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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
"Nemo censetur ignogare legem" ! Soit ! Mais égalité devant la loi ne signifie pas égalité devant le droit... Il fut un temps où les justiciables assuraient eux-mêmes leur défense -et pas seulement devant les tribunaux d'instance !- au risque évident de ne pas emporter la conviction des juges, tant, déjà, la combinaison de la connaissance des lois et de l'art oratoire semblait nécessaire sinon à l'éclatement de la vérité, du moins à l'administration de la Justice. C'est pourquoi la défense des intérêts personnels ou patrimoniaux d'autrui est, sans doute, l'un des plus anciens métiers qu'il soit : il en va du bon fonctionnement des sociétés législatives et judiciaires comme d'un sacerdoce. Sans officier judiciaire, c'est-à-dire sans avocat, comment inscrire la Justice au Panthéon des principes démocratiques ?
Alors, ce n'est pas un hasard si l'idée de "garantir un équitable accès aux tribunaux et à la justice" fut tardive, notamment, en France. Ce n'est qu'en 1851 que ce voeu est formulé au sein de la loi. Le contexte y est propice, la deuxième République et l'élection du Président Bonaparte au suffrage universel direct aidant... Mais, de là à mettre en place un système d'aide à l'accès au droit et à la défense de leurs intérêts au profit des plus démunis... Ce ne sera chose faite qu'au travers de la loi n° 72-11 du 3 janvier 1972, instituant l'aide judiciaire qui reconnaît un droit à l'aide judiciaire, totale ou partielle, subordonné à un seuil de revenu. Pour autant, le lecteur aura remarqué que la société juridique se complexifiant, la défense des intérêts des justiciables n'intervient pas uniquement dans les prétoires ! Une prise en charge totale ou partielle des frais du procès, mais aussi des frais afférents à l'informtion et au conseil, notamment sur les modes de résolution des conflits alternatifs au procès marquèrent, alors, le dispositif de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, colonne vertébrale du système actuel.
Un système qui, près de vingt ans après, apparaît comme asphyxié. L'aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle, tel est le titre éloquent du rapport d'information n° 23 (2007-2008) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances, déposé le 9 octobre 2007. Selon les auteurs du rapport, l'aide juridictionnelle est traversée par "une crise financière doublée d'une crise morale. L'heure n'est plus aux 'replâtrages' et encore moins aux effets d'annonce. Le système appelle, bien au contraire, une 'remise à plat', qui tienne compte des attentes comme des responsabilités de chacune des parties prenantes".
Le propos est fort, mais à la lecture froide des chiffres et au recensement de l'insatisfaction des justiciables comme des avocats, il ne semble pas être une hyperbole. En 1991, 348 587 admissions à l'aide juridictionnelle étaient dénombrées, contre 904 532 en 2006. Les raisons en sont connues : une complexification législative, une judiciarisation de la société, triplée d'une paupérisation des justiciables... Et, l'on prendra soin de ne pas sous-estimer les différents mouvements dans les barreaux témoignant du mécontentement de la profession d'avocat ; la charge de cette profession libérale, quelque peu particulière, devenant plus lourde sous l'effet de l'augmentation considérable des admissions et la rétribution correspondante aux missions couvrant de plus en plus difficilement les frais de cabinets. A l'image des médecins en grève, soumis pourtant au serment d'Hippocrate, c'est avec un déchirement de conscience que l'avocat suspend son engagement pour la Justice.
Derniers éléments de réponse : le maintien de l'engagement prioritaire de l'Etat sans diminution de l'enveloppe budgétaire actuelle ; le rééquilibrage d'un barème horaire en temps passé assorti d'un taux horaire en remplacement des unités de valeur ; une étude d'impact des nouveaux textes pour trouver les financements nécessaires. Tel est le triptyque préconisé par le rapport "Darrois". Et, si le Conseil national des barreaux a rappelé son opposition à la taxation du chiffre d'affaires des professionnels du droit et, notamment, des avocats eu égard à leur contribution majoritaire au système, il s'est dit favorable à la taxation des actes juridiques et a proposé, en outre, des sources de financement complémentaire et des mesures fiscales d'accompagnement. Par ailleurs, le Conseil national suggère, pour alimenter le budget de l'aide juridictionnelle à périmètre constant d'interventions, que le financement du taux horaire soit effectué en deux volets : une partie par l'Etat, une partie par le financement complémentaire garanti par l'Etat et sans désengagement. Ce sujet, sur lequel revient, cette semaine, notre édition professions, est, par conséquent, l'un des piliers des réformes des professions juridiques et, plus largement, de la Justice à venir.
En l'an de Rome 673 (79 av.-JC), la défense de Sextus Roscius est assurée par un jeune avocat de vingt-sept ans, encore inconnu : Marcus Tullius Cicero (Cicéron). Le jeune homme, dénué d'instruction, vivant dans les champs, étranger aux affaires, inconnu à Rome, est accusé de parricide. Cicéron est commis d'office par la puissante famille Caecilii Metelli et doit affronter un célèbre procureur, Erucius. Et c'est au cours de sa plaidoirie que l'avocat clamera le fameux "Cui bono ?" ("A qui profite le crime ?"). Cicéron parvient à prouver que son client n'a pu avoir la volonté ni les moyens de tuer son père ; et sa plaidoirie emporte la conviction du jury qui acquitte Sextus Roscius, faute de preuves...
L'aide juridictionnelle eut, très tôt, de belles heures et de belles lettres. Gageons qu'elle en écrive de nouvelles. Mais, aujourd'hui, c'est l'existence même de cette aide pour les plus démunis qui pourrait être remise en cause.
"C'est affreux de connaître le secret d'un autre et de ne pas pouvoir l'aider" - Anton Tchekhov, Oncle Vania
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