB8), dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, dispose qu'"il ne peut être exercé de tierce opposition ou de recours en cassation contre les arrêts rendus en application du I de l'article L. 661-6 (N° Lexbase : L4172HB7)". Ce texte n'a pas pour effet, a contrario, de la rendre recevable sur les jugements en matière de plan de cession. En effet, la lettre de l'article L. 661-6 du code, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, n'a pas seulement pour objet de déterminer restrictivement les personnes recevables à former appel, mais a aussi pour but de n'ouvrir sur ce type de jugement que l'appel. La tierce opposition réformation reste donc irrecevable (16). L'article L. 661-7, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3498ICK), issu de la rédaction que lui donne l'ordonnance de réforme du 18 décembre 2008, est désormais plus explicite. Il ferme clairement la tierce opposition contre les jugements arrêtant ou rejetant le plan de cession. Il reste donc la possibilité d'exercer une tierce opposition nullité. La qualité de tiers du créancier inscrit est indiscutable. L'excès de pouvoir, critère d'ouverture du recours nullité, est tout aussi indiscutable.

Ne reste, dès lors, qu'une seule question, qui conditionne la recevabilité de la tierce opposition, règle de droit commun posée par l'article 583, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6740H7R) : le créancier a-t-il un moyen propre à faire valoir par rapport aux autres créanciers ? Une réponse positive s'impose. Il dispose d'un droit spécial, celui de se voir affecter une quote-part du prix de cession, droit qui n'est pas reconnu aux créanciers chirographaires. Il n'est pas dans la même situation que ces derniers et peut donc, à ce titre, développer un moyen propre. La même remarque s'impose pour le créancier qui bénéficie du transfert de la charge de la sûreté. Ici encore, ce mécanisme est spécial aux créanciers titulaires de sûretés spéciales et est même plus restreint que le droit à l'affectation d'une quote-part. En effet, pour que le mécanisme du transfert de la charge de la sûreté s'applique, plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées. Il faut que le prêt ait été consenti pour le financement du bien sur lequel la sûreté va être inscrite. Il faut, en outre, que des échéances restent à échoir après l'entrée en jouissance du repreneur, au titre du prêt garanti. Cette situation spéciale, qui conduit à reconnaître des droits particuliers aux créanciers bénéficiaires du mécanisme du transfert de la charge de la sûreté, permet à celui-ci de développer des moyens propres par rapport aux autres créanciers. Sa tierce opposition est donc recevable.

Fondée sur l'excès de pouvoir, il s'agira d'une tierce opposition nullité, seule voie de recours exploitable pour les intéressés, dans la mesure où, comme cela a déjà été précisé, la tierce opposition réformation est fermée.

Les créanciers bénéficiant du mécanisme du transfert de la charge de la sûreté et de la règle de l'affectation d'une quote-part du prix de cession auront retenu la leçon : le salut n'est pas dans l'appel nullité, mais dans la tierce opposition nullité.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) CA Aix-en-Provence, 9 décembre 1988, D., 1990, somm. 3, obs. F. Derrida.
(2) CA Reims, ch. civ., 1ère sect., 13 septembre 1995, Rev. proc. coll., 1998, 382, n° 48, obs. B. Soinne ; contra CA Colmar, 13 juin 1990, D., 1991, 97, note D. Fabiani.
(3) CA Paris, 5ème ch., sect. A, 7 juin 2006, n° 05/19871, SA Emeraude Lines et autres c/ SAS Sogestran (N° Lexbase : A4429DRH).
(4) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2010/2011, n° 542.57 ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrétien, 6ème éd., n° 1167.
(5) Sur ce constat, M.-H. Monsérié-Bon, Les contrats dans le redressement et la liquidation judiciaire des entreprises, Litec, 1994, préc. n° 375 ; F. Pérochon, R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 8ème éd., n° 459 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 542.57.
(6) Ce qui a conduit certains à considérer que le tribunal apparaissait toujours seul maître de la liste des contrats cédés : en ce sens, M. Diana-Douaoui, A propos de quelques difficultés d'application de la loi de sauvegarde des entreprises, LPA, 8 janvier 2007, n° 6, p. 4 et s., sp. p. 17 à 20.
(7) F. Pérochon, R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, préc., n° 459 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 542.57.
(8) B. Thuillier, Cession judiciaire des contrats, D., 2006, chron. 130 ; F. Pérochon, R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, préc., n° 459.
(9) Le pourvoi est, en principe, fermé par l'article L. 661-7, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3498ICK), mais il est dérogé à cette règle en cas d'excès de pouvoir, comme le rappelle l'arrêt commenté.
(10) Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-17.275, Société Banque populaire Rives de Paris, FS-P+B (N° Lexbase : A7421EIP) ; et les obs. d'E. Le Corre-Broly, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Septembre 2009 Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9154BLM) ; D., 2009, AJ p. 1891, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2009/4, 2ème partie, n° 305 à 307, p. 38, nos obs. ; Act. proc. coll., 2009/15, n° 231, note O. Salvat.
(11) Gaz. proc. coll., 2009/4, préc. ; adde Ph. Froehlich et M. Sénéchal, De la réalisation de l'actif, LPA numéro spécial, 9 février 2006, n° 29, p. 21 et s., sp. p. 32.
(12) Sur la question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 712.33 et n° 712.34.
(13) M. Sénéchal, in M. Menjucq, M. Sénéchal, G. Sonier et Ch. Thévenot, Les cent jours de la réforme des procédures collectives : premier bilan, Rev. proc. coll., 2009/3, p. 52 et s., sp. p. 55.
(14) Cass. com., 4 janvier 2005, n° 02-19.099, Banque populaire du Sud-Ouest (BPSO) c/ Mme Odette Noble, épouse Petiet, F-D (N° Lexbase : A8665DEN), Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 44, n° 1, nos obs. ; Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-16.019, Société Iberia concept c/ Banque populaire du Nord, F-D (N° Lexbase : A7146DKU).
(15) Dans le sens exprimé : CA Aix-en-Provence, 20 juin 2000, Act. proc. coll., 2000/17, n° 220, note C. Régnaut-Moutier ; CA Rouen, 2ème ch., 22 janvier 2009, n° 08/04987, Act. proc. coll., 2009/7, n° 110.
(16) CA Paris, 6ème ch., sect. B, 18 février 2005, n° 04/19253 (N° Lexbase : A7777DG7), RTDCom., 2005, 421, n° 8, obs. J.-L. Vallens.

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