La lettre juridique n°379 du 21 janvier 2010 : Avocats

[Questions à...] De la nécessité d'intégrer le web à l'exercice de la profession d'avocat - Questions à Clarisse Berrebi - avocate et Présidente nationale de l'ACE-JA

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[Questions à...] De la nécessité d'intégrer le web à l'exercice de la profession d'avocat - Questions à Clarisse Berrebi - avocate et Présidente nationale de l'ACE-JA. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212365-questionsadelanecessitedintegrerlewebalexercicedelaprofessiondavocatquestionsabclar
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Innover pour développer. C'est le thème qu'a choisi -avec pertinence en ces temps de crise- l'ACE (1) pour son 17ème congrès, déroulé les 5 et 6 novembre 2009 à Toulouse (2). L'innovation est vitale pour la profession. Comme partout, elle passe, aujourd'hui, avant tout par le net. Plus les avocats s'adapteront à leur environnement économique et social, plus ils évolueront au plus près des clients, entraînant leur satisfaction et, donc, leur fidélité. Leur réputation les rendra, également, plus "visibles" et ils développeront d'autant leur activité. Pourtant, le constat est, pour l'heure, à l'insatisfaction ; tant pour les avocats, que pour leurs clients. Les premiers luttent quotidiennement avec une prolifération de textes et d'informations, mais également, avec des procédures multipliées, toujours plus complexes, et parfois plus lourdes. Fidèle au "papier", la profession s'empêtre, de surcroît, dans la dématérialisation et appréhende le web avec une grande méfiance. Dans un tel contexte, les délais s'allongent. Les seconds exigent toujours plus, plus vite ("they need (?) more for the less") (3) et s'immergent progressivement dans la toile et l'instantanéité qu'elle permet. Instantanéité des échanges, de l'information, partage immédiat des ressources et des compétences, réseaux sociaux, travail collaboratif, entreprise 2.0. Tout autant de concepts qui dépassent souvent les avocats.

A en croire Richard Susskind et bien d'autres (4), la profession n'a pourtant d'autres alternatives qu'apprivoiser le net ou bien elle mourra (tout pessimisme mis à part). Internet n'est certainement pas un effet de mode. Sur le plan professionnel non plus. Les avocats doivent, maintenant, prendre conscience qu'il faut composer avec lui, sous peine de se noyer dans la masse (des informations, des acteurs, des outils, etc.). D'autant que "la condamnation [des avocats par le public] tombe avant même la fin du procès : trop chers, trop lents, pas assez réactifs, pas assez disponibles". Cet "appel" été relayé lors du congrès de novembre dernier par l'ACE-JA (Jeunes Avocats), empruntant la voix de son Président, Clarisse Berrebi, avocat au cabinet es-strategia et Présidente nationale de l'ACE-JA, qui nous a fait le privilège d'une "rencontre virtuelle". Astucieuse, c'est, en effet, via une visite de la toile, qu'elle nous a démontré l'impérieuse nécessité d'intégrer le web et ses outils dans l'exercice de la profession, eu égard aux exigences du marché et, au-delà, aux perspectives infinies de développement offertes par internet.

Lexbase : Faîtes-vous le constat d'un conflit générationnel quant à l'utilisation du web par la profession ?

Clarisse Berrebi : Il existe, en effet, un conflit générationnel. Les jeunes avocats ne travaillent pas de la même façon que les générations qui les précèdent et ne se reconnaissent pas dans les cabinets qu'ils intègrent. Ils ont quotidiennement recours au web quand leurs aînés en sont restés au papier et au fax et se servent difficilement des emails, voire, pour certains, de l'informatique en général.. Nombreux sont les avocats dépassés par les nouvelles technologies.

Les jeunes avocats appartiennent à la génération "Y", celle des Digital Natives (5), qui a grandi avec l'informatique et internet et a développé des réflexes et usages s'y rapportant. Outre les courriers électroniques, ils communiquent via des messageries améliorées, des chats, des sites web collaboratifs. Ils appartiennent à des réseaux sociaux et communautaires (du type Msn, Facebook ou Twitter), sur lesquelles ils échangent des informations en temps réel, et ils déposent leur CV sur Viadeo et LinkedIn. Il y a cinq ans maintenant que, j'ai pris conscience de ces différents usages et que je les ai intégrés quotidiennement dans l'exercice de mon activité. Mais, à l'époque, je suis tombée de haut : je n'avais jamais envisagé que l'on puisse trouver les bonnes informations et les bons textes ailleurs que dans les codes ou les encyclopédies juridiques. La jeune génération "googlise" (autrement dit, fait des recherches aux moyens des outils proposés par Google ou d'autres moteurs de recherches). Elle "twitte", gagnant, ainsi, un temps considérable et, souvent, une meilleure qualité de l'information.

Les cabinets -tout comme encore, une grande partie des entreprises en général- sont méfiants vis-à-vis de ces nouveaux outils, considérés comme des loisirs et, donc, comme une perte de temps. Comme l'indiquait Francis Senceber, notre intervenant au Congrès lors de notre atelier de pratique professionnelle sur l'innovation numérique, pour la première fois, nous régressons technologiquement au sein de l'entreprise. Pourtant, cette attitude protectionniste entraîne, forcément, pour les avocats un exercice cloisonné de la profession et une baisse d'opportunité et de productivité. Les entreprises prennent, néanmoins, progressivement conscience de ces nouveaux usages et commencent à les intégrer, parfois pleinement, dans leur politique de management, de formation, de gestion, commerciale, etc.. Ainsi, six entreprises en Poitou-Charentes se présentent, aujourd'hui, comme des entreprises web 2.0, dites "collaboratives" (elles s'organisent autour de plateformes en interne, optent pour les webschool, les e-learning, le réseau social, le marketing internet et de réseaux, etc.) et les premiers retours démontrent qu'elles ont raison de le faire. Je prends le pari que ce nombre se multipliera rapidement et je souhaite que cet éveil aux nouvelles technologies s'étende à nos cabinets.

Lexbase : Aujourd'hui la profession peut-elle exercer sans le web ? Quelles perspectives cet outil offre-t-il ?

Clarisse Berrebi : L'économie s'est profondément modifiée. Prenons pour exemple un symbole fort : la société Google. Ce "géant" né il y a seulement dix petites années s'est construit autour de quatre affirmations fondatrices :

- les consommateurs ont repris le pouvoir et l'expriment ;

- des communautés peuvent se créer en temps réel ;

- les marchés de masse sont morts au profit des masses de niche ;

- et les marchés sont des conversations.

Google est, à la fois, un business model et un modèle de management innovant. Les avocats, s'ils veulent développer leurs activités et rester compétitifs, doivent raisonner de la même façon.

Richard Susskind (6), dans son ouvrage The end of lawyers ? Rethinking the nature of legal services estime que les innovations technologiques vont radicalement transformer l'exercice des professions juridiques lors des dix prochaines années. Personne ne pourra se payer le luxe de la routine ou de travailler encore sur papier ou même par email (Google a d'ailleurs l'intention de les supprimer progressivement, ce qui est une bonne chose, puisque le one to one est trop consommateur de temps). Au contraire, pour répondre aux exigences des clients qui réclament un maximum de services pour un minimum de coûts et de temps, l'avocat devra travailler en réseau, partager son savoir et utiliser des sites internet collaboratifs ou de réseaux sociaux. Il travaillera son relationnel, notamment, aux moyens de ces nouveaux outils, sous peine d'être remplacé par la technologie. Richard Susskind prédit l'émergence de deux types d'avocats : les legal hybrids et les legal knowledge engineer. Les premiers, en plus d'avoir une expertise juridique, auront une expertise dans d'autres domaines. Les seconds développeront des systèmes d'informations pertinentes et mettront régulièrement à jour les différents textes et décisions. Aujourd'hui, Google et ses équivalents permettent d'obtenir instantanément et à tout moment toute information nécessaire, mais en juger la pertinence et la fiabilité est loin d'être évident. Les legal knowledge engineer offriront plus de visibilité et de garantie en la matière. Ainsi qu'il le résume, la société aura de plus en plus besoin de spécialistes qui comprennent autant la loi que les nouvelles technologies.

Je rejoins ces prédictions. Rendons-nous à l'évidence : le marché est de plus en plus exigeant et implique une performance, une réactivité, et des garanties accrues. L'avocat doit sans cesse se renouveler, traiter de plus en plus l'information et la répercuter aussitôt. Le temps est devenu un facteur anxiogène, aussi bien pour le professionnel, que pour celui qui fait appel à lui. Ainsi, de plus en plus, il s'agit de réagir et d'agir en "temps réel" : la meilleure façon d'y parvenir est d'interagir. Le rapport "Attali" soulignait déjà cet impératif besoin de performance des professionnels du conseil, comme source de compétitivité des entreprises et de la croissance économique. L'avocat de demain, pour rester en lice, doit s'adapter. Il doit être "un facilitateur, le pivot d'un environnement où l'information sera relayée de plus en plus vite. Celui par lequel la requête transitera, celui qui connectera, qui mettra en relation. [...] Un avocat dont les modes d'exercice seront plus surs, plus rapide, moins couteux en temps, en énergie, en euros pour les clients".

Le rapport "Darrois" ouvre, quant à lui, des pistes pour un exercice optimisé et compétitif des professions juridiques. L'une d'entre elles est celle de l'interprofessionnalité. Où peut-on envisager de l'organiser mieux que sur le net (le networking) ? En effet, au-delà des opportunités d'affaires qu'elle laisse présager, l'interprofessionnalité suppose des relations régulières et des échanges constructifs lors de réunions informelles ou techniques, au sein d'une nouvelle forme de réseau (le réseau social, qui permet de travailler plus vite, en temps réel). Le concept de gestion de projets prend tout son sens dans le cadre du networking (web collaboratif). D'une part, il permet de traiter de l'information en temps réel et, d'autre part, il permet une organisation centralisée sur la toile et sur mesure, en termes d'équipes, de budget, de calendrier etc..

Lexbase : L'ACE-JA, en partenariat avec le CJEC (7) a fondé une webschool. De quoi s'agit-il ?

Clarisse Berrebi : Par le biais de la mise en place d'une webschool, l'entreprise forme ses salariés à l'utilisation optimale des ressources "internet ". La société Lippi, qui est passée en mode web 2.0, a intégré ce concept de webschool en interne et s'en félicite depuis lors (on parle de "modèle Lippi").

Nous poursuivons le même objectif avec Denis Barbarossa, président de la CJEC. A l'ACE-JA et au CJEC, nous avons choisi depuis maintenant un an de travailler ensemble. Nous avons, en particulier, décidé de mettre en place une webschool des avocats et des experts-comptables, qui propose des modules de formation (sur les réseaux sociaux, la veille sur internet, tous les outils Google, etc.). Dans le cadre de l'interprofessionnalité, nous souhaitons, en outre, constituer et alimenter un réseau composé de différents professionnels du droit, qui permettrait de trouver l'expert le plus adéquat, en un minimum de temps.

Lexbase : Quels sont les outils actuels du web qui optimisent, selon vous, l'exercice de la profession ?

Clarisse Berrebi : Les outils web sont maintenant nombreux.

Tout le monde, aujourd'hui, connaît Facebook. Ce réseau social est précieux, eu égard, notamment, aux quelques 350 millions d'utilisateurs qu'il compte. Les perspectives en termes de communication sont énormes. Il existe d'autres réseaux plus professionnels, tels Viadeo ou LinkedIn (spécialisé dans les professions juridiques), qui permettent une visibilité du professionnel, des mises en contact et qui sont d'excellents outils sur le plan du recrutement de collaborateurs. Ces plateformes peuvent opportunément êtres utilisées dans le cadre de la mise en place d'équipes juridiques (au titre de l'interprofessionnalité et de la gestion de projets).

Facebook, tout comme Twitter, en ce qu'il inclut un service de microblogging- est, également, utilisé dans le cadre de la recherche d'informations. Il suffit de poser une question, pour que la communauté réagisse et apporte tout ou partie de la solution. Reste, alors, seulement, à vérifier les sources. Google est, lui aussi, un outil extrêmement performant. Ce moteur de recherches propose tout un panel de services de recherches avancées et met à la disposition des utilisateurs des veilles quotidiennes, notifiées par courrier électronique. Enfin, Wikipedia (l'encyclopédie participative en ligne) offre une quantité et une qualité d'informations inégalées.

Concernant le web participatif, des sites tels Webex proposent des outils de web meeting et de web conference particulièrement performants, permettant des réunions de travail en ligne. Le service est optimisé par un "bureau" (ou espace de travail), qui permet de diffuser des documents, avec des droits illimités ou restreints en fonction du souhait. Ainsi, je peux décider de seulement laisser mon interlocuteur visualiser le document, ou alors, de le télécharger, voire de le modifier en ligne. Eu égard, notamment, aux impératifs de confidentialité à la charge de l'avocat, ces différentes autorisations prennent tout leur sens.

Je regrette cependant qu'aucune plateforme ne regroupe encore ces différents outils. Je suis, néanmoins, optimiste, Google vient de lancer GoogleWave qui tend à la réunion de ces éléments. Le site nécessite encore quelques ajustements, mais il devrait être opérationnel sous peu.


(1) Association des avocats conseils d'entreprises (ACE).
(2) Lire Innover pour développer : congrès annuel de l'ACE des 5 et 6 novembre 2009 à Toulouse, Lexbase Hebdo n° 10 du 3 décembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4746BMQ).
(3) The end of lawyers ? Rethinking the nature of legal services, R. Susskind, Hardback, novembre 2008.
(4) The end of lawyers ? Rethinking the nature of legal services, R. Susskind, préc..
(5) Le terme "génération Y" désigne les personnes nées entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1990.
(6) http://www.susskind.com/about.html ; Richard Susskind s'est spécialisé dans la technologie juridique depuis plus de vingt-cinq ans. Il conseille des firmes et des gouvernements.
(7) Club des jeunes comptables et commissaires aux comptes.

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