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N1662BMI
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Lexbase : Pourquoi Hervé Novelli a-t-il décidé de vous confier cette mission sur les professions libérales maintenant ?
Brigitte Longuet : Au sortir de la crise, les professions libérales sont très fragilisées et doivent profiter d'une nouvelle impulsion, eu égard à leur importance économique (640 000 entreprises, 1,7 millions d'emplois, 190 milliards de chiffre d'affaires et 65 000 entreprises crées en 2007). La mission qui m'a été confiée par le Gouvernement s'inscrit dans cette nécessité.
Elle s'inscrit, également, dans le cadre de la transposition en cours de la Directive 2006/123 du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), dite Directive "Services". Ce texte, dont la transposition doit intervenir au plus tard le 28 décembre prochain, vise à créer un véritable marché intérieur des services, en facilitant la liberté d'établissement et l'exercice des prestataires de services dans d'autres Etats membres et en améliorant le choix offert aux consommateurs et la qualité des services fournis. Il pose, notamment, des problématiques concurrentielles évidentes. Il m'a été demandé de formuler des propositions pour le 1er décembre 2009, afin, notamment, de permettre aux professionnels libéraux de se définir par rapport à cette législation à mettre en place sur le plan interne.
Lexbase : En quoi consiste la mission qui vous a été confiée ? Sur quels sujets devez-vous vous pencher ?
Brigitte Longuet : Pour que les professions libérales bénéficient d'une meilleure prise en compte de leur spécificité dans l'élaboration des politiques publiques, il est impératif de les définir et de créer un socle commun aux vingt-sept professions réglementées et au cent cinquante professions non réglementées.
Pour ce faire, un état des lieux de chaque profession doit être dressé. La tâche est complexe, compte tenu de la diversité des professions, mais, également, en raison du nombre de textes applicables à chacune d'entre elles (pour exemple, la profession d'avocat est régie par les Directive "Qualification" et "Services"). Plusieurs critères de définition peuvent, cependant, être dégagés. Dans tous les cas, il s'agit :
- de fournir une prestation de services à caractère intellectuel ;
- de façon indépendante (les professionnels étant des entrepreneurs) ;
- et de façon responsable, les problématiques de responsabilité personnelle étant fondamentales en la matière.
Il faut, également, garder à l'esprit que les professions libérales réglementées et, pour une partie des non réglementées se soumettent à une autodiscipline, librement consentie, ce qui n'arrive que très rarement dans une économie de marché. Il s'agit d'une spécificité fondamentale devant être mise en exergue dans une société globalisée comme la nôtre, en ce qu'elle répond à des problématiques très actuelles d'éthique, de déontologie, de compliance et de sécurité.
L'élaboration d'une définition du secteur des professions libérales facilitera l'appréhension des autres composantes de la mission qui m'a été confiée :
- clarifier les règles d'affiliation aux différents régimes de sécurité sociale, en particulier pour les activités nouvelles et non réglementées ;
- examiner les différents régimes de responsabilité personnelle applicables aux professionnels libéraux et, le cas échéant, les ajuster ;
- faciliter le recours des entreprises aux services des professions libérales et améliorer qualitativement les prestations offertes à ces entreprises, notamment, par le biais de l'interprofessionnalité ;
- et, enfin, étudier les dispositifs actuels d'accompagnement individuel des entreprises libérales et favoriser le maillage du territoire national.
Enfin, de nombreuses mesures ont été prises ces dernières années concernant les professionnels libéraux (instauration du statut du collaborateur libéral, du statut du retraité libéral actif, assouplissement du régime des locaux commerciaux, etc.). Ces mesures ne sont, toutefois, pas suffisantes et contribuent au pointillisme législatif existant depuis l'origine en la matière. Il convient, donc, de "globaliser " les différents régimes existants (l'objectif étant de se rapprocher un maximum du droit commun, tout en conservant les spécificités propres aux professions libérales) et de revoir les dispositions récurrentes, désuètes ou contradictoires.
Pour mener au mieux cette mission, mon approche sur ces différents aspects se doit d'être transversale, économique, pragmatique et simplificatrice. Pour exemple, l'appréhension de sujets sociaux tels les retraites ou les avantages maternité doit être transversale, afin d'assurer l'égalité entre les professions, les différences de traitement existantes n'ayant aucune légitimité en ces matières. Concernant plus particulièrement le rapprochement des professions, je suis plus favorable à une interprofessionnalité ponctuelle (mise en place en fonction des opérations traitées), que structurelle, qui implique nécessairement plus de rigidité. Je tiens, également, à n'exclure personne des réflexions en cours et je procède, donc, quotidiennement à un très grand nombre d'auditions de tous les acteurs (professionnels, syndicats, ordres, spécialistes...).
Lexbase : Hervé Novelli souhaite que vous formuliez des propositions sur tous ces sujets pour le 1er décembre 2009. Ce délai vous semble-t-il suffisant ?
Brigitte Longuet : Il est vrai que le délai est court. Hervé Novelli, en tant que secrétaire d'Etat, raisonne comme un entrepreneur. Il souhaite que lui soient proposées rapidement des mesures efficaces et concrètes, en vue d'une réforme législative à intervenir vraisemblablement début 2010. Mais, si le calendrier fixé est serré, il n'est pas irréalisable, d'autant que je travaille sur ces problématiques depuis de nombreuses années, que j'ai eu l'occasion de rencontrer un grand nombre d'acteurs et que des travaux ont, déjà, été entrepris sur tous ces sujets, notamment par la Commission nationale de concertation sur les professions libérales (CNCPL), à laquelle j'appartiens depuis six ans. Je compte, donc, partir de ces précieux travaux, qui ont le mérite d'être exhaustifs et pertinents.
En réalité, s'il a été difficile de réformer les professions libérales jusqu'à présent, c'est surtout parce que chacun est très attaché à sa profession, son mode d'exercice et se montre frileux ou ne s'intéresse pas nécessairement à ce qui se passe chez son voisin. Mais cet "isolement" est néfaste sur du long terme. Il est, désormais, impératif que les professionnels libéraux aient conscience de leur appartenance à une communauté. Les régimes auxquels ils sont soumis doivent être clarifiés et tendre à un socle commun. Leur poids doit être renforcé.
Lexbase : Certains sujets sur lesquels vous vous penchez sont communs à ceux traités dans le rapport remis par la commission "Darrois". Comment comptez-vous articuler vos travaux avec ceux de cette commission ?
Brigitte Longuet : Certains sujets, comme celui du rapprochement des professions, se recoupent effectivement. Hervé Novelli en était conscient, puisqu'il indique, dans sa lettre de mission que mes "éventuelles propositions en la matière, notamment concernant l'évolution des sociétés de participations financières des professions libérales (SPFPL), devront être de nature transversale et en cohérence avec les recommandations émises plus spécifiquement dans le domaine des professions juridiques par la Commission présidée par Jean-Michel Darrois".
Aucune de mes propositions n'ira, donc, en contradiction avec les excellentes préconisations du rapport "Darrois". Tout au plus, je n'aborderai peut-être pas ces sujets sous le même angle. Je tiens réellement à adopter une approche économique et pragmatique des professions libérales. Pour cette raison, par exemple, je favoriserai certainement l'interprofessionnalité ponctuelle, plutôt que celle structurelle recommandée par la commission "Darrois". L'approche structurelle se justifie dans le cadre des professions du droit. La mission qui m'a été confiée est, quant à elle, plus globale, en ce qu'elle porte sur plus de cent soixante-dix professions différentes.
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