La lettre juridique n°379 du 21 janvier 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Le retour de la légèreté blâmable dans la rupture d'essai

Réf. : Cass. soc., 6 janvier 2010, n° 08-42.826, Société Otis, F-D (N° Lexbase : A2151EQQ)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Depuis quelques années, la Cour de cassation semblait avoir quelque peu délaissé les anciens fondements de la théorie de l'abus de droit en matière de rupture de la période d'essai. En effet, les hypothèses de rupture abusive en raison d'une intention de nuire ou d'une légèreté blâmable se faisaient plus rares au profit d'une approche finaliste de l'abus de droit. Pourtant, comme le démontre un arrêt rendu le 6 janvier 2010, la technique de la légèreté blâmable n'est pas abandonnée, ceci permettant, d'ailleurs, de rappeler que la rupture d'essai n'est plus, depuis longtemps, un droit discrétionnaire (I). L'arrêt étudié permet peut être de montrer un usage renouvelé de la légèreté blâmable (II) et de faire le départ entre les anciennes hypothèses d'abus de droit, utiles pour sanctionner des comportements condamnables de l'employeur, et les approches nouvelles, fondées sur l'utilité de l'essai et destinées à sanctionner des mobiles qui y seraient contraires.


Résumé

Si l'employeur peut discrétionnairement mettre fin aux relations contractuelles avant l'expiration de la période d'essai, ce n'est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus.

L'employeur qui rompt le contrat de travail quelques jours seulement après avoir décidé de renouveler la période d'essai, avant même que ce renouvellement n'ait pris effet et alors que la salariée n'avait pas encore bénéficié de l'intégralité de la formation prévue au contrat de travail et nécessaire à l'exercice de ses fonctions, agit avec une légèreté blâmable.

I - La rupture de la période d'essai : un droit discrétionnaire ?

  • La rupture de la période d'essai influencée par la loi du 25 juin 2008

La loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 (1) a modifié le régime juridique de la rupture de la période d'essai. Les règles nouvelles touchent directement la procédure de rupture de l'essai et ce n'est qu'insidieusement que la loi a également influencé les règles de fond de cette rupture.

Sur le plan procédural, l'employeur comme le salarié doivent désormais respecter un délai de prévenance imposé par les articles L. 1221-25 (N° Lexbase : L8539IAI) et L. 1221-26 (N° Lexbase : L8221IAQ) du Code du travail. Le non-respect de ce délai devrait permettre d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi, comme cela était déjà le cas antérieurement à la réforme dans l'hypothèse d'un délai prévu par le contrat de travail ou par la convention collective applicable (2). Pour l'essentiel, le formalisme de la rupture de la période d'essai s'arrête là. L'employeur peut rompre l'essai verbalement et sans avoir à invoquer un quelconque motif (3).

  • Un lien consolidé entre abus de droit et finalité de l'essai

La loi a cependant adopté une véritable définition de la période d'essai qui permet, par interprétation, de limiter les motifs qui peuvent justifier une rupture du contrat de travail. En effet, l'article L. 1221-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9174IAZ) dispose désormais que "la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent".

Si cette position avait déjà été prise par la Cour de cassation avant la loi du 25 juin 2008 (4), cette nouvelle définition permettait de renforcer l'idée selon laquelle l'employeur ne peut invoquer un autre motif que l'inadéquation des compétences du salarié à son travail et à ses fonctions pour rompre la période d'essai. Cela a notamment permis d'expliquer que l'on ne puisse plus désormais rompre le contrat de travail durant l'essai pour un motif économique, la rupture de l'essai ne pouvant intervenir que pour un motif inhérent à la personne du salarié (5). Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que la rupture du contrat de travail au motif que le salarié avait refusé une modification de son contrat de travail durant la période d'essai était elle aussi abusive (6).

Si, en réalité, le contrôle de la Cour de cassation sur les motifs de la rupture de l'essai s'est renforcé depuis quelques années, cela n'a pas occulté un autre champ de l'abus de droit, la rupture ne pouvant résulter d'une intention de nuire de l'employeur (7) ou d'une légèreté blâmable (8).

  • En l'espèce : retour à l'ancienne légèreté blâmable

Il faut dire qu'en l'espèce, l'employeur avait été particulièrement maladroit. Une salariée avait été engagée par contrat à durée indéterminée assorti d'une période d'essai de trois mois, renouvelable une fois. Durant la période d'essai initiale, le salarié devait subir un stage de formation lui permettant d'acquérir les compétences nécessaires à l'exercice de ses fonctions. Quelques semaines avant l'issue de la période d'essai, les parties convenaient du renouvellement de celle-ci. Pourtant, avant même l'issue de la période initiale, l'employeur rompait la période d'essai.

La cour d'appel jugeait la rupture abusive principalement parce que l'employeur n'avait pas assuré une formation convenable à la salariée, contrairement à ce que prévoyait le contrat de travail, ce qui ne lui avait pas permis de suffisamment se familiariser avec un domaine qu'elle connaissait peu. Dans ces conditions, la salariée n'avait pas été mise en mesure de faire la preuve de ses véritables qualités et de sa capacité professionnelle et l'employeur avait agi avec légèreté blâmable.

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur. Elle rappelle, d'abord, la règle de principe selon laquelle "si l'employeur peut discrétionnairement mettre fin aux relations contractuelles avant l'expiration de la période d'essai, ce n'est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus". La Cour estime, ensuite, que l'employeur a bien agi avec légèreté blâmable et ce pour plusieurs raisons. D'abord, elle relève que l'employeur avait "rompu le contrat de travail quelques jours seulement après avoir décidé de renouveler la période d'essai, avant même que ce renouvellement n'ait pris effet". Ensuite, reprenant l'argumentation des juges du fond, elle rappelle que "la salariée n'avait pas encore bénéficié de l'intégralité de la formation prévue au contrat de travail et nécessaire à l'exercice de ses fonctions".

  • Aparté : l'absence de caractère discrétionnaire de la rupture d'essai

Avant d'analyser l'application faite par la Cour de cassation de l'abus de droit en raison d'une légèreté blâmable du titulaire de ce droit, il peut être dit un mot de la règle générale rappelée selon laquelle la rupture d'essai est un droit discrétionnaire.

Il ne paraît aujourd'hui plus très cohérent de considérer que la rupture de la période d'essai puisse constituer un droit discrétionnaire, si tant est, d'ailleurs, que cela ait un jour été le cas. Le caractère discrétionnaire et l'usage de la technique de l'abus de droit sont antagonistes (9). A partir du moment où la motivation de l'acte peut être utilisée pour juger que cet acte est abusif, il ne saurait y avoir de caractère discrétionnaire (10).

En revanche, l'usage de la légèreté blâmable pourrait être analysée comme un retour en arrière de la Chambre sociale qui avait largement délaissé cette notion au profit d'une analyse des motifs de la rupture.

II - L'usage renouvelé de la légèreté blâmable

  • L'usage peu fréquent de la légèreté blâmable

En effet, les hypothèses de légèreté blâmable demeurent peu fréquentes et cette technique semblait être de moins en moins utilisée au fil du temps. Avait, cependant, pu être considérée comme abusive, pour légèreté blâmable, la rupture intervenue alors que le contrat de travail du salarié était suspendu pour maladie, l'employeur invoquant les qualités du remplaçant du salarié pour rompre l'essai (11). La légèreté blâmable était également reconnue à l'encontre d'un employeur qui avait rompu la période d'essai en raison d'un simple soupçon de vol contre le salarié (12) ou d'un employeur qui avait rompu la période d'essai très rapidement après le début de la relation de travail, ne laissant pas au salarié le temps de faire ses preuves (13).

Pour autant, les dernières affaires ayant permis à la Haute juridiction de caractériser un abus de droit de rompre la période d'essai semblaient résolument tournées vers la nouvelle définition de l'essai. En somme, la Cour de cassation paraissait adopter une approche fidèle à celle de Josserand et consistant à rechercher si l'acte était conforme à sa finalité (14).

  • Une distinction entre abus de droit lié à la finalité de l'essai et abus de droit lié au comportement de l'employeur

Il n'est pas certain que cette approche aurait pu être adoptée dans l'affaire sous examen. En effet, contrairement aux hypothèses dans lesquelles la Cour de cassation connaît le motif de la rupture -qu'il s'agisse d'un motif économique ou d'un refus du salarié d'accepter une modification du contrat de travail- la motivation de la rupture ne semblait pas apparaître dans le cadre du litige. L'employeur, comme il en a parfaitement le droit, avait tu les mobiles justifiant la rupture. Dans ces conditions, il était particulièrement délicat d'apprécier le motif de la rupture au regard de la finalité de l'essai.

C'est pour cette raison, nous semble-t-il, que réapparaît de manière justifiée la légèreté blâmable qui s'attache alors à sanctionner un comportement peu diligent plus qu'une motivation inadéquate.

  • Le comportement blâmable en matière de renouvellement de l'essai et de formation du salarié

En effet, il paraît tout à fait inconvenant de conclure avec le salarié un renouvellement de la période d'essai, ce qui tend à démontrer la nécessité de poursuivre l'essai et, quelques jours plus tard, de finalement se contredire en mettant fin à l'essai avant même que le renouvellement n'ait pris effet. On pourrait presque voir dans cette contradiction de l'employeur une application de la théorie de l'estoppel, récemment apparue en droit français (15).

De la même manière, le comportement de l'employeur s'agissant de la formation de la salariée était condamnable. En effet, quand bien même l'employeur aurait rompu l'essai en raison d'une inadéquation des qualités professionnelles de la salariée à son emploi, la cause de cette inadéquation ne tient pas seulement à la salariée, mais également à l'employeur qui prive la salariée de la formation contractuellement prévue.

D'ailleurs, par extrapolation, on pourrait imaginer qu'un employeur se voit reprocher un comportement ressortissant de la légèreté blâmable alors même qu'aucune obligation contractuelle de formation n'était prévue. Imaginons la situation suivante : un employeur recrute dans une entreprise une salariée titulaire d'un simple baccalauréat et disposant d'une faible expérience pour assurer des fonctions de secrétaire de direction. Après quelques semaines, l'employeur prend conscience que la salariée ne dispose pas de qualités professionnelles suffisantes pour assumer ces fonctions...

Ne pouvait-il pas déjà avoir conscience de cela au moment de l'embauche ? Si l'employeur engage un salarié sous-qualifié ou dont la formation ne correspond pas à l'emploi offert, il est aussi responsable de l'échec du salarié que celui-ci. La Cour de cassation pourrait à l'avenir condamner une rupture d'essai dans une telle situation, l'obligation accessoire d'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi apparaissant dès l'entrée de celui-ci dans l'entreprise !


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) et notre numéro spécial Lexbase Hebdo n° 312 du 9 juillet 2008 - édition sociale.
(2) Cass. soc., 15 mars 1995, n° 91-43.642, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Saône-et-Loire c/ Mme Genin (N° Lexbase : A0911ABD).
(3) Sous la réserve de ne pas adopter un comportement humiliant et vexatoire : cette décision ne peut par exemple pas revêtir la forme d'une déclaration orale en présence du personnel de l'entreprise, v. Cass. soc., 7 février 2001, n° 99-42.041, Société Diese informatique c/ Mme Stéphanie Loquet (N° Lexbase : A5563AG7).
(4) Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-42.772, Société CGE Distribution, société anonyme, venant tant en son nom personnel que comme venant aux droits de l'ancienne société Matei, société anonyme c/ M. Bernard Travers et autres (N° Lexbase : A6759CRR) ; Cass. soc., 5 mai 2004, n° 02-41.224, Société Loxam location c/ M. Patrick Audrain, F-P+B (N° Lexbase : A0545DC8), TPS, juillet 2004, p. 23, n° 225, obs. P.- Y. Verkindt.
(5) Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212, Société Cofiroute, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7171DZM) et les obs. de Ch. Radé, Rupture du contrat de travail en période d'essai : l'étau se resserre, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2219BDK), D., 2008, p. 196, note J. Mouly ; RDT, 2008, p. 29, note J. Pélissier.
(6) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-42.445, Société Slanac France, F-P+B (N° Lexbase : A7250EB7) et nos obs., La modification du contrat de travail durant la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2146BIC).
(7) Cass. soc. 18 janvier 1957, JCP, 1957, II, 9887, obs. G. B..
(8) Cass. soc. 12 mars 1970, n° 69-40.264, Société Dagut c/ Breton, publié (N° Lexbase : A1396CH8), JCP, 1970, II, 16548, note H. Groutel.
(9) V. S. Tournaux, L'essai en droit privé, thèse dactyl., Bordeaux, 2008, n° 293 et s..
(10) L'acte de rupture d'essai serait plutôt un acte contrôlé, c'est-à-dire un droit dont l'exercice est libre sous réserve justement de ne pas dégénérer en abus, v. A. Rouast, Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés, RTDCiv., 1944, p. 16. Sur les droits discrétionnaires, v. également D. Roets, Les droits discrétionnaires : une catégorie juridique en voie de disparition ?, D., 1997, chr., p. 92.
(11) Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-44.891, M. Climent c/ Société Conforama (N° Lexbase : A2020AA3).
(12) Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 03-46.668, M. Jean-Marc Audoire c/ Association Promotion jeunes en Savoie Les Triandines, F-D (N° Lexbase : A7479DLL).
(13) Cass. soc., 15 novembre 2005, n° 03-47.546, Société Cuir c/ M. Thierry Degeorges, F-D (N° Lexbase : A5537DLN).
(14) L. Josserand, De l'esprit des droits et leur relativité-Théorie dite de l'abus des droits, Dalloz, 1927, réed. 2006, n° 273 et s..
(15) Ass. plén., 27 février 2009, n° 07-19.841, Société Sédéa électronique c/ Société Pace Europe (anciennement dénommée X-Com multimédia communications), P+B+R+I, (N° Lexbase : A3925EDQ), v. La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès de mars 2009, Lexbase Hebdo n° 344 du 2 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9948BIB) ; JCP éd. G, 2009, II, 10073, note P. Callé ; JCP éd. G, 2009, I, 142, n° 7, obs. Y.-M. Serinet ; D., 2009, p. 1245, note D. Houtcieff ; Dr. et proc., 2009, p. 263, note M. Douchy-Oudot ; LPA, 13 mai 2009, p. 7, avis M. de Gouttes ; Gaz. Pal., 2009, 1, p. 1261, note T. Janville.


Décision

Cass. soc., 6 janvier 2010, n° 08-42.826, Société Otis, F-D (N° Lexbase : A2151EQQ)

Rejet, CA Versailles, 15ème ch., 13 mars 2008

Textes visés : néant

Mots-clés : période d'essai ; rupture ; abus de droit ; légèreté blâmable ; renouvellement ; formation

Liens base : (N° Lexbase : E8913ESW)

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