La lettre juridique n°303 du 8 mai 2008 : Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité de l'Etat pour faute lourde ou déni de justice et réparation du préjudice subi par ricochet

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, 2 arrêts, n° 07-16.286, Mme Catherine Dalmais, épouse Jacquiot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9367D73) et n° 07-16.504, M. Jean-Claude Perrin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9368D74)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'ancien article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L3351AM3), devenu L. 141-1 du même code (N° Lexbase : L7823HN3) à la faveur de la réforme réalisée par l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 (N° Lexbase : L9328HIC) qui en a refondu la partie législative, "l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du Service public" (al. 1er) et, "sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice" (al. 2). Le régime légal a un caractère impératif, la jurisprudence ayant, en effet, consacré l'impossibilité, pour un usager du service public de la justice, d'engager la responsabilité de l'Etat sur un autre fondement que le fondement légal (CA Paris, 8 octobre 2002, Les annonces de la Seine, 19 décembre 2002, p. 12). Toujours est-il que la mise en oeuvre du texte a suscité un certain nombre d'hésitations, non seulement quant à la détermination de l'auteur de la faute, mais aussi quant à la qualification de la faute lourde ou du déni de justice. En outre, on n'ignore pas que la compatibilité du régime légal aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales a, elle aussi, été discutée, jusqu'à ce que, en définitive, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation décide que l'existence d'un régime de responsabilité propre au fonctionnement défectueux du service public de la justice, qui ne prive pas le justiciable d'accès au juge, n'est pas contradictoire avec les exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) (Ass. plén., 23 février 2001, n° 99-16.165, Consorts Bolle-Laroche c/ Agent judiciaire du Trésor N° Lexbase : A0716ATP, Bull. civ. n° 5 ; JCP éd. G, 2001, II, 10583, note Meruret ; D., 2001, p. 1752, note Debbash). Mais là ne s'épuisent pas toutes les difficultés d'application du dispositif légal, comme en témoignent, au demeurant, deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 avril dernier, ayant fait l'objet d'une diffusion maximale (à paraître au Bulletin officiel des arrêts civils, en ligne sur le site internet de la Cour et promis aux honneurs de son prochain Rapport annuel).

Dans la première affaire, un individu placé en détention provisoire s'était suicidé. Sa veuve et ses parents avaient assigné l'Etat en réparation de leur préjudice causé par les défaillances du service public de la justice. Or, les juges du fond, qui avaient retenu l'existence d'une faute lourde du service public de la justice, avaient certes admis le principe de la réparation du préjudice des demandeurs en qualité d'héritiers du défunt, mais avaient déclaré irrecevables leurs demandes d'indemnisation en tant que victimes par ricochet. Autrement dit, ils avaient refusé d'engager la responsabilité de l'Etat afin de le condamner à réparer leur préjudice personnel, et non plus leur préjudice successoral, et ce aux motifs que les demandeurs n'étaient pas eux-mêmes usagers du service public de la justice.

Dans la seconde affaire, les données du litige, bien qu'un peu différentes, posaient, en réalité, exactement la même question : un individu avait été mis en examen du chef de complicité de vol à main armée, placé en détention provisoire, puis libéré sous contrôle judiciaire et, finalement, acquitté par un arrêt de cour d'assise. Ses parents avaient, là encore, assigné l'Etat en réparation de leur préjudice causé par les défaillances du service public et, comme dans la première affaire, les juges du fond avaient déclaré irrecevables leur demande en réparation du préjudice personnel qui leur avait été causé, les intéressés n'étant pas partie à la procédure diligentée contre leur fils, de telle sorte "qu'ils [n'avaient] pas souffert personnellement d'un fonctionnement défectueux de la justice".

Dans les deux espèces, la décision des juges du fond est cassée, sous le visa de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, devenu L. 141-1 du même code. La Haute juridiction énonce, en effet, très nettement, dans un attendu de principe, "qu'il résulte de ce texte que l'Etat est tenu de réparer le dommage personnel causé aux victimes par ricochet par le fonctionnement défectueux du service public de la justice lorsque cette responsabilité est engagée par une faute lourde ou un déni de justice", et relève, dans les deux affaires, que les demandeurs "invoquaient un préjudice par ricochet causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice", si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel avait violé le texte susvisé.

Ces arrêts méritent d'être approuvés en ce qu'ils sont conformes à la notion même de préjudice par ricochet et à l'appréciation qu'en fait généralement la jurisprudence conduisant, dans l'ensemble, à des solutions libérales. Le principe est, en effet, que toute personne qui prouve avoir souffert d'un dommage personnel par contrecoup de celui qui a frappé la victime initiale (ou directe ou immédiate) peut en obtenir réparation. Parmi de très nombreux exemples, à peine est-il ici utile de redire que, contrairement à la Chambre criminelle, la première chambre civile de la Cour de cassation avait, un temps, refusé d'admettre la réparation du dommage moral souffert par la concubine du fait du décès de son concubin, jusqu'à ce qu'un arrêt rendu en chambre mixte consacre, du moins lorsque le concubinage est stable, la solution de la Chambre criminelle et, donc, admette le droit à réparation (Cass. mixte, 27 février 1970, n° 68-10.276, Dame Gaudras c/ Dangereux N° Lexbase : A2247AZA, JCP éd. G, 1970, II, 16305, concl. Lindon, note Parlange).

Surtout, les arrêts du 16 avril dernier confirment l'autonomie du droit à réparation du dommage par ricochet par rapport au droit de la victime immédiate. On comprend, dès lors, qu'il importait peu que les victimes par ricochet n'aient pas, elles-mêmes, eu la qualité d'usagers du service public de la justice ou qu'elles n'aient pas personnellement souffert d'un fonctionnement défectueux du service public en question : seul devait, en effet, compter le fait que, en tant que proches, elles avaient souffert d'un préjudice propre par contrecoup du préjudice souffert par la victime immédiate qui méritait, en tant que tel et pour cette seule raison, réparation.

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