Réf. : Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219, M. Joao Canario, FS-P+B (N° Lexbase : A6456EG9)
Lecture: 9 min
N0649BKA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marion Del Sol, Maître de conférences à l'Université de Rennes I et Directrice du Master 2 Droit du travail et de la protection sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Pour décider que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de ses demandes en paiement d'indemnités, l'arrêt se borne à relever que l'employeur a discuté avec un délégué du personnel du problème de reclassement sans trouver de solution et que la mise en oeuvre de la procédure de licenciement trois jours après l'avis d'inaptitude ne peut établir que l'employeur n'avait pas tenté de mettre en oeuvre l'obligation de reclassement. En statuant ainsi, alors que, d'une part, le seul entretien avec un délégué du personnel ne suffisait pas à établir que l'employeur se soit conformé à ses obligations susvisées et que, d'autre part, la brièveté du délai écoulé après l'avis d'inaptitude démontrait, à lui seul, qu'il n'y avait eu aucune tentative sérieuse de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97). Par ailleurs, le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, qui ne pouvait rejeter la demande du salarié au seul motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail, a violé les articles L. 1154-1 et L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) du Code du travail. |
Commentaire
I - L'impossibilité d'écourter le délai de reclassement consécutif à l'avis d'inaptitude ?
Le Code du travail met à la charge de l'employeur une obligation de reclassement lorsque le médecin du travail déclare le salarié, consécutivement à une période de suspension causée par un problème de santé, inapte à son poste antérieur (C. trav., art. L. 1226-2). De façon indirecte, l'article L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) laisse un délai d'un mois pour cette recherche de reclassement, délai au terme duquel l'employeur doit reprendre le paiement du salaire si le reclassement n'est pas effectif (1) ou si le salarié n'est pas licencié. Pour autant, aucune disposition légale ne vient préciser si le licenciement peut valablement intervenir avant le terme du délai lorsque le reclassement est impossible. D'où l'intérêt de cette décision.
Peu de temps après avoir informé son employeur qu'il se considérait victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, un salarié se voit prescrire un arrêt de travail d'environ trois semaines. Au terme de la période de suspension, le médecin établit un avis d'inaptitude à tous les postes dans l'entreprise (2). Trois jours seulement après, l'employeur décide de mettre en oeuvre une procédure de licenciement, licenciement dont la validité est confirmée par la cour d'appel de Paris qui relève que l'employeur avait discuté de la question du reclassement avec le délégué du personnel et n'avait pas trouvé de solution.
Au visa de l'article L. 1226-2, la Chambre sociale casse l'arrêt d'appel sur ce point. En premier lieu, elle affirme que "le seul entretien avec un délégué du personnel ne [suffit] pas à établir que l'employeur se soit conformé à ses obligations" en matière de reclassement. La solution est logique, car l'obligation de reclassement incombe à l'employeur qui, seul, dispose du pouvoir de décision ; on ne peut se satisfaire d'une simple discussion avec un élu du personnel (3). En second lieu -c'est là l'apport principal de l'arrêt-, la Cour de cassation énonce sous forme de principe que "la brièveté du délai écoulé après l'avis d'inaptitude démontrait, à lui seul, qu'il n'y avait eu aucune tentative sérieuse de reclassement". Elle considère donc qu'un licenciement enclenché dans un temps très proche de l'avis d'inaptitude démontre le manquement à l'obligation de reclassement. Plus encore, la brièveté du délai écoulé est suffisante en elle-même pour que soit établie l'absence de recherche sérieuse de reclassement. Autrement dit, si la démarche de licenciement intervient peu de temps après l'avis du médecin du travail, elle est nécessairement (4) jugée hâtive et fait présumer du non-respect des obligations posées à l'article L. 1226-2 du Code du travail.
L'affirmation est exempte de toute ambiguïté dans sa formulation et prend valeur de principe, la décision du 30 avril 2009 étant promise à la publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation et également au BICC. Ce faisant, elle balaie les perspectives peut-être entrevues dans un arrêt (de rejet et inédit) du 21 janvier 2009, qui avait déclaré légitime la notification d'une impossibilité de reclassement le jour même de l'avis d'inaptitude (Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 06-42.173, F-D N° Lexbase : A6351EC9). Pour autant, toute incertitude n'est pas levée.
L'arrêt laisse une question en suspens : le délai d'un mois peut-il être écourté sans remettre en cause la validité du licenciement, dès lors que l'employeur démontre l'impossibilité de reclasser le salarié inapte ?
Les termes de la décision semblent laisser la porte ouverte à un licenciement avant le terme du délai d'un mois, car c'est la brièveté du délai écoulé qui est condamnée ici, et non le fait d'avoir écourté ce délai. Une telle interprétation serait doublement logique. En effet, au regard de la finalité de l'obligation de reclassement qui est le maintien dans l'emploi, la durée est gage d'une plus grande efficacité de la recherche de reclassement, car elle laisse du temps pour envisager "la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail" (C. trav., art. L. 1226-2, al. 3). Mais, en même temps, permettre de licencier avant l'expiration du délai d'un mois présente une utilité pour les deux parties (5) lorsque l'on sait qu'aucune possibilité de reclassement n'est manifestement possible.
Reste alors à cerner la notion de brièveté. Où peut-on situer le curseur ? A notre avis, l'appréciation des juges du fond devrait prendre en considération cumulativement trois facteurs : le facteur temps, toute précipitation pouvant, désormais, être considérée comme "suspecte" (6) -l'importance des restrictions d'aptitude formulées par le médecin du travail (plus l'aptitude est réduite et moins le reclassement est envisageable)-, la taille de l'entreprise et la configuration des postes de travail (plus l'entreprise est petite et les postes uniques et moins le reclassement peut s'opérer, spécialement en cas d'aptitude résiduelle).
II - Le rappel des règles probatoires en matière de harcèlement moral
La cour d'appel de Paris avait débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral. Au visa de l'article L. 1154-1 du Code du travail, qui précise les règles probatoires en matière de harcèlement moral, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel sur ce point également. Elle rappelle que "le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral" et que sa demande ne peut être rejetée "au seul motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail".
Le harcèlement moral est caractérisé par des "agissements répétés [...] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel" (C. trav., art. L. 1152-1). Dans le processus devant conduire à l'établissement de la réalité du harcèlement, il appartient au salarié d'établir "des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement" (C. trav., art. L. 1154-1, al. 1er) (7). En d'autres termes, les juges du fond ne peuvent exiger du salarié qu'il fasse la preuve du harcèlement et c'est ce que rappelle la Chambre sociale au cas d'espèce. On doit, toutefois, souligner qu'elle le fait très maladroitement en affirmant que le salarié doit apporter -et non établir- des éléments laissant supposer l'existence du harcèlement ; la terminologie utilisée ici se rapproche davantage de celle du texte initial, issu de la loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), qui exigeait du salarié qu'il "présente" des indices de harcèlement que de celle en vigueur depuis la loi du 3 janvier 2004 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9374A8P et les obs. de C. d'Artigue, Que reste-il de la loi de modernisation sociale ?, Lexbase Hebdo n° 53 du 8 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5391AAW) (8).
La Cour de cassation reproche indirectement aux juges d'appel de ne pas avoir considéré que le salarié avait rempli son rôle par la production d'une attestation relatant des conditions de travail pénibles imposées par le supérieur hiérarchique (9), mais, également, de certificats médicaux attestant de son état dépressif. Elle semble, ainsi, considérer que la matérialité des éléments pouvant laisser présumer le harcèlement était suffisamment établie et ce, bien que ces éléments ne démontrent pas la relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail.
Les juges d'appel n'ont pas retenu les faits de harcèlement au motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail. Pour ce faire, ils prenaient appui sur le contenu des certificats médicaux et de l'avis d'inaptitude. Or, cet avis ne doit contenir aucune information à caractère médical et, en cas de restriction d'aptitude, il ne devrait, en principe, faire état que des capacités restantes du salarié ; par conséquent, le médecin du travail n'a pas à mentionner les causes possibles ou avérées de l'inaptitude. Quant au médecin traitant, s'il délivre un certificat comportant nécessairement des indications médicales (ici, état dépressif), il ne peut attester de la réalité des raisons se trouvant à l'origine de l'état pathologique (10). Il convient donc de ne pas exiger des avis émanant des médecins plus que ce qu'ils peuvent et/ou doivent attester.
(1) En la matière, le délai doit être considéré comme préfix et impose donc la reprise du paiement du salaire un mois après le second avis d'inaptitude, quand bien même l'employeur aurait dû solliciter ultérieurement des précisions auprès du médecin du travail. Voir, Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-44.748, M. Daniel Nerzic, F-P+B (N° Lexbase : A2017EEG) et les obs. de Ch. Radé, Reprise du paiement du salaire du salarié inapte : un mois, sinon rien !, Lexbase Hebdo n° 345 du 9 avril 2009 - édition sociale ([LXB=0077BK3]).
(2) Dont on sait qu'il déclenche l'obligation de reclassement au même titre que l'avis d'inaptitude à certains emplois dans l'entreprise.
(3) Que l'avis des délégués du personnel ne soit pas exigé au cas d'espèce (maladie non professionnelle) ne change rien, à notre avis, à la solution retenue.
(4) Comme l'attestent les termes "à lui seul" auxquels a recours le juge.
(5) Spécialement pour le salarié qui, faute d'avoir repris le travail, est, en général, privé de salaire pendant cette période sans pouvoir prétendre aux indemnités journalières puisqu'il n'est plus en arrêt de travail. Un licenciement lui ouvre alors droit aux allocations de chômage. On doit, toutefois, préciser que, depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 N° Lexbase : L2678IC8), le salarié peut bénéficier du rétablissement des indemnités journalières pendant le délai de reclassement, mais seulement s'il est victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle et ne peut percevoir aucune rémunération liée à son activité salariée (CSS, art. L. 433-1, al. 5 N° Lexbase : L3044ICQ).
(6) Autrement dit, plus le licenciement intervient dans un temps proche de l'avis d'inaptitude et plus il sera "suspect".
(7) La suite du texte dispose que, "au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(8) Voir Harcèlement moral ? Prouvez-le ! - Questions à Isabelle Boukhris, avocate associé du cabinet LEKS, Lexbase Hebdo n° 341 du 12 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7743BIM).
(9) Attestation mentionnant que ce supérieur "était constamment sur le dos [du salarié] et le harcelait continuellement pour des raisons injustifiées" ou encore qu'il ne laissait "même pas le temps pour se laver les mains ou aller aux toilettes".
(10) A rapprocher de Cass. soc. 31 mars 2009, n° 07-45.264, Mme Isabelle Schmidt, F-D (N° Lexbase : A5166EE3).
Décision
Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219, M. Joao Canario, FS-P+B (N° Lexbase : A6456EG9) Cassation CA Paris, 10 mai 2007, 21ème ch., sect. B, n° 05/08769, Société MB Peinture c/ M. Joao Canario (N° Lexbase : A9661DX4) Textes visés : C. trav., art. L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) et L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) Mots-clefs : inaptitude ; reclassement ; délai ; harcèlement moral ; preuve Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:350649