La lettre juridique n°350 du 14 mai 2009 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le principe d'interprétation constante du (nouveau) Code du travail : première application par la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, Union départementale Force ouvrière de Savoie, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Près d'un an après l'entrée en vigueur, au 1er mai 2008, du (nouveau) Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation nous livre, dans un arrêt du 29 avril 2009, une première décision démontrant la réalité de la recodification à droit constant. Dans une affaire concernant la possibilité pour un syndicat représentatif de désigner un délégué du personnel comme délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés (I), la Haute juridiction met en oeuvre le principe du droit constant comme principe d'interprétation du (nouveau) Code du travail, ce dont on ne peut que se réjouir (II).
Résumé

L'article L. 2143-6 du Code du travail (N° Lexbase : L3785IBS), qui concerne les conditions de désignation des délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés et qui n'a pas modifié le champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 412-11 (N° Lexbase : L6331ACH) qu'il remplace, n'est pas applicable dans les entreprises dont l'effectif global est d'au moins cinquante salariés.

Commentaire

I - Le cadre de désignation du délégué du personnel comme délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés

  • Exposé de la règle

Il a fallu attendre la loi du 27 décembre 1968 pour que les syndicats fassent leur entrée dans l'entreprise et assurent leur présence au travers des sections syndicales, des délégués syndicaux et des représentants syndicaux aux comités d'entreprises. Pour ce qui est des délégués syndicaux, la loi de 1968 a conditionné leur présence à une condition d'effectif, fixé à cinquante salariés, et visé l'"entreprise" comme cadre de désignation (1).

La loi "Auroux" du 28 octobre 1982 (loi n° 82-915, relative au développement des institutions représentatives du personnel N° Lexbase : L7836HYU) a cherché à favoriser la présence syndicale dans les "entreprises" de moins de cinquante salariés, en permettant aux syndicats représentatifs de désigner comme délégué syndical un délégué du personnel (2).

La question s'est rapidement posée de la possibilité de mettre en oeuvre cette faculté dans les établissements distincts de l'entreprise lorsque ces derniers ont un effectif inférieur à cinquante salariés, mais que l'entreprise a un effectif cumulé supérieur à ce seuil. Très logiquement, la Cour de cassation a précisé que cette faculté de désignation exceptionnelle supposait que l'effectif de cinquante salariés ne soit pas atteint au niveau de l'entreprise, la possibilité de désigner un délégué du personnel pouvant, dès lors, s'exercer dans les établissements distincts de celle-ci dotés d'un délégué du personnel (3).

  • Recodification du texte

Les dispositions de l'article L. 412-11, alinéa 4, du Code du travail, ont été reprises à l'article L. 2143-6 nouveau du Code du travail, au prix d'une réécriture du texte. Alors que l'ancien article indiquait que "dans les entreprises et organismes visés par l'article L. 421-1 qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats représentatifs peuvent désigner un délégué du personnel, pour la durée de son mandat, comme délégué syndical", le (nouveau) Code dispose, désormais, que "dans les établissements, qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats représentatifs peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un délégué du personnel comme délégué syndical".

La comparaison de ces deux textes, censés concerner la même règle, montre que la notion d'entreprise initialement visée a été remplacée par celle d'établissement, ce qui semble de nature à remettre en cause l'interprétation admise par la Cour de cassation depuis 1983.

  • Le maintien de l'ancienne interprétation

C'est précisément tout l'intérêt de cet arrêt rendu le 29 avril 2009 par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur une difficulté d'interprétation liée à la recodification du Code du travail.

Dans cette affaire, un employeur avait contesté la désignation faite par le syndicat FO d'une déléguée du personnel comme déléguée syndicale au sein d'un établissement comptant moins de cinquante salariés. Cette désignation avait été annulée par le tribunal d'instance d'Aix-les-Bains, par jugement du 17 juillet 2008, après que celui-ci eut constaté que l'effectif global de l'entreprise était supérieur à cinquante salariés et ce, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

L'Union départementale FO faisait grief au jugement d'avoir annulé cette désignation et d'avoir violé les dispositions de l'article L. 2143-6 du Code du travail dans sa nouvelle rédaction, dont il résulterait qu'il serait, désormais, possible de désigner comme délégué syndical un délégué du personnel dans les établissements de moins de cinquante salariés et ce, y compris si l'effectif de l'entreprise est supérieur à ce seuil. En d'autres termes, le demandeur prétendait qu'à l'occasion de la recodification de cette règle l'application de celle-ci aurait été modifiée dans le sens d'un élargissement de la possibilité de désignation du délégué du personnel.

Le rejet du pourvoi par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui plus est dans un arrêt publié, montre la volonté affichée de la Haute juridiction d'inscrire la recodification du texte dans le cadre du droit constant. Selon cette dernière, en effet, "l'article L. 2143-6 du Code du travail concerne les conditions de désignation des délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; [...] il en résulte que ce texte, qui n'a pas modifié le champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 412-11 qu'il remplace, n'est pas applicable dans les entreprises dont l'effectif global est d'au moins cinquante salariés", ce qui justifie le jugement aux termes duquel un syndicat ne peut désigner comme délégué syndical une "déléguée du personnel dans un établissement comptant environ vingt salariés qui dépend de la société Monoprix exploitation qui compte plus de cinquante salariés".

Cette solution doit être pleinement approuvée tant pour des raisons de texte que parce qu'elle situe parfaitement la recodification du Code du travail dans sa véritable dimension.

II - La consécration du principe d'interprétation constante du (nouveau) Code du travail

  • Une solution conforme à la lettre du nouveau texte

La solution retenue est, tout d'abord, parfaitement conforme aux nouvelles dispositions du Code du travail qui sont, sur la règle en question, beaucoup plus claires que les précédentes.

Le doute sur l'interprétation de l'ancien article L. 412-11, alinéa 4, provenait du fait que le texte faisait référence à l'entreprise, comme cadre de désignation, alors que l'article L. 412-12 prévoit la possibilité de désigner des délégués dans les établissements d'au moins cinquante salariés et que les délégués du personnels sont, également, mis en place dans le cadre de l'établissement (4).

La commission de recodification du Code du travail a souhaité clarifier l'écriture de cette règle. L'article L. 2143-6 vise, désormais, comme cadre de désignation du délégué du personnel, l'établissement, mais ce texte se trouve placé dans un paragraphe 2 intitulé "Entreprises de moins de cinquante salariés".

La combinaison des deux est alors particulièrement éclairante : la possibilité de désigner un délégué du personnel comme délégué syndical ne vaut que pour les "entreprises" de moins de cinquante salariés (§ 2), mais peut se faire dans le cadre de ses "établissements" distincts dont l'effectif est, par hypothèse, inférieur à ce même seuil.

  • Une solution conforme au principe d'interprétation constante du (nouveau) Code

En affirmant que "l'article L. 2143-6 du Code du travail [...] n'a pas modifié le champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 412-11 qu'il remplace", la Chambre sociale de la Cour de cassation applique, ici, le principe d'interprétation à droit constant, que l'on peut, désormais, qualifier de "principe d'interprétation constante", qui doit prévaloir. Initialement, la référence au droit constant, implicite puis explicite dans les lois habilitant le Gouvernement à recodifier par voie d'ordonnance le Code du travail (5), constituait une contrainte pesant sur la Commission de recodification lors de ses travaux (6), une condition de validité de l'ordonnance, dont aucune juridiction, d'ailleurs, n'a eu à connaître (7), et un principe politique devant conduire le Parlement à ratifier, le cas échéant après certaines modifications, l'ordonnance, ce qui fut, d'ailleurs, fait lors du vote de la loi du 21 janvier 2008 (8). Mais une fois l'ordonnance ratifiée et le Code nouveau entré en vigueur, le principe du droit constant doit devenir un principe d'interprétation guidant le juge, principe en vertu duquel, sauf s'il résulte clairement des termes du texte nouveau, interprété par les travaux préparatoires du texte, que ce dernier a été volontairement modifié par la commission, dans le cadre qui avait été défini par les lois d'habilitation, la réécriture ne doit se traduire par aucun changement d'interprétation de la norme. Or, tel était bien le cas, ici, car la Commission de recodification n'avait nullement l'intention d'élargir le champ d'application de la règle, mais uniquement, comme nous l'avons indiqué, d'en clarifier la rédaction.


(1) Article 2 de la loi n° 68-1179, devenu l'article L. 412-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L6329ACE), en 1973.
(2) C. trav., art. L. 412-11, al. 4.
(3) Cass. soc., 6 juillet 1983, n° 82-60.613, Vervish, Godier c/ SA Bostik (N° Lexbase : A3777AGY), Dr. soc. 1984, p. 84, note J. Savatier ; Ass. plén., 14 juin 1985, n° 84-60.528, Mme Linder, Syndicat CFDT (N° Lexbase : A4899AAP), Dr. soc., 1985, p. 741, concl. C. Cabannes, note J. Savatier ; Cass. soc., 28 mai 1997, n° 96-60.225, Société Prisunic exploitation, société anonyme c/ Union départementale CFDT, inédit (N° Lexbase : A6207C4N).
(4) C. trav., art. L. 421-1, al. 1er (N° Lexbase : L6352ACA).
(5) L'article 84, II, de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), habilitant le Gouvernement à procéder à la recodification par ordonnance, disposait, en effet, que "les dispositions codifiées en vertu du I sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances", mais ne faisait pas expressément au "droit constant". Cette expression a été formellement introduite dans la seconde loi d'habilitation, prolongeant de 9 mois le délai laissé au Gouvernement (article 57, I, de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social N° Lexbase : L9268HTG) : "I - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l'adaptation des dispositions législatives du Code du travail à droit constant".
(6) Lire nos obs., Le Code du travail nouveau est arrivé !, Lexbase Hebdo n° 253 du 22 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3582BAW).
(7) Le Conseil d'Etat n'a pas statué sur le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'ordonnance du 12 mars 2007 (ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative) N° Lexbase : L6603HU4) et le Conseil constitutionnel a considéré qu'il n'entrait pas dans ses compétences de contrôler la conformité de l'ordonnance à la loi d'habilitation (décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative), § 12 N° Lexbase : A7427D3H).
(8) Loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008, ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative) (N° Lexbase : L7792H3Y).


Décision

Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, Union départementale Force ouvrière de Savoie, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW)

Rejet TI Aix les Bains, contentieux des élections professionnelles, 17 juillet 2008

Textes concernés : C. trav., art. L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS)

Mots clef : délégué syndical ; désignation ; entreprises de moins de 50 salariés ; nouveau Code du travail ; interprétation

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