La lettre juridique n°350 du 14 mai 2009 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Reconnaissance d'une UES et caducité des mandats syndicaux

Réf. : Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-19.880, Association Union générale des syndicats Force Ouvrière Véolia et filiales et a. c/ Société Ateliers de mécanique du pays d'Ouche et a., FS-P+B (N° Lexbase : A6446EGT)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Parce qu'elle exprime la réalité d'une entreprise unique, la reconnaissance d'une unité économique et sociale emporte d'importantes conséquences, qui intéressent, au premier chef, les institutions représentatives du personnel. On sait, en effet, que l'unité économique et sociale sert de périmètres à ces dernières. C'est, en réalité, une exigence beaucoup plus stricte qui découle de la reconnaissance de l'unité économique et sociale. Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 29 avril 2009, une telle reconnaissance "impose" la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées. Partant, il appartient aux syndicats représentatifs de désigner les délégués syndicaux dans le cadre de cette unité économique et sociale et de mettre fin aux mandats antérieurs. Bien plus, selon la Cour de cassation, les mandats des délégués syndicaux désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES deviennent caducs par suite de cette reconnaissance.

Résumé

La reconnaissance d'une unité économique et sociale impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées et il appartient aux syndicats représentatifs de désigner des délégués syndicaux dans le cadre de cette unité économique et sociale et de mettre fin aux mandats antérieurs. Les mandats de délégués syndicaux désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES deviennent caducs par suite de cette reconnaissance.

Commentaire

I - Reconnaissance d'une UES et mise en place des représentants du personnel

  • Périmètre unique

Ainsi que l'a parfaitement résumé la Cour de cassation dans un arrêt récent, "la reconnaissance conventionnelle ou judiciaire d'une unité économique et sociale entre entités juridiques distinctes, ayant des activités complémentaires ou similaires et caractérisée par une concentration du pouvoir de direction économique et une unité sociale, a pour objet d'assurer la protection des droits des salariés appartenant à une même collectivité de travail, et permettant à cette fin une représentation de leurs intérêts communs" (1). Cette décision rappelle opportunément que l'UES sert d'abord et avant tout de périmètre aux institutions représentatives du personnel, même si ce n'est sans doute plus là son unique objet.

On sait, en outre, qu'après quelques hésitations, la Cour de cassation a fini par admettre que les critères de l'UES sont les mêmes pour toutes les institutions représentatives du personnel (2). Ainsi que l'a parfaitement souligné un auteur, "s'affirme, ainsi, l'idée première selon laquelle la reconnaissance d'une unité économique et sociale exprime la réalité d'une entreprise unique au regard du droit du travail, réalité dont il y a lieu de tirer toutes les conséquences" (3).

Parmi ces conséquences, figure l'obligation de mettre en place les institutions représentatives du personnel appropriées au périmètre en cause. Cette solution d'importance, que la Chambre sociale rappelle dans l'arrêt sous examen, avait déjà été énoncée dans une décision antérieure (4).

Cette solution doit être approuvée. Parce qu'elle revient à constater l'existence d'une entreprise, la reconnaissance d'une UES impose, tant à l'employeur qu'aux syndicats, de mettre en place les représentants du personnel à ce niveau. Le Code du travail ne dit, d'ailleurs, pas autre chose lorsqu'il indique, à l'article L. 2322-4 (N° Lexbase : L2710H9A) que "lorsqu'une une unité économique et sociale regroupant cinquante salariés ou plus est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d'un comité d'entreprise commun est obligatoire" (nous soulignons). Il faut donc comprendre que la reconnaissance d'une UES est moins source d'options que source de contraintes en termes de mise en place des représentants du personnel. On est tenté de dire qu'à partir du moment où l'UES est constatée, le périmètre de l'entreprise se déplace des entités qui la composent vers celle qui les regroupe et, avec elle, le périmètre de désignation ou d'élection des représentants du personnel.

  • Cadres distincts

On admettra, avec un auteur, que "si l'UES est la même quelle que soit l'institution, le cadre de chacune des institutions ne se confond pas nécessairement avec le périmètre de l'UES. Il convient, à l'intérieur de ce périmètre de déterminer l'espace propre à chaque instance, c'est-à-dire l'établissement [...]. A défaut d'établissement distinct, le cadre de chacune des institutions se confond avec le périmètre de l'UES" (5). Cela étant admis, la difficulté réside dans la conciliation de cette idée avec la solution retenue dans l'arrêt sous examen.

Si la reconnaissance d'une unité économique et sociale impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées, cela ne conduit pas à ce que les représentants du personnel soient nécessairement désignés ou élus à ce niveau. Il faut comprendre que la reconnaissance d'une UES a, en quelque sorte, pour effet de "remettre les compteurs à zéro". Le périmètre de l'entreprise se situant, à compter de ce moment, au niveau de l'UES, les représentants du personnel doivent être mis en place à ce niveau. Toutefois, si les entités juridiquement distinctes qui composent l'UES peuvent être qualifiées d'établissements distincts, ces derniers constitueront un niveau pertinent pour la mise en place des institutions représentatives du personnel.

Pour être admissible, cette proposition exige que l'on s'interroge sur le sort des mandats en cours ; question qui était au coeur de l'arrêt sous examen.

II - Reconnaissance d'une UES et sort des mandats en cours

  • Cessation des mandats

Dans l'arrêt précité du 26 mai 2004, la Cour de cassation a décidé, après avoir affirmé que "la reconnaissance d'une UES impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées", que "les mandats en cours cessent au jour des élections organisées au sein de l'UES, quelle que soit l'échéance de leur terme". Ainsi que l'avait relevé un auteur à l'époque, cette décision laissait en suspens le sort des mandats non électifs dont jouissent les délégués syndicaux. Plus précisément, il était relevé que "ceux-ci ont été désignés dans une configuration où les entreprises juridiquement distinctes, ultérieurement groupées en une UES, étaient considérées comme autonomes, notamment pour le calcul des effectifs justifiant la désignation de délégués syndicaux. Cela devrait conduire à une remise en cause des mandats en cours des délégués syndicaux, alors pourtant que les délais pour contester leur décision sont expirés" (6).

La décision rapportée vient confirmer cette assertion, la Chambre sociale considérant qu'il appartient aux syndicats représentatifs de désigner des délégués syndicaux dans le cadre de l'UES et que, surtout, les mandats des délégués syndicaux, désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES, étaient devenus caducs par suite de cette reconnaissance.

Cette solution peut, de prime abord, surprendre, dès lors qu'il est classiquement admis que, à partir du moment où la désignation d'un salarié en qualité de délégué syndical n'a pas été contestée dans le délai de quinze jours prévu à l'article L. 2143-8 du Code du travail (N° Lexbase : L2190H9Y), elle est purgée de tout vice (7). Cela laisse donc clairement supposer que, passé ce délai, le mandat ne peut être remis en cause que sur décision expresse du mandant, en l'occurrence de l'organisation syndicale auteur de la désignation, ou, éventuellement, du mandataire lui-même. De même, on sait que la réduction importante et durable de l'effectif en-dessous de cinquante salariés n'entraîne pas, ipso facto, la suppression du mandat de délégué syndical (C. trav., art. L. 2143-11 N° Lexbase : L3750IBI). Pour ces deux raisons au moins, on pouvait avancer que la reconnaissance d'une UES n'était pas de nature à entraîner la disparition des mandats de délégués syndicaux.

Pour autant, nous pensons que la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée et que la référence à la caducité des mandats est particulièrement pertinente. Il suffit, ici, de rappeler que la caducité est "l'état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte initialement valable du fait que la condition à laquelle était suspendue sa pleine efficacité vient à manquer par l'effet d'un évènement postérieur" (8).

La désignation d'un délégué syndical n'est valable que si elle intervient dans le périmètre adéquat. Sans doute pourra-t-il être rétorqué que passé le délai de 15 jours, cette circonstance importe peu dès lors que la désignation est purgée de tous vices à défaut de contestation. Mais cela ne peut se concevoir qu'au regard des vices qui existaient au moment de cette désignation. Or, la reconnaissance d'une UES intervenant par définition postérieurement, elle rend le mandat inefficace puisque l'une de ses conditions de validité vient à manquer a posteriori.

Il reste que le motif de principe retenu par la Cour de cassation peut surprendre. En effet, si les mandats des délégués syndicaux désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES sont caducs du seul fait de cette reconnaissance, on ne voit pas pourquoi il appartiendrait aux syndicats mandants de mettre fin aux mandats antérieurs.

  • Difficultés de mise en oeuvre

Pour être justifiée, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen n'est pas sans susciter des difficultés quant à sa mise en oeuvre. Tout d'abord, et cela avait déjà été relevé par le passé (9), il convient de s'interroger sur les effets des recours dont peut faire l'objet la décision du tribunal d'instance reconnaissant l'UES. Une première solution consisterait à ne rien faire, dans l'attente d'une décision définitive. Remarquons, cependant, que la décision de la Cour de cassation ne renferme aucune réserve en ce sens. Partant, il semble qu'il faille considérer que la caducité des mandats intervient dès la reconnaissance de l'UES, de même que la mise en place des représentants du personnel à ce niveau. Le problème réside, cependant, dans l'éventualité d'une annulation de la décision reconnaissant l'UES. Celle-ci aurait a priori pour effet d'entraîner la nullité des désignations des délégués syndicaux intervenus dans l'UES et le retour au statu quo ante.

Ensuite, et dans la mesure où le cadre de mise en place des représentants du personnel ne correspond pas nécessairement à l'UES, dès lors que l'on caractérise l'existence de certains établissements distincts au sein de celle-ci, la caducité des mandats est-elle nécessairement inéluctable ? En effet, en admettant que cela soit le cas, mais que l'on constate que chacune des entités où des délégués syndicaux avaient été désignés antérieurement à la reconnaissance de l'UES constituent un établissement distinct, les syndicats représentatifs pourraient désigner les mêmes salariés. Ne serait-il pas plus simple dès lors de considérer qu'il n'y a lieu à caducité des mandats que si les entités où ces derniers étaient exercés ne constituent pas des établissements distincts ?

Autant de questions auxquelles l'arrêt rapporté ne permet pas de répondre, mais qui se poseront sans doute dans un proche avenir.


(1) Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 07-43.875, Société Assurance France Générali (N° Lexbase : A9180EBM) et les obs. de S. Tournaux, L'affinement de la notion d'unité économique et sociale, Lexbase Hebdo n° 333 du 14 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2323BIU).
(2) Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 97-60.492, Société générale Asset Management et autre c/ M. Dusseaux et autres (N° Lexbase : A4796AGQ).
(3) G. Couturier, L'unité économique et sociale. Trente ans après, SSL, suppl. au n° 1140.
(4) Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-60.935, Union générale des syndicats Force ouvrière Vivendi et filiales c/ Fédération Interco-CFDT (N° Lexbase : A2482DCW) et nos obs., Reconnaissance judiciaire d'une UES : mise en place des institutions représentatives du personnel appropriées et cessation des mandats en cours, Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1765ABY).
(5) B. Boubli, L'Unité économique et sociale à l'époque des voeux. Etat des lieux et souhaits de réforme, SSL, n° 1156 et 1157, p. 6.
(6) J. Savatier, obs. sous l'arrêt en cause, Dr. soc., 2004, p. 917.
(7) V., en dernier lieu, Cass. soc., 4 mars 2009, n° 08-40.500, M. Lannoy c/ Association Definord N° Lexbase : A6434EDN, JCP éd. S, 2009, 1191, avec l'avis de D. Allix.
(8) Vocabulaire juridique, publié sous la direction de G. Cornu, Puf.
(9) V. les obs. préc. de J. Savatier.


Décision

Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-19.880, Association Union générale des syndicats Force Ouvrière Véolia et filiales et a. c/ Société Ateliers de mécanique du pays d'Ouche et a., FS-P+B (N° Lexbase : A6446EGT)

Rejet CA Paris, 18ème ch., sect. C, 28 juin 2007, n° 06/13728 (N° Lexbase : A4522DY7)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), L. 2143-11 (N° Lexbase : L3750IBI) et L. 2322-4 (N° Lexbase : L2710H9A)

Mots-clefs : unité économique et sociale ; reconnaissance ; délégués syndicaux ; sort des mandats ; caducité

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