La lettre juridique n°350 du 14 mai 2009 : Éditorial

Fraude électorale : Filochard et Ribouldingue à l'heure du vote électronique

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Fraude électorale : Filochard et Ribouldingue à l'heure du vote électronique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211714-fraude-electorale-filochard-et-ribouldingue-a-l-heure-du-vote-electronique
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Malgré l'indignation affichée par tous, c'est un sentiment de condescendance qui anime, assez souvent, les citoyens des démocraties, singulièrement celles de l'Occident, à l'adresse des démocraties naissantes et, a fortiori, des dictatures déguisées, lorsqu'il est affaire de fraude électorale. Pourtant, il n'est pas besoin d'aller bien loin pour commencer à balayer devant sa porte et être vigilant contre ce "cancer" de la démocratie ou, plus certainement, cet avatar symbiotique à tout régime qui se veut démocratique, que constitue la fraude. "Une élection sans fraude, c'est un court-bouillon sans piment" nous rappelle un proverbe créole.

A titre de définition consensuelle, la fraude électorale désigne toutes les irrégularités qui peuvent se dérouler pendant une élection. Elle peut concerner les opérations électorales elles-mêmes (ex. : bourrage des urnes avec des bulletins en faveur d'un candidat) ou des manoeuvres constatées pendant la durée de la campagne électorale (ex. : tracts diffamatoires, diffusion de matériel de propagande après la clôture officielle de la campagne électorale). Et, l'actualité des dernières élections municipales a pu nous en donner un exemple topique à travers la fraude constatée lors des élections des conseillers municipaux de Perpignan. Pour mémoire, le président d'un bureau de vote avait été surpris, une première fois, en possession de bulletins en faveur d'une liste, puis une seconde fois, en pleine tentative de faire disparaître des enveloppes contenant des bulletins de vote. Les opérations de dépouillement avaient dû être interrompues et les services de police, ainsi que le procureur de la République, étaient intervenus sur place. Ainsi, eu égard à sa gravité et à la fonction des personnes concernées, à savoir deux personnalités locales liées au candidat arrivé en tête à l'issue du scrutin et, au stade auquel elle a été découverte, à savoir une heure après le début des opérations de dépouillement, le Conseil d'Etat, par un arrêt rendu le 23 avril 2009, sur lequel revient, cette semaine, Guy Prunier, chargé de mission au ministère de l'Intérieur, a estimé que cette manoeuvre frauduleuse était de nature à entacher d'irrégularité l'ensemble des opérations de dépouillement. Compte tenu, en outre, du très faible écart de voix entre les deux premières listes arrivées en tête, il n'était pas possible d'établir avec certitude qu'en l'absence de fraude la liste élue l'aurait emporté. Le scrutin fut donc définitivement annulé.

L'affaire des "chaussettes bourrées", eu égard au "bourrage" de l'accessoire de bonneterie auquel s'est livré le président du bureau de vote, aura permis au Haut conseil de faire une démonstration de sa méthode de caractérisation de la fraude, et des conséquences qu'il convient d'y attacher. En effet, si le juge électoral, une fois saisi, peut sanctionner les fraudes, ce n'est pas systématique. Pour qu'une élection soit annulée, ou les résultats modifiés, les fraudes constatées doivent avoir eu pour effet de déplacer un nombre suffisant de voix pour fausser les résultats. Ainsi, des atteintes aux règles définies par le Code électoral peuvent rester impunies si elles n'ont pas eu pour conséquence de modifier les résultats. D'aucuns estimeront qu'une invalidation systématique conforterait la moralisation des pratiques démocratiques, et plus particulièrement, électorales ; d'autres rappelleront que, si la démocratie est le moins mauvais des systèmes politiques, pour paraphraser Sir Winston, aucune organisation électorale ne peut, véritablement, être détachée de son ombre : la fraude. Le soupçon est le lot du pluralisme démocratique.

Et de relancer le débat autour du vote électronique. Aux termes de l'article L. 57-1 du Code électoral, toutes les communes françaises de plus de 3 500 habitants peuvent utiliser des machines à voter électroniques lors des scrutins. Pourtant, force est de constater que les lois n° 88-1262 du 30 décembre 1988, n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 et n° 2005-102 du 11 février 2005, qui fixent le cadre légal du vote à l'aide d'ordinateurs de vote en France, n'y ont rien changé : la suspicion règne toujours devant l'utilisation des modalités informatiques de vote, et sa généralisation est loin d'être de mise. Il faut dire que les détracteurs du système électronique de vote ont de quoi argumenter, tant les fraudes furent avérées dans de nombreux pays démocratiques dans lesquels ce système fut instauré et généralisé. Les élections présidentielles américaines de 1960, 2000 et 2004, le référendum pour l'indépendance du Québec en 1995, ainsi que les élections municipales de Montréal, en novembre 2005, figurent au palmarès des fraudes avérées ou fortement présumées. Mais, sans tomber dans la contestation systématique par le camp des vaincus, ni dans l'empirisme d'un système perfectible comme tout système électoral, il n'y a qu'à lire l'article de Chantal Enguehard, Le vote électronique en France : opaque & invérifiable (Laboratoire d'Informatique de Nantes Atlantique, rapport interne num.halshs-00085071, juillet 2006), pour admettre que les deux écueils du vote électronique résident principalement dans le secret qui entoure les matériaux informatiques employés et dans l'impossibilité d'une vérification humaine du comptage des voies. Pour autant, doit-on renoncer au système électronique de vote malgré ses imperfections ?

Finalement, machines à voter ou vote électronique à distance, plus que la fraude en elle-même qui ne disparaît pas avec la vote à bulletin papier, c'est l'étendue de la fraude qui épouvante. Si le "bourrage des urnes" est une pratique concevable à l'échelle locale, aucune élection nationale -dans un pays démocratique avéré s'entend- n'aurait pu être invalidée par ce type de manoeuvre. Il en va différemment avec le vote électronique, qui plus est par internet, où la sécurisation, même si elle est possible et indispensable, n'éludera jamais le spectre de la fraude massive... On retrouve, à travers cette application pratique de l'usage du web, la même problématique que celle relative au téléchargement illégal et à la loi "Hadopi" : si personne n'est dupe quant à la disparition de toute fraude, c'est l'échelle de la fraude et l'opacité du réseau qui inquiètent les citoyens comme les professionnels de l'industrie culturelle. Une domestication du réseau des réseaux par la transparence et la traçabilité apparaît, dès lors, comme l'alpha et l'oméga d'un consensus entre les Anciens et les Modernes.

"Une dictature est un pays dans lequel on a pas besoin de passer toute une nuit devant son poste pour apprendre le résultat des élections". Heureusement que depuis lors, Clemenceau fut dépassé par la technologie, sans que soit trahi l'esprit démocratique qui anime toujours son cher pays.

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