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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
La Cour de cassation devait, ici, décider si une procédure inconnue de notre droit positif pouvait recevoir plein effet dans notre système juridique, via son exequatur. La Haute cour a, déjà, répondu par l'affirmative concernant les injonctions in personam connues sous le nom d'"injonctions Mareva" (Cass. civ. 1, 30 juillet 2004, n° 01-03.248, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8829DCY) (3) (d'ailleurs, elles aussi sanctionnées, en cas de non-respect, par un contempt of court). La solution a, toutefois, été différente pour les anti-suit injonctions (CJCE, 27 avril 2004, aff. C 159/02, Gregory Paul Turne c/ Felix FaaredlsmailGrovit N° Lexbase : A9855DBM) (4), la Cour de justice les estimant contraires aux principes de droit de la défense. La question de l'exequatur d'un contempt of court, encore jamais tranchée par le juge français, était d'autant plus délicate en l'espèce, que les montants en jeux étaient importants, ainsi que nous l'expose Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht, collaboratrices au sein du cabinet d'avocats Salans, conseil du receiver. Lexbase Hebdo - édition privée générale les a rencontrées, afin de faire la lumière sur les tenants et les aboutissants de cet arrêt de principe fondamental, soumis aux honneurs du Bulletin.
Lexbase : Pour savoir si le contempt of court prononcé par le juge américain à l'encontre du ressortissant américain était exécutoire en France, de quelle manière les juges de la Cour de cassation ont-ils, tout d'abord, déterminé si sa nature était civile ou pénale ?
Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht : La question de la nature civile ou pénale du contempt of court est, ici, fondamentale, puisqu'il est admis que seule une décision civile peut faire l'objet d'une procédure d'exequatur (5). Selon le demandeur au pourvoi, la sanction revêtait une nature pénale, tout comme l'outrage à magistrat, délit auquel elle équivaudrait. Le caractère exorbitant de la sanction renforçait, en outre, sa vocation punitive. Il invoquait, à l'appui de son argumentation, l'arrêt du 30 juin 2004 (précité) sur les "injonctions Mareva", qui distinguait la nature civile de l'injonction de la nature pénale de la sanction de son non-respect.
Il n'y avait aucune certitude quant à la décision qui serait rendue par la Cour de cassation, qui avait laissé entrevoir qu'elle pouvait admettre une nature pénale à une décision de contempt of court puisque cette indication figurait, assez étrangement certes, entre parenthèses dans l'arrêt précité (6). Le rapport de la Cour de cassation fait état de deux propositions d'arrêts.
Cet arrêt du 30 juin 2004 (rendu lorsque notre instance était en cours) n'est, cependant, pas contradictoire avec la solution rendue par la première chambre civile le 28 janvier 2009. La question soumise à la Cour de cassation ne portait pas, alors, directement sur ce point de droit. Le premier arrêt concernait une procédure britannique, tandis que le second avait trait à une procédure américaine.
Aux Etats-Unis, le contempt of court peut aussi bien revêtir une nature civile qu'une nature pénale. Il a une nature pénale, lorsqu'il a pour unique but de sanctionner le comportement du débiteur, à qui nulle possibilité n'est laissée de remédier à la situation. Le dommage résultant du non respect des injonctions d'origine n'est pas davantage pris en compte dans le montant de la sanction pécuniaire. La sanction est, ici, perçue comme la punition d'une faute passée qui ne peut pas être purgée. Au contraire, la sanction aura une nature civile, dès lors qu'elle est envisagée comme une mesure coercitive qui prend la forme d'une astreinte, qui ne sera définitivement liquidée, qu'après qu'il soit donné au contrevenant d'ultimes possibilités (notamment, en lui accordant des délais supplémentaires) de se conformer aux injonctions de la décision de justice d'origine dont le non-respect est sanctionné par le contempt of court. L'astreinte liquidée tend, alors, à réparer une partie du préjudice résultant de l'abstention ou de l'action fautive du contrevenant et le montant de la sanction sera proportionnel à l'importance du préjudice.
En l'espèce, le juge américain, par une décision motivée (7), s'est prononcé sur la nature civile de l'astreinte, car elle avait pour objet la réparation du préjudice subi par les investisseurs, du fait de l'absence de coopération du requérant, qui n'a pas permis le recouvrement des actifs détournés. La possibilité avait été accordée au requérant de remédier à son comportement, puisque plus de six mois se sont écoulés entre la première injonction (le 21 janvier 2000) et la liquidation de l'astreinte par le juge américain (le 25 juillet 2000), avec, entre temps, le renouvellement de l'injonction (le 5 avril 2000).
De la même façon, la première chambre civile opte pour la nature civile de la sanction, "la condamnation de Monsieur [B.] au paiement d'une somme d'argent à titre de sanction du non respect d'une injonction du juge étranger constitu[ant] une décision de nature civile", ceci, d'autant que les infractions pénales reprochées n'interfèrent pas sur la nature de la sanction (8). Les magistrats soulignent, en outre, qu'il n'y a pas lieu de rapprocher la sanction civile d'entrave à l'administration de la justice d'un équivalent en droit français, le juge de l'exequatur n'ayant pas à rechercher si l'institution civile mise en oeuvre par la juridiction étrangère est connue du droit national.
Lexbase : Une fois la nature civile du contempt of court caractérisée, comment les magistrats ont-ils déterminé si la sanction avait un caractère disproportionné au manquement ?
Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht : Le demandeur au pourvoi invoquait les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1372A9P), selon lesquelles "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce principe ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s'étend à toute sanction ayant le caractère de punition (9). Celui-ci soulignait le caractère disproportionné de la sanction, 13 millions de dollars US, avec le manquement allégué, en l'occurence l'absence de coopération avec l'administrateur ad hoc. Il séparait, en réalité, le non-respect de l'injonction des infractions boursières commises, fond du litige, des préjudices qui en ont découlé. Pourtant, c'était bien pour aboutir sur le fond du litige que l'injonction de coopération avait été formulée. Le requérant se prévalait, également, du principe de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9), selon lequel "toute personne a droit au respect de ses biens", toute atteinte devant être proportionnée au but poursuivi. Or, une condamnation à verser plus de 13 millions de dollars US équivalait, selon le demandeur au pourvoi, à une véritable expropriation.
Ces deux principes, à valeur constitutionnelle, sont partie intégrante de la conception française de l'ordre public international. Or, dans le cadre de la reconnaissance de l'exequatur, le contrôle de la décision dont l'exécution est demandée porte sur la conformité de celle-ci avec cet ordre public (10). Les juges du fond, puis la Cour de cassation, dans le cadre de ce contrôle, ont estimé que le montant du contempt of court n'était pas disproportionné : "mais attendu qu'ayant relevé que les détournements qui étaient reprochés à [B.] étaient évalués à 200 millions de dollars US, c'est sans méconnaître l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 et l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'Homme, que la cour d'appel a pu en déduire que le montant de l'astreinte liquidée n'était pas contraire au principe de proportionnalité".
Ce faisant, la Cour de cassation garde son contrôle, sans reconnaître, par principe, une conformité à l'ordre public français des décisions de contempt of court ; sa reconnaissance dépendra des circonstances de l'espèce et, notamment, du montant du préjudice subi sur le fond de l'affaire.
Lexbase : Quelle est la portée de cet arrêt ?
Claire Picard et Katia Boneva-Desmicht : Pour saisir la portée de cet arrêt, il faut cerner les différences majeures des deux systèmes juridiques de common law et romano-germaniques pour traiter des litiges relatifs aux détournements d'actifs. Les deux conceptions sont, en effet, diamétralement opposées.
Notre système romano-germanique, pour recouvrer les actifs détournés, raisonne sur les biens et non sur les personnes. Ainsi, la plupart du temps, il conviendra de procéder à des mesures conservatoires sur chaque actif détourné, comme les saisies réelles. En cas de dispersion des biens à l'étranger, les procédures et les droits applicables sont, donc, démultipliés et, avec elles, les avocats, les frais de justice..., en fonction des différentes localisations des actifs.
Le système anglo-saxon n'appréhende, quant à lui, la question que du seul point de vue des personnes juridiques (personnes physiques ou personnes morales) susceptibles de permettre le recouvrement ou de limiter les pertes (dont, notamment, l'auteur des détournements), ce qui limite considérablement les procédures et le droit applicable au nombre de personnes juridiques concernées et accroît les chances de reconstituer les actifs, soit directement, soit indirectement. Ainsi, le juge formule une injonction in personam, qui n'aura plus qu'à faire l'objet d'une demande d'exequatur dans chaque pays concerné pour y être exécutoire, comme le montre l'exemple de l'arrêt précité du 30 juin 2004. L'efficacité du système repose sur la sanction qui en est indissociable, puisqu'à défaut, pour ces personnes, de se conformer aux injonctions judiciaires, elles peuvent faire l'objet d'une décision de contempt of court dont le montant sera proportionné au préjudice subi. Cette sanction est, elle-même, sujette à exequatur, comme le montre le présent arrêt. Enfin, l'efficacité du système est renforcée par le fait que toute personne qui a connaissance de l'injonction est tenue d'agir en conséquence, sous peine d'être reconnue complice de l'auteur des infractions.
Dans ce mécanisme, les contempts of court apparaissent comme des armes juridiques de persuasion, plus que comme de véritables sanctions. La solution était, donc, loin d'être évidente, d'autant que le contempt of court ne connaît pas d'équivalent dans notre droit positif.
En accordant l'exequatur à la liquidation de l'astreinte prononcée par le juge américain, la France s'est ouverte à un système juridique bien différent du sien, participant, ainsi, à une politique judiciaire internationale dont ne peut pas se passer l'internationalisation des flux. Elle permet au juge américain de rendre possible sa justice. Toutefois, il n'est pas certain que cet arrêt ouvre la voie à la reconnaissance de la force exécutoire de toutes les "armes" juridiques issues du droit anglo-saxon, comme les punitives damages (11) par exemple.
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