Réf. : Cass. soc., 24 juin 2008, n° 07-41.972 à 07-41.976 (jonction), M. Serge Blin et a. c/ M. Ph. Froehlich et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3748D9P)
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N5383BGH
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'infirmation du jugement d'extension de la procédure de redressement judiciaire à la société employeur entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de la décision d'autorisation de licencier prise par le juge-commissaire dans le cadre de cette procédure. Il en résulte que les licenciements prononcés sont dépourvus de cause réelle et sérieuse. Selon les dispositions de l'article L. 621-126 du Code de commerce (N° Lexbase : L6978AIB, art. L. 625-3, nouv. N° Lexbase : L7049AIW), en matière prud'homale, les instances en cours à la date du jugement de redressement ou de liquidation judiciaire de l'employeur, sont poursuivies en présence du représentant des créanciers et de l'administrateur ou ceux-ci dûment appelés. Le représentant des créanciers est, en outre, tenu d'informer, dans les dix jours, la juridiction saisie et les salariés parties à l'instance de l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaires. Le représentant des créanciers qui n'a pas informé la juridiction saisie, avant l'ouverture des débats de la liquidation judiciaire de l'employeur, ne peut valablement se prévaloir d'une inopposabilité de la décision rendue. |
Commentaire
I Infirmation du jugement d'extension et sort des licenciements prononcés par le juge-commissaire
Lorsqu'une société se trouve placée en redressement judiciaire, les difficultés constatées peuvent, dès l'ouverture de la période d'observation et pendant toute sa durée, justifier la rupture immédiate de certains contrats de travail. Plus précisément, il résulte de la loi que "lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable, pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé, par le juge-commissaire, à procéder à des licenciements" (1).
Bien que l'administrateur ait un rôle à jouer en la matière (2), c'est sur les épaules du juge-commissaire que pèse le poids de la décision de licencier pour motif économique. Il convient, d'ailleurs, de rappeler que le licenciement prononcé sans son autorisation est dépourvu de cause réelle et sérieuse (3).
A l'évidence, si le juge-commissaire est appelé à intervenir, c'est qu'une procédure collective a été ouverte par le tribunal de commerce. Or, et la question était au coeur de l'arrêt commenté, il importe de se demander ce qu'il advient des décisions de l'organe en cause lorsque ce jugement d'ouverture est postérieurement infirmé.
Le jugement, qui ouvre ou refuse d'ouvrir, la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, peut faire l'objet des voies de recours. Celles-ci sont, cependant, soumises à un régime spécifique et restrictif, essentiellement justifié par une exigence de rapidité (4). Dès lors qu'un tel recours est possible, il peut conduire la juridiction saisie à infirmer le jugement d'ouverture. C'est ce qui s'était précisément passé dans l'affaire sous examen, dont les faits sont relativement complexes.
Cinq salariés avaient été engagés, entre 1997 et 2001, par la société S., filiale de la société C.. Par jugement du 12 décembre 2001, le tribunal de commerce avait étendu à la société S. la procédure de redressement judiciaire qui avait été ouverte antérieurement à l'égard d'autres sociétés. Le juge-commissaire ayant, par ordonnance du 29 janvier 2002, autorisé le licenciement pour motif économique de vingt-six membres du personnel de la société S., l'administrateur judiciaire avait licencié les cinq salariés, le 13 février suivant. Contestant leur licenciement, ces derniers avaient, alors, saisi la juridiction prud'homale. A la suite de l'infirmation du jugement du tribunal de commerce du 12 décembre 2001, prononcée le 6 février 2003, la société S. avait été remise à la tête de ses biens. Tandis que les débats devant le conseil de prud'hommes avaient eu lieu le 12 février 2004, la société S. avait, en cours de délibéré, le 31 mars 2004, été mise en liquidation judiciaire. Par jugements du 6 mai 2004, rendus sans qu'ait été mis en cause le liquidateur, le conseil des prud'hommes avait décidé que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse et condamné ladite société à verser aux salariés diverses sommes. Alors que ces jugements n'avaient pas fait l'objet de voies de recours, le liquidateur judiciaire avait, cependant, invoqué leur inopposabilité à son égard. Les salariés avaient, alors, à nouveau, saisi la juridiction prud'homale aux fins d'inscription des sommes allouées par jugement du 6 mai 2004 sur le relevé de créances.
Pour débouter les salariés de leur demande de prise en charge par l'AGS de leurs créances au titre, notamment, de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les arrêts attaqués avaient retenu que l'annulation d'un jugement de redressement ou de liquidation judiciaire n'entraîne pas effacement rétroactif des actes accomplis sous l'empire du jugement annulé.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 621-37 du Code de commerce (N° Lexbase : L6889AIY), L. 122-14-3, alinéa 1, 1ère phrase, du Code du travail (N° Lexbase : L5568AC9), recodifié sous les articles L. 1233-2 et L. 1235-1 du même code, l'article L. 321-1, alinéa 1 (N° Lexbase : L8921G7K), devenu L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9888HW7) et 63 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, relatif au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises (N° Lexbase : L9117AGR). Prenant l'exact contre-pied de la position des juges du fond, la Chambre sociale considère que "l'infirmation du jugement d'extension de la procédure de redressement judiciaire à la société S. entraînait l'annulation, par voie de conséquence, de la décision d'autorisation de licencier prise par le juge-commissaire dans le cadre de cette procédure, ce dont il résultait que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse, de sorte que l'AGS devait sa garantie".
Cette solution mérite approbation, au moins quant aux conséquences qu'elle tire de l'infirmation du jugement d'extension. En effet, quand le recours contre le jugement d'ouverture est accueilli, ce dernier se trouve rétroactivement anéanti et les parties se trouvent placées dans l'état antérieur. Bien plus, et ainsi qu'il est classiquement enseigné, "l'infirmation en appel du jugement d'ouverture entraîne de plein droit l'annulation des décisions qui n'en sont que la suite ou la conséquence, tel, par exemple, le jugement reportant la date de cessation des paiements ou l'ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente des éléments du fonds de commerce" (5). Partant, il faut approuver la Cour de cassation, lorsqu'elle affirme que l'infirmation du jugement d'extension entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de la décision d'autorisation de licencier prise par le juge-commissaire dans le cadre de cette procédure.
On peut, en revanche, se montrer plus circonspect à l'égard de la conséquence que la Cour de cassation tire de l'annulation de la décision d'autorisation de licencier prise par le juge-commissaire. Selon la Chambre sociale, il résulte de cette annulation que les licenciements prononcés sont dépourvus de cause réelle et sérieuse. Or, on peut se demander si la nullité de ces mêmes licenciements n'aurait pas constitué une sanction plus adéquate, ces derniers étant intervenus consécutivement à une autorisation du juge-commissaire, annulée à la suite de l'infirmation du jugement d'extension. Cet enchaînement des nullités n'aurait pas été sans rappeler celui qui avait été admis par la Cour de cassation dans le fameux arrêt "La Samaritaine", relativement à la nullité du plan social (6). Mais il est vrai que, dans ce cas, la nullité des licenciements prononcés pouvait s'autoriser d'un texte, certes interprété de manière extensive par la Chambre sociale. Or, et pour en revenir à la question qui nous intéresse, faute de texte spécifique, il est bien difficile d'opter pour la nullité des licenciements. Ne reste, alors, par nécessité pourrait-on dire, que l'absence de cause réelle et sérieuse, dont il faut se satisfaire (7).
II Opposabilité des décisions rendues au profit des salariés au représentant des créanciers
Afin de faciliter le redressement de l'entreprise en difficulté, mais aussi pour assurer une certaine égalité entre les créanciers, la loi impose à ceux-ci des sacrifices, parmi lesquels figure en bonne place l'arrêt des poursuites individuelles (8).
A ce titre, l'article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3741HB8) dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 (N° Lexbase : L3876HB8) et tendant, notamment, à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Quoique formulée différemment, cette disposition reprend les prescriptions qui figuraient à l'article L. 621-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L6893AI7), applicable au moment des faits (9).
De même, la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), a maintenu la dérogation dont bénéfice les salariés. En effet, ainsi que l'affirmait l'article L. 621-126, alinéa 1er, (devenu l'article L. 625-3 du Code de commerce), "les instances en cours devant la juridiction prud'homale, à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire, sont poursuivies en présence du représentant des créanciers et de l'administrateur lorsqu'il a pour mission d'assurer l'administration ou ceux-ci dûment appelés" (10).
En l'espèce, l'application de ces dispositions ne faisait aucune difficulté. En revanche, le liquidateur soutenait que les jugements du 6 mai 2004, ayant déclaré les licenciements sans cause réelle et sérieuse étaient inopposables à la procédure de liquidation judiciaire faute pour lui d'avoir été mis en cause (11). Repoussée par les juges d'appel, cette argumentation ne trouve pas plus d'écho devant la Cour de cassation qui décide que "le représentant des créanciers qui n'a pas informé la juridiction saisie, avant l'ouverture des débats, de la liquidation judiciaire de l'employeur ne peut valablement se prévaloir d'une inopposabilité de la décision rendue".
Ce faisant, la Cour de cassation fait produire tout leur effet aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 621-126 selon lequel, "le représentant des créanciers informe, dans les dix jours, la juridiction saisie et les salariés parties à l'instance de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire" (12). Cette solution n'est pas pour surprendre, dans la mesure où elle avait été antérieurement énoncée par la Chambre sociale dans plusieurs arrêts en date du 17 septembre 2003 (13) et confirmée dans une décision rendue le 24 novembre 2004 (14).
Il convient, toutefois, de relever que, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation prend soin de souligner que le représentant des créanciers doit informer la juridiction saisie et les salariés "avant l'ouverture des débats". Or, en l'espèce, et par la force des évènements, cette exigence ne pouvait être respectée puisque, précisément, la procédure de liquidation judiciaire avait été prononcée postérieurement à l'ouverture des débats.
(1) C. com., art. L. 621-37 (N° Lexbase : L6889AIY), devenu, postérieurement à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), l'article L. 631-17 (N° Lexbase : L4028HBS) du même code.
(2) Sur l'ensemble de la procédure, lire nos obs., Le fait que le licenciement économique soit notifié par le débiteur en redressement judiciaire ne suffit pas à le priver de cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 310 du 26 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3739BGL).
(3) Cass. soc., 3 mai 2001, n° 99-41.813, M. Robert Taguet c/ Imprimerie Douriaut (N° Lexbase : A5335AGP), Bull. civ. V, n° 151.
(4) Pour une présentation d'ensemble de ces voies de recours, v., notamment, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, § 223 et s. ; A. Jacquemont, Droit des entreprises en difficulté, Litec, 5ème éd., 2007, § 247 et s..
(5) A. Martin-Serf, Redressement et liquidation judiciaires Voies de recours, J.Cl. Procédures collectives, Fasc. 2205, § 124 et la jurisprudence citée.
(6) Cass. soc., 13 février 1993, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre (N° Lexbase : A4174AAT), Bull. civ. V, n° 113.
(7) Cette solution rejoint la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, aux termes de laquelle le licenciement prononcé en l'absence d'autorisation du juge-commissaire est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
(8) V. A. Jacquemont, ouvrage préc., pp. 208 et s..
(9) Cet article précisait que, "sous réserve des dispositions de l'article L. 621-126 [du Code de commerce], les instances en cours sont suspendues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant, l'administrateur dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant".
(10) Relevons que cette disposition déroge, également, à l'article 369 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2600ADN).
(11) Partant, le liquidateur refusait d'inscrire les créances des salariés en cause sur l'état des créances.
(12) Prescriptions qui figurent, désormais, au second alinéa de l'article L. 625-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7049AIW) ("le mandataire judiciaire informe dans les dix jours la juridiction saisie et les salariés parties à l'instance de l'ouverture de la procédure").
(13) Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-41.255, Société Veni créator C/O Maison Bosc c/ Mme Andrée Beaulieu, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5404C9Z) et lire nos obs., Conséquences du défaut d'information d'une juridiction concernant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, Lexbase Hebdo n° 88 du 2 octobre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8907AA7).
(14) Cass. soc., 24 novembre 2004, n° 02-45.126, M. Pierre Poll Gouater c/ Société CNM Communication, F-P+B (N° Lexbase : A0304DEY), RTD com., 2005, p. 174, obs. J.-L. Vallens.
Décision
Cass. soc., 24 juin 2008, n° 07-41.972 à 07-41.976 (jonction), M. Serge Blin et a. c/ M. Ph. Froehlich et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3748D9P) Cassation partielle sans renvoi de CA Colmar, ch. soc., sect. B, 20 février 2007 Textes visés : C. com., art. L. 621-37 (N° Lexbase : L6889AIY) ; C. trav., art. L. 122-14-3, alinéa 1, 1ère phrase (N° Lexbase : L5568AC9, art. L. 1233-2 N° Lexbase : L9887HW4 et L. 1235-1 N° Lexbase : L9997HW8, recod.), art. L. 321-1, alinéa 1 (N° Lexbase : L8921G7K, art. L. 1233-3, recod. N° Lexbase : L9888HW7) et décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, relatif au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, art. 61 (N° Lexbase : L9117AGR) Mots-clefs : redressement judiciaire ; licenciements économiques ; juge-commissaire ; infirmation du jugement ; absence de cause réelle et sérieuse ; instance prud'homale ; suspension ; inopposabilité du jugement. Lien base : |
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