Réf. : Cass. soc., 29 septembre 2009, n° 08-43.166, M. Alain Desaint c/ Société Axa France IARD et a., F-D (N° Lexbase : A5987ELC)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Aucun changement des conditions de travail, ayant pour effet de mettre fin à ses mandats, ne peut être imposé sans son accord à un représentant du personnel. |
I - Le caractère classiquement absolu du droit de veto des salariés protégés
La Cour de cassation a consacré, dans l'arrêt "Raquin", rendu en 1987, le droit, pour les salariés, de refuser une modification substantielle de leur contrat de travail (1). Après 1996, la Haute juridiction a modifié sa terminologie et son approche de la question pour affirmer le droit de refuser une modification du contrat de travail et l'obligation d'accepter un simple changement des conditions de travail (2).
Cette différence de régime ne s'applique, toutefois, qu'aux salariés ordinaires ; les salariés protégés ont, en effet, toujours bénéficié d'un privilège, celui de voir le droit de veto s'étendre, également, aux simples changements de conditions de travail (3).
L'analyse de la jurisprudence rendue jusqu'à une date récente ne faisait état d'aucune restriction à ce droit de veto, accréditant la thèse d'un droit absolu et discrétionnaire dont l'exercice ne serait pas subordonné à la preuve que le changement envisagé pourrait entraver l'exercice du mandat, à l'instar du juge pénal lorsqu'il cherche à caractériser, dans les mêmes circonstances, le délit d'entrave (4).
Une décision rendue en 2008 avait, toutefois, jeté le trouble sur cette jurisprudence et suggéré qu'une évolution vers un exercice finalisé de ce droit de veto pourrait bien être engagée (5). Dans cette décision, en effet, la Cour de cassation avait affirmé "qu'aucun changement de ses conditions de travail ne pouvait être imposé à [un salarié], en sa qualité de représentant du personnel, sans son accord et que la décision de mutation d'office, qui a eu pour effet de mettre fin immédiatement à ses mandats, constituait un trouble manifestement illicite auquel il appartenait au juge des référés judiciaires de mettre fin, nonobstant la contestation de la régularité de la mutation que celui-ci, en sa qualité de fonctionnaire, avait engagée devant le juge administratif", ce qui semblait suggérer que le refus de mutation du salarié était justifié par l'impact sur le mandat, à savoir sa disparition, précision inutile si l'exercice du droit est absolu.
Ce nouvel arrêt inédit, rendu le 29 septembre 2009, par la Chambre sociale de la Cour de cassation relance le débat.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, en 1975, en qualité de documentaliste de la branche maritime. Il avait exercé des fonctions de représentant syndical et représentant du personnel à compter de 1989. A la suite d'un différend avec le groupe auquel appartenait son entreprise, il avait saisi la justice pour être rétabli dans ses fonctions d'origine, mais avait été débouté par les juges du fond, au motif "qu'aucun élément ne permet de caractériser un changement dans la nature des fonctions exercées et son niveau de responsabilité". L'arrêt est cassé. Après avoir affirmé le principe selon lequel "aucun changement des conditions de travail, ayant pour effet de mettre fin à ses mandats, ne peut être imposé sans son accord à un représentant du personnel", la Haute juridiction fait, en effet, grief aux juges du fond d'avoir privé leur décision de base légale, car ils n'avaient pas recherché "si la nouvelle affectation du salarié ne l'avait pas empêché de poursuivre l'exercice de ses mandats représentatifs, ce dont il se déduirait nécessairement que le changement de service constituait un changement des conditions de travail du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
Comme dans l'arrêt rendu en 2008, l'interprétation a contrario suggérerait que, lorsque le changement dans les conditions de travail ne l'empêche pas de poursuivre l'exercice de son ou de ses mandats, le salarié n'est pas en droit de s'y opposer.
Même s'il faut toujours se méfier des interprétations a contrario et qu'il faudra sans doute attendre une décision posant de manière explicite la règle, celle-ci nous semble bienvenue et souhaitable. Nous pensons même que la solution devrait être encore étendue.
II - Vers une limitation du droit de veto aux seuls changements ayant un impact sur l'exercice des mandats ?
On sait, depuis de nombreuses années, que la Chambre criminelle a caractérisé le délit d'entrave lorsque l'employeur imposait au salarié une modification de son contrat de travail destinée à entraver l'exercice de son mandat (6).
Il nous semble qu'une solution comparable, adaptée à la question civile, devrait prévaloir lorsqu'est en cause un simplement changement des conditions de travail.
A s'en tenir aux deux décisions rendues en 2008 et 2009, le salarié pourrait, bien entendu, refuser un changement de ses conditions de travail lorsque celui-ci l'empêcherait d'exercer ses mandats (mutation en application d'une clause de mobilité, changement d'attributions entraînant un changement de site, nouvel horaire de travail le privant de contact avec les autres salariés, etc.).
Il nous semble que le salarié ne devrait pouvoir refuser les changements dans ses conditions de travail que si ceux-ci, même sans l'empêcher d'exercer ses fonctions, en modifient de manière significative les conditions.
Il semble, en effet, très excessif d'affirmer qu'un salarié protégé peut refuser tout changement de ses conditions de travail, y compris lorsque celui-ci est sans incidence sur l'exercice de son mandat, car le droit de veto qui lui est reconnu ne sert alors plus à protéger l'exercice de celui-ci et perd sa raison d'être. Certes, l'employeur pourra saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de le licencier, mais on imagine aisément que ce dernier sera peu enclin à l'accorder pour un différend portant sur un simplement changement des conditions de travail...
Décision
Cass. soc., 29 septembre 2009, n° 08-43.166, M. Alain Desaint c/ Société Axa France IARD et a., F-D (N° Lexbase : A5987ELC) Cassation partielle de CA Paris,18ème ch., sect. D, 6 mai 2008, n° 06/06801, M. Alain Desaint (N° Lexbase : A6831D8I) Texte visé : C. trav., art. L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) Mots clefs : salariés protégés ; changement des conditions de travail ; refus Lien base : |
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