La lettre juridique n°347 du 23 avril 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Des conditions d'encadrement de la liberté religieuse des salariés par le règlement intérieur

Réf. : Halde, délibération n° 2009-117 du 6 mars 2009, Liberté religieuse et règlement intérieur dans l'entreprise privée (N° Lexbase : X7282AEG)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

le 07 Octobre 2010

Par sa délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) intervient à nouveau (après la délibération n° 2007-301 du 14 novembre 2007 N° Lexbase : X0369AEE et surtout la délibération n° 2009-22 du 26 janvier 2009 N° Lexbase : X7285AEK) dans le débat riche, dense et complexe de l'exercice des libertés religieuses en entreprise (I) et des conditions de leur encadrement par l'employeur dans le cadre du règlement intérieur (II). La publication de cette délibération s'inscrit dans un contexte de "judiciarisation" des pratiques discriminatoires fondées sur la religion, les salariés n'hésitant plus à saisir les juridictions dès qu'ils s'estiment victimes d'atteinte à leur droit à exprimer leur conviction religieuse (1). La publication par la Halde de sa délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009, faisant le point sur la liberté religieuse en entreprise, fait suite à de nombreuses délibérations publiées récemment visant la liberté religieuse en entreprise (Halde, délibérations n° 2006-242 du 6 novembre 2006 N° Lexbase : X7275AE8 (2), n° 2008-10 du 14 janvier 2008 N° Lexbase : X7276AE9 (3), n° 2009-22 du 26 janvier 2009, n° 2009-125 du 2 mars 2009 N° Lexbase : X7283AEH (4)), mais aussi dans un service public ou dans la fonction publique (Halde, délibérations n° 2008-166 du 29 septembre 2008 N° Lexbase : X7277AEA (5), n° 2008-167 du 1er septembre 2008 N° Lexbase : X7278AEB, n° 2008-183 du 1er septembre 2008 N° Lexbase : X7279AEC, n° 2008-194 du 29 septembre 2008 N° Lexbase : X7281AEE (6), n° 2008-193 du 15 septembre 2008 N° Lexbase : X7282AEG (7)) ou même dans le cadre des relations commerciales (Halde, délibération n° 2006-133 du 5 juin 2006). I - L'exercice des libertés religieuses en entreprise

A - Fondements des droits protégés

La liberté d'exprimer ses convictions religieuses est un droit fondamental reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L6799BHB) qui consacre la liberté de manifester sa religion ou ses convictions en prévoyant qu'elle ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles prévues par la loi (art. 9) et prohibe toute discrimination (art. 14) ; la Directive 2000/78/CE, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (art. 11 N° Lexbase : L3822AU4) ; le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (art. 5 : "Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances") ; le Code du travail, en ses articles L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché") et L. 1132-1 (N° Lexbase : L6053IAG) (8).

B - Etendue de la protection

  • Embauche

Le principe, codifié au Code du travail (art. L 122-45 anc. N° Lexbase : L3114HI8 ; art. L. 1134-1, al. 3 recod. N° Lexbase : L6054IAH), est qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement en raison de ses convictions religieuses. De plus, conformément à l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI ; art. L. 1121-1, recod.), nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Mais la Halde estime que si toute discrimination fondée sur les convictions religieuses est prohibée lors de l'exécution du contrat de travail, des limitations peuvent être imposées dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées, notamment, par l'organisation du travail dans l'entreprise (Halde, délibération n° 2008-10 du 14 janvier 2008).

  • Licenciement

En 2003, la cour d'appel de Paris avait jugé que si une lettre de rupture fait expressément référence au refus de la salariée de renoncer à la manifestation de ses convictions religieuses, le licenciement présente toutes les apparences d'une mesure prohibée au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (art. L. 1134-1, recod.) (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03/30212, Téléperformances c/ Mlle Dallila Tahri N° Lexbase : A8172C9K) (9). En l'espèce, le fait que l'employeur ait proposé à la salariée de placer son foulard de façon à ce qu'il ne révèle pas son appartenance à la confession musulmane démontrait que seule l'appartenance à la religion était en cause, et non la tenue de travail elle-même. En effet, l'employeur était prêt à accepter que la salariée se présente au travail avec un bonnet.

  • Autorisations d'absence

La Halde a précisé, dans une délibération du 13 novembre 2007, que l'employeur doit justifier, par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le refus d'accorder une autorisation d'absence pour fête religieuse (Halde, délibération n° 2007-301 N° Lexbase : X0369AEE). En l'espèce, un représentant syndical a saisi la Halde de lutte contre les discriminations et pour l'égalité d'une réclamation relative à des autorisations d'absence pour fêtes religieuses, accordées par la société Y, notant une différence de traitement entre les salariés d'origines et de religions différentes. Arguant des articles L. 120-2  et L. 122-45  du Code du travail, la Halde reconnaît que, si le Code du travail impose un équilibre entre liberté religieuse et intérêt de l'entreprise, aucune de ses dispositions ne porte sur les autorisations exceptionnelles d'absence liées à une fête religieuse. Ainsi, sous réserve du détournement de pouvoir, l'employeur peut refuser une autorisation d'absence le jour d'une fête religieuse, si celle-ci perturbe l'organisation du travail dans l'entreprise. En conséquence, la Halde a recommandé au ministre du Travail d'inscrire, dans le Code du travail, une procédure d'autorisation d'absence fondée sur des critères objectifs étrangers à toute discrimination, en vue de faciliter les demandes d'absences des salariés du secteur privé, sous réserve des nécessités de service.

II - Encadrement de la liberté religieuse par le règlement intérieur

La commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République (sous la présidence de Bernard Stasi, rapport remis au Président de la République le 11 décembre 2003) avait fait une proposition visant à permettre aux employeurs de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle et à la paix sociale interne. La Halde (par la présente délibération) s'est inspirée de cette recommandation, ainsi que de la jurisprudence tant judiciaire qu'administrative, développée sur ce thème.

La Halde a relevé qu'à l'occasion des contentieux portant sur la régularité des règlements intérieurs, les juridictions ont dessiné le point d'équilibre entre les revendications légitimes du salarié et celles, manifestement excessives, invoquées dans le but de faire échec aux règles de droit du travail et, plus particulièrement, au pouvoir de direction de l'employeur. Ainsi, il est de jurisprudence constante que les limites à la liberté d'expression du salarié sont tirées de la nature du poste et des fonctions exercées ainsi que de l'abus de droit. Cette construction jurisprudentielle doit, selon la Halde, s'appliquer à la liberté de religion et de convictions du salarié dans l'entreprise.

A - Le principe d'une restriction à la liberté de religion et de convictions du salarié par et dans le règlement intérieur

Un employeur pourrait être tenté de restreindre la liberté de religion de ses salariés en modifiant le règlement intérieur de l'entreprise. A l'appui d'une telle limitation à la liberté de religion, les employeurs invoquent un principe de neutralité dans l'entreprise estimé nécessaire pour assurer le respect des opinions et convictions des clients, des partenaires et de l'ensemble des collaborateurs au sein du collectif de travail, mais, également, par des impératifs liés au contact de la clientèle et du public.

La Halde n'a pas consacré ce principe de neutralité comme cause justificative d'une restriction à la liberté de conscience et de religion. Les restrictions ne sauraient être justifiées par le principe de neutralité du lieu de travail, puisqu'aucune législation ou jurisprudence nationale ne consacre qu'un tel principe de neutralité puisse restreindre les libertés des salariés du secteur privé. Les seules décisions évoquant la notion de neutralité appliquée à l'entreprise privée sont celles qui sanctionnent le prosélytisme actif de certains salariés.

Pour la Halde (10), plusieurs considérations pourraient justifier une restriction à la liberté de religion et de convictions du salarié : la prohibition de tout comportement prosélyte ; des impératifs de sécurité au travail et de santé ; en raison de la nature des tâches que le salarié est amené à accomplir, notamment quand l'exécution de la prestation de travail s'effectue en lien avec le public ou la clientèle.

  • Interdiction d'un comportement prosélyte dans l'entreprise

La liberté de religion et de convictions du salarié doit pouvoir s'exercer dans les limites que constituent l'abus du droit d'expression, le prosélytisme ou les actes de pression ou d'agression à l'égard d'autres salariés. Dans cette situation, il pourrait être invoqué l'obligation de protection de l'employeur à l'égard de ses salariés telle qu'elle ressort des articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L1448H9I) et L. 1152-4 (N° Lexbase : L0730H9W) du Code du travail (délibération Halde n° 2009-117, point n° 34).

La cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 9 juin 1997, n° 09/97) avait invoqué une obligation de neutralité du salarié en considérant que constitue une faute grave par méconnaissance de l'obligation de neutralité, le prosélytisme reproché à un animateur d'un centre de loisir laïc, qui avait lu la Bible et distribué des prospectus en faveur de sa religion aux enfants.

Dans une décision en date du 23 janvier 1998 (11), la cour d'appel de Versailles avait posé la distinction entre expression des convictions religieuses et déloyauté dans l'exécution du contrat à propos d'un formateur membre de l'Eglise de scientologie qui, dans le cadre d'un contrat de prestation de services, avait utilisé les opportunités d'un contact avec le public pour répandre sa foi. Les juges ont prononcé la résiliation d'un contrat de prestation de services, en l'espèce un stage de formation (12). Le formateur, membre de l'église de scientologie, avait tenté d'utiliser l'opportunité d'une telle rencontre avec un public, pour faire du prosélytisme. Dès lors, les juges en ont tiré la conséquence que le cocontractant n'exécute pas sa mission avec loyauté et bonne foi.

La cour d'appel de Basse-Terre (CA Basse-Terre, 6 novembre 2006, n° 06/00095) a reconnu comme fondé sur un motif réel et sérieux le licenciement d'un salarié multipliant les digressions ostentatoires orales sur la religion.

La cour d'appel de Rouen (CA Rouen, 25 mars 1997, n° 95/04028) a reconnu la faute d'un salarié qui avait développé un prosélytisme dépassant le cadre normal de la liberté d'expression.

Dans une décision en date du 22 mars 2001, la cour d'appel de Versailles a admis que les salariés pouvaient faire valoir leur droit d'expression pour protéger leur liberté de conscience face à un prosélytisme insidieux de l'employeur, détenteur de l'autorité. En l'espèce, les séminaires de l'entreprise organisés par une association prosélyte dirigée par l'épouse de l'employeur étaient l'occasion d'une auto-culpabilisation publique des salariés relevant de la manipulation psychologique (CA Versailles, 5ème ch., 22 mars 2001, n° 00/00528, Monsieur Jacky P. N° Lexbase : A4942DHI).

Mais la question du prosélytisme est délicate, faute de définition juridique. Le droit associe liberté de conscience avec pression de conscience, l'un n'étant qu'une déclinaison, une variation de l'autre. En ce sens, l'article 9 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme proclame que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion. Dans sa décision "Kokkinakis" (13) rendue le 25 mai 1993, la Cour européenne des droits de l'Homme a élevé au rang de droit fondamental la liberté de conscience et celle de manifester sa religion (et donc, les actes de pression) (CEDH, 25 mars 1993, Req. 3/1992/348/421, Kokkinakis c/ Grèce N° Lexbase : A6556AWQ). On pourrait utilement s'interroger sur le sens de cette liberté de manifestation, les textes ne mentionnant que le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Le prosélytisme semble donc exclu de la notion de liberté de manifester sa religion, au sens de l'article 9 § 2 de la CESDH. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme l'a-t-elle expressément admis, dans sa décision "Kokkinakis" ? La CEDH relève qu'aux termes de l'article 9, la liberté de manifester sa religion comporte, en principe, le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un "enseignement", sans quoi du reste "la liberté de changer de religion ou de conviction", consacrée par l'article 9, risquerait de demeurer lettre morte.

  • Sécurité au travail

Selon la Halde, des considérations de sécurité au travail peuvent constituer une restriction objective justifiée par la nature des tâches à effectuer. Il est vrai que l'article 9 § 2 de la CESDH retient explicitement des impératifs de sécurité ou de santé comme restrictions légitimes au droit de manifester ses convictions ou opinions.

Il peut s'agir, par exemple, de l'incompatibilité entre le port d'un signe et celui d'un équipement obligatoire de protection, ou encore de risques accrus par le port d'un signe (risques mécaniques, risques chimiques, ...) (Halde, délibération n° 2009-119, point n° 40).

Des impératifs de santé ou d'hygiène sanitaire peuvent, également, amener l'employeur à imposer le port de tenues spécifiques pouvant ne pas être compatibles avec le maintien de signes religieux (Halde, délibération n° 2009-119, point n° 41).

  • Nature des tâches à accomplir (relation avec le public ou la clientèle)

Concernant la relation avec la clientèle, les juridictions ont cherché à concilier la liberté de religion des salariés qui souhaitent porter un vêtement (ou un signe) et l'intérêt des entreprises. Au cas par cas, le juge a tenté de concilier la liberté de religion et de convictions des salariés et les intérêts des entreprises. Il a progressivement accru les exigences de justifications attendues de l'employeur.

La cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (CA de Saint-Denis de la Réunion, 9 septembre 1997, n° 97/703306) (14) a admis le licenciement pour cause réelle et sérieuse d'une salariée musulmane refusant d'adopter une tenue conforme à l'image de marque de l'entreprise. En l'espèce, la cour d'appel a souligné que le vêtement recouvrait l'intéressée de la tête aux pieds et que la salariée ne portait pas ce type de tenue lors de son embauche. L'intéressée, vendeuse d'articles de mode féminine, portait dorénavant un vêtement qui ne reflétait pas l'image véhiculée par la boutique de mode dans laquelle elle était employée et dont elle devait refléter la tendance en raison de son rôle de conseil à la clientèle. Son licenciement ne constituait pas une discrimination en raison de sa religion mais il était fondé sur une cause objective ayant trait, pour des impératifs commerciaux liés à l'intérêt de l'entreprise, à la mise en conformité entre l'esprit mode de l'enseigne et la tenue du personnel chargé de l'accueil, du conseil de la clientèle et de la vente d'articles de mode féminine.

La cour d'appel de Paris (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03/30212, préc.) a confirmé la réintégration, ordonnée en référé, d'une salariée licenciée travaillant dans un centre d'appel et portant un foulard cachant les cheveux, les oreilles, le cou et la moitié du front. Les juges ont retenu que la salariée avait été embauchée avec ce même voile et que son contrat de travail comportait dès sa conclusion une clause de mobilité lui permettant d'aller directement chez les clients. Cela n'avait soulevé aucune difficulté tant que l'intéressée occupait un poste d'études et de sondage mais dès que l'intéressée a été mutée au siège de l'entreprise sur un poste de télémarketing en lien régulier avec des clients se rendant dans les locaux de l'entreprise, il lui a été demandé de nouer son voile en "bonnet", ce qu'elle a refusé. La cour d'appel affirme que l'employeur doit apporter la preuve de l'existence d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination de nature à justifier sa décision. En l'espèce, les juges ont considéré que l'employeur ne faisait état d'aucun problème relationnel de sa salariée avec un client en raison du port du foulard.

La conclusion tirée par la Halde (Halde, délibération n° 2009-117, point 50) doit être approuvée : le simple fait d'être au contact de la clientèle ne semble pas être en soi une justification légitime pour restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié. La justification au cas par cas de la pertinence et de la proportionnalité de la décision au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte de son exécution doit être faite, afin de démontrer que l'interdiction du port de signes religieux est, en dehors de toute discrimination, proportionnée et justifiée par la tâche à accomplir dans les circonstances de l'espèce.

B - Modalité d'encadrement de la liberté de religion et de conscience par/dans le règlement intérieur

L'hypothèse d'une restriction générale et absolue à la liberté de religion par le règlement intérieur d'une entreprise doit être écartée d'entrée de jeu. Comme la Halde l'a déjà relevé en 2008, seule la loi peut fixer une restriction générale à l'exercice de la liberté religieuse. Or, aucune norme de droit interne ne restreint la liberté de religion ou de conviction dans l'entreprise privée en France. Aussi, un employeur ne saurait, de sa propre initiative, imposer une telle interdiction absolue et générale à ses salariés par une disposition de son règlement intérieur.

Toutefois, les articles L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) et L. 1321-3 (N° Lexbase : L1843H97) du Code du travail permettent à l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, d'apporter des restrictions aux libertés individuelles et collectives, dont la liberté de religion ou de convictions, au sein de l'entreprise, qui seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Dans sa délibération n° 2009-22, la Halde avait rappelé que l'employeur ne peut, par le règlement intérieur, restreindre la liberté de conscience et de religion qu'en justifiant la nécessité de sa décision par des éléments objectifs et proportionnés.

Si l'employeur souhaite introduire dans son règlement intérieur une disposition afin de restreindre la liberté religieuse et de convictions des salariés en raison de la nature du poste et des fonctions exercées, la rédaction de celle-ci devrait être la plus précise possible afin d'éviter une interdiction générale et absolue (15).

La disposition du règlement intérieur pourrait, ensuite, énoncer le principe selon lequel, lorsque la restriction de la liberté de religion ou de convictions est justifiée par la nature spécifique des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché, les modalités de cette restriction doivent pouvoir être discutées avec les intéressés afin de concilier au mieux leurs convictions et les intérêts de l'entreprise (16).

Cette appréciation ne peut se faire qu'au cas par cas et il doit être justifié de la pertinence et de la proportionnalité de la décision de restreindre la liberté religieuse et de convictions au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte de son exécution afin de démontrer que cette restriction est, en dehors de toute discrimination, proportionnée et effectivement justifiée par la tâche à accomplir dans les circonstances de l'espèce (17).


(1) Selon S. Le Bars, Le Monde, samedi 18 avril 2009, p. 9.
(2) La réclamante est embauchée en qualité d'animatrice sports et loisirs par une association chargée de l'intégration sociale d'enfants autistes pour une semaine. Lors de réunions préparatoires, elle se présente voilée et marque son refus de se baigner avec les enfants alors qu'une sortie dans un parc aquatique est organisée. La réclamante refusant d'ôter son foulard, l'employeur rompt brutalement son contrat. Après examen, la rupture de contrat paraît justifiée, l'exigence de sécurité lors de la baignade des enfants autistes constituant un objectif étranger à toute discrimination conformément à l'article L. 122-45, alinéa 4 (N° Lexbase : L3114HI8 ; art. L. 1134-1, al. 3, recod. N° Lexbase : L6054IAH). Toutefois, certaines justifications avancées par l'employeur manifestent une méconnaissance de la loi. En conséquence, la Halde rappelle à l'employeur la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, relative à la laïcité (N° Lexbase : L1864DPQ).
(3) Si toute discrimination fondée sur les convictions religieuses est prohibée lors de l'exécution du contrat de travail, des limitations peuvent être imposées dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées notamment par l'organisation du travail dans l'entreprise. S'il peut paraître justifié de demander aux animateurs des centres de vacances et de loisirs de participer aux repas et de goûter les aliments, notamment avec les jeunes enfants, il en va autrement lorsque l'employeur impose aux animateurs un régime alimentaire en partageant les repas avec les enfants, dans des conditions strictement identiques. Cette règle a pour effet d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes désireuses de suivre un régime alimentaire, en raison de leurs convictions religieuses ou de leur état de santé.
(4) La Halde a été saisie par un chirurgien urologue d'une réclamation relative aux faits de harcèlement moral discriminatoire qu'il aurait subis au sein du centre hospitalier où il exerce. La Halde considère que les accusations abusives de prosélytisme et de circoncisions rituelles proférées à son encontre par une partie des agents hospitaliers, ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant à son égard. Ces faits, fondés sur les opinions religieuses du réclamant, constituent un harcèlement moral discriminatoire, notamment au sens de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L8986H39).
(5) La réclamante qui porte le foulard islamique se voit refuser par un organisme public de formation l'accès à une formation obligatoire en vertu du contrat accueil et intégration qui se tient dans les locaux d'un lycée public. L'organisme public de formation justifie son refus en invoquant son règlement intérieur, la proximité avec les élèves de l'enseignement public, le respect du statut public des établissements composant l'organisme public, des règles propres aux locaux où la formation s'effectuerait ou celles du milieu professionnel auquel elle destinerait ou encore la lutte contre le prosélytisme. Il rapproche le statut de l'organisme public de formation de celui d'un collège privé catholique et estime qu'en autorisant l'accès de la réclamante il méconnaîtrait les termes du cahier des charges de l'ANAEM en matière de laïcité. La Halde rejette l'ensemble de ces arguments et conclut que le refus d'accès à une formation obligatoire en raison du port d'un signe religieux n'apparaît pas comme étant conforme aux dispositions de la CESDH. La Halde recommande à l'organisme public de formation d'accepter l'inscription de la réclamante lors de la prochaine session de formation et de l'indemniser de ses frais de formation.
(6) Deux étudiantes à l'université ont saisi la Halde par l'intermédiaire d'une association. Portant le foulard islamique, elles estiment être victimes de discrimination fondée sur leurs convictions religieuses de la part d'une enseignante d'espagnol. Celle-ci s'oppose au port du voile pendant ses cours à l'université en évoquant la laïcité. Or, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, ne s'applique pas à l'université. La Halde rappelle les termes des articles 432-7 (N° Lexbase : L0476DZN) et 225-1 (N° Lexbase : L3332HIA) et suivants du Code pénal et porte les faits à la connaissance du conseil d'administration de l'université en sa qualité d'instance disciplinaire.
(7) La Halde a été saisie d'une demande d'avis portant sur la compatibilité de l'interdiction du port de la burqa avec le principe de non-discrimination dans le cadre d'une formation linguistique obligatoire en vertu d'un contrat d'accueil et d'intégration (CAI). S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et les exigences pédagogiques de l'enseignement linguistique, la Halde décide que l'obligation faite aux personnes suivant une formation linguistique dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration de retirer la burqa ou le niqab est constitutive d'une restriction se conformant aux exigences de la CESDH.
(8) Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3 (N° Lexbase : L0799H9H), de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses convictions religieuses.
(9) Lire les obs. de Ch. Alour, Le port du foulard islamique est-il autorisé dans l'entreprise ?, Lexbase Hebdo n° 90 du 16 octobre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9085AAQ).
(10) Halde, délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009, reprenant presque mot pour mot la délibération n° 2009-22 du 26 janvier 2009.
(11) Et nos obs., Bonne foi contractuelle et convictions religieuses, JCP éd. E, 1999, p. 900.
(12) JCP éd. E, 1998, panorama rapide, p. 781, infra.
(13) Gaz. Pal., 1994, juris. 477, note N. Dehry et obs. G. Junosza-Zdrojewski et RFDA, mai-juin, 1995, p. 573, note H. Surrel.
(14) D., 1998, jurisp., note S. Farnocchia.
(15) Halde, délibération n° 2009-117, point n° 59.
(16) Halde, délibération n° 2009-117, point n° 61.
(17) Halde, délibération n° 2009-117, point n° 62.

Décision

Halde, délibération n° 2009-117 du 6 mars 2009, Liberté religieuse et règlement intérieur dans l'entreprise privée (N° Lexbase : X7282AEG)

Mots clés : liberté religieuse en entreprise ; règlement intérieur

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