La lettre juridique n°313 du 17 juillet 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Le caractère subsidiaire de l'action de in rem verso

Réf. : Cass. civ. 1, 25 juin 2008, n° 06-19.556, M. Devis Mascia, FS-P+B (N° Lexbase : A3605D9E)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Après avoir admis l'enrichissement sans cause de façon occulte sous couvert de la gestion d'affaires, par un important arrêt "Boudier" de la Chambre des requêtes du 15 juin 1892, la Cour de cassation en a fait un principe autonome en accordant, de manière générale, à l'appauvri une action de in rem verso "qui dérive du principe d'équité qui défend de s'enrichir au détriment d'autrui" (1). Et l'on a, alors, traditionnellement enseigné que l'enrichissement sans cause supposait la réunion d'un élément positif d'ordre économique -un mouvement de valeur d'un patrimoine à l'autre- et d'un élément négatif, d'ordre juridique -l'absence de cause de ce mouvement. La jurisprudence a, cependant, par la suite, cherché à moraliser l'institution, l'attitude de l'appauvri pouvant être prise en compte pour lui refuser le bénéfice de l'action de in rem verso. La théorie de l'enrichissement sans cause ne serait donc pas, comme on a parfois pu le dire, purement objective (2), mais présenterait, au contraire, une dimension subjective (3). Encore faut-il relever que la Cour de cassation, opérant d'ailleurs un revirement de jurisprudence, a ensuite entendu distinguer selon la gravité de la faute commise par l'appauvri : s'il est exact que, en cas de faute lourde ou de dol, l'action de in rem verso est fermée à l'appauvri fautif (4), il n'en va pas de même au cas où il ne s'agirait que d'une faute de négligence ou d'imprudence qui, elle, ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action de in rem verso (5), mais qui peut servir de fondement pour engager sa responsabilité si elle a causé un dommage à l'enrichi. Toujours est-il que le régime de l'action continue de soulever quelques difficultés d'appréciation, comme en témoigne au demeurant un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 juin 2008, à paraître au Bulletin. En l'espèce, le demandeur, M. X avait assigné Mme Y, avec laquelle il avait entretenu des relations pendant quelques mois, en remboursement du solde d'une somme de 120 000 euros qu'il lui avait remise. Pour écarter la demande subsidiaire de M. X, fondée sur l'enrichissement sans cause, l'arrêt attaqué, rendu par la cour d'appel de Paris, énonce qu'une telle action n'est pas ouverte pour suppléer une absence de preuves de l'existence du contrat de mandat de gestion allégué par M. X (CA Paris, 25ème ch., sect. B, 23 juin 2006, n° 04/08329 N° Lexbase : A6585DRC). L'arrêt est, cependant, cassé, sous le visa de l'article 1371 du Code civil (N° Lexbase : L1477ABC). La Haute juridiction décide, en effet, "qu'en statuant ainsi, alors que le rejet de la demande fondée sur l'existence d'un contrat de mandat de gestion rendait recevable celle, subsidiaire, fondée sur l'enrichissement sans cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

La jurisprudence et la doctrine affirment, classiquement, que l'action de in rem verso a un caractère subsidiaire (6). Il en résulte, d'abord, que l'action doit être écartée lorsque l'appauvri dispose à l'égard de l'enrichi d'un autre moyen d'obtenir satisfaction (7), ou bien lorsqu'il a la possibilité, à cette fin, d'agir contre un tiers, une caution par exemple (8). On déduit, ensuite, de l'exigence de subsidiarité que l'action de in rem verso est exclue lorsque l'action normale dont disposait l'appauvri lui est fermée par l'effet d'une règle de droit. Ainsi a-t-il été jugé que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut-être admise qu'à défaut de toute autre action ouverte au demandeur ; qu'elle ne peut l'être, notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut intenter par suite d'une prescription, d'une déchéance ou forclusion ou par l'effet de l'autorité de la chose jugée ou parce qu'il ne peut apporter les preuves qu'elle exige ou par suite de tout autre obstacle de droit (9).

On remarquera que, en l'espèce, si la Cour qualifie l'action de in rem verso de "subsidiaire", elle censure tout de même les juges du fond qui, pour rejeter la demande, avaient relevé "qu'une telle action n'est pas ouverte pour suppléer une absence de preuves de l'existence du contrat de mandat de gestion allégué" par le demandeur. On pourrait ainsi s'interroger, à la suite de ce qui a été rappelé précédemment, sur le point de savoir si la Cour n'est pas de fait prête à admettre l'action de in rem verso malgré l'existence d'un obstacle de droit au jeu de l'action ordinaire. Certaines décisions avaient, au reste, déjà permis de se poser la question (10). A suivre donc...


(1) Cass. req., 15 juin 1892, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., n° 227.
(2) En ce sens, J. Carbonnier, Droit civil, T. 4, Thémis, n° 307.
(3) Voir J. Djoudi, La faute de l'appauvri : un pas de plus vers une subjectivisation de l'enrichissement sans cause, D., 2000, chron., p. 609.
(4) Cass. civ. 1, 15 décembre 1998, n° 96-20625, M. de Bartillat c/ Société RMV GITEM, publié (N° Lexbase : A6428CHK), RTDCiv., 1999, p. 400, obs. Mestre ; Cass. com., 19 mai 1998, n° 96-16.393, Société UGC ciné cité Ile-de-France c/ Société Agora cinémas et autres (N° Lexbase : A2752ACW), RTDCiv., 1999, p. 106, obs. Mestre.
(5) Cass. civ. 1, 11 mars 1997, n° 94-17.621, Société Flandrin Capucines et autre c/ Société financière de banque et autre (N° Lexbase : A9966ABQ), D., 1997, p. 407, note Billiau ; Cass. civ. 1, 3 juin 1997, n° 95-13.568, M. Vallet c/ Compagnie La Préservatrice foncière et autres (N° Lexbase : A0425ACQ), JCP éd. G, 1998, II, 10102, note Viney.
(6) Cass. civ., 2 mars 1915, DP, 1920, 1, 102 ; Grands arrêts de la jurisprudence civile n° 228 ; Cass. civ. 3, 4 décembre 2002, n° 01-03.907, FS-P+B (N° Lexbase : A1891A4S) ; Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 01-01.304, F-P (N° Lexbase : A6835A4W) ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 06-14.422, Mme Odyle Tapie-Debat, épouse Castetbieilh, F-P+B (N° Lexbase : A5818DY7) ; P. Drakidis, La "subsidiarité", caractère spécifique et international de l'action d'enrichissement sans cause, RTDCiv., 1961, p. 577 et s..
(7) Cass. civ. 1, 24 octobre 1973, n° 71-14.159, Sakamoto c/ Doale (N° Lexbase : A4591AYP), Bull. civ. I, n° 280 ; Cass. com., 15 mars 1988, n° 86-16.691, Société anonyme générale française d'emballage (GEFREM) c/ Société de droit allemand Deutsche Apparate Vertriebs Organisation GMBH et COHG dite DAVO et autre (N° Lexbase : A7752AAD), JCP éd. G, 1988, IV,192.
(8) Cass. com., 10 octobre 2000, n° 98-21.814, Société Pleine Forme c/ Banque populaire de la région économique de Strasbourg (N° Lexbase : A7786AHT), Bull. civ. IV, n° 150.
(9) Cass. civ. 3, 29 avril 1971, n° 70-10.415, Dame Masselin c/ Decans, publié (N° Lexbase : A4284CKU), Bull. civ. III, n° 277 ; Cass. com., 10 octobre 2000, préc., Bull. civ. IV, n°150.
(10) Cass. civ. 1, 14 mars 1995, n° 92-21.919, M. Claude Massa c/ M. Roland Henry et autres (N° Lexbase : A0200CTL), JCP éd. G, 1995, II, 22516, note Roussel ; Cass. civ. 1, 3 juin 1997, n° 95-13.568, préc..

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