Réf. : Cass. soc., 16 décembre 2009, n° 09-60.118, M. Bernard Deutsch et a. c/ La société Multiserv et a., F-P+B (N° Lexbase : A0948EQ8)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé Si, en principe, seul le syndicat ayant désigné un délégué syndical peut procéder à sa révocation, il en est autrement lorsque, en présence d'un conflit avec un autre syndicat affilié à la même organisation syndicale, cette dernière a, en application de ses statuts, tranché le conflit en attribuant compétence à cet autre syndicat. |
I - La révocation du mandat de délégué syndical
Par application de l'alinéa 1er de l'article L. 2143-11 du Code du travail (N° Lexbase : L3750IBI), "le mandat de délégué syndical prend fin lorsque l'ensemble des conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) et à l'article L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS) cessent d'être réunies". Sont donc essentiellement visés la perte de la représentativité du syndicat mandant, le fait que le salarié mandaté ne recueille pas 10 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles et, peut-être, la disparition de la section syndicale.
Il convient, en effet, de se montrer prudent à ce dernier égard, car l'article L. 2143-3 vise chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement de cinquante salariés ou plus, "qui constitue une section syndicale". Dans la mesure où la section syndicale exige au moins deux adhérents pour être légalement constituées, si l'un d'entre eux vient à démissionner du groupement, il n'y a juridiquement plus de section syndicale dans l'entreprise ou l'établissement. Ne peut-on pas, dès lors, considérer que, dans ce cas et en vertu de l'article L. 2143-11, le mandat a pris fin ? Ce n'est guère certain, la loi visant simplement la constitution d'une section et non sa survivance.
Le mandant de délégué syndical prend également fin si la personne investie perd son mandat de délégué du personnel (C. trav., art. L. 2143-6, auquel renvoie l'article L. 2143-11), en cas de réduction importante et durable de l'effectif en dessous de cinquante salariés (C. trav., art. L. 2143-11, al. 2 et 3) et, enfin, en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur lorsque l'entreprise qui fait l'objet de la modification perd son "autonomie juridique" (C. trav., art. L. 2143-10 N° Lexbase : L2194H97).
Curieusement, le Code du travail n'envisage nullement la révocation du mandat de délégué syndical.
Pour ne pas être évoquée par le Code du travail, la révocation du mandat de délégué syndical est possible par application des règles applicables au contrat de mandat. Ainsi que le précise l'article 2004 du Code civil (N° Lexbase : L2239ABK), "le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble [...]". On pourra s'étonner que ce texte ne soit pas visé dans l'arrêt commenté, alors qu'était précisément en cause un problème de révocation du mandat de délégué syndical. La Cour de cassation s'en tient aux seuls articles L. 2143-3 du Code du travail et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Ce second texte étant à notre sens à mettre en relation avec la question de la discipline syndicale (v. infra, seconde partie), c'est donc le premier qui, pour la Chambre sociale, fonde la faculté pour le syndicat ayant donné mandat de le représenter dans l'entreprise de le révoquer. Nous verrons qu'en réalité, ce texte n'est pas à mettre en relation avec la faculté de révocation, même si l'une et l'autre ne sont pas sans lien.
Cela étant précisé, ainsi que le laisse clairement entendre l'article 2004 en visant le seul mandant, et conformément au principe de l'effet relatif des conventions, la révocation ne saurait émaner d'un tiers au contrat de mandat. C'est au demeurant ce qu'a décidé la Chambre sociale de la Cour de cassation à propos de la révocation du mandat de délégué syndical, affirmant que "la révocation d'un mandant de délégué syndical ne peut émaner que de l'organisation qui l'a désigné" (1). De même, elle a jugé que, dès lors qu'un premier syndicat représentatif a désigné un délégué, la désignation d'un autre délégué syndical par un second syndicat affilié à la même confédération n'emporte pas caducité du premier mandat que seul le syndicat mandant peut révoquer (2).
Ces différents arrêts confirment que seul le syndicat auteur de la désignation peut révoquer le mandat de délégué syndical. Par voie de conséquence, faute d'un tel acte juridique, il faut admettre que le mandat conféré continue de produire ses effets. Il ne saurait donc être procédé au remplacement du salarié titulaire du mandat sans révocation préalable.
II - Le respect de la discipline syndicale
Si la jurisprudence rend compte des nombreux conflits opposant dans l'entreprise des syndicats appartenant à des organisations différentes, il arrive que ce soit des syndicats adhérant à la même organisation qui entrent en opposition (3). Tel était le cas dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
En l'espèce, à la suite de l'absorption de la société T., au sein de laquelle le syndicat CFDT métallurgie sidérurgie Nord Lorraine avait créé une section syndicale, par la société M., au sein de laquelle le syndicat CFDT métallurgie Moselle avait créé une section syndicale et désigné un délégué syndical en la personne de M. B., les sections syndicales s'étaient regroupées en une seule. Par lettre du 23 février 2009, le syndicat CFDT métallurgie sidérurgie Nord Lorraine avait notifié à l'employeur la désignation de M. D. en remplacement de M. B.. Pour annuler cette désignation, le jugement attaqué avait retenu que M. B. ayant été désigné par le syndicat CFDT métallurgie Moselle, il ne pouvait être révoqué que par lui.
La décision des juges du fond semblait ainsi en parfaite conformité avec la jurisprudence précitée de la Cour de cassation. La Chambre sociale censure, pourtant, le jugement au visa des articles L. 2143-3 du Code du travail et 1134 du Code civil, après avoir affirmé que, "si, en principe, seul le syndicat ayant désigné un délégué syndical peut procéder à sa révocation, il en est autrement lorsque, en présence d'un conflit avec un autre syndicat affilié à la même organisation syndicale, cette dernière a, en application de ses statuts, tranché le conflit en attribuant compétence à cet autre syndicat". La Cour de cassation en conclut qu'en statuant comme il l'avait fait, "après avoir relevé qu'un conflit de compétences né entre les deux syndicats à propos de la section syndicale M. avait, par application de ses dispositions statutaires, été tranché par la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT à laquelle les deux syndicats étaient affiliés et qui, par décisions des 19 et 20 février 2009 notifiées aux syndicats ainsi qu'à l'employeur, avait dit que cette section devait être rattachée au syndicat CFDT Métallurgie Sidérurgie Nord Lorraine, ce dont il s'évinçait que ce dernier avait le pouvoir de procéder au remplacement de M. B., le tribunal a violé les textes susvisés".
Cette solution démontre que le principe selon lequel le pouvoir de révoquer le mandat de délégué syndical appartient au syndicat mandant n'est pas absolu. L'exception au principe apparaît cependant limitée. En l'espèce, elle découlait d'un conflit opposant deux syndicats appartenant à une même fédération.
Le Code du travail n'envisage en aucune façon de tels conflits. De façon plus générale, on peut dire que la loi ne se préoccupe pas de la discipline interne aux organisations syndicales. Celle-ci est, de ce fait, renvoyer à la responsabilité des groupements et, plus précisément, à leurs statuts, c'est-à-dire à la volonté des fondateurs. C'est ce qui explique le visa de l'article 1134 du Code civil, retenu en l'espèce par la Cour de cassation.
Ainsi que le relève la Chambre sociale, le conflit ne concernait pas au premier chef la désignation d'un délégué syndical et la révocation d'un autre, mais était né à propos de la section syndicale d'une société, consécutivement à une opération de fusion-absorption. La question était de savoir si cette section, née du regroupement de la section syndicale de la société absorbée et de celle de la société absorbante, devait être rattachée au syndicat ayant constitué la première ou au syndicat ayant constitué la seconde. Par application de ses statuts, la fédération à laquelle étaient rattachés ces deux syndicats avait tranché en faveur du premier.
On comprend alors mieux le visa de l'article L. 2143-3 du Code du travail. Ainsi que nous l'avons vu, cette disposition permet à un syndicat ayant constitué une section syndicale de désigner un délégué syndical. La section syndicale née de la fusion ayant été rattachée au syndicat CFDT Métallurgie sidérurgie Nord Lorraine, seul ce dernier était en mesure de procéder à une telle désignation. Mais, il en résultait alors nécessairement que ce syndicat était en mesure de révoquer le mandat du délégué syndical précédemment désigné par le syndicat CFTD Métallurgie Moselle.
Cette solution témoigne de l'obligation pour les syndicats de se soumettre à la discipline organisée par les statuts de la fédération à laquelle ils appartiennent. Elle démontre également que de cela peut découler une modification dans l'attribution du pouvoir de révoquer un mandat de délégué syndical. Cette conséquence apparaît conforme à la règle selon laquelle le mandant peut renoncer à son droit de révoquer le mandat ou en soumettre l'exercice à des conditions déterminées (4). Cette manifestation de volonté procède ici de l'adhésion à la fédération.
Décision Cass. soc., 16 décembre 2009, n° 09-60.118, M. Bernard Deutsch et a. c/ La société Multiserv et a., F-P+B (N° Lexbase : A0948EQ8) Cassation de TI Thionville, contentieux des élections professionnelles, 2 avril 2009 Textes visés : C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clefs : syndicats ; conflits ; discipline syndicale ; délégué syndical ; révocation ; auteur Lien base : (N° Lexbase : E1815ETE) |
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