La lettre juridique n°347 du 23 avril 2009 : Licenciement

[Jurisprudence] L'impossible licenciement de la nounou enceinte

Réf. : Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-40.011, Mme Dalila Bounachada, épouse Boubghal, F-D (N° Lexbase : A1166EGB)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


La solution adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt inédit en date du 8 avril 2009, fera frémir tous les parents d'enfants en bas-âge qui choisissent de faire garder leur progéniture au domicile familial : dès lors que la nounou est enceinte, il devient presque impossible de la licencier. La solution, conforme à l'état actuel de la jurisprudence (I), nous semble excessive et inadaptée à la situation particulière des parents considérés comme des particuliers employeurs (II).

Résumé

Pour débouter la salariée de sa demande tendant à la nullité de son licenciement et décider que celui-ci était fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, après avoir rappelé que l'employeur peut prononcer un licenciement au cours de la période de protection lorsqu'il est motivé par l'impossibilité de maintenir le contrat de travail en raison de circonstances étrangères à l'état ou à la situation de la salariée, retient que, selon l'employeur, le licenciement est justifié par la suppression de l'emploi de garde d'enfant à domicile en raison de l'âge de ses deux enfants tous deux scolarisés à la rentrée scolaire et des horaires coïncidant exactement avec les siens, elle-même institutrice, ce qui a pour conséquence la suppression de l'emploi de garde d'enfants tenu par la salariée. En se déterminant ainsi, sans constater l'impossibilité dans laquelle s'était trouvé l'employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Commentaire

I - La protection due à la nounou enceinte

  • La protection légale de la femme enceinte

L'article L. 1225-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0854H9I) interdit de licencier une femme en raison de sa grossesse, du jour où elle est enceinte jusqu'à l'expiration d'une période de quatre semaines qui suit la fin de son congé de maternité. A titre exceptionnel, un licenciement est possible s'il est motivé par la faute grave de la salariée ou l'impossibilité, pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement, de maintenir le contrat de travail ; ce dernier ne pourra, toutefois, ni être notifié, ni prendre effet pendant les périodes de suspension du contrat de travail, c'est-à-dire lorsque la salariée est en congé de maternité.

  • Une jurisprudence très protectrice des femmes enceintes

La jurisprudence fait classiquement une interprétation très stricte de la notion de faute grave dépourvue de tout lien avec la grossesse (1), comme celle d'"impossibilité", en écartant le motif pris de l'insuffisance professionnelle (2) ou la suppression de l'emploi dans le cadre d'un licenciement pour motif économique (3), à moins que celle-ci ne s'accompagne de circonstances additionnelles rendant le maintien du contrat véritablement impossible (4) ; comme l'indique la Cour de cassation dans une formule devenue de style, "l'existence d'un motif économique de licenciement ne caractérisant pas, à elle seule, cette impossibilité" (5), ce qui contraint l'employeur à préciser, dans la lettre de licenciement, le motif de la rupture, "en quoi celles-ci avaient placé l'employeur dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée pendant les périodes de protection dont elle bénéficiait" (6).

Cette jurisprudence a, également, été appliquée lorsque l'employeur est un particulier et que ce dernier exerce son droit de retrait de l'enfant à l'égard d'une assistante maternelle enceinte ; dans cette hypothèse, en effet, la protection de la femme enceinte prime sur le droit de retrait des parents et le fait que ces derniers souhaitent, désormais, s'occuper de leur enfant ou changer le mode de garde, ne constitue pas l'impossibilité exigée par la loi pour rompre le contrat de travail (7).

  • Une sévérité confirmée en l'espèce

C'est cette sévérité que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cette affaire où une salariée avait été engagée par un particulier pour assurer la garde de ses deux enfants à domicile pour un horaire de 60 heures par mois. Alors que la salariée était en état de grossesse, elle avait été licenciée "pour suppression de son emploi de garde d'enfants à domicile en raison de l'âge des deux enfants scolarisés tous deux à l'école primaire à la rentrée prochaine avec des horaires coïncidant exactement avec ceux de l'employeur, professeur des écoles". Contestant la validité de ce motif, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale pour voir prononcer la nullité de son licenciement.

La cour d'appel de Colmar l'avait déboutée de ses demandes, après avoir relevé que l'employeur peut prononcer un licenciement au cours de la période de protection lorsqu'il est motivé par l'impossibilité de maintenir le contrat de travail en raison de circonstances étrangères à l'état ou à la situation de la salariée, et que, selon l'employeur, le licenciement est justifié par la suppression de l'emploi de garde d'enfant à domicile en raison de l'âge de ses deux enfants, tous deux scolarisés à la rentrée scolaire et à des horaires coïncidant exactement avec les siens, elle-même institutrice, ce qui a pour conséquence la suppression de l'emploi de garde d'enfants tenu par la salariée.

C'est cet arrêt qui est cassé pour manque de base légale, la Chambre sociale de la Cour de cassation reprochant aux juges du fond de s'être déterminés ainsi, "sans constater l'impossibilité dans laquelle s'était trouvé l'employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption".

II - Une solution excessive et inadaptée

  • Premier degré (favorable) de lecture

A première vue, il n'y a pas grand-chose que l'on puisse reprocher à la Chambre sociale de la Cour de cassation. La référence à l'"impossibilité" de maintenir le contrat, voulue par le législateur, renvoie directement aux critères de la force majeure et à l'existence d'une contrainte insurmontable qui s'imposerait à l'employeur. Or, le fait que des enfants grandissent et que l'un ou l'autre des parents soit, désormais, en mesure de s'en occuper n'apparaît bien entendu pas comme une contrainte insurmontable, la suppression de l'emploi relevant plus d'un choix librement exercé par l'employeur, qui préfère, désormais, s'occuper directement de ses enfants plutôt que de les confier à un tiers.

  • Second degré (critique) de lecture

La solution nous paraît tout de même sévère car elle aboutit à interdire au particulier, employeur, de rompre de fait le contrat de travail de la salariée employée à domicile pendant toute la durée de protection, c'est-à-dire pour une période pouvant aller jusqu'à douze mois et demi (8) !

Dans une entreprise classique, cette quasi impossibilité de licencier la salariée peut se justifier par le fait que l'employeur, même s'il supprime un emploi, doit pouvoir reclasser la salariée sur un autre emploi ; les contraintes qui pèsent sur l'entreprise peuvent être considérables, surtout lorsque l'effectif est réduit et les possibilités de reclassement limitées, voire inexistantes, mais soit... Néanmoins, pour un particulier employeur qui n'emploie qu'un seul salarié, autrement dit qui n'a qu'un seul emploi, cette période de quasi inamovibilité de la salariée peut sembler bien excessive. Quand on sait, par ailleurs, que le licenciement qui contrevient aux dispositions légales est nul et que la salariée doit, en principe, être réintégrée (9), le cas échéant sous astreintes, on imagine la situation qui pourrait naître d'une salariée réintégrée contre l'avis de l'employeur, à son domicile, pour s'occuper de l'enfant...

En d'autres termes, il nous semble que la Cour de cassation devrait assouplir sa position, dans ce type d'hypothèses, pour tenir compte des intérêts en présence. Dès lors qu'objectivement l'employeur n'a plus besoin de la salariée, parce que le ou les enfants ont grandi, comme c'était le cas ici, ou que la charge financière de l'emploi devient trop lourde à porter, et que l'emploi est supprimé, nous pensons que la rupture du contrat devrait être admise et l'impossibilité de maintenir le contrat caractérisée.

Il n'est, d'ailleurs, pas certain que la Cour de cassation y soit, par principe, hostile. La cassation a été prononcée dans cette affaire non pas pour violation de la loi, mais bien pour manque de base légale, c'est-à-dire parce que l'arrêt d'appel n'avait pas fait apparaître de manière suffisamment claire les éléments constitutifs de l'impossibilité de maintenir le contrat. Ne soyons, toutefois, pas naïf : la solution s'assimile certainement bien à un refus de principe de considérer que la suppression d'un emploi puisse justifier le licenciement de la femme enceinte, même si la porte demeure entr'ouverte ; gageons que les Hauts magistrats sauront, également, tenir compte de la particularité des particuliers employeurs, surtout lorsqu'ils sont parents de jeunes enfants !


(1) La Cour de cassation écarte, ainsi, la qualification de faute grave pour la salariée qui quitte son travail sans autorisation pour subir une visite médicale : Cass. soc., 18 avril 2008, n° 06-46.119, Mme Nadia Ouergly, épouse Henry, FS-P+B (N° Lexbase : A1739D8W).
(2) Cass. soc., 27 avril 1989, n° 86-45.547, Mme Romilly c/ Institut Dudouit (N° Lexbase : A3654ABX).
(3) Cass. soc., 5 décembre 1989, n° 88-40.845, M. Ruiz c/ Société Languedocienne d'entreprise (N° Lexbase : A4147AGP) ; Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 02-40.055, Mlle Sabine Vivien c/ Société Valorum, F-D (N° Lexbase : A4715DDY) ; Cass. soc., 3 novembre 2005, n° 03-46.986, Société Editions Atlas, F-D (N° Lexbase : A3364DL8).
(4) Cass. soc., 21 juin 1995, n° 91-44.132, Mme Pascale Couturier c/ SA Société financière et foncière (N° Lexbase : A1892ABP) : "la cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune demande de dommages-intérêts, et qui a admis que le contrat de travail de l'intéressée avait été modifié dans l'un de ses éléments essentiels, du fait de la suppression de son emploi antérieur, intervenue dans le cadre de la réorganisation complète de l'entreprise, accompagnée de licenciements, de mutations de personnel et de suppression d'emplois, à laquelle l'employeur avait dû procéder à la suite de la cession d'une partie de ses activités, a constaté que la demande de réintégration présentée par Mme C. se heurtait à une impossibilité de fait et qu'invitée à s'expliquer sur les trois organigrammes invoqués, celle-ci avait reconnu à l'audience que son poste n'existait plus et précisé ne pas demander l'un des cinq postes de secrétaire subsistants, occupés par des collègues".
(5) Cass. soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.413, Société Agence des services de la presse et de l'édition c/ Mme Marianne Vidal, F-D (N° Lexbase : A4095DMM).
(6) Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-41.179, Mme Noura M'Chaighi, F-P+B (N° Lexbase : A7149D8B).
(7) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-45.980, Mme Valérie Boucher c/ Mme Isabelle Passiller, FS-P (N° Lexbase : A3754AYP).
(8) Neuf mois de grossesse, deux mois et demi de congé de maternité après l'accouchement, et un mois après le retour de la salariée de son congé.
(9) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, Mme Gabrielle Velmon c/ Association Groupe Promotrans, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7501BSM), Dr. soc., 2003, p. 831, chron. B. Gauriau et les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7288AA8).


Décision

Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-40.011, Mme Dalila Bounachada, épouse Boubghal, F-D (N° Lexbase : A1166EGB)

Cassation, CA Colmar, ch. soc., sect. C, 4 mai 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 122-25-2, alinéa 1er ([LXB=L5495AC]), devenu L. 1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I)

Mots clef : femme enceinte ; licenciement ; impossibilité de maintenir l'employeur

Lien base :

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