La lettre juridique n°379 du 21 janvier 2010 : Éditorial

Avocats et réseaux sociaux : quand Epiméthée rattrape son frère...

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Je vous entends déjà dire : "quel lien peut-il y avoir entre les avocats, les réseaux sociaux et une énième allégorie mythologique tirée du fond des âges ?" Et, pourtant, lorsqu'il s'agit de parler de mutualisation des savoirs, de lien social professionnel, d'interactivité productive, je me suis souvenu, humanités obligent, du mythe prométhéen et, plus particulièrement, de celui de son frère Epiméthée -en grec "celui qui réfléchit après coup"-, tous deux fils de Thémis -la Loi-.

Car, grossièrement -mais non dépourvu d'un certain réalisme-, l'on peut distinguer deux métiers au sein de l'avocature : le conseil, souvent apanage des avocats d'affaires officiant dans des cabinets structurés de taille moyenne, voire internationaux ; et, le prétoire, oriflamme des défenseurs des droits des délinquants, comme de ceux des victimes, avec le même sens, le même désir de Justice, souvent animus de structures plus petites voire individuelles.

Les premiers sont descendants de Prométhée -en grec "celui qui prévoit"-, et pour cause : c'est leur office principal que de tout envisager juridiquement, de "ficeler", comme on dit, un dossier sans prise possible pour l'adversaire (souvent imaginaire). Les seconds sont descendants d'Epiméthée, car nécessairement ils interviennent après coup, une fois le "mal" bien là. Et, ils sont doublement descendants du cadet de Japet, qu'ils ont, comme lui, convolé, en épousant la profession, avec la mère de tous les dons -"Pandore", toujours en grec- qui, non moins fourbe, est, également, la mère de tous les maux. Pandore, c'est un peu la Société, celle dont les avocats du prétoire sont les époux liés par amour déontologique de la Justice et liés, également, par le sort et les travers.

Et, mes réseaux sociaux, dans tout cela ? Objectivement, l'on sait qu'entre conseil et prétoire, si l'un n'est pas exclusif de l'autre, les métiers sont, non seulement, de nature différente, mais s'exercent, également, différemment. L'un des atouts incontestables des cabinets de conseil, c'est justement leur capacité à créer des synergies, des liens sociaux professionnels : ne serait ce qu'en travaillant en équipe ; parce que leur management organise des réunions de discussions/réflexions sur les points de droit nouveaux ou les plus difficiles d'interprétation, pour une pratique juridique professionnelle concertée, harmonisée, efficace ; parce que ces réflexions sont internationales ; qu'ils disposent de professionnels, non pas du droit, mais du marketing et de la communication pour promouvoir leurs compétences auprès des décideurs de la vie civile comme ceux de la vie politique (réseau et lobbying)... Tout cela est naturellement le fruit d'une structuration entrepreunariale des cabinets d'affaires aux objectifs avoués et, surtout compatibles, d'assurer le meilleur conseil, la meilleure défense avec un maximum d'efficacité économique. Les réseaux sociaux : ces avocats-conseils les connaissent déjà, de facto, à travers les échanges quotidiens que leur permettent, non seulement, leur structure d'exercice, mais aussi, les domaines juridiques qu'ils traitent -ne jamais oublier que faire des affaires, c'est avant tout échanger, instiguer un lien social commercial-.

Pour nos épiméthéens, le lien social professionnel, s'il existe bien évidemment à travers les lieux de rencontre professionnel traditionnel que sont les Ordres, les Centres de formation, les couloirs des Palais de Justice eux-mêmes, afin d'échanger points de vue et réflexions sur le Droit, les droits et le métier, il est plus difficile à organiser, à structurer, à systématiser. Et, c'est bien la fluidification, la structuration et la systématisation que permet, aujourd'hui internet, et plus précisément les réseaux sociaux professionnelles numériques.

Alors, tout le monde connaît, déjà, Facebook et Twitter qui en l'espace de deux ans sont devenus l'épicentre des réseaux sociaux mondiaux. Mais, convenons qu'il n'est pas souhaitable de mélanger les genres : réseau amical et réseau professionnel ; discussion sur ses dernières vacances et interprétation d'une dernière disposition de la loi de finances ; invitation à un fête costumée et invitation à une "table ronde" sur un produit d'ingénierie sociale... L'urgence est, alors, aux réseaux sociaux professionnels personnalisés, communautarisés et fondés sur un seul critère de discrimination : le Droit.

Et, au final, ce que permettent les réseaux sociaux professionnels numériques, c'est ni plus ni moins que de mettre tout le monde à égalité, ou presque, devant les vertus de la synergie et de la mutualisation. Ces réseaux ne peuvent, évidemment, pas tout : ni apporter des solutions juridiques toutes prêtes, ni trouver de nouveaux clients, ni interagir tout seul avec des clients actuels. Ils ne sont que les neurotransmetteurs d'une volonté affirmée et qui doit être systématique d'échanger, de partager, d'informer et de s'informer sur l'évolution du droit, du marché, du métier. Ils ne remplacent en rien une démarche personnelle de l'avocat, ils ne sont que les vecteurs de communication organisés et structurés au service de l'efficacité productive juridique.

Il n'y a qu'à lire le Protagoras de Platon pour se rappeler que le mythe prométhéen est celui de l'apport, à travers le feu, de la connaissance aux Hommes. Et, Gaston Bachelard de parler de "complexe de Prométhée" qui traduit "toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres".

Voici qu'internet et les réseaux sociaux professionnels, à la suite de l'accès numérique au droit et à l'analyse juridique, loin de vulgariser le savoir juridique qui demeure scientifique et technique, éloignent les "Monsieur Purgon" dont seul le verbiage était l'apanage, et rapprochent les avocats au sein d'une même communauté d'internautes professionnels, aux intérêts communs évidents, aux synergies et mutualisations des savoirs souhaitables. Ainsi, Epiméthée rejoint son frère Prométhée au Panthéon des savoirs pratiques et techniques, à armes égales.

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