Réf. : CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 novembre 2009, n° 08/12771, Darty & fils c/ UFC Que Choisir (N° Lexbase : A1583EQP)
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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier
le 24 Janvier 2011
Dans cette affaire, au titre de la protection des intérêts des consommateurs, l'association fondait sa demande à la fois sur les dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4856IEL), prohibant les ventes subordonnées, et sur celles de l'article L. 121-1 (N° Lexbase : L2457IBM), propre aux pratiques commerciales déloyales renforcé par un décret du 3 décembre 1987, fixant les conditions d'information du consommateur sur les prix. Le premier jugement contre lequel il était ici interjeté appel était un jugement de compromis, refusant de voir dans cette vente subordonnée une méthode prohibée en tant que telle mais enjoignant, par ailleurs, au distributeur d'informer le consommateur sur le prix des logiciels. La cour d'appel réforme partiellement le jugement, éclairée en cela par un récent arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 23 avril 2009, aff. jointes C-261/07 et C-299/07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV N° Lexbase : A5552EGQ et lire nos obs., La CJCE reconnaît l'abus d'un consommateur dans l'exercice de ses droits, Lexbase Hebdo n° 368 du 22 octobre 2009 - édition privée générale [LXB=N6475BZ]) qui avait permis de fixer l'interprétation du droit communautaire, tant quant à la prohibition des ventes subordonnées qu'à la sanction des pratiques commerciales déloyales.
Quant à la prohibition des ventes subordonnées, le tribunal de grande instance et la cour d'appel ont sur ce point des approches très différentes. Pour le premier, le fait de ne proposer à la vente que des ordinateurs avec logiciel préinstallé (sans possibilité donc d'acheter l'ordinateur séparément) était bien une vente subordonnée, mais cette dernière n'en était pas moins justifiée par l'intérêt du consommateur. Pour les juges de première instance, en effet, cette offre permettait au consommateur d'acquérir un système complet avec tous les outils nécessaires et à un moindre coût. Pour la cour d'appel de Paris, dans cet arrêt, en revanche, suivant en cela la position de l'arrêt de la CJCE précité, la prohibition des ventes subordonnées n'est tout simplement pas conforme au droit communautaire et plus particulièrement aux dispositions de la Directive 2005/29/CE, sur les pratiques commerciales déloyales (Directive du 11 mai 2005 N° Lexbase : L5072G9Q) et qui ne donne qu'une liste strictement limitative des pratiques commerciales qui peuvent être prohibées per se par le législateur national. Dans la mesure où la prohibition des ventes subordonnées ne figure pas sur cette liste, celle-ci ne peut être sanctionnée par le juge. Sur ce point précis, la position de la cour d'appel de Paris n'est pas nouvelle, puisque dans une précédente affaire du 14 mai 2009 elle avait déjà rendu une décision similaire à propos de l'offre de diffusion des matchs de football par Orange qui était subordonnée pour le consommateur à la souscription d'un abonnement internet chez ce même opérateur (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., n° 09/03660, SA France Télécom et autres c/ SAS Free N° Lexbase : A2244EHL). Pour être tout à fait complet, après avoir rappelé la solution des juges de première instance et celle de la cour d'appel de Paris, il convient de mentionner un arrêt de la cour d'appel de Montpellier, cette fois, qui avait suivi un raisonnement sensiblement différent (CA Montpellier, 3ème ch., 7 mai 2009, n° 08/01398, SA Dell Southern Europe N° Lexbase : A3443EQL). Dans un arrêt du 7 mai 2009, elle avait refusé de voir dans une telle pratique une vente subordonnée et avait également refusé de la sanctionner considérant le matériel et ses logiciels comme un seul et même produit, renforçant en cela l'idée qu'un ordinateur n'est pas utilisable sans logiciel et par conséquent pour aller jusqu'au bout de ce raisonnement, que pour être conforme aux attentes des consommateurs il était impératif de joindre un logiciel au produit. Un tel raisonnement occulte néanmoins l'essentiel du problème : une chose est de comprendre qu'un ordinateur est inefficace sans logiciel, une autre est d'imposer un seul logiciel à l'achat du matériel. Car plus que la nécessité d'acheter un logiciel avec l'ordinateur, c'est l'absence de choix qui résulte de ces pratiques de distribution qui est critiquée. Avec bien évidemment tous les soupçons qui en découlent : prix abusif, piètre qualité, obligation pour l'utilisateur de n'utiliser que des logiciels compatibles avec le premier... Autant d'arguments pertinents sur le plan factuel mais qui ne permettent pas de remettre en cause la solution de la CJCE dans son arrêt du 29 avril 2009, la vente subordonnée ne peut en aucune manière être sanctionnée per se, c'est-à-dire en dehors de toute autre pratique répréhensible.
La pratique en cause était peut-être déloyale. Faut-il en conclure que toutes les ventes subordonnées échappent nécessairement à toute sanction ? Evidemment non, car, si la vente subordonnée n'est plus par principe prohibée, elle pourra toujours être sanctionnée au titre des dispositions générales propres à une pratique commerciale déloyale (ou trompeuse pour reprendre l'ancienne formulation du Code de la consommation, avant la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs N° Lexbase : L7006H3U). La pratique ne sera dans ce cas sanctionnée que parce que trompeuse ou agressive. En l'espèce précisément l'association de consommateurs entendait voir sanctionner le distributeur qui n'aurait pas transmis au client une information pourtant selon elle "substantielle", le prix détaillé du matériel et du logiciel ainsi que les conditions d'utilisation du second, caractérisant ainsi une pratique commerciale trompeuse. Les conditions pour obtenir une condamnation au titre de la pratique commerciale trompeuse sont bien évidemment plus contraignantes. L'article L. 121-1 du Code de la consommation ne permet de sanctionner que les pratiques qui créent une confusion dans l'esprit du consommateur ou celles qui reposent sur des affirmations trompeuses, ou les publications où le bénéficiaire d'une pratique commerciale n'est pas clairement identifiée. Il ne semble, en revanche, n'y avoir dans ce texte aucune prévision quant à un prix trompeur parce que non-détaillé. Quant au prix précisément, sont seuls considérées comme une information essentielle "le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s'ils ne peuvent être établis à l'avance" (C. consom., art. L. 121-1, II, 3°). Or il était bien reproché ici au distributeur professionnel, de ne pas avoir présenté aux consommateurs une étiquette voulue complète. Cette étiquette devrait, dans cet esprit, comprendre le prix total à payer par le client mais, également, pour l'informer au mieux, le prix ventilé entre les différentes parties du lot : prix de l'ordinateur seul et prix du logiciel seul. A défaut pourtant d'une disposition spécifique en ce sens dans le Code de la consommation, la cour d'appel de Paris n'a pas considéré ce défaut d'information comme un élément susceptible de tromper le consommateur dans ses choix.
L'association est donc également déboutée de ce chef. Pour la cour d'appel de Paris en effet, seul importe au consommateur le prix global d'achat qu'il compare à la concurrence : "L'UFC-Que Choisir ne démontre pas qu'une information différenciée soit indispensable à la prise de décision d'un consommateur moyen, d'autant que ce dernier a toute facilité pour comparer les prix des ordinateurs pré-équipés de logiciels identiques, qui constituent encore le standard de l'offre de vente ; qu'au demeurant, Darty justifie ainsi qu'il sera vu ci-après, de l'impossibilité où elle se trouve, compte tenu de la structure de l'offre des fabricants, de connaître précisément les prix respectifs de l'ordinateur nu et des logiciels pré-installés [...]". Cette solution considère alors, en quelque sorte, le distributeur comme contraint, la pratique des logiciels préinstallés paraissant dans cette décision plus comme un fait ou une contrainte imposé par les éditeurs de logiciels et les producteurs de matériel informatique. A considérer le distributeur comme contraint, alors que la pratique en cause est, en réalité, une pratique commune imposée à tous les opérateurs du secteur, l'action de l'association avait beaucoup moins de chances d'aboutir à une condamnation sur le fondement des dispositions du Code de la consommation : ce sont donc pour l'essentiel les dispositions du droit de la concurrence, entente ou abus de position de dominante, qui sembleraient les seules pertinentes dans ce type de contentieux. Pour autant jusqu'à présent, malgré les sanctions prononcées (notamment comme chacun s'en souvient contre Microsoft, TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft Corp. c/ Commission N° Lexbase : A2204DYB), les pratiques en cause n'ont pas disparu. La seule solution efficace devant ce genre de pratiques qui sont, en réalité, des abus de position dominante, de la part d'un producteur qui ne permet la vente de son matériel que liée à un logiciel, imposerait des sanctions plus lourdes encore, voire ce que proposent certains un retour à un droit de la concurrence assurant jusqu'au démantèlement des groupes les plus importants, mais une telle proposition pourrait rapidement faire passer l'auteur de ces quelques lignes pour un véritable marxiste.
Erreur de cible donc dans cette affaire : le distributeur n'était peut-être pas le bon coupable.
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