La lettre juridique n°313 du 17 juillet 2008 : Éditorial

Téléphonie mobile : entre "vérité scientifique" et craintes légitimes

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N6491BGI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il y a dix ans, les riverains s'inquiétaient des effets nocifs ou prétendument comme tels, des poteaux téléphoniques. Déjà, les ondes électromagnétiques prenaient le pas sur les arguments esthétiques, lorsqu'il s'agissait de remettre en cause leur installation au bout du jardin. Aujourd'hui, la téléphonie mobile satisfait notre oeil, mais l'inconscient collectif ne cesse de s'interroger sur les éventuelles conséquences des champs électromagnétiques radiofréquences sur nos systèmes biologiques et, plus spécifiquement, sur les effets des stations de base ou des antennes relais qui permettent le développement de cette technologie de communication. Et les mêmes questions orientent, aujourd'hui, les débats sur le développement du Wi-Fi.

Pour conjurer ces craintes, plusieurs missions d'expertise ont été chargées d'évaluer les risques biologiques de ces technologies. Lors de l'exposition aux radiofréquences d'un mobile, les données scientifiques indiquent de manière peu contestable l'existence d'effets biologiques variés (profil de l'électro-encéphalogramme, temps de réaction...) pour des niveaux d'énergie n'occasionnant pas d'accroissement de la température locale. Mais, tous les travaux de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, depuis le rapport "Zmirou" en 2001, concluent dans le même sens : l'absence d'effets nocifs, démontrables en l'état actuel des connaissances scientifiques, des ondes électromagnétiques de faible fréquence sur le corps humain.

C'est, alors, tout le débat sur la généralisation du principe de précaution qui s'orchestre. "L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles" : tel est le canon du principe de précaution applicable en droit français, comme en droit conventionnel (Traité d'Amsterdam, art. 174). C'est bien évidemment en vertu de ce principe que les pouvoirs publics, comme les associations, tentent de ralentir la croissance des installations des antennes relais, soit auprès des tribunaux, soit par arrêtés municipaux. La jurisprudence foisonne, désormais, sur cette question. Pour autant, elle semble souffler le chaud et le froid, comme le souligne Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo édition publique, à la lecture d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 2 juillet dernier. Le droit immobilier, le droit de l'urbanisme et le droit de la copropriété semblent constituer, étrangement, plus sûrement, un rempart au développement "tout azimut" des antennes relais, que le principe général de précaution ou de protection de l'environnement.

D'abord, parce que, comme le rappellent régulièrement les Hauts magistrats, rien ne permet aujourd'hui de remettre en cause la téléphonie mobile, en l'absence de conclusions certaines ou même probables sur le caractère dangereux de sa technologie. Or, si le principe de précaution ne peut être invoqué que, dans l'hypothèse d'un risque potentiel, il ne peut, en aucun cas, justifier une prise de décision arbitraire. Le recours au principe de précaution n'est, en effet, justifié que lorsque trois conditions préalables sont remplies : l'identification des effets potentiellement négatifs, l'évaluation des données scientifiques disponibles et l'étendue de l'incertitude scientifique. Ensuite, parce que, parallèlement à l'inquiétude des populations face à l'appréhension de cette technologie invisible, les opérateurs ont conclu et favorisé le développement de chartes de bonne conduite, avec les collectivités locales, afin d'expliquer, de rassurer et de respecter le cadre de vie des habitants des communes concernées.

Mais, plus fondamentalement, ce débat autour du principe de précaution illustre les difficultés de notre appréhension de la "vérité scientifique". N'en déplaise à ceux qui croient intimement à la nocivité de la téléphonie mobile -en dehors de nos comportements pavloviens en présence d'un téléphone portable-, la vérité scientifique, telle qu'elle est traditionnellement admise par Descartes et sa suite, est qu'il n'y a pas de conséquence dangereuse sur notre organisme. En effet, une proposition relève de la vérité scientifique lorsqu'elle a été établie suivant une méthode scientifique à partir du nombre le plus faible possible d'hypothèses arbitraires. Elle doit avoir été construite par un raisonnement rigoureux à partir de présuppositions communément admises, et vérifiée par l'expérience. Une proposition relevant d'un choix idéologique ne peut avoir statut de vérité si elle est invérifiable par la méthode scientifique, encore moins si la vérité scientifique est contraire. Aussi, sauf à admettre que la vérité scientifique ne relève plus de la "connaissance objective", mais converge vers une connaissance "plus vraie" du monde, comme Karl Raimund Popper, le paradoxe de Hempel fait que l'expertise scientifique viole, aujourd'hui, l'intuition des opposants aux antennes relais.

Il s'agit donc pour une population, dont l'intérêt national est le développement de la téléphonie mobile, mais dont l'intérêt particulier est la préservation de sa santé, de choisir le risque médian en dehors de toute légitimité scientifique. L'exemple des codes de bonne conduite auxquels les opérateurs téléphoniques sont parties, évoqué supra, en est une illustration. La régulation ne pourra se faire sur le terrain de la crainte collective. C'est, en substance, ce que vient de rappeler le Conseil d'Etat dans son arrêt du 2 juillet 2008.

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