La lettre juridique n°368 du 22 octobre 2009 : Rel. individuelles de travail

[Focus] Souriez, vous êtes filmés... sur votre lieu de travail !

Réf. : Délibération de la Cnil n° 2009-201 du 16 avril 2009, de la formation restreinte prononçant une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Jean-Marc Philippe (N° Lexbase : X6250AGL)

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Big Brother is watching you. Dans la rue, sur les routes, dans les grands magasins, dans les transports en commun et autres lieux publics... mais plus difficilement dans votre bureau ! George Orwell n'a qu'à bien se tenir et 2009 ne sera pas 1984. Tout n'est pas licite en matière de vidéosurveillance. Et si, en France, depuis l'initiative de Patrick Balkany dans les années 90 dans sa ville de Levallois-Perret, la vidéosurveillance s'est largement généralisée, la loi de 1978 (1) veille à protéger vies privées et autres libertés publiques, son article 1er disposant, rappelons-le, que "l'informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'Homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques". Le postulat était ainsi clairement établi. Et à la loi de 1995 (2) de préciser l'installation, sur la voie publique et dans les lieux ou établissements ouverts au public, de systèmes de vidéosurveillance. Sauf que l'entreprise est, juridiquement, un lieu privé, en dehors donc du champ d'application de la loi de 1995. L'employeur ne pourrait donc contrôler l'esprit de ses employés ? Dans une délibération n° 2009-201 du 16 avril 2009, rendue publique le 22 septembre, la Cnil rappelle avec force que la vidéosurveillance des salariés doit nécessairement respecter le principe de proportionnalité au regard de l'objectif poursuivi, prononçant une sanction pécuniaire d'un montant de 10 000 euros à l'encontre d'une société qui avait fait l'objet de plusieurs contrôles sur place. Le déploiement d'un dispositif de surveillance, même s'il répond à un impératif de sécurité, ne doit pas conduire à une mise sous surveillance généralisée et permanente du personnel, notamment en des lieux où il n'existe aucun risque de vol. Les salariés concernés doivent être informés de la présence d'un tel dispositif sur leur lieu de travail et informés de leurs droits. Rien d'étonnant dans cette décision, si ce n'est une petite piqûre de rappel à l'égard des employeurs quant à leurs obligations. Souriez... la Cnil veille.
  • Faits de l'espèce

Dans cette affaire, la Cnil avait été saisie d'une plainte d'une salariée faisant part de l'absence de déclaration d'un système de vidéosurveillance dans son entreprise et de divers abus de ce système. Elle déclarait, notamment, que les caméras filmaient en continu les lieux ouverts, ou non, au public, y compris les pièces réservées au personnel où aucun matériel n'était stocké et une réserve où se changeaient les salariés. La délégation de la Cnil a effectivement constaté, lors de son contrôle, qu'un système de vidéosurveillance était implanté, les images étant enregistrées en continu sur un support numérique. Elle a, par ailleurs, relevé qu'au siège social, plusieurs caméras filmaient les lieux ouverts au public et les lieux réservés au personnel où aucune marchandise n'était stockée, les responsables de la société pouvant se connecter à un serveur à distance afin de visualiser les images. En outre, au siège, les images filmées étaient également accessibles à partir de deux postes de supervision situés à l'accueil et dans le bureau du PDG. S'agissant de la durée de conservation des images, le logiciel de vidéosurveillance était paramétré pour les conserver pendant 7 jours. Il est apparu, en outre, que ce système n'avait fait l'objet d'aucune déclaration préalable et, lors du contrôle de la Cnil, les responsables de la société n'avaient pas pu produire à la délégation l'arrêté préfectoral autorisant sa mise en place. Enfin, quant à l'information des personnes, il a été constaté que le panonceau d'information faisant référence à la loi du 21 janvier 1995, ainsi qu'au décret du 17 octobre 1996, était apposé de façon peu visible et qu'aucun affichage ne figurait sur la porte d'entrée de l'établissement. L'information prévue à l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée n'était pas non plus suffisamment délivrée aux salariés, une phrase dans les contrats de travail conclus depuis l'installation du système, mentionnant que "la salariée est informée qu'un système de vidéosurveillance est installé dans tous les sites de l'entreprise". En revanche, les salariés, dont les contrats de travail avaient été signés avant la mise en place du système de vidéosurveillance, n'avaient pas été prévenus de manière individuelle de l'existence de ce dispositif.

Après une mise en demeure de se mettre en conformité avec la loi "Informatique et Libertés", la société n'a que partiellement modifié ses pratiques et a maintenu son système de vidéosurveillance en l'état. Faute de réponse satisfaisante, la formation contentieuse de la Cnil a donc considéré que le fonctionnement du système de vidéosurveillance constituait une collecte illicite de données, disproportionnée au regard de la finalité de lutte contre le vol. Une sanction pécuniaire d'un montant de 10 000 euros a, dans cette optique, été prononcée à l'encontre de la société le 16 avril 2009.

  • Rappel du cadre juridique entourant la vidéosurveillance sur les lieux de travail

Le système juridique applicable en matière de vidéosurveillance est pour le moins complexe. Coexistent, en effet, d'une manière générale, deux régimes juridiques : celui de la loi "Informatique et Libertés" de 1978 et celui de l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation pour la sécurité.

Ils impliquent de distinguer lieu public et lieu privé. Lorsque le dispositif de vidéosurveillance est installé dans un lieu public ou ouvert au public et qu'aucune image n'est enregistrée et conservée dans des traitements informatisés ou des fichiers structurés, seule une autorisation préfectorale est nécessaire. En revanche, lorsque le dispositif est installé dans un lieu privé ou non ouvert au public et que les images sont enregistrées ou conservées dans des traitements informatisés ou des fichiers structurés qui permettent d'identifier des personnes physiques, une déclaration auprès de la Cnil est nécessaire. Dans ces deux hypothèses, le régime juridique est donc tout à fait clair et sans appel. Les choses se compliquent lorsque le dispositif de vidéosurveillance est installé dans un lieu mixte et les images enregistrées dans un fichier ou traitées informatiquement. Dans cette dernière hypothèse, si une déclaration auprès de la Cnil est logiquement nécessaire, se pose, cependant, tout aussi légitimement, la question du cumul avec la loi de 1995.

Pour résumer, l'entreprise étant juridiquement un lieu privé, elle n'est pas concernée par la loi "Pasqua" du 21 janvier 1995, sauf si le champ de la vidéosurveillance porte sur une partie de la voie publique, une demande d'autorisation en préfecture est, alors, obligatoire.

L'employeur a donc le droit de surveiller ses salariés en ayant recours à un système de vidéosurveillance. Ce droit découle de son pouvoir disciplinaire au sens large et, plus spécifiquement, de son droit de contrôler le travail de ses salariés. Le Code du travail reste relativement parcellaire à ce sujet. Notons, cependant, qu'il prévoit qu'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z). Par ailleurs, le comité d'entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés (C. trav., art. L. 2323-32 N° Lexbase : L2810H9X).

Il faudra donc une nouvelle fois s'en remettre à la Haute juridiction et les juges s'avèrent, ici, plus prolixes que le législateur, permettant de définir et de délimiter une notion au contenu pour le moins ductile. Ainsi se sont-ils penchés sur la licéité des procédés mis en oeuvre, un arrêt, rendu le 7 juin 2006, retenant que la vidéosurveillance ne constituait pas une preuve licite dans le cas où le comité d'entreprise ignorait la présence du système dans les locaux (3). De même, les bandes vidéo issues de systèmes de surveillance qui n'ont pas été portés à la connaissance des salariés sont jugés illicites (4). En revanche, la Chambre sociale a affirmé à plusieurs reprises que l'employeur peut installer un système de vidéosurveillance de pièces d'entrepôt dans lesquelles les salariés ne travaillent pas, les enregistrements vidéo constituant alors un moyen de preuve licite (5). Enfin, et peut-être surtout, la mise en oeuvre d'un système de vidéosurveillance des salariés doit nécessairement respecter le principe de proportionnalité, en ce sens qu'elle ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à leurs droits et libertés (6).

Ce sont tous ces principes que vient rappeler la Cnil dans sa délibération du 16 avril 2009, principes qui, s'ils peuvent apparaître, de prime abord, quelque peu prétoriens, n'en restent pas moins garant de la protection des libertés individuelles des salariés.

  • Obligation de veiller au caractère loyal et licite des données et de ne pas les traiter de manière incompatible avec la finalité déterminée

La Commission rappelle donc, dans cette délibération, qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, les données à caractère personnel doivent être collectées et traitées de manière loyale et licite. Et au même article de préciser que ces données sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Or, dans cette affaire, cette même commission avait déjà mis la société en demeure de prendre toutes les mesures nécessaires afin que la mise en oeuvre du système de vidéosurveillance soit strictement limitée à l'objectif de lutte contre le vol et ne conduise pas à placer les salariés sous une surveillance constante. Or, la société n'avait pris aucune mesure afin de limiter la surveillance de ses employés. Ainsi, après avoir rappelé que la mise en oeuvre d'un système de vidéosurveillance doit obligatoirement respecter le principe de proportionnalité et être strictement nécessaire à l'objectif poursuivi, la Cnil soutient avec force que "dès lors qu'un dispositif de vidéosurveillance est susceptible de viser des membres du personnel, le nombre, l'emplacement, l'orientation, les périodes de fonctionnement des caméras ou la nature des tâches accomplies par les personnes concernées, sont autant d'élément à prendre en compte lors de l'installation du système". En l'espèce, la surveillance constante des employés apparaît, dès lors, excessive et le dispositif de vidéosurveillance n'est pas strictement limité à l'objectif de lutte contre le vol mais conduit, au contraire, à placer les personnes visées sous une surveillance disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

  • Obligation d'information des personnes

Aux termes de l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, le responsable du traitement est tenu d'informer les personnes concernées par le traitement, notamment de sa finalité, du caractère obligatoire ou facultatif des réponses, des destinataires des informations, ainsi que de leurs droits d'accès, de rectification et, le cas échéant, d'opposition. Or, dans cette affaire, l'information inscrite dans les contrats de travail des personnes employées postérieurement à la mise en oeuvre du dispositif de vidéosurveillance, ainsi que celle mentionnée dans le courrier-type, s'avèrent incomplètes puisque les finalités poursuivies, les destinataires des images et les modalités concrètes de l'exercice du droit d'accès dont disposent les personnes concernées, ne sont pas indiqués.

Il y a quand même peut-être quelque chose de gênant dans tout cela. En effet, finalement, l'enjeu principal des deux grands principes entourant la vidéosurveillance dans l'entreprise (information et proportionnalité) ne réside-t-il pas dans la licéité de la preuve plus que dans la protection des droits et autres libertés individuelles des salariés ? D'aucuns avanceront que l'un n'empêche pas l'autre. Pour autant, et si l'on raisonne, a contrario, si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constituant un mode de preuve illicite (7), cela implique que le mode de preuve devient licite dès lors que le salarié a connaissance de l'existence d'un système de vidéosurveillance ou autre système d'enregistrement. On le sait, la jurisprudence a été plus loin encore, en reconnaissant que la vidéo peut constituer un moyen de preuve, lorsqu'elle est issue d'un dispositif de surveillance des locaux et non des salariés, cette règle étant fort heureusement limitée aux procédés de surveillance des entrepôts, ou autres locaux de rangements, dans lesquels les salariés ne travaillent pas. Or, la Cour régulatrice n'a-t-elle pas jugé qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale et qu'il leur appartient seulement d'en apprécier la valeur probante (8) ? Peut-être qu'ici encore la Cour de cassation gagnerait en clarté et en harmonisation.


(1) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifié par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (N° Lexbase : L8794AGS).
(2) Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L8331AIE) ; décret n° 96-926 du 17 octobre 1996, relatif à la vidéosurveillance, pris pour l'application des articles 10 et 10-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L6416ICM) ; circulaire 22 octobre 1996, relative à l'application de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L7964HG3).
(3) Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, M. Michel Girouard, FS-P+B (N° Lexbase : A8544DP7) et les obs. de G. Auzero, Conditions de licéité d'un système de vidéo surveillance des salariés, Lexbase Hebdo n° 220 du 21 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9857AKB). En ce sens, déjà, Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari, publié (N° Lexbase : A5741AGQ).
(4) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter, publié (N° Lexbase : A9301AAQ) ; Cass. soc., 15 mai 2002, n° 00-42.885, Mme Marylin Foritano, épouse Servière c/ société Sodimix, F-D (N° Lexbase : A6648AYU).
(5) Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, F-P+B (N° Lexbase : A9552DHA) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Faute, preuve et vidéo, Lexbase Hebdo n° 166 du 4 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3922AI4).
(6) TGI Paris, 19 avril 2005, n° 05/00382, Comité d'entreprise d'Effia Services c/ Fédération des Syndicats Sud Rail (N° Lexbase : A0577DI9) et les obs. de G. Auzero, De l'illicéité d'un système de "badgeage" par empreintes digitales, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4025AIW).
(7) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, préc..
(8) Cass. crim., 6 avril 1994, n° 93-82.717, Dupuy Bernard (N° Lexbase : A1967AA4).

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