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N1645BMU
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Face aux défaillances du dispositif actuel (I), la commission "Darrois" a formulé un bon nombre de propositions dans son rapport (II), qui ont entraîné, pour la plupart, l'adhésion des avocats et des professionnels du droit. Celle de l'Etat est moins évidente ; ce dernier se désengage progressivement depuis 2007, alors même que la commission a insisté sur la nécessité de son accompagnement (III).
Faut-il rappeler au Gouvernement ce proverbe anglais : "la meilleure charité est la justice pour tous" ?
I - Les défaillances du dispositif actuel
Le dispositif actuel de financement de l'aide juridictionnelle est fixé par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE), et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE), portant application de cette loi. Aux termes de l'article 67 de la loi, "le financement de l'aide juridictionnelle [qu'elle soit partielle ou totale] est assuré par l'Etat". En 2007, l'enveloppe globale allouée était de 327 millions d'euros. Elle n'a, depuis, cessé de se diminuer, passant à 300 millions d'euros en 2009 à 297,8 millions, pour 2010, ainsi que le prévoit le projet de loi de finances. Deviendra-t-elle, en ces temps de crise, une peau de chagrin ?
C'est sur cette enveloppe qu'est prélevée la rétribution des avocats auxquels recourent les bénéficiaires de l'aide. Celle-ci est déterminée en fonction du produit de l'unité de valeur (UV) prévue par la loi de finances et de coefficients différents suivant les procédures. Les avocats ne peuvent prétendre à aucune rémunération complémentaire, lorsqu'ils assistent une personne bénéficiant de l'aide totale. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une aide partielle, des honoraires complémentaires librement négociés peuvent être exigés. Ils doivent faire l'objet d'une convention écrite préalable, fixant le montant et les modalités de paiement, indiquant le montant de la part contributive de l'Etat et les voies de recours en cas de contestation. Ce régime indemnitaire est pointé du doigt par les professionnels, en ce qu'il est sans rapport avec le travail fourni. Les avocats prétendent à une rémunération juste et équilibrée, à l'image de ce qui avait été préconisé par le rapport "Bouchet" en 2001. Ce document consacre le principe d'une véritable rémunération de la prestation intellectuelle de l'avocat, qui prendrait, également, en compte les frais de fonctionnement de la structure d'exercice.
Quant aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, leurs revenus doivent entrer dans les limites de barèmes établis au niveau national. Les demandeurs peuvent prétendre à une aide totale ou partielle. Dans ce dernier cas, ils supportent la partie des frais de justice excédant la part contributive de l'Etat (elle-même variable suivant leurs ressources). Un grand nombre de justiciables -en particulier, de la classe moyenne-, dont les revenus excèdent les plafonds de ressources fixés, se trouve exclu du système et voit la justice placée hors de sa portée ; effet de seuil oblige. Ceux-là n'ont d'autres choix, alors, que de souscrire à des assurances de protection juridique, dont la couverture est, somme toute, bien limitée.
II - Les propositions du rapport "Darrois"
La commission "Darrois" s'est penchée longuement sur la question de la réforme de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit. Elle y a consacré la troisième et dernière partie de son rapport, qui formule pas moins de quinze propositions en la matière, visant à mieux satisfaire les besoins des consommateurs, à diversifier le financement de l'accès au droit et à mieux maîtriser les coûts de l'aide juridictionnelle.
Sur les deuxième et troisième points, le rapport souligne la nécessité de réaffirmer l'engagement de l'Etat dans le financement de l'aide juridictionnelle. Il mise, également, sur la recherche de financements complémentaires et préconise d'y associer les professionnels du droit. La commission envisage, en effet, la création d'une taxe sur le chiffre d'affaires, dont la gestion serait confiée au Haut conseil des professions du droit. Cette taxation pourrait s'appliquer à tous les professionnels du droit, au sens le plus large. Le rapport mentionne, notamment, les professions qui exercent une activité juridique, à titre principal ou accessoire (avocats, avoués, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, administrateurs judiciaires et mandataires -judiciaires), les professions réglementées, les professeurs de droit pour leur activité commerciale, les juristes d'entreprises et toutes les personnes pratiquant le droit à titre accessoire dans le cadre d'une profession non réglementée (autorisée à le faire du fait d'une qualification et dans la limite de cette qualification), les personnes chargées d'une mission de service public, les associations reconnues d'utilité publique, les syndicats et associations professionnels et les organes de presse autorisés à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous -seing privé. Seraient, toutefois, exonérés les professionnels dont le chiffre d'affaires n'excéderait pas 120 000 euros par an (ce qui représente plus des deux tiers des cabinets). La commission a, donc, préféré la solution de cette taxation à celle préconisée dans le rapport "du Luart", reprise par Rachida Dati en 2007, alors Garde des Sceaux, et décriée par l'opinion publique, d'instaurer un ticket modérateur, laissant à la charge du bénéficiaire de l'aide une part de la dépense de justice liée à son affaire.
La commission accompagne cette mesure phare d'autres propositions. Elle souhaite, notamment, que l'assurance de protection juridique devienne le complément de toute assurance obligatoire (police multirisque habitation, assurance scolaire...). Plus original, elle recommande de transposer le dispositif du médecin référant : tout "candidat" à l'aide juridictionnelle serait "orienté" vers telle ou telle procédure judiciaire ou amiable ou vers un assureur (pour souscrire une assurance de protection juridique), au cours d'une consultation juridique préalable, pour toute action en matière civile. Une clause de "retour à meilleure fortune" permettrait au juge de retirer l'aide. Il serait, par ailleurs, créé une CARPA par conseil des barreaux de cour d'appel et les barreaux seraient autorisés à recruter des avocats collaborateurs, qui prendraient en charge les missions d'aide juridictionnelle. La commission prône le développement des règlements alternatifs des conflits (notamment, celui de la procédure dite "participative").
Sur la question de la rémunération des avocats, le rapport est plutôt laconique et reste dans la logique indemnitaire actuelle. Le système de la rétribution est conservé, l'accent étant mis sur les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, quant à la possibilité de rémunérer l'avocat au moyen d'une indemnité due par l'adversaire du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle condamné aux dépens (1).
III - Les réactions
S'il est favorable à la création d'une taxe, le CNB refuse qu'elle puisse être prélevée sur le chiffre d'affaires, compte tenu de la contribution déjà majoritaire des avocats au système. Il propose, à la place, de créer une taxe sur les actes juridiques, "pourcentage infinitésimal, [mais] qui s'applique[ra] à tous les contrats (actes d'avocats, de notaires, d'agents immobiliers, contrats d'assurance...)" (selon les propos d'Albert Iweins, alors président du CNB). Le Conseil se dit, également, favorable à un rééquilibrage d'un barème horaire en temps passé, assorti d'un taux horaire en remplacement des unités de valeur (UV).
Il souligne la nécessité impérieuse de réaffirmer l'engagement de l'Etat dans le financement de l'aide, sans réduction de l'enveloppe. Or, il a dû constater, récemment, une nouvelle baisse significative de son montant : le budget alloué à l'aide juridictionnelle et à l'accès au droit dans le projet de loi de finances pour 2010 (PLF 2010) s'élève à 297,8 millions euros, soit une baisse de 7,8 % par rapport à 2009, alors que les prévisions du nombre de bénéficiaires sont en progression de 3 %.
La réaction du CNB est vive et ne se fait pas attendre : "ce budget n'est absolument pas à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement en ce domaine et constitue à périmètre constant un réel désengagement de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle, sans aucune prise en compte des projets de réforme à venir". Ainsi, "même si les services de l'Etat devaient mettre en oeuvre de façon efficace le mécanisme d'incitation budgétaire lié aux résultats du recouvrement de l'aide juridictionnelle (24 millions d'euros supplémentaires dans le PLF 2010), il n'existerait aucune garantie que ces crédits soient bien affectés à l'aide juridictionnelle dans le cadre du collectif budgétaire de fin d'année. Le PLF 2010 reste dans une logique d'indemnisation et non de rémunération des avocats, le montant de l'UV n'ayant pas été revalorisé depuis 2006" (2). Outre le rejet d'une logique indemnitaire quant à leur rémunération, certains avocats dénoncent, également, le rôle donné par la commission "Darrois" aux assurances de protection juridique, en ce qu'il transfère le coût de la justice sur la tête du justiciable (3) et le regroupement des CARPA.
Quant aux notaires, ils disent partager "la volonté affichée de la commission 'Darrois' de favoriser l'accès de tous au droit et rappellent qu'ils y contribuent déjà par les conseils quotidiens et gratuits délivrés dans les 4 495 offices, les prestations non rémunérées dans les maisons du droit et les consultations gratuites qu'ils organisent régulièrement partout en France". Mais, si la proposition de la commission de créer une taxe devait être retenue, il est, selon eux, "évident que cette réforme devrait concerner tous ceux qui réalisent des prestations juridiques : avocats, banquiers, assureurs, experts-comptables..." (4).
(1) Cf. loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, art. 37 (N° Lexbase : L8607BBE) : "En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Si le juge fait droit à sa demande, l'avocat dispose d'un délai de douze mois à compter du jour où la décision est passée en force de chose jugée pour recouvrer la somme qui lui a été allouée. S'il recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. Si, à l'issue du délai de douze mois mentionné au troisième alinéa, l'avocat n'a pas demandé le versement de tout ou partie de la part contributive de l'Etat, il est réputé avoir renoncé à celle-ci".
(2) Cf. communiqué de presse du CNB du 19 octobre 2009, Le Conseil national constate un nouveau désengagement de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle dans le projet de loi de finance pour 2010.
(3) "Il est par ailleurs inadmissible de transférer la charge de l'aide juridictionnelle aux seuls justiciables au travers d'une assurance recours juridique rendue obligatoire qui ne pourrait que renchérir le coût de l'accès à la justice et générer des inégalités manifestes" (réunion du conseil de l'Ordre des avocats de Bayonne du 17 juillet 2009).
(4) Cf. communiqué de presse du Conseil supérieur du notariat du 8 avril 2009.
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